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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/829/2011

ATA/342/2011 du 26.05.2011 ( DELIB ) , ACCORDE

Parties : VILLE DE GENEVE / CONSEIL D'ETAT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/829/2011-DELIB ATA/342/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 26 mai 2011

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

VILLE DE GENÈVE

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 


EN FAIT

1. Par délibération du 14 décembre 2010, le conseil municipal de la Ville de Genève (ci-après : la ville) a adopté le budget de fonctionnement de celle-ci, fixé le taux des centimes additionnels pour l'année 2011, le nombre de ces centimes à appliquer en supplément à l'impôt sur les chiens 2011 et accordé au conseil administratif une autorisation d'emprunts.

2. Le 16 février 2011, le Conseil d'Etat a approuvé ladite délibération, avec une « remarque » formulée de la manière suivante :

« Le Conseil d’Etat rappelle que les sommes portées au budget de fonctionnement d’une commune sont des autorisations de dépenses accordées par le conseil municipal qui ne peuvent être utilisées que dans le respect du droit supérieur et du principe de la légalité. Cela vaut en particulier pour la ligne budgétaire n° 5007000.366 libellée « subventions accordées - personnes physiques » d’un montant de CHF 10'000'000.-, qui ne peut servir au versement de prestations complémentaires municipales venant s’ajouter aux prestations complémentaires fédérales et cantonales à l’AVS/AI, dans la mesure où elles ne sont pas conformes au droit supérieur comme l’a constaté le Conseil d’Etat par arrêté du 13 février 2009, entré en force.

En revanche, le Conseil d’Etat autorise le conseil administratif de la Ville de Genève à utiliser une partie de cette ligne budgétaire afin de préserver la situation des bénéficiaires actuels des prestations complémentaires municipales, étant précisé que les montants des prestations doivent être figés à leur niveau actuel et qu’aucun nouveau bénéficiaire ne peut être admis à compter du 1er mars 2011. De même, le Conseil d’Etat n’a aucune objection à ce que la Ville de Genève utilise également une partie de cette ligne budgétaire à d’autres fins d’aide sociale, par exemple à destination des personnes âgées ou handicapées victimes des effets de seuil induits par la législation fédérale et qui ne peuvent de ce fait bénéficier des prestations complémentaires et des soutiens additionnels qui y sont liés (subsides d’assurance-maladie, frais médicaux, frais de transport, redevance radio-télévision, etc) ».

3. La ville a recouru contre cet arrêté auprès de la chambre administrative de la section administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant à l'annulation de la « remarque » en question et en sollicitant, à titre préalable, la « [confirmation de] l'effet suspensif » au recours.

4. Le 15 avril 2011, le Conseil d'Etat, s'est prononcé sur la demande de « confirmation » de l'effet suspensif de la ville. Il concluait à ce qu'il soit constaté que le recours de la ville suspendait ex lege l'intégralité de l'arrêté, au motif que la réserve contestée, adoptée sous la forme d'une « remarque », ne pouvait être séparée du tout sans qu'il soit procédé à un examen au fond de la cause.

5. Par décision du 21 avril 2011, la Présidente siégeant de la chambre administrative a constaté l'effet suspensif ex lege du recours, donnant droit aux conclusions des deux parties à la procédure.

6. Suite à cette décision, le Conseil d'Etat a invité la ville à faire approuver sans délai par le conseil municipal plusieurs douzièmes provisionnels afin de permettre la couverture de ses charges durant la procédure judiciaire initiée contre son arrêté.

La constatation par la juridiction précitée de l'effet suspensif ex lege attaché au recours avait pour conséquence que la ville ne disposait plus d'aucun budget de fonctionnement 2011. Le conseil municipal devait être convoqué de toute urgence pour une séance extraordinaire destinée au vote d'un ou de plusieurs douzièmes provisionnels.

7. Le 11 mai 2011, la ville a déposé par-devant la chambre administrative une « requête de retrait d'effet suspensif et de mesures provisionnelles avec octroi de mesures pré-provisionnelles urgentes ». Elle conclut principalement à ce que l'effet suspensif soit retiré pour tous les points de l'arrêté non contestés dans son recours et, subsidiairement, à ce que l'effet suspensif ex lege du recours ne porte que sur l'objet du litige, soit sur la « remarque » du Conseil d'Etat.

a. Elle ne partageait pas l'interprétation que faisait cette autorité de la décision de la chambre administrative. Celle-ci était ambiguë quant à la portée exacte de l'effet suspensif constaté. Il n'était en effet pas possible de savoir si cet effet portait sur l'intégralité de l'arrêté, ou uniquement sur la « remarque », objet du recours. Elle demandait à ce que soit circonscrite, avec exactitude, la portée exacte de la décision judiciaire quant à l'effet suspensif constaté.

b. Si cette portée s'étendait à l'arrêté dans son intégralité, elle priait la chambre administrative de lever cet effet concernant tous les points validés par l'arrêté et non contestés dans son recours, en raison du grave préjudice que l'obligation de fonctionner sur les douzièmes provisionnels lui causait (impossibilité de mener les actions prévues par le budget 2012, atteinte à son autonomie, blocage institutionnel, paralysie de son administration). A défaut, elle se verrait contrainte de renoncer à toute protection juridictionnelle en retirant son recours, ce qui était contraire au principes de l'Etat de droit.

8. Le conseil municipal de la ville a été convoqué en séance extraordinaire le 18 mai 2011. Il a adopté, à cette occasion, 12 douzièmes provisionnels et ouvert un crédit budgétaire supplémentaire destiné à l'application des mécanismes salariaux.

9. Le 19 mai 2011, le Conseil d'Etat a approuvé les deux délibérations correspondantes (n° PR 891 et PR 892).

10. Le même jour, le Conseil d'Etat s'est déterminé sur la requête de la ville du 11 mai 2011, en concluant à son rejet.

Ladite requête était irrecevable en tant que demande d'interprétation, car tardive.

Elle ne remplissait pas les conditions de la demande de révision.

La recevabilité de la demande de mesures préprovisionnelles était douteuse, cette notion étant d'inspiration civile.

Par ailleurs, la chambre administrative avait donné droit aux conclusions de la ville, de sorte que celle-ci ne pouvait plus déposer une nouvelle demande d'effet suspensif contenant des conclusions opposées.

Sur le fond, la ville ne subissait pas de préjudice irréparable du fait de la situation actuelle ; par le vote des douzièmes provisionnels, elle pouvait faire face aux charges courantes prévues dans son budget 2010.

La chambre administrative ne pouvait accorder un effet suspensif limité à la « remarque » de l'arrêté contestée dans le recours, car s’il s’avérait par la suite que celle-ci ne constituait pas une décision au sens de l'art. 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ledit recours serait irrecevable. Ainsi, en donnant droit à cette demande, la chambre administrative répondrait, avant l'heure, à une question de fond.

Enfin, la ville avait déclaré, dans son acte de recours, recourir « contre l'arrêté du 16 février 2011 ». Cette précision dévoilait son intention de recourir contre tout l'arrêté et non contre l'une ou l'autre de ses parties. Elle liait la chambre de céans.

11. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

 

 

 

 

 

 

EN DROIT

1. Pour devenir exécutoire, la délibération portant sur le budget de fonctionnement de la Ville de Genève doit être validée par le Conseil d'Etat (art. 70 al. 1, let. a de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 ; LAC - B 6 05).

a. Un arrêté du Conseil d'Etat refusant cette validation a ainsi pour effet que la délibération ne devient pas exécutoire. Si un recours est interjeté, l'effet suspensif qui lui est attaché ex lege - dont le but est de permettre à la partie intéressée de se retrouver dans la situation où elle se trouvait avant la décision attaquée - est sans effet, car la délibération reste dépourvue de validation. Une demande de constatation d'effet suspensif ne peut conférer à la délibération un caractère exécutoire ; elle suspend les effets de l'arrêté litigieux, soit le refus de validation, mais ne peut transformer ce dernier en approbation de la délibération. Celle-ci ne peut ainsi devenir exécutoire que par le biais d'une demande provisionnelle tendant à ce que la délibération soit déclarée exécutoire nonobstant l'absence de validation par le Conseil d'Etat.

b. Lorsque l'arrêté du Conseil d'Etat valide certains points de la délibération et en invalide d'autres, la question se pose de savoir si, en cas de recours, la délibération devient exécutoire s'agissant des points validés par le Conseil d'Etat. D'une manière générale, les objets non contestés dans le recours, deviennent exécutoires à la fin du délai de recours s'ils peuvent être exécutés séparément des points contestés et qu'ils n'y sont pas étroitement liés. Si les parties s'opposent sur ce point, celle qui demande l'entrée en vigueur partielle ou totale de l'arrêté (aux fins de rendre la délibération exécutoire) doit déposer une demande de mesures provisionnelles tendant à ce que cette entrée en vigueur soit prononcée. Une demande de confirmation, de constatation ou de restitution de l'effet suspensif à un recours interjeté contre les points de l'arrêté refusant la validation de la délibération, ne peut conférer à celle-ci un caractère exécutoire pour les raisons exposées ci-dessus. Une même demande, dirigée contre les parties de l'arrêté validant la délibération a pour effet de suspendre cette validation.

C'est ce qui s'est produit en l'espèce. En sollicitant de la chambre administrative qu'elle « confirme l'effet suspensif » au recours, la ville a demandé la suspension des effets de la validation partielle prononcée par le Conseil d'Etat. Liée par les conclusions des parties (art. 69 al. 1er LPA), la chambre de céans ne pouvait transformer ces conclusions en une demande littéralement opposée (soit le prononcé de l'entrée en vigueur de l'intégralité de l'arrêté litigieux, qui constituait en réalité sa demande), ce d'autant que le Conseil d'Etat avait pris des conclusions concordantes à celles de la ville.

2. Pour contrecarrer les effets non voulus de la décision sur effet suspensif du 21 avril 2011 qu'elle a elle-même provoquée, la ville demande que la chambre administrative constate « que l'effet suspensif ex lege du recours déposé par la ville est délimité par l'objet du recours, soit la validité de la remarque » contestée « de l'arrêté du Conseil d'Etat ».

3. A la demande d’une partie, la juridiction qui a statué interprète sa décision, lorsqu’elle contient des obscurités ou des contradictions dans le dispositif ou entre le dispositif et les considérants (art. 84 al. 1 LPA). L'interprétation est une voie de recours extraordinaire dont le résultat ne constitue pas une modification, une révision ou un réexamen du jugement dont l'interprétation est demandée. Elle ne conduit qu'à préciser un point du dispositif, voire à comprendre un dispositif peu explicite (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème édition, N° 1146 et ss, p. 253; N° 2069 et ss, p. 428).

Dans le cas des décisions incidentes, telles que celles prises sur effet suspensif, le délai pour déposer une telle demande est de dix jours dès réception de la décision entreprise (art. 84 al. 2 et 62 al. 1er let. b LPA). Ce délai ne courant pas du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement, le dernier jour pour déposer la demande était, en l'espèce, le 11 mai 2011 (Pâques étant tombé le dimanche 24 mai 2011).

La demande est ainsi recevable.

4. Comme exposé ci-dessus, la décision sur effet suspensif prise par la Présidente siégeant de la chambre administrative le 21 avril 2011 a donné droit aux conclusions concordantes des parties.

La ville, qui aurait souhaité un autre résultat, ne peut, par le biais d'une demande en interprétation, tenter d'obtenir autre chose que ce à quoi elle a expressément conclu.

Faute d'obscurités ou de contradictions contenues dans la décision susvisée, la demande en interprétation sera rejetée.

5. La ville sollicite par ailleurs de la chambre administrative qu'elle retire à titre préprovisionnel - soit avant que le Conseil d'Etat ne soit entendu - ou, subsidiairement, à titre provisionnel - soit après que le Conseil d'Etat se soit déterminé - « l'effet suspensif pour tous les autres points non contestés par la Ville de Genève de l'arrêté adopté par le Conseil d'Etat en date du 16 février 2011, soit l'intégralité de l'arrêté à l'exclusion de la validité de la remarque » litigieuse. Il ressort de son argumentation que la ville sollicite, en réalité, l'entrée en vigueur de l'intégralité de l'arrêté litigieux.

6. Aux termes de l'art. 21 LPA, l’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés. Ces mesures sont ordonnées par le président s’il s’agit d’une autorité collégiale ou d’une juridiction administrative.

7. Seules les mesures provisionnelles sont expressément prévues dans la LPA. Les mesures « préprovisionnelles » ou « superprovisionnelles » n'y figurent pas. Le Tribunal fédéral et une partie de la doctrine admettent cependant leur existence en droit administratif lorsque l'urgence est telle que les parties ne peuvent être entendues à temps sans mettre en péril l'intérêt public ou privé en cause (art. 21 LPA en relation avec l'art. 43 let. d LPA ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. 2, 3e éd., Berne 2011, p. 306, n. 2.2.6.8 et jurisprudence citée ; I. HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen im Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, in RDS 1997 II 253ss).

En l'espèce, l'urgence n'était pas telle qu'elle imposait de statuer avant que le Conseil d'Etat soit invité à se déterminer.

Cette détermination étant intervenue, la demande de mesures préprovisionnelles est devenue sans objet.

8. De jurisprudence constante, les mesures provisionnelles à disposition de l'autorité administrative ont pour objet de régler transitoirement la situation en cause, jusqu'à ce que soit prise la décision finale (ATA/326/2011 du 19 mai 2011 ; ATA/197/2011 du 28 mars 2011 ; P. MOOR, op. cit. n° 2.2.6.8 p. 267). Elles sont modifiables pendant le cours de la procédure et les demandes s'y rapportant peuvent être déposées en tout temps.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, reprise par la chambre de céans, de telles mesures ne sont cependant légitimes que si elles s'avèrent nécessaires au maintien de l'état de fait ou à la sauvegarde des intérêts compromis. En revanche, de telles mesures ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper sur le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, ni non plus aboutir à rendre d'emblée illusoire le procès au fond (ATF 109 V 506 ; ATA/326/2011 du 19 mai 2011 ; ATA/197/2011 du 28 mars 2011 ; ATA/248/2009 du 19 mai 2009 ; ATA/213/2009 du 29 avril 2009 et les références citées ; I. HÄNER, idem).

En l'espèce, l'arrêté litigieux n'invalide la délibération que sur un point. Tous les autres points traités sont validés. Ceux-ci sont parfaitement indépendants de la « remarque » objet du recours. Il s’ensuit que quelle que soit l’issue du litige, celle-ci n’aura pas d’influence sur les points validés.

9. Le Conseil d'Etat ne conteste pas cette indépendance, mais soutient qu'en admettant la requête, la chambre administrative statuerait, avant droit, sur le fond (soit sur la qualification de la « remarque » litigieuse); ce qui la priverait de la possibilité de déclarer le recours irrecevable.

Cet argument ne peut être retenu. En effet, au stade des mesures provisionnelles, la recevabilité des recours s'examine prima facie. Cet examen ne lie pas la chambre de céans, qui demeure entièrement libre, après un examen approfondi du recours, de déclarer celui-ci irrecevable.

Dans la pesée des intérêts à laquelle elle doit procéder, la chambre administrative retiendra en outre que les complications apportées à la ville dans sa gestion ne sont rendues nécessaires par la préservation d'aucun intérêt public et que le Conseil d'Etat n'en invoque d'ailleurs pas.

Par conséquent, il y a lieu d'admettre la demande de mesures provisionnelles.

Ce prononcé a pour conséquence que l'arrêté du Conseil d'Etat entre immédiatement en vigueur dans son intégralité.

10. Le sort des frais est réservé jusqu'à droit jugé au fond.

11. La présente décision est rendue en application de l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 21 décembre 2010 du 21 décembre 2010 entré en vigueur le 1er janvier 2011.

 

LA PRÉSDIENTE SIÉGEANT

déclare recevables la demande d'interprétation, la demande de mesures pré-provisionnelles et la demande de mesures provisionnelles déposées le 11 mai 2011 par la Ville de Genève ;

rejette la demande d'interprétation ;

dit que la demande de mesures pré-provisionnelles est devenue sans objet ;

admet la demande de mesure provisionnelles ;

dit que l'arrêté du Conseil d'Etat du 16 février 2011 entre immédiatement et intégralement en vigueur ;

réserve le sort des frais jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à la Ville de Genève ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 

 

 

La présidente siégeant :

 

 

 

L. Bovy

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :