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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/415/2021

JTAPI/961/2021 du 20.09.2021 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

ADMIS par ATA/712/2022

Descripteurs : EFFET CONFISCATOIRE DE L'IMPÔT
Normes : Cst.26; LIPP.60
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/415/2021 ICC

JTAPI/961/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 septembre 2021

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par LAMBELET & ASSOCIES SA, mandataire, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) 2013 de Monsieur B______ et Madame A______ (ci-après : les contribuables).

2.             Monsieur B______, domicilié à Monaco et décédé le ______ 2013, a laissé comme héritiers son épouse et ses deux fils, dont le contribuable.

Selon la déclaration de succession datée du 18 avril 2016, il était propriétaire de plusieurs biens immobiliers d’une valeur vénale totale de CHF 105’056’616.-, soit neuf parcelles construites (une à C______ et huit à D______) et trente-cinq non construites (sept à E______, six à F______ et vingt-deux à G_____). Il avait en outre une dette de CHF 7’560’000.- (prêt hypothécaire).

3.             Par bordereau de droits de succession du 13 octobre 2016, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a réparti l’avoir successoral imposable à raison de 5/16 pour le contribuable (soit CHF 32’830’192,50), de 8/16 pour sa mère et de 3/16 pour son frère.

Les héritiers appartenant à la première catégorie d’héritiers, l’impôt était nul.

4.             Le 30 janvier 2015, les contribuables ont déposé leur déclaration fiscale 2013. Ils y ont indiqué que le contribuable participait à une succession non partagée (CHF 62’812’500.- pour la fortune et CHF 216’702.- pour le revenu). S’agissant de leurs immeubles, ils ont déclaré, comme immeuble occupé par le propriétaire, la parcelle construite sise à C______, et deux immeubles locatifs ou loués, le tout pour un total de CHF 1’518’000.- de fortune et pour CHF 100’107.- de revenus y relatifs.

5.             Par bordereau du 20 janvier 2016, l’AFC-GE a taxé les contribuables pour 2013. Selon l’avis de taxation, elle a enlevé de la valeur de la succession non partagée la valeur des immeubles et les revenus y relatifs et a intégré ceux-ci dans la taxation immobilière. Les revenus bruts immobiliers ascendaient à CHF 503’868.- et la fortune brute immobilière à CHF 12’131’553.-. La succession non partagée était prise en compte au niveau de la fortune pour CHF 52’198’947.-.

6.             Le 4 février 2016, les contribuables ont élevé réclamation contre cette taxation. La partie de fortune immobilière s’élevait, compte tenu du partage partiel convenu entre les parties, à 13/16 de la succession. Ils ont requis l’application de l’art. 64 al. 4 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), selon lequel la fortune dévolue par succession à un contribuable au cours de la période fiscale n’est imposable qu’à partir de la date de la dévolution. Ils ont aussi invoqué le grief de l’impôt confiscatoire et détaillé les revenus et charges concernant les différents biens immobiliers ainsi que les calculs d’impôt que l’AFC-GE aurait dû prendre en compte

7.             Le 31 octobre 2016, l’AFC-GE les a informés qu’elle entendait rectifier la taxation en leur défaveur afin de correspondre à la valeur fixée pour la perception des droits de succession, conformément à l’art. 52 al. 3 LIPP, étant rappelé que les parts du contribuable dans la succession s’élevaient à 5/16 et non à 13/16, le partage instaurant ces parts n’ayant eu lieu qu’en 2016, soit postérieurement à l’héritage.

8.             Le 28 novembre 2016, les contribuables ont répondu à l’AFC-GE que le partage instaurant leurs parts à 13/16 avait eu lieu en 2013. Ils ont proposé des nouveaux calculs de la fortune et du revenu imposables en 2013, avec application du bouclier fiscal.

9.             Par décision sur réclamation du 26 janvier 2021, l’AFC-GE a rectifié le bordereau avec l’application du calcul pro rata temporis sur la fortune conformément à l’art. 64 al. 4 LIPP. Elle a aussi rectifié les intérêts hypothécaires selon leur demande et a accepté de prendre en considération leur part de 13/16 dans la succession. Elle a maintenu la taxation quant à l’application du bouclier fiscal, l’intégralité de leur fortune devant être prise en compte.

Sur la base d’un revenu imposable de CHF 381’104.-, au taux de CHF 384971.-, et d’une fortune imposable de CHF 49’055’280.-, au taux de CHF 49’764907.-, le montant réclamé aux contribuables se montait à CHF 511’037,45, à savoir les impôts sur le revenu (CHF 88’934,55) et sur la fortune (CHF 294’075,85), l’impôt immobilier complémentaire (IIC) (CHF 85’926,60), les frais « délai renvoi de déclaration » (CHF 40.-) et les intérêts de retard (CHF 72’430,80), sous déduction d’une réduction de l’impôt sur la fortune sur les plans cantonal (CHF 25’478,55) et communal (CHF 4’916.80) au titre du « bouclier fiscal ».

10.         Par acte du 5 février 2021, sous la plume de leur mandataire, les contribuables ont interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), en concluant à ce qu’il soit dit que le bordereau de taxation ICC 2013 était erroné, nul et partant non avenu, et à ce que l’AFC-GE soit invitée à en émettre un nouveau conforme au droit, sous suite de frais et dépens.

En vertu de l’art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), il fallait déduire de la fortune imposable les dettes fiscales issues de la taxation 2013 elle-même, dont notamment un montant de CHF 6’829’461.-, une dette résiduelle du de cujus.

Une réduction complémentaire de l’impôt sur la fortune, en CHF 21’679,30, devait avoir lieu. Leur fortune immobilière sise à Genève susceptible de générer un rendement se montait à CHF 25’532’063.- et avait produit un rendement net de CHF 292’125.- (un rendement de CHF 411’982.-, des frais de CHF 70’909.- et des intérêts de CHF 48’948.-), soit un rendement d’un taux de 1,14%. Le reste de la fortune immobilière, en CHF 53’894’435.-, ne générait aucun rendement faute de pouvoir être construit, loué ou vendu. Malgré la réduction de CHF 30’395.- au titre du bouclier fiscal, l’ICC s’élevait à CHF 438’601,75, soit 114% du revenu imposable de CHF 381’104.-. Cette situation n’avait pas évolué jusqu’au moins en 2020, de sorte que la situation était similaire, voire pire, pendant huit périodes fiscales consécutives où l’ICC avait dépassé 100% du revenu imposable.

Les conditions résultant de l’arrêt du 20 décembre 2011 (ATA/771/2011) de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) étaient respectées : près de 100% d’impôt pendant une durée de plusieurs années, huit en l’espèce, le fait qu’ils n’avaient pas arrangé leur fortune, composée majoritairement de terrains, pour qu’elle ne génère pas de revenu, que les biens pouvant être loués l’étaient et généraient un rendement de plus de 1% et, enfin, que leur fortune mobilière demeurait très limitée, à CHF 1’009’748.-. Dans ces circonstances, ils devaient être mis au bénéfice de cette jurisprudence, laquelle permettait d’obtenir une réduction plus importante que celle résultant de l’art. 60 LIPP, quand bien même la limite était fixée à 70%, puisqu’elle incluait l’IIC.

11.         Dans sa réponse du 12 avril 2021, l’AFC-GE a conclu à ce qu’il lui soit donné acte qu’elle admettait la déduction de leur dette fiscale au niveau de leur fortune imposable et au rejet du recours pour le surplus.

S’agissant de la déduction des intérêts moratoires et compensatoires négatifs, les taxations rectificatives 2013 avaient été accompagnées d’un décompte final le 20 janvier 2016, puis d’un autre décompte final le 26 janvier 2021. Ces décomptes finaux ne pouvaient aboutir à des déductions d’intérêts moratoires sur acomptes et d’intérêts compensatoires négatifs pour 2013, ni pour le revenu, n’étant pas échus lors de cette année, ni pour la fortune, n’étant pas une dette, ce qu’ils ne pouvaient être avant même d’être échus. Cela ne pouvait intervenir qu’en 2016.

La dette fiscale du de cujus invoquée par les recourants n’était étayée par aucun élément preuve. Elle ne figurait d’ailleurs ni à l’inventaire de la succession, ni dans l’acte de partage.

À compter de la période fiscale 2011, le caractère confiscatoire d’une imposition devait s’apprécier sur la base de l’art. 60 LIPP. Ce n’était que pour les périodes fiscales antérieures à 2011, en l’absence de base légale, que le caractère confiscatoire se déterminait sur la base des critères fixés par la jurisprudence sous l’angle de la garantie de la propriété. Et le rendement de la fortune 2013 devait être fixé à au moins 1% de la fortune nette imposable, soit à CHF 499’305.-, fait non contesté par les recourants. L’ICC litigieux s’élevait à CHF  438’566,65, si bien qu’il dépassait le pourcentage retenu par la jurisprudence (70% du revenu imposable, soit CHF 381’104.-), mais ce pourcentage de 70% n’avait pas été atteint dans les années précédentes. Ainsi, l’élément de la durée ne serait pas réalisé et le caractère confiscatoire de l’impôt litigieux devrait déjà être nié. Les recourants devaient payer des montants d’impôt certes importants au regard de leurs revenus 2013, mais ceux-ci n’atteignaient toutefois pas la propriété dans leur substance sur une longue période. Dans la mesure où le noyau essentiel de la propriété privée n’était pas touché dans la durée, l’imposition ne pouvait être qualifiée de confiscatoire.

12.         Par réplique du 12 mai 2021, les recourants ont pris acte que l’AFC-GE s’engageait à porter en déduction de leur fortune imposable leurs dettes fiscales et que la déduction des intérêts moratoires et compensatoires négatifs ne pouvait être prise en compte que lors de la période fiscale correspondant à la notification des bordereaux de taxation 2013, soit en 2016.

S’agissant de la dette fiscale du de cujus, leur taxation relative à l’impôt fédéral direct (IFD) 2016 faisait état d’un « autre revenu » qui générait la dette fiscale querellée. Une note dans le bordereau la liait à un accord du 10 mai 2019 qui avait pour but de taxer cet autre revenu dans le chef du recourant alors qu’il aurait dû être taxé dans la succession de son père, décédé en 2013. La dette existait donc au 31 décembre 2013 puisqu’elle avait été taxée en 2016.

L'art. 60 LIPP et la jurisprudence de l’ATA/771/2011 étaient deux émanations de la garantie de la propriété, sans être, pris pour eux même, cette garantie émanant de l’art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Ainsi, il y avait une place dans l’ordre juridique pour deux voies, l’une étant une base légale au sens formel, l’autre une émanation jurisprudentielle, qui transcrivaient le principe constitutionnel de la garantie de la propriété. Il était en effet possible que malgré une réduction de l’impôt sur la fortune au sens de l’art. 60 al. 4 LIPP via le bouclier fiscal, l’impôt sur la fortune résiduel et réduit par ledit bouclier demeure encore confiscatoire. À ce moment, l’ATA/771/2011 s’appliquerait pour réduire ultérieurement la charge fiscale afin que la garantie de la propriété soit honorée. Ainsi, l’art. 60 LIPP et l’ATA/771/2011 fonctionnaient en tandem, sans s’exclure mutuellement. La chambre administrative, après avoir laissé ouverte la question du concours entre l’art. 60 LIPP et l’examen du caractère confiscatoire de la taxation en 2015 (ATA/1264/2015 du 8 mai 2018), avait expressément retenu que « la notion de bouclier fiscal a été introduite afin de concrétiser au niveau cantonal le principe de l’interdiction de l’imposition confiscatoire, offrant ainsi au contribuable genevois une protection complémentaire » (ATA/459/2018 du 15 décembre 2020 consid. 6).

Contrairement aux arrêts cités par l’AFC-GE, les recourants ne disposaient d’aucun moyen d’influencer sur leur revenu de manière artificielle, par exemple par la rétention de dividende. Cela étant, leurs bordereaux ICC 2013 à 2019 dénotaient tous d’un impôt résiduel confiscatoire puisque même réduit, cet impôt résiduel dépassait systématiquement les 100% de revenu net imposable. Le caractère confiscatoire s’inscrivait dès lors manifestement dans la durée. Enfin, leurs revenus n’avaient pas atteint 1% de la fortune nette entre 2013 et 2019 pour le calcul du bouclier fiscal, raison pour laquelle ils avaient été complétés par un rendement « fictif » pour le calcul du bouclier fiscal au sens de l’art. 60 al. 1 LIPP. Cela signifiait qu’ils ne pouvaient acquitter l’impôt sur la fortune de plus ou moins 1% de la fortune nette et qu’ils devaient par conséquent entamer leur fortune pour payer l’impôt. Partant, leur imposition était confiscatoire, atteignant à son noyau essentiel et l’empêchant de se reformer.

13.         À l’appui de leurs allégations, ils ont produit leurs bordereaux ICC/IFD 2014 à 2019. Il en résulte les éléments suivants :

année

fortune imposable

revenu ICC imposable

ICC avec bouclier fiscal

2013

49’055’280.-

381’104.-

438’567.-

2014

50’958’515.-

410’494.-

450’324,15

2015

50’480’584.-

462’061.-

452’988.-

2016

44’930’311.-

188’970.-

381’936,55

2017

44’458’819.-

254’386.-

312’867,15

2018

43’523’261.-

149’278.-

283’148,85

2019

43’800’233.-

59’311.-

266’583,70

Les taux entre l’ICC (IIC compris) avec bouclier fiscal et le revenu imposable ont ainsi été, lors des années en cause, de respectivement 115,07%, 109,70%, 98,03%, 202,11%, 122,99%, 189,68% et 446,10%.

14.         Par duplique du 7 juin 2021, l’AFC-GE a relevé que s’agissant de la dette fiscale du de cujus revendiquée, les recourants n’avaient apporté aucune explication probante ni aucun élément de preuve alors que le fardeau de la preuve leur incombait concernant cet élément. Quant à l’imposition confiscatoire, le calcul du bouclier fiscal avait été bien appliqué dans le cadre de la taxation 2013 et le principe de la garantie de la propriété ainsi respecté.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l’art. 49 LPFisc.

3.             Les recourants requièrent que le montant de CHF 6’829’461.-, une dette résiduelle du de cujus, soit déduit de leur fortune imposable.

4.             En matière fiscale, il appartient à l’autorité fiscale de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter spontanément la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve, ces règles s’appliquant aussi à la procédure devant les autorités de recours (ATF 140 II 248 consid. 3.5).

5.             En l’espèce, les recourants n’ont apporté aucun élément concret susceptible d’étayer l’existence de la dette résiduelle du de cujus. Par ailleurs, leur bordereau de taxation IFD 2016 ne comporte aucune note liant un tel montant à un accord et ledit montant ne figure ni dans l’inventaire de la succession, ni dans l’acte de partage. Ce grief sera par conséquent rejeté.

6.             Les recourants soutiennent qu’il convient d’appliquer l’ATA/771/2011 à leur situation, ce qui aurait pour effet de réduire ultérieurement leur ICC 2013, en plus de la réduction qu’ils ont déjà obtenue sur la base de l’art. 60 LIPP.

L’AFC-GE s’y oppose, soutenant qu’à compter de 2011, le caractère confiscatoire d’une imposition ne devait d’apprécier que sur la base de l’art. 60 LIPP.

7.             La problématique du caractère confiscatoire d’une imposition a été tranchée par le Tribunal fédéral pour la première fois en mars 1979 (ATF 105 Ia 132 ; Adriano MARANTELLI, in Peter V. KUNZ et al., Berner Gedanken zum Recht, Festgabe der Rechtswissenschaftlichen Fakultät der Universität Bern für den Schweizeri-schen Juristentag 2014, p. 245, 248), lequel a retenu, en se référant à l’art. 26 Cst. (art. 22ter aCst.), en bref, qu’une prétention fiscale ne devait pas porter atteinte au noyau intangible de la propriété privée. Il a par la suite développé sa jurisprudence (sur l’évolution de cette jurisprudence, voir Danielle YERSIN, Les protections constitutionnelles et légales contre les impositions confiscatoires, in Publications de l’Institut suisse de droit comparé, vol. 12, 1990, p. 271 ss, en particulier p. 274-278).

Ainsi, pour juger si une imposition a un effet confiscatoire, le taux de l’impôt exprimé en pour cent n’est pas seul décisif ; il faut examiner la charge que représente l’imposition sur une assez longue période, en faisant abstraction des circonstances extraordinaires ; à cet effet, il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances concrètes, la durée et la gravité de l’atteinte ainsi que le cumul avec d’autres taxes ou contributions et la possibilité de reporter l’impôt sur d’autres personnes. Il incombe au législateur de conserver la substance du patrimoine du contribuable et de lui laisser la possibilité d’en former un nouveau (ATF 143 I 73 consid. 5.1 ; arrêt 2C_1144/2018 du 10 mars 2020 consid. 10.1).

Le Tribunal fédéral a jugé qu’un impôt sur la fortune de CHF 35’000.- perçu pour des terrains (sis en zone à bâtir) qui ne rapportaient qu’un fermage annuel de CHF 14’000.- et dont la valeur vénale avait été fixée à CHF 5’200’000.- n’était pas confiscatoire. Contrairement à leur avis, les recourants avaient la possibilité de vendre les parcelles, pour autant qu’ils corrigent le prix excessif vers le bas (arrêt 2A.402/2003 du 16 juillet 2004 consid. 3).

8.             Dans l’ATA/771/2011 invoqué par les recourants, la chambre administrative s’est fondée sur cette jurisprudence, qu’elle a appliquée au domaine des impôts directs (cf. Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., p. 9 n. 20 ss). Elle a ainsi jugé confiscatoire une imposition totale sur le revenu et la fortune représentant 98,50% du revenu imposable des recourants, dont la situation sur ce point était durable.

Dans un arrêt ultérieur (ATA/812/2012 du 4 décembre 2012), elle a retenu que l’imposition finale cantonale ne devait pas excéder 70% et a indiqué qu’un rendement net de la fortune fixé à au moins 1% de la fortune nette devait être intégré dans le calcul, dans l’esprit de la volonté du législateur lors de l’adoption de l’art. 60 LIPP.

9.             En l’occurrence, la position de l’AFC-GE, qui ne l’argumente d’ailleurs pas, ne peut être suivie. En effet, pour l’adopter, il conviendrait d’admettre que puisque la notion de bouclier fiscal s’insère dans le domaine des tarifs, qui relève de la seule compétence des cantons et qui n’est pas soumis à l’harmonisation fiscale (art. 129 al. 2 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_869/2017 du 7 août 2018 consid. 2.2), une fois que le canton a adopté des critères pour concrétiser au niveau cantonal le principe de l’interdiction de l’imposition confiscatoire, seuls ceux-ci s’appliquent. Une telle exclusivité devrait se fonder sur le fait que le législateur cantonal ayant déterminé comment empêcher une imposition confiscatoire dans un domaine qui est propre au canton, la légitimé desdits critères supplanterait ceux posées par la jurisprudence, qui n’auraient alors plus à être pris en compte.

Or, une telle conception est erronée. En effet, d’une manière générale, il serait possible que les critères retenus par le législateur cantonal soient contraires à ceux posés par le Tribunal fédéral (par exemple en fixant une limite au taux maximal de 95%) et que celui-ci, saisi d’un recours, constate que leur application n’aurait pas pour effet d’empêcher une imposition confiscatoire et s’en écarterait. Par ailleurs, il faut aussi relever que les impôts à prendre en compte pour déterminer une éventuelle imposition confiscatoire diffèrent selon le système choisi (art. 60 LIPP ou jurisprudence), avec pour effet que pour une même situation, l’un retient une imposition confiscatoire tandis que l’autre pas. Partant, il ne peut être retenu que l’application de l’art. 60 LIPP signifie l’impossibilité de se prévaloir de la jurisprudence fondée sur l’art. 26 Cst. Ce raisonnement est corroboré par le fait que la chambre administrative a relevé que la notion de bouclier fiscal a été introduite afin de concrétiser au niveau cantonal le principe de l’interdiction de l’imposition confiscatoire et offrir ainsi au contribuable genevois une protection complémentaire (ATA/459/2018 du 8 mai 2018 consid. 6). Ce faisant, elle a pris en compte le fait qu’il pouvait exister des situations où malgré l’application de l’art. 60 LIPP, l’imposition demeurerait confiscatoire en raison d’une atteinte au noyau intangible de la propriété privée malgré la déduction obtenue en vertu de l’art. 60 LIPP.

Ainsi, la simple existence de l’art. 60 LIPP n’a pas pour effet d’empêcher la mise en œuvre d’une jurisprudence se fondant sur une disposition constitutionnelle toujours en vigueur.

10.         En l’espèce, à la lumière de la jurisprudence susmentionnée, force est de constater que l’imposition 2013 des recourants demeure, nonobstant l’application de l’art. 60 LIPP, encore confiscatoire.

En effet, l’ICC, avec la déduction résultant de l’art. 60 LIPP, dépasse largement les 100% de revenu net imposable, dépassement qui ne porte pas que sur l’année fiscale en cause, mais qui s’est prolongé dans le temps puisqu’il a perduré lors des six années suivantes (hormis 2016, où il était de 98,03%, soit proche du taux de l’ATA/771/2011), ainsi qu’il résulte des bordereaux de taxation 2014 à 2019. Partant, le caractère confiscatoire s’inscrit dans la durée puisque les revenus des recourants ont été insuffisants durant six ans pour payer les impôts. De plus, ils n’ont pas influencé de manière artificielle leur revenu ou leur fortune, celle-ci ayant d’ailleurs été acquis par héritage et étant composée, en grande partie, de terrains non constructibles ne procurant aucun ou peu de rendement. Au surplus, leurs revenus n’ont pas atteint 1% de la fortune nette, ni lors de l’année en cause, ni lors de celles suivantes, de sorte qu’un rendement « fictif » pour le calcul du bouclier fiscal au sens de l’art. 60 al. 1 LIPP a été pris en compte, ce qui signifie qu’ils ont effectivement dû entamer leur fortune pour payer l’ICC ; celle-ci a d’ailleurs diminué depuis 2013.

11.         Enfin, les autres points soulevés dans les écritures des parties ne sont, à ce stade, plus litigieux. Il sera dès lors donné acte à l’AFC-GE qu’elle procèdera, lors de l’établissement de la nouvelle taxation ICC 2013, à la déduction de leur fortune imposable des dettes fiscales. Il lui sera également donné acte qu’elle procèdera à la déduction des intérêts moratoires et compensatoires négatifs lors de la taxation de l’année fiscale 2016.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et le dossier renvoyé à l'AFC-GE pour nouvelle décision de taxation en ICC 2013, avec une déduction fondée sur la base de la jurisprudence résultant de l’art. 26 Cst.

13.         Vue cette issue, un émolument, en soi réduit, de CHF 500.- sera mis à la charge des recourants, qui obtiennent partiellement gain de cause (art. 52 al. 1 LPFisc).

Une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée à ces derniers, comprenant une participation aux honoraires du mandataire qu'il leur a fallu engager dans le cadre de la présente cause (art. 87 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 5 février 2021 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 26 janvier 2021 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais de CHF 700.-, et ordonne la restitution en leur faveur du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 800.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Michèle PERNET, présidente, Nicole FRAGNIÈRE MEYER et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Michèle PERNET

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière