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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/756/2023

ACST/33/2023 du 12.10.2023 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/756/2023-ABST ACST/33/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 12 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______, B______
et
C______
représentés par Me Romain JORDAN, avocat recourants

contre

CONSEIL D’ÉTAT intimé


EN FAIT

A. Le C______ (ci-après : C______) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) qui a son siège à Genève et dont le but statutaire est de veiller au respect des droits syndicaux de ses membres par une couverture en assurance juridique et à la défense de leurs conditions de travail et salariales. Il a pour membres les fonctionnaires du corps de la police, l’inspectorat de l’office cantonal des véhicules, les agents de détention, ainsi que leurs retraités. A______ en est le vice-président et B______ est membre de son comité, tous deux étant agents de détention, le premier ayant le grade de sous-chef et le second celui de gardien principal adjoint.

B. a. Le 13 février 2017, le Conseiller d’État en charge du département de la sécurité et de l’économie, devenu depuis lors le département des institutions et du numérique (ci-après : département) a transmis au C______ un nouveau règlement en vue de l’application de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP - F 1 50). Une grande partie des demandes qu’elle avait formulées dans son précédent courrier du 25 janvier 2017 était retenue, dont sa requête concernant l’obligation de disposer d’une expérience de douze ans pour accéder à un grade supérieur. Pour des raisons opérationnelles, ladite disposition ne pourrait être effective que dans six ans, de manière à permettre à l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) de bénéficier d’un bassin de recrutement suffisant et provenant de l’ensemble des établissements pénitentiaires.

b. Le 1er mars 2017 est entré en vigueur le règlement sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01), qui prévoyait notamment qu’après douze années de service accomplies à compter de l’obtention du statut d’employé, un agent de détention dont les états de service avaient donné satisfaction pouvait postuler au grade de gardien principal, sous réserve d’une évaluation des compétences réussie (art. 41 al. 3 ROPP). Les dispositions transitoires relatives à cette disposition prévoyaient que, pendant un délai de six ans à compter de l’entrée en vigueur du ROPP, un agent de détention dont les états de service avaient donné satisfaction pouvait postuler au grade de gardien principal après six années de service accomplies à compter de l’obtention du statut d’employé et sous réserve d’une évaluation des compétences réussie. Après ce délai, l’art. 41 al. 3 ROPP s’appliquerait pleinement.

c. Le 2 septembre 2022 a eu lieu une séance entre la direction de l’OCD et du C______, à laquelle A______ a pris part.

Le procès-verbal y relatif indique que le point 4 de l’ordre du jour concernait les dispositions transitoires de l’art. 67 al. 2 ROPP pour la postulation au grade de gardien principal.

Selon la direction de l’OCD, la volonté de C______ consistait à ce que le grade de gardien principal soit accessible après douze ans. Ces six dernières années avaient permis aux collaborateurs d’accéder à ce grade sans devoir effectuer ces douze ans de service. Une modification de l’art. 67 al. 2 ROPP devait être anticipée et une réflexion en cas de suppression des douze ans de service devait avoir lieu, un bilan devant être réalisé sur la période transitoire ayant permis à des personnes de postuler au grade de gardien principal après six ans. Une éventuelle baisse de la durée de service nécessaire pour devenir gardien principal devait être effectuée en cohérence par rapport aux autres grades également. Le C______ était invitée à lui faire parvenir la position syndicale d’ici novembre 2022.

A______ s’interrogeait sur les effets de la planification pénitentiaire avec les nouvelles infrastructures et les possibilités de carrière chez les agents et souhaitait savoir si les mesures transitoires seraient supprimées. La réflexion devait aussi porter sur le grade de gardien principal adjoint, ces aspects devant être inclus dans l’analyse portant sur les cahiers des charges.

d. Par courrier du 1er novembre 2022, le C______ a indiqué à l’OCD que les dispositions transitoires de l’art. 67 al. 2 ROPP prendraient fin à compter du 1er mars 2023 et qu’une évaluation des différentes options lui avait été demandée. Étant donné que ses membres avaient, en assemblée générale extraordinaire du 20 février 2017, accepté l’art. 67 al. 2 ROPP, il convenait de se référer à cette décision. La situation en termes d’effectif de relève pour l’accession au grade de gardien principal selon les nouvelles modalités prévues dès le 1er mars 2023 ne soulevait pas de remarques particulières, en l’absence de modification des plans de carrière évoqué lors de l’assemblée générale extraordinaire susmentionnée.

e. Le 25 janvier 2023, le Conseil d’État a adopté le règlement modifiant le ROPP, publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 31 janvier 2023, dont la teneur est la suivante :

« Art. 1 Modifications

Le règlement sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire, du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01), est modifié comme suit :

 

Art. 67, al. 10 (nouveau)

Modification du 25 janvier 2023

10 Pendant un délai de 6 ans à compter du 1er mars 2023, un agent de détention dont les états de service ont donné satisfaction peut postuler au grade de gardien principal, après 6 années de service accomplies à compter de l’obtention du statut d’employé et sous réserve d’une évaluation des compétences réussie. Après ce délai, l’article 41, alinéa 3, s’applique pleinement. L’agent de détention qui a intégré l’effectif de relève visé par l’article 43, alinéa 4, durant le délai transitoire de 6 ans peut postuler à des postes de gardien principal même après la fin de ce délai.

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le présent règlement entre en vigueur le lendemain de sa publication dans la Feuille d’avis officielle. »

C. a.a. Par acte expédié le 2 mars 2023, le C______, A______ et B______ ont saisi la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci‑après : chambre constitutionnelle) d’un recours dirigé contre la modification du ROPP du 25 janvier 2023, concluant à son annulation et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Ils faisaient grief au Conseil d’État d’avoir adopté l’art. 67 al. 10 ROPP sans consultation préalable des syndicats. Cette disposition était contraire au principe de la bonne foi et la garantie des droits acquis.

a.b. Ils ont produit un courrier du C______ daté du 22 février 2021 (recte : 2023) qui faisait part de sa surprise au Conseiller d’État en charge du département après l’adoption du nouvel art. 67 al. 10 ROPP. Cette question avait fait l’objet d’une consultation par la direction de l’OCD, à laquelle elle avait répondu par courrier du 1er novembre 2022, dans lequel elle avait rappelé la volonté de ses membres, exprimée lors d’une assemblée générale extraordinaire, en faveur de l’art. 67 al. 2 ROPP et expliqué qu’elle n’entendait pas s’écarter de cette volonté ni « proroger le raccourcissement du délai » pour postuler au grade de gardien principal. Au surplus, l’art. 67 al. 2 ROPP avait fait l’objet d’un accord, ce qui résultait du courrier du 13 février 2017. Elle demandait par conséquent la suspension de l’entrée en vigueur de la modification du ROPP du 25 janvier 2023 et l’ouverture de négociations.

b. Le 20 avril 2023, le Conseil d’État a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

c. Le 26 mai 2023, les recourants ont persisté dans leur recours.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

e. Les arguments des parties seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) 1.1 La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst -GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

1.2 Le recours est formellement dirigé contre un règlement cantonal, à savoir le ROPP, et ce en l’absence de cas d’application (ACST/17/2023 du 26 avril 2023 consid. 1.2). Il a été interjeté dans le délai légal à compter de la publication dudit règlement dans la FAO du 31 janvier 2023 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) et satisfait également aux réquisits de forme et de contenu prévus aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 à 3 LPA.

2) L’autorité intimée conteste la qualité pour recourir des recourants.

2.1 A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/3/2023 du 16 février 2023 consid. 2a).

2.1.1 Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 147 I 308 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 147 I 478 consid. 2.2).

2.1.2 Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir en son nom propre lorsqu’elle est intéressée elle-même à l’issue de la procédure. De même, sans être touchée dans ses intérêts dignes de protection, cette possibilité lui est reconnue pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; ACST/14/2023 du 27 mars 2023 consid. 2.1.2). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2021 du 16 mars 2022 consid. 1.2.1).

2.2 En l’espèce, selon l’autorité intimée, le C______ n’aurait pas, en son sein, une majorité d’agents de détention, soit de membres concernés par la disposition attaquée, et les recourants, bien qu’agents de détention, ne seraient pas directement touchés par l’acte entrepris, étant donné que A______ a un grade supérieur à celui de gardien principal et que la disposition litigieuse n’aurait aucune incidence sur l’accession audit grade par B______, auquel il n’a pas postulé, le fait que davantage de personnes puissent se porter candidates n’étant pas déterminant. Les recourants contestent cette approche, considérant qu’un grand nombre des membres du C______ peuvent se prévaloir d’un intérêt à recourir, même s’ils ne sont pas agents de détention. A______ aurait en outre qualité pour recourir, étant donné qu’il aurait un intérêt à travailler avec des collaborateurs disposant d’une expérience suffisante. Il en irait de même de B______, qui aurait un intérêt à ce que les années d’expérience accumulées fassent primer sa candidature sur celle des candidats moins expérimentés.

Étant donné que A______ occupe un grade supérieur à celui de gardien principal, l’on peut effectivement douter que ses intérêts soient directement touchés par l’acte qu’il conteste ou qu’ils pourraient l’être un jour, le fait qu’il veuille travailler avec des collaborateurs expérimentés ne constituant qu’un intérêt indirect qui ne confère pas encore, même virtuellement, la qualité pour recourir contre un acte normatif. Quant à B______, bien qu’occupant le grade précédant immédiatement celui de gardien principal, il ne se voit pas empêché de faire acte de candidature pour l’obtention dudit grade mais se voit, au contraire, offrir la possibilité de le faire moyennant une durée réduite. Il n’est toutefois pas exclu, comme il l’allègue, que la disposition litigieuse puisse lui porter préjudice en le mettant en concurrence avec un plus grand nombre de candidats s’il postulait au grade de gardien principal. La question de sa qualité pour recourir peut toutefois souffrir de rester indécise, comme celle du C______ dans le cadre du recours corporatif et de la possibilité de ses membres à pouvoir recourir à titre individuel, au regard de ce qui suit.

3) La chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 148 I 198 consid. 2.2 ; 147 I 308 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_810/2021 du 31 mars 2023 consid. 3.2 ; ACST/20/2023 du 9 mai 2023 consid. 3).

4) Dans un grief de nature formelle qu’il sied d’examiner en premier lieu, les recourants se plaignent d’une violation de la liberté syndicale sous l’angle du droit d’être entendu.

4.1 De manière générale, les citoyens ne disposent pas du droit d’être entendus dans une procédure législative (ATF 137 I 305 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_636/2020 du 24 août 2022 consid. 3.1). Une exception n’est admise que lorsque certaines personnes (destinataires dits « spéciaux ») sont touchées de façon sensiblement plus grave que le plus grand nombre des destinataires « ordinaires », par exemple lorsqu’un décret de portée générale ne touche qu’un très petit nombre de propriétaires (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Un droit d’être entendu dans une procédure législative peut cependant découler de certaines normes constitutionnelles particulières (ATF 137 I 305 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral a notamment admis que la liberté syndicale (art. 28 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), si elle ne confère pas aux organisations syndicales de la fonction publique le droit de participer au processus législatif portant sur le statut du personnel, leur accorde néanmoins celui d’être entendues sous une forme appropriée en cas de modifications législatives ou réglementaires touchant de manière significative les conditions de travail de leurs membres (ATF 144 I 50 consid. 5.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_789/2020 du 4 novembre 2021 consid. 3.1).

4.2 En l’espèce, selon les recourants, le C______ n’aurait pas été consultée avant l’adoption de l’art. 67 al. 10 ROPP, qui concernerait le statut et les conditions de travail des agents représentés par le syndicat. Ainsi, le courrier du 1er novembre 2022 serait insuffisant, en l’absence de possibilité de déterminer qu’une modification telle que celle adoptée était alors envisagée, et le procès-verbal de la séance du 2 septembre 2022 ne pourrait se comprendre que comme la réalisation d’un bilan sur la période transitoire initiale et non comme une volonté de la proroger. L’autorité intimée soutient, pour sa part, que du C______ a été consultée par l’OCD et a pu transmettre sa position syndicale, ce qu’elle a fait dans son courrier du 1er novembre 2022.

C’est à juste titre que les recourants ne considèrent pas être des destinataires dits « spéciaux » des dispositions qu’ils contestent pour se prévaloir du droit d’être entendus durant la procédure ayant conduit à l’adoption de l’art. 67 al. 10 ROPP.

Le C______ ne peut pas davantage se prévaloir du droit d’être entendu que lui confère la liberté syndicale, en l’absence de modification touchant de manière significative les conditions de travail de ses membres, étant donné que la disposition litigieuse, en réduisant la durée de postulation au grade de gardien principal, leur est favorable.

Même à admettre le contraire, il ressort du dossier que du C______ a pu se déterminer au sujet de la modification envisagée. Il ressort en particulier du procès-verbal de la séance du 2 septembre 2022 entre la direction de l’OCD et le C______ que la question de la suppression de l’exigence de la durée de douze ans pour postuler au grade de gardien principal a été abordée, le C______ ayant été invitée à faire parvenir sa position, ce qu’elle a fait par courrier du 1er novembre 2022, dans lequel elle s’est limitée à se référer à l’assemblée générale extraordinaire du 20 février 2017 au cours de laquelle ses membres avaient accepté la teneur de l’art. 67 al. 2 ROPP. Le fait que le C______ n’ait pas fait valoir d’autres arguments n’est pas déterminant, dès lors que rien ne l’empêchait de le faire dans le délai imparti, étant rappelé que la liberté syndicale n’accorde pas aux syndicats de droit de participer au processus législatif mais seulement d’être entendus sous une forme appropriée, ce qui a bien été le cas en l’occurrence.

Le grief doit par conséquent être écarté.

5) Les recourants se plaignent d’une violation du principe de la bonne foi et de la garantie des droits acquis.

5.1 Aux termes de l’art. 5 al. 3 Cst., les organes de l’État et les particuliers doivent agir conformément aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu’ils s’abstiennent d’adopter un comportement contradictoire ou abusif. De ce principe découle notamment, en vertu de l’art. 9 Cst., le droit de toute personne à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l’État (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_719/2020 du 30 juin 2021 consid. 6.1.1).

D’un point de vue juridique, nul ne peut en principe revendiquer un droit au maintien de règles de droit en vigueur. Le principe de la bonne foi suppose tout au plus que, dans certaines circonstances, l’État adopte des délais transitoires raisonnables avant de mettre en œuvre de nouvelles réglementations contraignantes, afin que les personnes concernées disposent d’une période adéquate pour s’y adapter (ATF 145 II 140 consid. 4).

Seuls les « droits acquis » jouissent d’une stabilité juridique accrue face à d’éventuelles modifications législatives. Il s’agit de droits qui découlent de la loi, d’un acte administratif ou d’un contrat de droit administratif et que l’autorité s’est volontairement engagée à ne pas supprimer ou restreindre lors de modifications législatives ultérieures. Ces droits sont liés à la confiance réciproque pouvant exister entre l’État et l’administré lorsque tous deux partent de bonne foi de l’idée que leurs relations juridiques resteront en principe inchangées pour une durée déterminée. Ils bénéficient ainsi d’une protection renforcée face au changement de loi. Ils ne sont cependant pas totalement intangibles. Il est possible d’y porter atteinte pour des raisons prépondérantes d’intérêt public, en s’appuyant sur une base légale et en respectant le principe de proportionnalité. Les éventuelles atteintes à la « substance » desdits droits doivent néanmoins être indemnisées (ATF 145 II 140 consid. 4.2 et 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_774/2021 du 2 février 2022 consid. 4.1).

5.2 En l’espèce, selon les recourants, la prolongation du délai transitoire serait contraire à l’accord conclu en février 2017 avec le Conseil d’État, lequel aurait donné des assurances spécifiques sur la teneur des règles applicables, et ce dans le seul but de paralyser l’application de l’art. 41 al. 3 ROPP, alors que des plans de carrière s’étaient construits sur la base des assurances ainsi données. L’autorité intimée conteste ce point de vue, soutenant l’absence d’assurances spécifiques figurant dans le courrier du 13 février 2017, dont la vocation était informative, et précisant que la problématique ayant mené à l’adoption de l’art. 67 al. 2 ROPP était toujours d’actualité puisque le bassin de relève demeurait insuffisant. En tout état de cause, le grade de gardien principal ne s’acquérait pas automatiquement mais était soumis à une évaluation complète du dossier et accordé sur la base des compétences du candidat et de son parcours, les agents avec douze ans d’ancienneté bénéficiant, dans les faits, d’un avantage sur leurs collègues moins expérimentés.

Contrairement à ce que prétendent les recourants, il ne ressort pas du courrier du Conseiller d’État en charge du département du 13 février 2017 un quelconque engagement à ne pas modifier le ROPP à l’avenir, en particulier s’agissant de la période transitoire relative à l’art. 41 al. 3 ROPP. Ce courrier informe ainsi le C______ qu’il avait été tenu compte d’un certain nombre de ses demandes, en particulier l’obligation de disposer d’une expérience de douze ans pour accéder à un grade supérieur, qui était toutefois soumise à un délai transitoire plus court afin de permettre à l’OCD de bénéficier d’un bassin de recrutement suffisant et provenant de l’ensemble des établissements pénitentiaires. L’on ne saurait ainsi voir dans ce courrier une promesse ou un engagement du Conseil d’État envers le C______ de ne pas modifier l’art. 67 ROPP à l’avenir ou de ne pas reconduire la période transitoire de l’art. 67 al. 2 ROPP à son échéance si la situation n’avait pas évolué d’ici là. L’autorité intimée a par ailleurs expliqué, dans sa réponse au recours, que cette situation était toujours la même qu’à l’époque, raison pour laquelle le délai transitoire a été prolongé pour une durée de six ans, ce qui ne prête pas le flanc à la critique. Il ressort en outre du procès-verbal de la séance du 2 septembre 2022 entre l’OCD et le C______ qu’une réflexion devait être engagée sur la pertinence du maintien du délai de douze ans de l’art. 41 al. 3 ROPP, que le Conseil d’État a toutefois choisi de ne pas supprimer.

Par surabondance, les recourants ne sauraient prétendre que l’art. 67 al. 10 ROPP aurait été adopté de manière imprévisible, étant donné la séance du 2 septembre 2022 en présence du C______ et son courrier du 1er novembre 2022. En outre, les recourants ne peuvent tirer aucun argument du fait que l’art. 67 al. 2 ROPP indique qu’après le délai transitoire, l’art. 41 al. 3 ROPP s’applique pleinement, puisque rien n’empêchait l’autorité intimée de modifier le ROPP et prévoir une reconduction dudit délai transitoire.

Ainsi, en procédant à la modification du ROPP et en prolongeant la durée de la période transitoire pour l’application de l’art. 41 al. 3 ROPP, l’autorité intimée n’a ni agi de manière contraire au principe de la bonne foi, ni violé la garantie des droits acquis.

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté, en tant qu’il est recevable.

6) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté conjointement le 2 mars 2023 par A______, B______ et le C______ contre le règlement du 25 janvier 2023 modifiant le règlement sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01), publié dans la FAO du 31 janvier 2023 ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge solidaire de A______, B______ et de C______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat des recourants, ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, Président, Blaise PAGAN, Valérie LAUBER, Philippe KNUPFER, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :