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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3857/2022

ACST/14/2023 du 27.03.2023 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3857/2022-ABST ACST/14/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 27 mars 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______
et
Monsieur B______
et
C______
et
D______ SA
représentés par Me Adrien Ramelet, avocat recourants

contre

CONSEIL D’ÉTAT intimé


EN FAIT

A. Monsieur A______ exerce la profession de maraîcher à Genève, où il est administrateur de la société D______ SA (ci-après : la société), ayant son siège à Genève et pour but statutaire l’importation, l’exportation, la production et la commercialisation de produits et matériels agricoles et alimentaires.

Monsieur B______ exerce la profession de viticulteur à Genève, canton dans lequel il est domicilié, et est le président de C______ (ci-après : l’association), une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) ayant son siège à Genève, qui a notamment pour but statutaire, en tant qu’association faitière de l’agriculture genevoise, de représenter les intérêts de celle-ci, des agriculteurs et des sociétés agricoles aux niveaux politiques et économiques. Ses membres sont les personnes physiques et morales qui exploitent une entreprise agricole et qui sont domiciliées à Genève.

B. a.a. Lors de la votation populaire du 27 septembre 2020, le corps électoral genevois a accepté, à 58,16 %, l’initiative législative formulée intitulée « 23 frs, c’est un minimum » (ci-après : l’IN 173) prévoyant notamment les modifications suivantes de la loi sur l’inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05), entrées en vigueur le 1er novembre 2020 :

« Art.1, al. 4 (nouveau)

4 Elle institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l’intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine. Elle définit le rôle de l’office, de l’inspection paritaire et des autres autorités concernées dans la mise en œuvre des dispositions de la présente loi sur le salaire minimum.

 

Chapitre IV B (nouveau) Salaire minimum

Art. 39K (nouveau) Montant du salaire minimum

1 Le salaire minimum est de 23 F par heure.

2 Pour le secteur économique visé par l’article 2, alinéa 1, lettre d, de la Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (LTr) du 13 mars 1964, le Conseil d’État peut, sur proposition du Conseil de surveillance du marché de l’emploi, fixer un salaire minimum dérogeant à l’alinéa 1 dans le respect de l’article 1 alinéa 4.

3 Chaque année, le salaire minimum est indexé sur la base de l’indice des prix à la consommation du mois d’août, par rapport à l’indice en vigueur le 1er janvier 2018. Le salaire minimum prévu à l’alinéa 1 n’est indexé qu’en cas d’augmentation de l’indice des prix à la consommation.

4 Par salaire, il faut entendre le salaire déterminant au sens de la législation en matière d’assurance-vieillesse et survivants, à l’exclusion d’éventuelles indemnités payées pour jours de vacances et pour jours fériés. »

a.b. Selon l’exposé des motifs figurant sur la formule de récolte de signatures, l’initiative prévoyait l’instauration d’un salaire minimum de CHF 23.- de l’heure pour toutes les branches, soit CHF 4’086.- par mois pour quarante et une heures de travail hebdomadaire, indexé au coût de la vie. Des exceptions pour les jeunes en formation ou pour le secteur de l’agriculture étaient prévues. À Genève, près de la moitié des travailleurs n’étaient pas protégés par une convention collective de travail (ci-après : CCT) et, dans plusieurs secteurs, les travailleurs qui en bénéficiaient percevaient des bas salaires, ce à quoi l’initiative voulait remédier, en contraignant les employeurs à accorder un salaire digne.

b. Par communiqué de presse du 12 octobre 2020, le département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, scindé depuis lors pour devenir en partie le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : le département), a indiqué que le conseil de surveillance du marché de l’emploi (ci-après : CSME), composé des représentants des partenaires sociaux de l’État, s’était réuni en séance extraordinaire, afin de discuter et de fixer les modalités d’application de la novelle issue de l’IN 173. Dans ce cadre, le CSME avait notamment proposé au Conseil d’État que les salaires minimaux des secteurs de l’agriculture et de la floriculture soient identiques aux salaires inscrits dans les contrats-types de travail en vigueur dans ces domaines.

c.a. Le 28 octobre 2020, le Conseil d’État a fixé le salaire minimum légal pour 2020 et 2021 de la manière suivante :

« Art. 1 Salaire minimum légal

1 Le salaire minimum brut visé à l’article 39K de la loi sur l’inspection et les relations du travail, du 12 mars 2004, est de 23 francs au 1er novembre 2020 et de 23.14 francs par heure au 1er janvier 2021, sous réserve des alinéas 2 et 3.

2 Dans le secteur de l’agriculture, le salaire minimum brut est de 16.90 francs au 1er novembre 2020 et de 17 francs par heure au 1er janvier 2021.

3 Dans le secteur de la floriculture, le salaire minimum brut est de 15.50 francs au 1er novembre 2020 et de 15.60 francs par heure au 1er janvier 2021.

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le présent arrêté entre en vigueur le 1er novembre 2020. »

c.b. Le contrat-type de travail de l’agriculture du 13 décembre 2011 (CTT-Agri - J 1 50.09) a été modifié à compter du 1er janvier 2021 pour prévoir un salaire minimum de CHF 3'830.- par mois pour le personnel porteur d’un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC), de CHF 3'500.- par mois pour le personnel au bénéfice d’une attestation fédérale de formation professionnelle (ci-après : AFP) et de CHF 3'315.- par mois pour le personnel sans qualification particulière ; pour le personnel engagé à l’heure, le salaire était de CHF 17.50 de l’heure (art. 8 al. 1 CTT-Agri).

d.a. En novembre 2021, le Conseil d’État a fixé, à compter du 1er janvier 2022, le montant du salaire minimum genevois à CHF 23.27 de l’heure et à CHF 17.10 de l’heure dans les secteurs de l’agriculture et de la floriculture.

d.b. Dès le 1er janvier 2022, les salaires minimaux bruts figurant dans le CTT-Agri ont été modifiés et fixés à CHF 19.86 de l’heure pour les porteurs d’un CFC, à CHF 18,15 de l’heure pour les porteurs d’une AFP, à CHF 17.10 de l’heure pour le personnel sans qualification et à CHF 17.69 de l’heure pour le personnel engagé à l’heure.

C. a. Le 3 octobre 2022, l’association a écrit au Conseil d’État au sujet de la décision à venir sur les salaires du CTT-Agri pour 2023 et de la mise en œuvre de la dérogation prévue à l’art. 39K LIRT.

Les conséquences d’un accroissement de la masse salariale pour la branche étaient inquiétantes, dans le contexte d’une augmentation massive du prix des intrants et celle à venir du prix du gaz, ainsi que d’une saison 2022 difficile et l’impossibilité de répercuter ces prix sur les produits en raison de la structure du marché dominé par deux grands distributeurs. Actuellement, les conditions de travail des employés de l’agriculture à Genève étaient les meilleures de Suisse, situation générant une concurrence nationale exacerbée pour les productions mises sur le marché national. En cas d’indexation des salaires du CTT-Agri, une catastrophe sans précédent s’annonçait pour l’économie du secteur.

b. Le 19 octobre 2022, le Conseil d’État a adopté l’arrêté relatif au salaire minimum cantonal pour l’année 2023 (ci-après : l’arrêté), publié dans la FAO du 21 octobre 2022, qui a la teneur suivante :

« Art. 1 Salaire minimum cantonal

1 Le salaire minimum brut est de 24.- francs par heure, sous réserve de l’alinéa 2.

2 Il est de 17.64 francs par heure dans le secteur de l’agriculture.

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le présent arrêté entre en vigueur le 1er janvier 2023. »

c.a. Le 17 novembre 2022, la chambre des relations collectives de travail (ci-après : CRCT) a adopté une modification du CTT-Agri, fixant, à compter du 1er janvier 2023, les salaires minimaux bruts à CHF 20.50 de l’heure pour les porteurs d’un CFC, à CHF 18.73 de l’heure pour les porteurs d’une AFP et à CHF 17.64 de l’heure pour le personnel sans qualification.

c.b. En préambule à ladite modification était indiqué que le CSME avait donné son accord de principe à ce que la CRCT procède à l’adaptation des salaires minimaux du CTT-Agri à l’arrêté du Conseil d’État du 19 octobre 2022, lequel les avait indexés conformément à la règle de l’art. 39K al. 3 LIRT et avait fixé à CHF 17.64 de l’heure le salaire minimum pour le secteur de l’agriculture. De pratique constante, les salaires des CTT étaient indexés, car à défaut les salaires réels diminueraient, ce qui n’était pas acceptable s’agissant de salaires minimaux. Il était en outre nécessaire d’indexer de manière analogue les salaires supérieurs également. Les représentants de l’association avaient été entendus le 1er novembre 2022 et il était indéniable que le secteur rencontrait des difficultés liées à l’augmentation des coûts de l’énergie, au changement climatique, à la situation sanitaire et au cours défavorable de l’euro. L’importance d’une agriculture locale n’était plus à démontrer et, si l’engagement des autorités cantonales était certain, le poids de deux grands distributeurs demeurait une contrainte majeure pour les agriculteurs genevois. Il était fait droit à la demande de l’association de supprimer la catégorie du « personnel engagé à l’heure », inutilisée et source de confusion.

D. a. Par acte du 21 novembre 2022, MM. A______ et B______ ainsi que l’association et la société ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l’arrêté du Conseil d’État du 19 octobre 2022, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et principalement à l’annulation de l’art. 1 al. 2 dudit arrêté ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.

L’art. 1 al. 2 de l’arrêté violait le principe de la légalité sous l’angle de la séparation des pouvoirs. L’augmentation du salaire minimum dans le domaine de l’agriculture, de 3,15 %, correspondait à l’indexation du salaire minimum général, conformément à l’art. 39K al. 3 LIRT, qui ne pouvait toutefois s’appliquer qu’à l’art. 39K al. 1 LIRT, et non pas au salaire minimum dérogatoire, sous peine de ne pas tenir compte des particularités du secteur agricole. Le but du système d’indexation de l’art. 39K al. 1 LIRT était de protéger le pouvoir d’achat, dans l’hypothèse d’un salaire minimum déterminé à l’aide de divers critères liés à l’environnement économique et social genevois, alors que les employés du secteur agricole étaient essentiellement des travailleurs saisonniers ne résidant pas dans le canton. Si le but du salaire minimum n’était pas d’influer sur la libre concurrence, une augmentation systématique et automatique du salaire minimum dans le secteur agricole aurait un impact majeur sur la libre concurrence entre producteurs agricoles sur le marché suisse, puisque les produits genevois étaient déjà peu concurrentiels au niveau national.

La disposition litigieuse était contraire à l’égalité de traitement et au principe de proportionnalité. Le fait d’indexer le salaire minimum dans le secteur agricole au coût genevois de la vie, sur la base de critères économiques et sociaux genevois, pour des travailleurs saisonniers qui ne vivaient pas à Genève revenait à traiter de manière identique des situations différentes, puisque les travailleurs des autres secteurs économiques résidaient dans le canton et dans ses environs et étaient effectivement soumis à l’augmentation du coût de la vie. L’indexation en cause n’atteignait donc pas son but, à savoir faire correspondre l’augmentation des salaires avec l’augmentation du coût de la vie à Genève, et entraînait une augmentation du coût de la main-d’œuvre, qui se cumulait encore avec d’autres facteurs d’augmentation. En plus de l’indexation, décidée par le Conseil d’État sur proposition du CSME au sein duquel l’association n’était pas représentée, s’ajoutaient les augmentations décidées par la CRCT dans le cadre de l’adoption du CTT-Agri, qui concernait également les salaires du secteur agricole ainsi que les modalités du contrat de travail.

L’arrêté contesté emportait, enfin, une violation de la liberté économique, en raison des spécificités applicables au secteur agricole, constitué de main-d’œuvre saisonnière et de travailleurs étrangers ne séjournant en Suisse que quelques semaines ou mois par année, et soumis à une concurrence accrue. Il s’agissait d’une atteinte grave, qui ne reposait pas sur une base légale et n’était pas en mesure d’atteindre son but, consistant à aligner les salaires des travailleurs avec les coûts de la vie à Genève afin de protéger leur pouvoir d’achat au fil du temps.

b. Par décision du 20 décembre 2022, la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours et a réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

c. Le 20 décembre 2022 également, le Conseil d’État a conclu au rejet du recours.

L’art. 39K LIRT était formulé au singulier, ce qui montrait déjà que les règles régissant le salaire minimum ordinaire et dérogatoire devaient obéir à un régime unitaire, indexé systématiquement. Le salaire de l’agriculture était dérogatoire, sans constituer une exception au salaire minimum, et ne devait pas être du même montant que celui de l’art. 39K al. 1 LIRT, mais néanmoins respecter la limite fixée à l’art. 1 al. 4 LIRT, tout en s’accommodant des particularités du secteur, étant précisé que seul l’art. 39K al. 3 LIRT traitait de l’indexation. Celle-ci visait à éviter l’érosion du pouvoir d’achat du travailleur pour qu’il ne tombe pas dans la pauvreté, et non pas à améliorer sa situation. Le même but ressortait en outre du préambule du CTT-Agri, le comité de l’IN 173 ayant assimilé le domaine de l’agriculture aux autres activités précaires. Si ce secteur recevait un traitement particulier, c’était en raison du nombre d’heures de travail hebdomadaires effectuées, notablement supérieur à celui d’autres domaines d’activité.

Les griefs des recourants étaient infondés. L’interprétation de l’art. 39K LIRT plaidait en faveur d’une indexation systématique qui portait aussi bien sur le salaire minimum ordinaire que sur celui de l’agriculture. Le but et l’historique de cette disposition montraient que les particularités du secteur agricole n’étaient pas celles identifiées par les recourants et que les travailleurs qui accomplissaient habituellement leur travail dans le canton devaient pouvoir bénéficier de l’indexation de leur salaire, indépendamment de leur lieu de résidence. À cela s’ajoutait que l’exécutif disposait d’une marge de manœuvre étendue en matière de dérogation au montant du salaire minimum ordinaire. L’ensemble des méthodes d’interprétation convergeaient en outre à la même conclusion, à savoir que l’exécutif n’avait pas outrepassé ses compétences en indexant le salaire minimum du domaine de l’agriculture.

La disposition litigieuse ne violait pas non plus les principes de l’égalité de traitement et de la proportionnalité. La situation de fait importante à réglementer était celle des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton, indépendamment de leur lieu de résidence. La loi devait ainsi traiter de la même manière les travailleurs concernés, sans égard au secteur d’activité, étant précisé que l’exécutif n’avait d’autre choix que d’indexer le salaire minimum de l’agriculture de la même manière qu’il le faisait pour le salaire minimum ordinaire. Sous l’angle de la proportionnalité, si l’indexation était une mesure incisive pour les employeurs, il n’en existait pas d’autre pour préserver la situation des travailleurs. En outre, la critique des recourants en lien avec un prétendu manque de coordination entre le CSME et la CRCT était infondée, puisque le CSME était composé de représentants de l’État, des employeurs et des travailleurs et avait donné son accord de principe à la CRCT pour adapter les salaires minimaux du CTT-Agri.

Enfin, la violation alléguée de la liberté économique n’était pas fondée, pour les mêmes raisons. La concurrence difficile subie par le secteur agricole genevois avait en outre été suffisamment prise en compte en fixant le salaire minimum dans le domaine de l’agriculture, inférieur de 26,5 % au salaire minimum ordinaire.

d. Le 21 décembre 2022, la chambre constitutionnelle a accordé aux recourants un délai au 25 janvier 2023, prolongé au 24 février 2023, pour formuler d’éventuelles observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

e. Le 24 février 2023, les recourants ont persisté dans leur recours.

Le Conseil d’État reconnaissait le manque de clarté de l’art. 39K LIRT et l’existence d’un doute sur sa portée exacte. Il était indéniable qu’un régime juridique différent était prévu pour le salaire minimum ordinaire d’une part et dérogatoire d’autre part, lequel ne faisait pas l’objet du renvoi de l’art. 39K al. 3 LIRT. L’indexation automatique et systématique, d’année en année, n’était ainsi prévue que pour le salaire minimum de l’art. 39K al. 1 LIRT. Contrairement à ce que soutenait le Conseil d’État, les particularités du secteur agricole, qui justifiaient un régime spécial en matière de salaire minimum, avaient trait à la présence de nombreux travailleurs saisonniers, avec la possibilité d’être nourris et logés par leur employeur, ainsi que la concurrence du marché suisse, largement dominé par deux grands distributeurs. L’intention des initiants allait dans le même sens.

L’absence de recours contre les précédentes indexations avait d’autant moins de pertinence qu’elles étaient moins élevées que celle contestée, laquelle n’était pas compatible avec le principe de la proportionnalité, vu son montant. Contrairement aux affirmations du Conseil d’État, les travailleurs saisonniers n’accomplissaient pas habituellement leur travail dans le canton, puisqu’ils y venaient pour quelques semaines, voire mois, par année, et qu’ils ne pouvaient pas non plus bénéficier de l’aide sociale. Le salaire minimum ne pouvait donc pas remplir sa fonction les concernant. Lesdits travailleurs venaient en particulier à Genève en raison de l’attractivité de la rémunération par rapport aux conditions applicables dans leur pays de résidence, comme le montraient les statistiques que les recourants produisaient.

À cela s’ajoutait que le risque ne portait pas seulement sur le montant du salaire horaire minimum, mais également sur les autres aspects de la rémunération des travailleurs, puisque la modification d’autres règles du CTT-Agri pouvaient avoir un impact sur la charge salariale pour l’employeur, similaire à une augmentation du salaire horaire. Ainsi, une augmentation des pauses journalières pouvait renchérir le coût de la main-d’œuvre et se cumuler à une augmentation parallèle du salaire horaire minimal découlant de la LIRT. De plus, la modification du CTT-Agri s’opérait dans le cadre d’un dialogue entre les partenaires sociaux, contrairement à l’indexation automatique et systématique contestée, qui ne tenait pas compte de l’évolution de la situation économique du marché agricole genevois, étant rappelé que les membres du CSME n’étaient pas liés au secteur agricole, contrairement à la CRCT. C’était donc bien le caractère automatique de l’indexation, ainsi que l’augmentation du salaire minimum en découlant concrètement et qui était amené à se renforcer par l’écoulement du temps, qui faisait l’objet du présent recours.

f. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du 27 février 2023.

EN DROIT

1) 1.1. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Les arrêtés du Conseil d’État peuvent également faire l’objet d’un contrôle abstrait par la chambre constitutionnelle, pour autant qu’ils contiennent des règles de droit (ACST/2/2022 du 14 mars 2022 consid. 3b ; ACST/30/2021 du 29 juin 2021 consid. 3b).

1.2. Le recours est formellement dirigé, indépendamment d’un cas d’application, contre l’arrêté du 19 octobre 2022 qui fixe le salaire minimum légal pour 2023, à savoir un acte édicté par le Conseil d’État contenant des règles de droit, comme l’a déjà admis la chambre de céans dans une cause similaire (ACST/30/2021 précité consid. 1b). Il a été interjeté dans le délai légal à compter de la publication dudit arrêté dans la FAO du 21 octobre 2022 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), et satisfait également aux réquisits de forme et de contenu prévus aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 à 3 LPA.

2) 2.1. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/3/2023 du 16 février 2023 consid. 2a).

2.1.1. Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 147 I 308 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 147 I 478 consid. 2.2).

2.1.2. Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir en son nom propre lorsqu’elle est intéressée elle-même à l’issue de la procédure. De même, sans être touchée dans ses intérêts dignes de protection, cette possibilité lui est reconnue pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; ACST/10/2023 du 6 mars 2023 consid. 2.1.2). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 1C_499/2020 du 24 septembre 2020 consid. 2).

2.2. En l’espèce, les personnes physiques recourantes exercent une activité lucrative dans le domaine agricole, pour l’un en tant que maraîcher et pour l’autre en tant que viticulteur, et emploient des ouvriers agricoles, tout comme la société. Tous trois sont donc directement concernés par le montant du salaire minimum dans le domaine agricole fixé par le Conseil d’État dans l’arrêté litigieux pour l’année 2023. La qualité pour recourir doit dès lors leur être reconnue. Il en va de même de l’association recourante, qui a pour but statutaire de sauvegarder les intérêts de ses membres, dont la majorité sont des agriculteurs établis dans le canton et qui auraient qualité pour recourir à titre individuel.

Le recours est donc recevable.

3) Le recours concerne l’indexation du salaire minimum dérogatoire du secteur de l’agriculture pour l’année 2023 prévu par l’art. 1 al. 2 de l’arrêté, dont les recourants contestent le principe, sans en critiquer, en tant que tel, le montant ou le calcul.

4) À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 148 I 198 consid. 2.2 ; 147 I 308 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_983/2020 du 15 juin 2022 consid. 3.1 ; ACST/4/2023 du 16 février 2023 consid. 3 et les références citées).

5) Les recourants soutiennent que l’art. 1 al. 2 de l’arrêté litigieux serait contraire au principe de la légalité, sous l’angle de la séparation des pouvoirs, car l’art. 39K LIRT permettrait au Conseil d’État de procéder à la seule indexation du salaire minimum ordinaire, à l’exclusion du salaire minimum dérogatoire.

5.1. Le principe de la légalité s’applique de façon générale à l’activité de l’État régi par le droit (art. 5 al. 1 Cst.). En droit constitutionnel genevois, le principe de la légalité se trouve ancré, dès les premières dispositions de la Cst-GE, par l’affirmation que les structures et l’autorité de l’État sont fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs (art. 2 al. 2 Cst-GE) et par l’exigence que l’activité publique se fonde sur le droit (art. 9 al. 2 Cst-GE).

5.2. Le principe de la séparation des pouvoirs impose en particulier le respect des compétences établies par la constitution et vise à empêcher un organe de l’État d’empiéter sur les compétences d’un autre organe. Il interdit ainsi au pouvoir exécutif d’édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n’est dans le cadre d’une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_38/2021 du 3 mars 2021 consid. 3.2.1). Les règlements d’exécution doivent dès lors se limiter à préciser certaines dispositions légales au moyen de normes secondaires, à en combler le cas échéant les véritables lacunes et à fixer si nécessaire des points de procédure (ATF 139 II 460 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_660/2021 du 28 juin 2022 consid. 5.2).

5.2.1. À Genève, le Grand Conseil exerce le pouvoir législatif (art. 80 Cst-GE) et adopte les lois (art. 91 al. 1 Cst-GE), tandis que le Conseil d’État, détenteur du pouvoir exécutif (art. 101 Cst-GE), joue un rôle important dans la phase préparatoire de la procédure législative (art. 109 al. 1 à 3 et 5 Cst-GE), promulgue les lois et est chargé de leur exécution et d’adopter à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 Cst-GE).

5.2.2. Le Conseil d’État peut ainsi adopter des normes d’exécution, soit des normes secondaires, sans qu’une clause spécifique dans la loi soit nécessaire. Lesdites normes secondaires peuvent établir des règles complémentaires de procédure, préciser et détailler certaines dispositions de la loi, éventuellement combler de véritables lacunes. Elles ne peuvent en revanche pas, à moins d’une délégation expresse, poser des règles nouvelles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations, même si ces règles sont conformes au but de la loi (ATF 147 V 328 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2020 du 7 juillet 2022 consid. 7.2). Pour que le Conseil d’État puisse édicter des normes de substitution, ou normes primaires, il faut qu’une clause de délégation législative l’y habilite (ATF 133 II 331 consid. 7.2.1 ; ACST/3/2023 précité consid. 8b), pour autant que la constitution cantonale ne l’interdise pas dans le domaine considéré et que la délégation figure dans une loi au sens formel, se limite à une matière déterminée et indique le contenu essentiel de la réglementation si elle touche les droits et obligations des particuliers (ATF 133 II 331 consid. 7.2.1 ; ACST/3/2023 précité consid. 8b).

5.3. La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Le juge ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 148 II 299 consid. 7.1).

5.4. En l’espèce, l’art. 39K LIRT a trait au montant du salaire minimum, qu’il fixe, à son al. 1, à CHF 23.- de l’heure, sauf, notamment, dans le secteur de l’agriculture, dans lequel le Conseil d’État peut, sur proposition du CSME, déroger à ce montant, dans le respect de l’art. 1 al. 4 LIRT (art. 39K al. 2 LIRT). L’art. 39K al. 1 et 2 LIRT prévoit ainsi deux types de salaires minimaux dont les montants diffèrent : l’un, ordinaire, valant de manière générale, et l’autre, dérogatoire, valant pour les secteurs énumérés, la fonction spécifique du salaire minimum, qui est de combattre la pauvreté, favoriser l’intégration sociale et contribuer au respect de la dignité humaine (art. 1 al. 4 LIRT), devant être respectée dans les deux cas. Dans ce cadre, le salaire minimum dérogatoire a été fixé par le Conseil d’État le 28 octobre 2020 à un montant inférieur à celui prévu par l’art. 39K al. 1 LIRT, soit CHF 17.- de l’heure dès le 1er janvier 2021, à savoir un niveau relativement bas, en considération des problèmes rencontrés dans le secteur de l’agriculture, notamment en raison du nombre plus important d’heures de travail pratiquées et des faibles revenus qu’une telle activité générait. Comme l’a relevé la chambre de céans (ACST/30/2021 précité consid. 10b), il s’agissait de concilier l’objectif d’un salaire décent avec la volonté de ne pas mettre en péril le domaine de l’agriculture.

À la suite des alinéas consacrés au montant du salaire minimum (art. 39K al. 1 et 2 LIRT), l’art. 39K al. 3 LIRT traite de l’indexation dudit salaire, en prévoyant que, chaque année, il est indexé sur la base de l’indice des prix à la consommation (ci-après : IPC), en l’occurrence genevois (art. 56F du règlement d’application de la LIRT du 23 février 2005 - RIRT - J 1 05.01), du mois d’août par rapport à l’indice en vigueur au 1er janvier 2018 (1ère phrase) et que le salaire minimum prévu à l’art. 39K al. 1 LIRT n’est indexé qu’en cas d’augmentation de l’IPC (2ème phrase). Contrairement à ce que soutiennent les recourants, l’on ne saurait comprendre de cette disposition qu’elle ne s’appliquerait qu’au seul salaire minimum ordinaire selon l’art. 39K al. 1 LIRT. En effet, si la 2ème phrase – qui n’autorise une indexation qu’à la hausse (ACST/16/2021 du 22 avril 2021 consid. 7) – pourrait limiter son application à l’art. 39K al. 1 LIRT, tel n’est pas le cas de la 1ère phrase de l’art. 39K al. 3 LIRT, qui ne contient pas une telle restriction. L’on ne saurait ainsi interpréter l’art. 39K al. 3, 1ère phrase LIRT comme se référant à la seule indexation du salaire minimum ordinaire. Au contraire, il doit se comprendre comme prévoyant l’indexation du salaire minimum, qu’il soit ordinaire ou dérogatoire. C’est d’ailleurs ce que précise l’art. 56F al. 4 RIRT en chargeant le Conseil d’État de publier chaque année au mois d’octobre un arrêté relatif au salaire minimum cantonal applicable dès le 1er janvier de l’année suivante aux différents secteurs économiques, y compris celui visé à l’art. 39K al. 2 LIRT.

Soutenir que seul le salaire minimum ordinaire devrait être indexé annuellement à l’IPC genevois irait ainsi non seulement à l’encontre de la lettre de l’art. 39K al. 3 LIRT, mais également à l’encontre du sens et du but de la réglementation relative au salaire minimum, qui vise, dans tous les secteurs, à accorder des conditions de vie décentes aux travailleurs. Cet objectif ne pourrait être atteint en l’absence d’indexation des salaires au renchérissement des biens et services, qui concerne tous les domaines, sous peine de faire baisser les salaires réels. Il sera en outre rappelé que la chambre de céans a précisé que le salaire minimum de CHF 23.- de l’heure se situait déjà en-dessous des deux tiers du salaire médian à Genève, à savoir en-dessous du niveau de bas salaire généralement admis, et que son indexation lui permettait de réaliser le but qu’il sous-tendait, soit lutter contre la pauvreté et la précarité des travailleurs (ACST/16/2021 précité consid. 7b). Il ne saurait en être autrement du salaire minimum dérogatoire de l’art. 39K al. 2 LIRT, dont le montant est sensiblement inférieur à celui du salaire minimum ordinaire.

Il en découle que le Conseil d’État, en adoptant l’art. 1 al. 2 de l’arrêté et en adaptant le salaire minimum dérogatoire du secteur de l’agriculture à l’IPC genevois pour 2023 n’a pas violé le principe de la séparation des pouvoirs, dès lors que ladite indexation découle de l’art. 39K al. 3 LIRT ainsi que de l’art. 56F al. 4 RIRT qui le concrétise. Le grief sera par conséquent écarté.

6) Selon les recourants, l’art. 1 al. 2 de l’arrêté serait contraire aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

6.1.1. Un arrêté de portée générale viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. Il faut que le traitement différent ou semblable, injustifié, se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir s’il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 145 I 73 consid. 5.1 et les références citées).

6.1.2. Le principe de proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_764/2022 du 16 février 2023 consid. 7.1).

6.2.1. En l’espèce, les recourants soutiennent qu’un traitement spécifique devait être réservé au secteur de l’agriculture, au vu de ses particularités.

Ils perdent toutefois de vue que tel a déjà été le cas, s’agissant du montant du salaire minimum applicable à ce secteur, sensiblement inférieur au salaire minimum ordinaire selon l’art. 39K al. 1 LIRT. Une absence d’indexation dans le secteur de l’agriculture serait non seulement contraire aux objectifs sous-tendus par l’institution du salaire minimum et rappelé à l’art. 1 al. 4 LIRT, auquel renvoie l’art. 39K al. 2 LIRT, mais creuserait encore plus l’écart entre le salaire minimum ordinaire et le salaire minimum dérogatoire. Dans ce cadre, le fait de procéder à une indexation permet d’éviter une diminution du salaire minimum, ce qui est conforme au but visé par les art. 39I ss LIRT. À cela s’ajoute que le montant permettant de vivre décemment dans le canton ne diffère pas d’un secteur économique à l’autre, si bien que, pour ce motif également, un traitement identique de l’indexation, dont le montant n’est du reste pas contesté et qui repose sur l’application de la méthode de calcul de l’art. 39K al. 3 LIRT, n’est pas constitutif d’une violation du principe d’égalité de traitement.

6.2.2. Les recourants prétendent que l’indexation du salaire minimum dérogatoire ne permettrait pas d’atteindre sa cible, puisqu’il concernerait les seuls travailleurs saisonniers, qui ne séjourneraient à Genève que quelques semaines, voire mois par année, et ne seraient pas éligibles à l’aide sociale.

Cette spécificité relative au secteur agricole a, parmi d’autres, déjà été prise en compte dans la fixation du salaire minimum dérogatoire, comme l’a relevé la chambre de céans (ACST/30/2021 précité consid. 12). En outre, en arguant que les travailleurs agricoles n’accompliraient pas habituellement leur travail dans le canton, les recourants critiquent en réalité l’application du salaire minimum au secteur agricole, ce qu’ils ne sont pas habilités à faire dans le cadre du présent recours. En effet, en soumettant ledit secteur au salaire minimum, l’art. 39K al. 2 LIRT admet que les travailleurs concernés accomplissent habituellement leur travail dans le canton (art. 39I LIRT), à savoir de manière exclusive, prépondérante ou régulière (art. 56D RIRT), et qu’à ce titre leur salaire est indexé selon l’IPC, comme précédemment relevé. Le fait que le salaire perçu à Genève soit supérieur à celui de leur pays d’origine, comme allégué, ne change rien à l’application du salaire minimum à ce domaine, comme à d’autres.

Le fait que de futures modifications du CTT-Agri puissent conduire à conférer des avantages aux travailleurs agricoles n’est pas pertinent dans le cadre du présent recours dirigé contre l’arrêté et est donc exorbitant au litige. En cas de modification du CTT-Agri par la CRCT, soit à Genève, l’autorité compétente pour édicter un tel contrat-type du 29 avril 1999 (art. 1 al. 1 let. c de la loi concernant la CRCT – LCRCT - J 1 15), une consultation auprès des associations professionnelles et sociétés publique intéressées a lieu, ainsi qu’une publication permettant la présentation d’observations (art. 20 al. 3 et 4 du règlement d’application de la LCRCT du 7 juillet 1999 - RCRCT - J 1 15.01). L’association recourante peut dès lors faire valoir son point de vue dans ce cadre, le cas échéant contester par-devant le Tribunal fédéral la modification adoptée (arrêt du Tribunal fédéral 4C_1/2019 du 6 mai 2019 consid. 1.1 non publié de l’ATF 145 III 286).

Si le montant de l’indexation à l’IPC pour l’année 2023 est certes important et que le coût de la main d’œuvre peut se cumuler à d’autres facteurs d’augmentation des coûts comme ceux mentionnés par les recourants, il n’en demeure pas moins que le renchérissement est susceptible de toucher tous les domaines et secteurs, y compris le cas échéant les produits et biens vendus par les recourants, et pas seulement les salaires des ouvriers agricoles. De plus, comme précédemment indiqué, le montant de l’indexation découle mathématiquement de l’IPC, selon la méthode de calcul de l’art. 39K al. 3 LIRT, sur lequel l’autorité intimée n’a aucune prise. Par ailleurs, se référant à l’ATF 145 III 286, la chambre de céans a également déjà relevé le rôle central joué par les commissions tripartites, soit à Genève le CSME, en raison de leur connaissance du marché et de leur composition (ACST/30/2021 précité consid. 10c et les références citées), si bien que le grief des recourants selon lequel ledit conseil ne serait pas au fait des problèmes ayant cours dans le domaine agricole tombe également à faux.

7) Enfin, les recourants se prévalent d’une violation de la liberté économique. Dans ce cadre, ils ne contestent toutefois pas l’arrêté litigieux, mais l’art. 39K LIRT, dont la chambre de céans a déjà admis la conformité à la liberté économique (ACST/16/2021 précité consid. 7). Elle a en particulier considéré que l’indexation à l’IPC du salaire minimum ne constituait pas une mesure de politique économique, puisque ladite indexation n’entrait pas en tant que telle dans le calcul pour établir ce salaire minimum, lequel demeurait, même indexé, toujours suffisamment proche du revenu minimal d’assistance. L’indexation du salaire minimum ne conduisait pas non plus à une accumulation de majorations, puisqu’elle n’avait pas lieu en l’absence d’augmentation de l’IPC et resterait inchangée jusqu'à ce que l’IPC dépasse à nouveau le niveau ayant conduit à la précédente indexation. L’on ne pouvait ainsi y déceler aucune mesure de politique économique, ce qui n’était du reste pas l’intention poursuivie par les initiants, dont le but était, par l’instauration d’un salaire minimum, de lutter contre la pauvreté à Genève et d’enrayer le phénomène des travailleurs pauvres. La liberté économique prise dans sa dimension individuelle était certes restreinte par l’obligation de verser aux travailleurs à bas revenu accomplissant leur activité dans le canton un salaire horaire minimum de CHF 23.-, indexé chaque année en cas d’augmentation de l’IPC. Introduit dans la LIRT, ladite mesure reposait sur une base légale formelle, poursuivait des objectifs de politique sociale, soit un but d’intérêt public admissible, et respectait également le principe de la proportionnalité. Il n’en va pas différemment dans le cadre de la présente cause, si bien que le grief doit également être écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

8) Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 1'500.-, qui comprend la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera accordée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté conjointement le 21 novembre 2022 par Messieurs A______ et B______ ainsi que par C______ et D______ SA contre l’arrêté du Conseil d’État du 19 octobre 2022 relatif au salaire minimum cantonal pour l’année 2023, publié dans la FAO du 21 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Messieurs A______ et B______ ainsi que de C______ et D______ SA, pris solidairement ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Adrien Ramelet, avocat des recourants, ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme Lauber, MM. Knupfer et Mascotto, juges.

 

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :