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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2134/2018

ACST/34/2019 du 21.11.2019 ( ABST ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2134/2018-ABST ACST/34/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 21 novembre 2019

 

dans la cause

 

ASSOCIATION « LES VERTS GENEVOIS »

et

Madame A______

et

Madame B______

et

Madame C______

et

Monsieur D______

et

Monsieur E______

et

Monsieur F______

et

Monsieur G______

et

Monsieur H______
représentés par Me Fabienne Fischer, avocate

contre

GRAND CONSEIL

 


 


EN FAIT

1) Le parti politique « Les Verts genevois » (ci-après : les Verts) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), avec siège à Genève. Il a pour but statutaire de réunir les personnes désireuses d'agir sur le plan politique et législatif pour défendre, promouvoir et développer le mouvement écologiste, en s'inspirant notamment des positions et propositions des diverses associations genevoises ou nationales attachées à la protection de l'environnement, aux droits humains et à la qualité de la vie (art. 3 des statuts), notamment en présentant des candidats à des postes électifs. Il a pour membre toute personne physique sans distinction de nationalité, âge, sexe, identité de genre, orientation sexuelle ou religion, adhérant à ses buts (art. 6 des statuts).

2) Mesdames A______, B______ et C______, Messieurs D______, E______, F______, G______ et H______ sont tous domiciliés à Genève et membres des Verts. À l'exception de Mme C______ qui a démissionné de son mandat électif au conseil municipal de Meyrin en été 2019, ils sont conseillers municipaux, conseillers administratifs ou députés au Grand Conseil.

3) Le 4 novembre 2015, le Conseil d'État a déposé auprès du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 11764 sur la laïcité de l'État, dont l'art. 3 avait la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 Le canton de Genève et les communes observent une neutralité religieuse.

2 Ils veillent à exclure toute discrimination fondée sur les convictions religieuses.

3 Les collaborateurs visés par l'article 1 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux, du 4 décembre 1997, les collaborateurs des communes, ainsi que les collaborateurs des établissements publics ou privés exécutant des tâches déléguées par l'État, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

Selon l'exposé des motifs y relatif, le projet s'inscrivait dans le cadre de la mise en oeuvre de l'art. 3 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), qui posait le principe de la laïcité de l'État, un instrument au service de la liberté de conscience et de croyance, de la diversité et de la paix religieuse ainsi que de la cohésion sociale (pp. 9 et 12).

4) Lors de la séance plénière du 3 décembre 2015, le PL 11764 a été renvoyé sans débat à la commission des Droits de l'Homme du Grand Conseil (ci-après : la commission).

5) a. Le 6 mars 2018, la commission a rendu son rapport sur le PL 11764, qui comportait un rapport de majorité et deux rapports de minorité, ainsi que sur trois autres projets.

b. Selon le rapport de majorité, l'art. 3 Cst-GE n'imposait l'adoption d'aucune loi, de sorte que le choix de légiférer ou non était politique (p. 221). La neutralité religieuse imposée aux membres de la fonction publique dans le cadre de leur activité, en non pas en tout temps (pp. 269 s. et 473), concernait les signes extérieurs, notion plus large que les signes ostentatoires, et laissait une marge d'appréciation étendue à l'autorité (pp. 222, 227 et 275). Elle devait également concerner les membres des pouvoirs exécutifs et les magistrats, dans la mesure où il s'agissait d'agents de l'État, qu'ils représentaient (p. 259). Tel n'était toutefois pas le cas des membres des parlements, auxquels cette exigence de neutralité ne pouvait pas s'appliquer. Bien que celle-ci eût pour but de conserver la paix religieuse (p. 472), les députés, en tant qu'ils étaient élus par les citoyens, ne représentaient pas l'État, mais bien la société et ses différentes sensibilités (pp. 261 s. et 471). Ils devaient ainsi disposer de la plus grande liberté possible, notamment de pouvoir s'exprimer librement (pp. 470 s.). Les cas d'une gardienne de musée voilée et d'une élue voilée à Vernier ont en outre été évoqués (pp. 10 et 271).

c. À l'issue de ses travaux, la commission a adopté le PL 11764, dont l'art. 3 avait la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 L'État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

2 La neutralité religieuse de l'État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.

3 Les membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

5 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

6) a. Le Grand Conseil a traité du PL 11764 lors de ses séances des 22 mars et 26 avril 2018.

b. S'agissant de l'art. 3 du PL, les débats ont en particulier porté sur la neutralité religieuse des membres des parlements. Même si les élus ne représentaient pas l'État au sens strict, ils le constituaient. Ils représentaient l'ensemble de la population genevoise, sans attachement communautaire. Le fait qu'un député arbore des signes religieux pouvait signifier qu'il refusait d'agir librement et qu'il suivait une obédience religieuse, alors qu'en tant que représentant de la république, il n'avait pas vocation à représenter des intérêts particuliers ou des communautés religieuses. S'il importait que les membres des parlements ne portent pas de signes religieux extérieurs, leurs propos devaient néanmoins rester libres, notamment au regard de leur immunité. N'étaient pas concernés les signes religieux discrets mais ceux dont le port conduisait à se faire immédiatement reconnaître, comme le voile islamique, la kippa ou une croix de dimension excessive. Cette restriction s'appliquait uniquement dans l'exercice des fonctions électives et il ne s'agissait pas d'intervenir dans la sphère privée.

c. Le 26 avril 2018, à l'issue des débats, le Grand Conseil a adopté la loi 11764 sur la laïcité de l'État (LLE - A 2 75), dont l'art. 3 LLE a la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 L'État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

2 La neutralité religieuse de l'État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.

3 Les membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.

5 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

6 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

7) La LLE a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 11 mai 2018, le délai référendaire expirant le 20 juin 2018.

8) Le 20 juin 2018, après avoir annoncé un référendum contre la LLE, quatre comités différents ont déposé environ 8'300 signatures à la Chancellerie d'État.

9) Par acte déposé le 22 juin 2018, l'association « Les Verts genevois », ainsi que Mmes A______, B______ et C______ et MM. D______, E______, F______, G______ et H______ (ci-après : les recourants) ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la LLE, concluant à l'annulation des al. 3 et 4 de son art. 3.

L'art. 3 al. 3 et 4 restreignait de manière inadmissible la liberté de conscience et de croyance, l'atteinte pouvant être qualifiée de grave au vu des entraves à la manifestation des convictions religieuses qu'elle entraînait pour les personnes concernées. Le critère de la densité normative n'était pas respecté, puisqu'il était impossible de savoir où commençait et où s'arrêtait le « cadre des fonctions », la loi comprenant en outre plusieurs notions indéterminées, telles que les « propos », le « contact avec le public », le « signalement » de l'appartenance religieuse ou encore le « signe extérieur ». On ne distinguait pas quel intérêt public était protégé par la prohibition de l'expression de toute appartenance religieuse, l'adoption de la LLE ne répondant en tout cas à aucun impératif puisque l'art. 3 Cst-GE ne nécessitait pas de mise en oeuvre. Au contraire, les dispositions litigieuses allaient à l'encontre de la politique d'intégration et favorisaient un repli communautaire, puisqu'elles stigmatisaient et discriminaient les personnes prises en étau entre leurs fonctions et leurs convictions religieuses, leur fermant en outre l'accès aux instances politiques. Dans ce sens, elles bafouaient la volonté populaire et étaient contraires au principe démocratique. Les interdictions visées par les al. 3 et 4 de l'art. 3 LLE n'étaient pas davantage justifiées par la protection de l'ordre public, ni par celle des droits d'autrui et étaient contraires au principe de proportionnalité.

Pour les mêmes motifs, les dispositions en cause violaient également la liberté d'expression et l'interdiction de la discrimination, en particulier entre les sexes, et contrevenaient à l'obligation, faite à l'État, de mettre en oeuvre les droits fondamentaux dans l'ensemble de l'ordre juridique.

10) Par décision du 28 juin 2018, le juge délégué a prononcé la suspension de la procédure. Le recours était prématuré, dès lors que la LLE n'avait pas été promulguée et que le référendum avait été demandé à son encontre.

11) Par arrêté publié dans la FAO du 7 septembre 2018, le Conseil d'État a constaté l'aboutissement du référendum lancé à l'encontre de la LLE.

12) Le 10 février 2019, le corps électoral genevois a rejeté le référendum et accepté la LLE à une majorité de 55,05 % des votants.

13) Ces résultats ont été validés par arrêté du Conseil d'État publié dans la FAO du 1er mars 2019.

14) Par arrêté publié dans la FAO du 8 mars 2019, le Conseil d'État a promulgué la LLE pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de sa publication.

15) La LLE est entrée en vigueur le 9 mars 2019, conformément à son art. 13.

16) Le 11 mars 2019, le juge délégué a prononcé la reprise de la procédure.

17) Le même jour, les recourants ont déposé une requête urgente de restitution (recte : d'octroi) de l'effet suspensif au recours afin de permettre à Mme C______, qui portait le foulard islamique, de pouvoir siéger lors des prochaines séances du conseil municipal de Meyrin.

18) Le 22 mars 2019, le Grand Conseil s'en est rapporté à justice sur la question de l'effet suspensif au recours.

19) Par décision du 3 avril 2019, la présidence de la chambre constitutionnelle a partiellement octroyé l'effet suspensif au recours, suspendu l'application de l'art. 3 al. 4 LLE et réservé le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

20) Le 14 juin 2019 le Grand Conseil a répondu sur le fond du recours, concluant à son rejet, « avec suite de dépens ».

La LLE était une loi au sens formel dont la densité normative était suffisante au regard de la récente jurisprudence du Tribunal fédéral, les recourants ayant parfaitement compris les interdictions qu'elle comportait, lesquelles étaient au demeurant d'une portée réduite, limitée dans le temps et dans l'espace. Les dispositions litigieuses visaient à maintenir la paix religieuse et à garantir la laïcité et la neutralité religieuse de l'État, qui étaient des intérêts publics importants ne pouvant être réalisés si les agents de l'État étaient habilités à signaler leur appartenance religieuse dans l'exercice de leurs charges. Elles découlaient en outre de l'art. 3 Cst-GE, qui avait reçu la garantie fédérale, et s'appliquaient indifféremment à tous les membres des autorités étatiques, en visant à garantir un traitement égal à tous les citoyens, indépendamment de leurs convictions religieuses. Elles n'empêchaient pas les citoyens d'être élus ni d'exercer leurs fonctions, mais leur imposaient des règles de conduite, dans le respect des diverses conceptions et convictions de la population.

21) Le 12 juillet 2019, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 4 septembre 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

22) Le 14 août 2019, le Grand Conseil a informé le juge délégué qu'il n'avait pas d'observations ni de requêtes complémentaires à formuler.

23) Les recourants en ont fait de même le 4 septembre 2019.

24) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Le recours est formellement dirigé contre l'art. 3 al. 3 et 4 LLE, une loi cantonale, en l'absence de cas d'application (ACST/22/2019 du 8 mai 2019 consid. 2a et les références citées).

b. Le délai de recours est de 30 jours s'agissant des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 62 al. 1 let. d de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). Il court dès le lendemain de la promulgation des lois constitutionnelles et des lois et de la publication des règlements (art. 62 al. 3 LPA).

Adoptée le 26 avril 2018 et publiée dans la FAO le 11 mai 2018, la LLE a été promulguée le 8 mars 2019, après la validation des résultats du scrutin du 10 février 2019. Bien que le recours ait été interjeté prématurément, le 22 juin 2018 déjà, il n'en est pas moins recevable, dès lors qu'il a acquis à bref délai un objet actuel, du fait de la promulgation de la loi attaquée (ACST/2/2016 du 12 février 2016 consid. 6b ; ACST/12/2015 du 15 juin 2015 consid. 3b). Il s'ensuit que le recours a été formé en temps utile, ainsi que dans les formes prévues par la loi (art. 64 et 65 LPA).

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L'art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/22/2019 précité consid. 3a et la référence citée).

b. En application de l'art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l'autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l'art. 89 LTF. Aux termes de cette disposition, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (al. 1 let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (al. 1 let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (al. 1 let. c).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 145 I 26 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 1.2).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; ACST/22/2019 précité consid. 3b).

c. Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir soit lorsqu'elle est intéressée elle-même à l'issue de la procédure, soit lorsqu'elle sauvegarde les intérêts de ses membres. Dans ce dernier cas, la défense des intérêts de ses membres doit figurer parmi ses buts statutaires et la majorité de ceux-ci, ou du moins une grande partie d'entre eux, doit être personnellement touchée par l'acte attaqué (ATF 142 II 80 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_642/2018 du 29 mars 2019 consid. 1.2).

d. En l'espèce, les personnes physiques recourantes sont domiciliées à Genève, où elles exercent un mandat électif dans un organe délibératif ou législatif. Elles sont dès lors directement concernées par les dispositions litigieuses, qui s'appliquent à leur situation en cette qualité. Quant à Mme C______, qui a démissionné de son mandat électif au conseil municipal de Meyrin en cours de procédure, elle conserve un intérêt virtuel à recourir, dès lors qu'elle pourrait se voir appliquer les dispositions litigieuses si elle décidait de se représenter à l'une ou l'autre des fonctions visées. Il en va de même de l'association recourante, qui est un parti politique constitué en association au sens du droit privé et actif dans le canton de Genève, dont certains des membres assurent une fonction élective au cantonale ou communale. Le recours est ainsi également recevable de ce point de vue.

4) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 2 ; ACST/22/2019 précité consid. 4).

5) a. Selon les recourants, l'art. 3 al. 3 et 4 LLE contreviendrait à la liberté de conscience et de croyance ainsi qu'à la liberté d'expression.

b. L'art. 15 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comme les art. 25 Cst-GE, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et 18 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II - RS 0.103.2), garantit la liberté de conscience et de croyance (al. 1) et accorde à toute personne le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté (al. 2), d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir et de suivre un enseignement religieux (al. 3). En outre, nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux (al. 4).

La liberté religieuse englobe tant la liberté intérieure de croire, de ne pas croire ou de modifier ses convictions religieuses que la liberté extérieure d'exprimer ses convictions, de les pratiquer et de les divulguer dans certaines limites, ou de ne pas les partager (ATF 145 I 121 consid. 5.1 et les références citées ; ACEDH Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, § 31 et Otto-Preminger-Institut c. Autriche du 20 septembre 1994, série A n° 276, § 47). Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie du 26 avril 2016, req. 62649/10, § 103). Elle inclut le droit de chacun de se comporter en principe selon les enseignements de sa foi et d'agir conformément à ses convictions. Elle protège toutes les religions, quel que soit le nombre de leurs fidèles en Suisse (ATF 145 I 121 consid. 5.1 ; 142 I 49 consid. 3.4 et les références citées). Elle ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée ou inspirée par sa religion ou ses convictions (ACEDH Leyla ahin c. Turquie du 10 novembre 2005, Rec. 2005-XI, § 105 et 121).

Au-delà des actes cultuels, la garantie constitutionnelle protège le respect des injonctions et usages religieux ainsi que les autres manifestations de la croyance, en tant que ces comportements constituent l'expression de la conviction religieuse (ACEDH Osmanolu et Kocaba c. Suisse du 10 janvier 2017, req. 29086/12, § 41). Tel est le cas des prescriptions religieuses relatives à l'habillement, comme le voile islamique, la kippa juive, l'habit des religieux chrétiens ou encore le port d'une croix, qui bénéficient aussi de la protection conférée par l'art. 15 Cst. (ATF 142 I 49 consid. 3.6 et les références citées).

c. L'art. 16 al. 2 Cst., ainsi que l'art. 10 CEDH, 19 par. 2 Pacte II et 26 al. 1 Cst-GE, garantit à toute personne le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion en recourant à tous les moyens propres à établir la communication, à savoir la parole, l'écrit ou le geste, sous quelque forme que ce soit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 6.1 et les références citées). Cette très grande extension du domaine d'application de la liberté d'expression s'explique par l'extrême diversité des situations visées, des informations et opinions susceptibles d'être émises et des façons de les exprimer, ainsi que les circonstances dans lesquelles elles le sont (arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 précité consid. 6.1).

6) En l'espèce, si les personnes physiques recourantes sont incontestablement titulaires de la liberté de conscience et de croyance, la question peut souffrir de rester indécise s'agissant de l'association, qui ne poursuit, selon ses statuts, pas de but religieux ni ecclésiastique (ATF 142 I 195 consid. 5.2 ss).

En tant que la réglementation litigieuse impose aux membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, aux magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, aux membres du Grand Conseil et des conseils municipaux de s'abstenir de signaler leur appartenance religieuse, elle emporte une restriction à la liberté de conscience et de croyance des personnes concernées. Elle exclut ainsi que, s'agissant de la manifestation extérieure de leurs convictions, ces personnes fassent montre de leur foi, notamment par le port du voile islamique, de la kippa juive ou d'une croix chrétienne, éléments protégés par la liberté de conscience et de croyance qui garantit la possibilité d'agir conformément à ses convictions religieuses. Elle impose au surplus aux membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal ainsi qu'aux magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes de s'abstenir de signaler leur appartenance non seulement par des signes extérieurs, mais également par des propos, ce qui touche aussi à l'aspect externe de cette liberté.

Bien que le droit d'exprimer et de répandre son opinion puisse non seulement porter sur des propos mais également sur tout autre mode d'expression, la garantie générale de l'art. 16 Cst. n'a pas de portée propre par rapport à la liberté de conscience et de croyance. En effet, en tant qu'elle garantit le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté, cette dernière apparaît comme une garantie spéciale de la liberté d'opinion et d'expression (arrêt du Tribunal fédéral 2C_396/2008 du 15 septembre 2008 consid. 8.1 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, n. 1946). Le grief de la violation de la liberté d'opinion et d'expression se confond dès lors avec celui de la violation de la liberté de conscience et de croyance.

Même si la manifestation extérieure d'une religion peut non seulement être importante aux yeux des personnes concernées mais également obéir à une exigence impérative de celle-ci, elle n'appartient pas, selon la jurisprudence, au noyau intangible de la liberté de conscience et de croyance (ATF 142 I 195 consid. 5.4 ; 142 I 49 consid. 6 ; 123 I 296 consid. 2b/cc), pour autant du reste que la notion de noyau intangible ait une quelconque portée sur le plan juridique, ce qui est contesté par une partie de la doctrine (Pierre TSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eigenossenschaft, 4e éd., 2016, § 7 n. 115 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd., 2013, n. 254 ; Christof RIEDO / Marcel Alexander NIGGLI, Unantastbar ? Bemerkungen zum so genannten Kerngehalt von Grundrechten oder Much Ado About Nothing, PJA 2011 p. 762-770). À l'instar des autres libertés, elle peut ainsi être restreinte aux conditions posées par l'art. 36 Cst.

7) Les restrictions à la liberté de conscience et de croyance ne sont admissibles que si elles satisfont aux conditions prévues en cas de restriction aux droits fondamentaux. Elles doivent ainsi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnées au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; art. 43 al. 1 à 3 Cst-GE ; ATF 139 I 280 consid. 4.3 et les références citées).

8) a. Les restrictions graves doivent reposer sur une disposition claire et expresse de la loi au sens formel (art. 36 al. 1, 2ème phrase, Cst.). Se déduisant du principe de la légalité, l'exigence de densité normative suffisante renvoie au degré de clarté et de précision que des dispositions générales et abstraites doivent avoir pour que leur application soit prévisible (ACST/19/2018 du 15 août 2018 consid. 6a et les références citées ; ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 99). Le degré de précision exigible ne peut toutefois pas être défini abstraitement car il dépend de la diversité des états de fait à réglementer, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d'espèce, des destinataires de la règle, de l'intensité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux et, finalement, de l'appréciation de la situation qui n'est possible que lors de l'examen du cas individuel et concret (ATF 139 I 280 consid. 5.1 et les références citées).

La gravité de l'atteinte à un droit fondamental s'apprécie selon des critères objectifs. Toutefois, dans le domaine de la liberté de conscience et de croyance, cette appréciation est difficile, dans la mesure où les sentiments et les convictions religieux sont motivés de manière subjective. Les organes étatiques doivent ainsi se référer à la signification des règles religieuses pour les personnes concernées (ATF 139 I 280 consid. 5.2 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 du 11 mars 2019 consid. 4.3). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que l'interdiction générale de porter le voile pendant la classe, imposée à une élève, comportait une restriction grave de sa liberté de conscience et de croyance (ATF 142 I 49 consid. 7.2 et les références citées). Il a toutefois laissé la question de la gravité de l'atteinte ouverte dans le cas d'une interdiction faite à une enseignante de porter le voile à l'école, considérant qu'il suffisait que la prescription de comportement découle d'une obligation plus générale contenue dans la loi au sens formel (ATF 123 I 269 consid. 3). Plus récemment, il a jugé qu'un règlement cantonal qui interdisait aux magistrats et autres membres du pouvoir judiciaire le port de symboles religieux visibles dans leurs contacts avec le public était suffisamment précis pour permettre aux personnes concernées d'adapter leur comportement en conséquence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.3.3).

b. En l'espèce, les dispositions litigieuses figurent dans la LLE, soit une loi au sens formel qui a été soumise au référendum.

Leur portée est limitée, dès lors qu'elles ne s'appliquent, d'une part, qu'aux propos ou signes extérieurs et, d'autre part, que dans le cadre respectivement de l'exercice des fonctions des personnes concernées et des contacts avec le public. L'art. 3 al. 3 et 4 ne comporte aucune restriction supplémentaire à la liberté religieuse des personnes visées en dehors de ces situations et dans leur vie quotidienne. À cela s'ajoute qu'à la différence d'élèves qui se verraient interdire le port d'un signe religieux à l'école (cf. ATF 142 I 49 consid. 7.2), il peut être attendu des personnes concernées, qui occupent les plus hautes fonctions de l'État, qu'elles composent dans une certaine mesure avec une telle situation conflictuelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.3.3). De ce point de vue, l'on ne saurait qualifier l'atteinte de grave.

Selon les recourants, les dispositions litigieuses ne seraient pas suffisamment déterminées, puisqu'elles ne comportent aucune définition des termes utilisés, qui seraient sujets à interprétation. S'il est vrai que la formulation de l'art. 3 al. 3 et 4 LLE est large, le fait qu'il soit sujet à interprétation ne permet pas encore de conclure qu'il serait trop imprécis pour être appliqué de façon prévisible (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.4.1). La disposition litigieuse, rédigée en termes généraux et abstraits, définit son champ d'application personnel, matériel et temporel de manière suffisante pour que les personnes concernées puissent adapter leur comportement en conséquence. Dans ce cadre, le juge constitutionnel, chargé du contrôle abstrait des normes, doit faire preuve d'une certaine retenue, un contrôle concret de l'application des dispositions litigieuses dans un cas particulier demeurant par ailleurs possible (ACST/19/2018 précité consid. 6c).

9) a. Les restrictions de la liberté de conscience et de croyance doivent répondre à un intérêt public ou se justifier par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst.). La notion d'intérêt public varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le système juridique. Si les droits fondamentaux en jeu ne peuvent être restreints pour les motifs indiqués par la collectivité publique en cause, l'intérêt public allégué ne sera pas tenu pour pertinent (ATF 142 I 49 consid. 8.1 et les références citées).

b. Selon les recourants, les dispositions contestées ne poursuivraient aucun intérêt public, au regard de leur vaste champ d'application concernant toute la population et de leur effet stigmatisant favorisant un repli communautaire.

Les al. 3 et 4 de l'art. 3 LLE consacrent la neutralité confessionnelle de l'État, dont le but est non seulement de protéger les convictions religieuses des citoyens, mais également d'assurer la paix religieuse (ATF 142 I 49 consid. 8.2.3 ; 123 I 296 consid. 4a, 4b/bb), dans un esprit de tolérance et d'ouverture (ACEDH S.A.S c. France du 1er juillet 2014, Grande Chambre, req. 43835/11, Rec. 2014, § 121 et Lautsi et autres c. Italie du 18 mars 2011, req. 30814/06, Rec. 2011, § 60). Ils imposent à l'État, et par là même aux personnes qui l'incarnent, de s'abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse susceptible de compromettre la liberté des citoyens dans une société pluraliste, en montrant que l'État ne s'identifie pas à une croyance déterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.5). En cela, ils poursuivent également le but de protéger les droits et libertés d'autrui en préservant le respect de toutes les croyances religieuses et orientations spirituelles des citoyens, destinataires de l'exigence de neutralité imposée à l'État, en leur assurant une stricte égalité, sans distinction de religion (ACEDH Ebrahimian c. France du 26 novembre 2015, req. 64846/11, Rec. 2015, § 53, et Leyla ahin c. Turquie précité § 99).

Dans ce cadre, un tel intérêt public n'apparaît pas contraire à la politique d'intégration poursuivie par l'État, puisqu'il tend à traiter de manière égale tous les citoyens du point de vue de leurs conceptions philosophiques et religieuses, en se fondant sur la tradition de laïcité du canton de Genève (ATF 142 I 49 consid. 4.4 ; 139 I 280 consid. 5.5 ; sur cette notion, voir Tristan ZIMMERMANN, La laïcité et la République et canton de Genève, SJ 2011 29-77, p. 60 ss), ancrée à l'art. 3 al. 1 Cst-GE. Que cette disposition n'oblige pas les autorités à légiférer, comme le soutiennent les recourants en se fondant sur les travaux législatifs ayant mené à l'adoption de la LLE, n'y change rien et n'est pas déterminant, la disposition constitutionnelle en cause ne le prohibant pas non plus.

À ces éléments s'ajoute l'exigence d'indépendance et d'impartialité des tribunaux (art. 30 al. 1 Cst. ; art. 40 al. 1, 117 al. 2 et 128 al. 1 Cst-GE), applicable aux magistrats, qui implique qu'ils ne se laissent guider, dans leurs fonctions, par aucune considération étrangère au litige (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.5). Quant aux membres du Conseil d'État (art. 104 Cst-GE) et du Grand Conseil (art. 84 al. 1 Cst-GE), l'exigence d'indépendance implique qu'ils exercent librement leur mandat.

L'adoption de l'art. 3 al. 3 et 4 LLE répond ainsi à un intérêt public admissible.

10) a. Pour qu'une restriction d'un droit fondamental soit conforme au principe de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (art. 36 al. 3 Cst. ; ATF 142 I 49 consid. 9.1).

Selon l'art. 9 § 2 CEDH, toute ingérence dans l'exercice du droit à la liberté de religion doit être nécessaire dans une société démocratique. Une ingérence est considérée comme telle pour atteindre un but légitime si elle répond à un besoin social impérieux et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 105). Selon la CourEDH, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 106, et Kokkinakis c. Grèce précité, § 33). La CourEDH a en particulier considéré que l'interdiction du port de vêtements ou symboles à caractère religieux sur le lieu de travail dans le cadre de fonctions officielles, faite à des fonctionnaires susceptibles d'être soumis à un devoir de discrétion, de neutralité et d'impartialité, était nécessaire dans une société démocratique (sous l'angle de la recevabilité de la requête, voir DCEDH Kurtulmu c. Turquie du 24 janvier 2006, req. 65500/01, Rec. 2006-II, au sujet de l'interdiction faite à une professeure d'université de porter un voile lorsqu'elle enseignait ; Dahlab c. Suisse du 15 février 2001, req. 42393/98, Rec. 2001-V, sur l'interdiction faite à une enseignante de porter un voile à l'école ; Pitkevich c. Russie du 8 février 2001, req. 47936/99, concernant la révocation d'une juge au motif, notamment, qu'elle s'était livrée au prosélytisme et avait prié pendant des audiences ; sur le fond, voir l'ACEDH Ebrahimian c. France précité au sujet de l'interdiction faite à une assistante sociale d'un hôpital public de porter un voile sur son lieu de travail ou l'ACEDH Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013, req. 48420/10, Rec. 2013 au sujet du port d'une croix chrétienne sur le lieu de travail).

b. En l'espèce, les recourants tiennent pour disproportionnées les restrictions à la liberté de conscience et de croyance opérées par l'art. 3 al. 3 et 4 LLE.

c. L'interdiction faite aux membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal ainsi qu'aux magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs constitue une mesure propre à assurer la neutralité religieuse de l'État. Les personnes concernées sont amenées à assumer les plus hautes fonctions exécutives et judiciaires de l'État, qu'elles incarnent, et, bien qu'élues par le corps électoral (art. 52 al. 1 let. b, c et d et 53 let. b Cst-GE), elles sont dans une situation semblable aux autres agents de l'État en raison de leur relation avec celui-ci. Ainsi, les membres des exécutifs font non seulement partie du gouvernement, un organe collégial (art. 105 al. 1 et 141 al. 1 Cst-GE), mais sont également à la tête de l'administration qu'ils dirigent (art. 106 al. 1 Cst-GE) et ont une fonction de représentation respectivement du canton (art. 111 al. 1 Cst-GE) et de la commune (art. 50 al. 1 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 - LAC - B 6 05) vis-à-vis de l'extérieur. Quant aux magistrats, ils sont tenus, comme précédemment mentionné, d'exercer leurs charges de manière indépendante et impartiale.

Les membres des autorités visés par la disposition litigieuse ne sauraient ainsi donner l'apparence d'être guidés par des convictions religieuses dans l'exercice de leurs fonctions, ni de prendre en compte une conception religieuse au détriment d'une autre dans une société pluraliste. L'art. 3 al. 3 LLE permet dès lors d'atteindre le but d'intérêt public visé de manière adéquate, en leur imposant de s'abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse, même si une telle situation pourrait les placer devant une alternative difficile, laquelle devra toutefois s'analyser au cas par cas, et non pas dans le cadre du contrôle abstrait des normes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.6). Dans ce dernier cadre, il suffit de constater qu'une interprétation conforme à la Cst. est possible, étant précisé qu'une application conforme au droit supérieur s'imposera, par exemple au sujet de la nature des propos admissibles au regard de l'art. 3 al. 3 LLE ; ainsi, une sanction disciplinaire infligée à un magistrat qui indiquerait simplement, à une occasion, à quelle confession il appartient serait a priori disproportionnée. Il en ira de même, de manière générale, de l'utilisation d'expressions usuelles de la langue française impliquant des références à une croyance.

La portée de l'art. 3 al. 3 LLE est au surplus limitée tant quant à son objet qu'à sa durée, puisqu'il s'applique, d'une part, aux seuls propos et signes extérieurs et, d'autre part, aux contacts avec le public. La disposition litigieuse respecte ainsi le principe de proportionnalité et est conforme à la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.6).

d. La situation se présente sous un autre angle s'agissant des membres du Grand Conseil et des conseils municipaux, dont la condition et la fonction ne s'apparentent pas à celles des personnes visées à l'art. 3 al. 3 LLE. Bien que la portée de l'interdiction de l'art. 3 al. 4 LLE soit limitée aux signes extérieurs lors de séances plénières et de représentations officielles, elle n'apparaît ni apte ni nécessaire à atteindre le but d'intérêt public poursuivi.

En effet, en tant que membres d'un organe législatif de milice, les parlementaires n'ont pas vocation à représenter l'État mais la société et son pluralisme, qu'ils incarnent, ce qui ressort de divers avis exprimés lors des travaux législatifs ayant mené à l'adoption de l'art. 3 al. 4 LLE. Cet article a d'ailleurs tenu compte de cette particularité en limitant l'interdiction de l'appartenance religieuse aux seuls signes extérieurs, sans égard aux propos pouvant être prononcés, lesquels demeurent libres, y compris d'un point de vue religieux. L'on ne voit ainsi pas ce qui justifierait que la même liberté ne leur soit pas accordée en matière de signes religieux extérieurs.

Imposer aux organes législatifs une totale neutralité confessionnelle, sans égards à leurs particularités, met au surplus à mal le principe démocratique exprimé à l'art. 51 Cst., qui impose aux cantons de se doter notamment d'un parlement élu au suffrage universel (ACST/15/2019 du 25 mars 2019 consid. 3b). Dans ce cadre, les membres du parlement - qui ne sont en Suisse, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau cantonal ou communal, pas des professionnels - sont censés représenter différents courants d'opinions, y compris religieuses, qui se retrouvent dans la société, le rôle de l'État n'étant pas d'éliminer ce pluralisme mais bien de le consacrer pour qu'il se traduise dans la composition des organes législatifs. Du reste, bien que cela ne soit pas déterminant, aucun canton suisse ne prévoit en l'état une telle règle pour les membres de son parlement ou de ses organes délibératifs.

L'art. 3 al. 4 LLE revient en outre, dans les faits, à créer une règle d'incompatibilité confessionnelle prohibée (ATF 114 Ia 395 consid. 8f/g), en empêchant les personnes manifestant leur appartenance religieuse d'accéder à un mandat électif, alors que la laïcité ne se présente plus comme une condition d'accès à ces fonctions. Il ne ressort d'ailleurs pas des travaux de la Constituante que celle-ci aurait voulu, lors de l'adoption de l'art. 3 Cst-GE, étendre l'exigence de neutralité confessionnelle aux membres des parlements, contrairement aux personnes exerçant une charge élective permanente comme les conseillers d'État ou les juges (Michel HOTTELIER, L'exigence de laïcité au regard de la Constitution genevoise du 14 octobre 2012, in : Frédéric BERNARD / Eleanor MCGREGOR / Diane VALLÉE-GRISEL [éd.], Études en l'honneur de Tristan Zimmermann, Constitution et religion, Les droits de l'homme en mémoire, 2017, 151-166, p. 158).

Il résulte de ces éléments que dans le cas des organes délibératifs, il est disproportionné de faire primer l'aspect institutionnel de la liberté religieuse sur son aspect individuel. Il s'ensuit que l'art. 3 al. 4 LLE, qui ne peut faire l'objet d'aucune interprétation conforme au droit supérieur, sera annulé.

11) a. Les recourants soutiennent que les dispositions attaquées consacrent une discrimination. Ce grief sera toutefois examiné en lien avec le seul art. 3 al. 3 LLE, au regard du sort réservé à l'art. 3 al. 4 LLE.

b. Une discrimination au sens de l'art. 8 al. 2 Cst. est réalisée lorsqu'une personne est juridiquement traitée de manière différente, uniquement en raison de son appartenance à un groupe déterminé historiquement ou dans la réalité sociale contemporaine, mise à l'écart ou considérée comme de moindre valeur. La discrimination constitue une forme qualifiée d'inégalité de traitement de personnes dans des situations comparables, dans la mesure où elle produit sur un être humain un effet dommageable, qui doit être considéré comme un avilissement ou une exclusion, car elle se rapporte à un critère de distinction qui concerne une part essentielle de l'identité de la personne intéressée ou à laquelle il lui est difficilement possible de renoncer (ATF 143 I 129 consid. 2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 5.1).

L'art. 8 al. 2 Cst. interdit non seulement la discrimination directe, mais également la discrimination indirecte. Une telle discrimination existe lorsqu'une réglementation, qui ne désavantage pas directement un groupe déterminé, défavorise tout particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe. Eu égard à la difficulté de poser des règles générales et abstraites permettant de définir pour tous les cas l'ampleur que doit revêtir l'atteinte subie par un groupe protégé par l'art. 8 al. 2 Cst. par rapport à la majorité de la population, la reconnaissance d'une situation de discrimination ne peut résulter que d'une appréciation de l'ensemble des circonstances du cas particulier. En tout état de cause, l'atteinte doit revêtir une importance significative, le principe de l'interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu'à corriger les effets négatifs les plus flagrants d'une réglementation étatique (ATF 145 I 73 consid. 5.1 et les références citées).

c. Contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'art. 3 al. 3 LLE ne comporte aucune discrimination, ni directe, ni indirecte. En effet, il s'applique à tous les propos et signes religieux extérieurs, indépendamment de leur type et de leur nature. Que certaines confessions adoptent des signes plus visibles que d'autres, ou rendent obligatoire le port de certains attributs vestimentaires à leurs fidèles n'y change rien et ne permet pas encore de conclure à l'existence d'une discrimination. Les travaux ayant conduit à l'adoption de cette disposition mentionnent d'ailleurs plusieurs signes religieux extérieurs, se référant tant au voile islamique qu'à la kippa juive ou à la croix chrétienne. Rien n'indique au demeurant que la disposition litigieuse serait spécifiquement dirigée contre la religion musulmane, en particulier le voile islamique, même s'il est vrai que les débats ont mentionné deux de ces cas, au demeurant exceptionnels, ou contre les femmes de manière générale. En effet, la disposition litigieuse pourrait s'appliquer également à un homme revêtant, dans les mêmes circonstances, les habits propres à une autre confession, tels la kippa précitée ou le turban sikh (voir, à ce propos, l'ATF 119 IV 260). Ce grief sera dès lors écarté.

12) S'agissant enfin du dernier grief des recourants en lien avec une violation de l'art. 35 Cst., il devient, pour autant qu'il soit justiciable, sans objet, étant donné la conformité de l'art. 3 al. 3 LLE aux droits fondamentaux invoqués et du sort réservé à l'art. 3 al. 4 LLE.

13) Il s'ensuit que le recours sera partiellement admis et l'art. 3 al. 4 LLE annulé.

14) Vu l'issue du litige, un émolument - réduit - de CHF 500.- sera mis à la charge des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- leur sera allouée, à la charge de l'État de Genève, dès lors qu'ils obtiennent partiellement gain de cause (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 juin 2018 par l'association « Les Verts genevois », Mesdames A______, B______ et C______ et Messieurs D______, E______, F______, G______ et H______ contre l'art. 3 al. 3 et 4 de la loi sur la laïcité de l'État du 26 avril 2018 ;

 

au fond :

l'admet partiellement ;

annule l'art. 3 al. 4 de ladite loi ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- aux recourants, pris conjointement et solidairement, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Fabienne Fischer, avocate des recourants, ainsi qu'au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mme Krauskopf, M. Pagan, Mme McGregor, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

C. Gutzwiller

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :