Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire
ACAPJ/6/2024 (3) du 11.09.2024 , Partiellement admis
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Décision du 23 juillet 2024
sur mesures super-provisionnelles
CAPJ 2_2024 ACAPJ/6/2024
Madame A______, recourante
représentée par Me B______, avocat
contre
Le CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE, intimé
EN FAIT :
1. A______ (ci- après : la recourante ou l’intéressée) a été élue dans la magistrature judiciaire le ______ 2010, en qualité de substitute du Procureur général, puis de procureure, avant d’être élue juge au Tribunal______ dès le ______2017.
2. L’intéressée fait l’objet deux procédures disciplinaire, en mains du Conseil supérieur de la magistrature (ci-après : le CSM ou le Conseil), soit la procédure A/__/2022 et la procédure A/__/2023, en lien avec des problèmes d’ordre organisationnel et relationnel avec le personnel du Pouvoir judiciaire travaillant dans sa juridiction.
3. Au cours du mois de février 2024, l’intéressée a requis du CSM la jonction des deux causes, ainsi que divers actes d’instructions.
Par décision DCSM/__/2024 du 15 avril 2024 prononcée sur mesures super-provisionnelles dans la cause A/____/2023, le CSM a suspendu avec effet immédiat et pour une durée indéterminée l’intéressée, sans que cette mesure n’affecte son droit à recevoir son traitement. le CSM a refusé Les membres siégeant du CSM étaient C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______ et J______, assistés de K______, greffière-juriste
4. Le 15 avril 2024 encore, le CSM a, dans le cadre de la cause A/__/2022, rendu la décision DCSM/__/2024. Il refusait de joindre les deux procédures et rejetait la demande d’acte d’instruction déposée par l’intéressée.
Les membres du CSM étaient C______, L______, E______, F______, G______, H______, I______ et J______, assistés de K______, greffière-juriste, C______ayant été récusé.
5. Le 31 mai 2024, l’intéressée a demandé – dans les procédures A/__/2022 et A/____/2023, à la suite du prononcé de la décision DCSM/__/2024 dans la cause A/__/2022 – la récusation de C______, M______, L______, E______, F______, G______, H______, I______ et J______, ainsi que de K______, greffière-juriste, soit l’ensemble des personnes ayant siégé lors du prononcé de cette décision ainsi que de M______, qui faisait partie de la délégation en charge de l’instruction de la procédure A/__/2022.
La motivation de cette ordonnance démontrait que les personnes visées s’étaient déjà déterminées sur les faits de cette procédure et n’étaient plus impartiaux. Il en allait de même dans la procédure A/____/2023 parallèlement instruite et faisant l’objet d’un pli parallèle.
6. Par deux décisions du 10 juin 2024 (DCSM/__/2024 et DCSM/__/2024), reçue par l’intéressée le 24 juin, le CSM a rejeté ces demandes de récusation.
Il était composé, dans le cadre de la décision DCSM/30/2024 concernant la cause A/__/2022, de C______, M______, E______, F______, G______, H______, J______ et I______, assistés du greffier-juriste N______.
Concernant l’ordonnance DCSM/31/2024 et la procédure A/____/2023, le CSM était composé de C______, D______, M______, E______, F______, G______, H______, J______ et I______, assistés du greffier-juriste N______.
7. Par acte mis à la poste le 4 juillet 2024 et reçu par la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire (ci-après : la Cour) le 8 juillet 2024, l’intéressée a recouru contre les deux décisions précitées, concluant principalement à leur annulation et à la récusation de C______, M______, L______, E______, F______, G______, H______, J______ et I______ et de la greffière-juriste K______.
8. Sur mesures provisionnelles, elle demandait que la procédure A/__/2022 soit suspendue jusqu’à droit jugé dans la présente cause.
9. Le 19 juillet 2024, le CSM a transmis à la CAPJ une copie de ses dossiers.
10. Le jour du prononcé de la présente ordonnance, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger, tant sur mesures provisionnelles que sur le fond.
EN DROIT :
1. Les décisions sur effet suspensif et sur mesures provisionnelles sont prises par le président, le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21, al. 2 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10) et art. 5, al. 1 du règlement de la Cour d'appel du Pouvoir judiciaire, du 26 septembre 2014 (RCAPJ - E 2 05.48)).
Lorsqu’il y a péril en la demeure, les mesures provisionnelles peuvent être prononcées à titre super-provisoire, autrement dit avant audition des parties (art. 43 et 66 LPA) (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 375 et ss).
2. Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).
Toutefois, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d'une prestation. La fonction de l'effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l'objet du contentieux judiciaire n'existait pas, l'effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d'être mis au bénéfice d'un régime juridique dont il n'a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344). Dans cette hypothèse, seul l'octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l'art. 21 LPA, est envisageable (ATA/721/2024 du 18 juin 2024 ; ATA/375/2023 du 14 avril 2023).
3. Selon la jurisprudence constante, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503, consid. 3 ; décision non numérotée du 29 mai 2018 dans la cause CAPJ_3_2018 et les références et jurisprudences citées) ou, en d’autres termes, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149, consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).
De telles mesures ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATA/222/2024 du 16 février 2024 ainsi que les références citées). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253‑420, 265).
Selon la jurisprudence, une décision incidente refusant la récusation de la personne appelée à statuer sur un recours cause en principe un préjudice irréparable (ATA/320/2024 du 04 mars 2024 ; ATA/1281/2022 du 20 décembre 2022, consid. 1 ; ATA/666/2018 du 26 juin 2018, consid. 2a).
4. En l’espèce, l’octroi de mesures supers provisionnelles, consistant à faire interdiction aux personnes visées par la demande de récusation de statuer dans la procédure A/__/2022 jusqu’à droit jugé sur le présent recours permet de sauvegarder l’objet du litige, dès lors que, si le CSM statuait dans l’intervalle avec un membre ou la greffière juriste dans la récusation et demandés, la présente procédure de recours perdrait tout son objet (ATA/165/2023 du 22 février 2023).
En revanche, il n’y a pas lieu de suspendre le délai accordé à l’intéressée pour produire des observations dans ledit dossier, dès lors que le fait de rédiger une telle écriture ne constitue en aucun cas un dommage grave et cela même si, dans l’arrêt à rendre au fond par la Cour, les récusations demandées étaient ordonnées.
5. Le sort des frais de la présente décision sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.
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LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE
− à titre de mesure super-provisionnelle, fait interdiction au CSM de procéder à tout acte dans la cause A/__/2022 avec la participation de l’une des personnes suivantes :
o C______,
o M______,
o L______,
o E______,
o F______,
o G______,
o H______,
o J______ ;
o I______ ;
o K______
et cela jusqu'à droit jugé sur le présent recours ;
− rejette, pour le surplus, la demande de mesures provisionnelles de A______ ;
− réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
− dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
− communique la présente décision à Me B______, avocat de la recourante ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature.
Le Président :
Philippe THÉLIN
Genève, le 23 juillet 2024 | La greffière :
Sonia NAINA |
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Copie conforme de la présente décision a été communiquée à Me B______, conseil de A______ et au Conseil supérieur de la magistrature, par pli recommandé.