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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/10087/2021

CAPH/130/2023 du 19.12.2023 sur JTPH/374/2022 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 01.02.2024, 4A_69/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10087/2021-1 CAPH/130/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 19 DECEMBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, France, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 19 décembre 2022 (JTPH/374/2022), représenté par Me J.-Potter Van LOON, avocat, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,

et

B______/1______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Fabien RUTZ, avocat, PYXIS LAW, rue de Hesse 16, case postale 1970, 1211 Genève 1.


EN FAIT

A.           Par jugement du 19 décembre 2022, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes a déclaré irrecevables la demande formée le 18 octobre 2021 par A______ contre B______/1______ SA (ch. 1), et la conclusion du précité visant à la constatation de ce qu'il était lié par contrat de travail à la précitée (ch. 2), et déclaré recevables les écritures respectives des parties (ch . 3 et 4).

Statuant sur les frais, il a arrêté les frais de la procédure à 1'250 fr., compensés avec l'avance opérée, les a mis à la charge de A______, auquel 3'750 fr. devaient être restitués, dit qu'il ne serait pas alloué de dépens (ch. 5 à 9), et a débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 10).

B.            Par acte du 1er février 2023, A______ a formé appel contre le jugement précité. Il a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait principalement à ce que soit constaté que "la Juridiction des Prud'hommes est compétente à raison de la matière pour dire droit sur la demande en paiement", que soit dit qu'un contrat de travail le liait à B______/1______ SA, à ce que cette dernière soit condamnée à lui verser 625'000 fr., avec suite d'intérêts moratoires à diverses dates, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision, avec suite de frais et dépens.

B______/1______ SA a conclu à la confirmation de la décision attaquée, avec suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 22 septembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           a. B______/1______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a notamment pour but la création, la fabrication et la commercialisation de produits d'horlogerie, d'orfèvrerie, et de composants horlogers et industriels.

Elle appartient au groupe B______, lequel détient encore, notamment. B______/2______ SA, société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, B______/3______ BC (antérieurement B______/4______ BV), entité de droit néerlandais, C______ LTD, entité de droit anglais, et C______ (EUROPE) SA, entité de droit luxembourgeois.

D______ et E______ sont deux des six administrateurs de B______/1______ SA.

b.      Le 18 octobre 2021, A______ a saisi le Tribunal d'une demande par laquelle il a conclu à ce qu'il soit constaté qu'il était lié par un contrat de travail à B______/1______ SA et à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser 625'000 fr. avec suite d'intérêts moratoires à compter de diverses dates, ainsi que de frais et dépens, à titre de salaires et treizièmes salaires de janvier 2015 à mai 2021.

Il a allégué (n. 3) qu'il avait été employé du groupe B______ pendant 24 ans. Il a offert en preuve de son allégué l'audition des parties, trois contrats, et des extraits d'un compte bancaire ouvert auprès de [la banque] F______ au nom de "G______ A______, rue 5______ no. ______, [code postal] H______, France", de janvier 2015 à avril 2020.

Le premier de ces contrats, rédigé en anglais, intitulé "Work for hire/consulting agreement" et soumis au droit néerlandais, lie [la société de consulting] G______ à B______/4______ BV, le deuxième, rédigé en anglais, portant le même intitulé que le précédent et soumis au droit anglais, lie G______ à C______ LTD, et le troisième, intitulé "Convention de consultant" et soumis au droit luxembourgeois, lie G______ à C______ (EUROPE) SA. Le premier contrat est entré en vigueur le 1er février 2002, le deuxième le 1er février 2005 et le troisième le 1er décembre 2008. Les deux premiers contrats comportent des annexes qui stipulent une rémunération "fee" de 10'383 fr. par mois puis de 13'000 fr. par mois puis de 15'167 fr. par mois, respectivement de 20'000 fr. par mois, et le troisième contrat une annexe stipulant des "honoraires mensuels" de 21'670 fr. par mois.

A l'appui d'un allégué consacré à la conclusion des trois contrats précités (n. 44), A______ a encore offert en preuve, outre les titres visés à l'allégué 3, des relevés du compte bancaire susmentionné, de janvier 2012 à décembre 2014, lesquels ne comportent pas de crédits provenant de B______/1______ SA mais des crédits provenant de C______ LTD.

En ce qui concerne G______, il a allégué qu'il était "désigné sous la raison individuelle française", soit – à teneur de la pièce produite (extrait "infogreffe") - une entreprise non inscrite au Registre du commerce et des sociétés, le faisant apparaître comme "entrepreneur individuel", dont l'activité est la suivante: "Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion".

A______ a encore allégué qu'il avait "toujours travaillé", et exclusivement, pour le groupe B______ sur le site de la route 6______ à I______ [GE]; il a offert en preuve de cet allégué l'audition des parties et de témoins dont il n'a pas spécifié l'identité. Il disposait d'une adresse de courriel A______@B______.ch, faisant partie d'une liste de distribution de tous les employés du groupe B______, et d'une ligne téléphonique interne; il avait accès à l'administrateur D______ "de manière régulière". Il recevait des instructions et directives "notamment par le biais" du directeur de B______/1______ SA (offrant en preuve de cet allégué, outre l'audition des parties et de témoins, deux courriels adressés en 2019 à divers destinataires, émanant dudit directeur, requérant pour l'un – rédigé en français – la présence de ceux-ci "à une séance concernant notre nouvelle procédure de facturation pour 2020", pour l'autre – rédigé en anglais – informant les "Dear Agents" au sujet de la "new invoicing procedure for 2020").

En ce qui concerne son activité, il a allégué qu'il s'occupait de la distribution de montres de la marque B______, soit la supervision, la coordination et le contrôle de la gestion des commandes, des paiements ainsi que des expéditions de ces montres, de même que de la représentation du groupe lors des "événements officiels dont notamment les salons d'horlogerie et autres manifestations publiques". Il a offert en preuve de ces allégués, outre l'audition des parties et celle de témoins non spécifiés, diverses pièces dont il n'a pas détaillé le contenu. Il a également allégué que B______/1______ SA était considérée comme la "société principale" au sein du groupe B______, en charge de la distribution des montres (par des ventes en faveur de C______ (ASIA) J______ [Émirats arabes unis], C______ (AMERICAS) INC et C______ (EUROPE) SA pour les produits destinés à l'étranger jusqu'en 2020), non au siège de celle-ci, no. 7______ route 6______ à I______, mais sur le site B______/2______, no. 8______ route 6______ à I______.

S'agissant des montants versés sur le compte bancaire susmentionné, il a allégué qu'il s'agissait de salaire, dont le montant annuel net convenu y compris le treizième salaire était de 260'000 fr., soit 20'000 fr. mensuels payés treize fois l'an. Il n'a pas allégué le contenu des extraits bancaires produits entre janvier 2015 et mai 2021, se limitant à affirmer n'avoir reçu "que CHF 15'000.- par mois au lieu de CHF 21'667.-" de janvier 2015 à mars 2020, versés "à hauteur de ¾" par B______/1______ SA et "à hauteur de ¼" par C______ (EUROPE) SA. Ces extraits révèlent notamment des virements de 19'988 fr. en décembre 2015 (10'000 fr. de B______/1______ SA et le solde de C______ (EUROPE) SA), 25'000 fr. en janvier 2016 (20'000 fr. de B______/1______ SA et le solde de C______ (EUROPE) SA), 25'000 fr. en novembre 2016 (20'000 fr. de B______/1______ SA et le solde de C______ (EUROPE) SA, 25'000 fr. en décembre 2016 (idem), 24'988 fr. en janvier 2017 (10'000 fr. de B______/1______ SA et le solde de C______ (EUROPE) SA), 10'000 fr. en février 2017 de B______/1______ SA, 20'000 fr. en mars 2017 (10'000 fr. de B______/1______ SA et le solde de C______ (EUROPE) SA).

A______ a encore produit des décomptes intitulés "honoraires" libellés, en euros, à l'adresse de B______/1______ SA, avec la mention "paiement à réception sans escompte. Prestation exonérée de TVA selon l'article 196 DIR: 2006/112 CE", en juin 2015, juin 2016, juin 2017, juin 2018, juin 2019, février, juillet, novembre et décembre 2020, ainsi que janvier 2021. A leur sujet, il a allégué qu'il s'agissait de réclamations de la "différence entre le salaire reçu et le salaire dû, soit CHF 6'160.- par mois", qu'il aurait déposées sur le bureau de l'administrateur D______; celui-ci aurait répondu, à une date indéterminée, que "cela allait arriver".

Au sujet de la fin des rapports contractuels, il a allégué qu'il était "resté fidèle au poste" après le mois d'avril 2020 en dépit de ce que plus aucun "salaire" ne lui était versé, offrant en preuve de son allégué, outre l'audition des parties et de témoins non spécifiés, divers courriels expédiés en juillet et août 2020 dont il n'a pas détaillé le contenu. Il a produit un courrier de son conseil du 20 avril 2021 adressé à B______/2______ SA, dans lequel il était fait valoir que la situation devenait insoutenable, faute de paiement, et notamment relevé que de janvier 2015 à janvier 2020, le "salaire mensuel" avait été reçu à raison de 2/3 de B______/1______ SA et d'1/3 de C______ (EUROPE) SA. Il a encore produit un courrier électronique émanant de E______, envoyé à "B______9______" le 29 avril 2021 sous l'intitulé "L______" [prénom], comportant notamment la phrase suivante: "Pour information, L______ [même nom de famille que A______] ne travaille plus dans l'entreprise", ainsi qu'une lettre datée du 6 mai 2021 adressée à B______/1______ SA, aux termes de laquelle il déclarait résilier son contrat de travail pour justes motifs, à savoir qu'il avait "eu le droit à un bureau vidé ainsi qu'à une agression physique et morale" le 30 avril précédent.

c. Par ordonnance du 21 décembre 2021, le Tribunal a imparti à B______/1______ SA un délai de trente jours dès réception pour répondre,

A la requête de la précitée, le délai a été prolongé au 28 février 2022 puis au 31 mars 2022 (avec la mention qu'il s'agissait d'un "ultime délai"), par des ordonnances signées "Le Président: p.o. le Greffier", communiquées aux deux parties.

Par courrier du 25 mars 2022, B______/1______ SA a requis une "très brève et ultime prolongation de délai au mardi 5 avril 2022". Une mention manuscrite: "Ai confirmé ce jour par tel. à Me K______ que sa nouvelle requête en prolongation lui est exceptionnellement accordée au 5.4.2022!", suivie de la date du 29 mars 2022 et d'une signature, a été apposée sur ce courrier. Le dossier ne comporte pas de trace d'information communiquée à B______/1______ SA s'agissant de cette nouvelle prolongation de délai.

d. Le 5 avril 2022, B______/1______ SA a déposé sa réponse. Elle a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais.

Elle a fait notamment valoir que diverses entités du groupe B______ auquel elle appartient, dont elle-même, avaient fait appel aux services de conseils de G______. Elle a allégué que des honoraires avaient été versés par celles-ci, y compris par elle-même en particulier entre janvier 2015 et septembre 2016 pour un total de 130'000 fr.

Elle a admis que certaines prestations avaient été faites par G______, représentée par A______, dans ses locaux ou ceux d'autres entités du groupe B______, qu'une ligne téléphonique directe avait été mise à la disposition du précité ainsi qu'une adresse de messagerie électronique, comme il était pratiqué pour des prestataires et consultants externes et indépendants, et que D______ avait rencontré à quelques reprises A______ à l'instar d'autres prestataires et consultants.

S'agissant de la fin des rapports contractuels, elle a allégué que les derniers contrats de consultant encore en vigueur entre les sociétés du groupe et G______ avaient été résiliés en février 2020, ce que A______ savait, et que les correspondances postérieures qui laissaient entendre encore un lien contractuel procédaient d'une erreur, à savoir que l'adresse électronique mise à disposition n'avait pas été désactivée ni retirée de la liste de distribution. Elle a allégué que B______/2______ SA avait, par lettre du 18 mai 2021, contesté le contenu du courrier expédié par le conseil de A______ le 20 avril 2021, exposant que ce dernier avait été lié par contrats de mandat à des sociétés du groupe B______, résiliés en février 2020

Elle a, entre autres titres, produit copie d'un procès-verbal de l'audience tenue par le Tribunal des prud'hommes le 29 octobre 2018 dans la cause C/10______/2015, dont elle a indiqué qu'elle l'opposait à l'un de ses anciens employés. A teneur de ce procès-verbal, A______ a été entendu en qualité de témoin exhorté à dire la vérité et rendu attentif aux conséquences d'un faux témoignage au sens de l'art. 307 CP; il a notamment déclaré ce qui suit: "Actuellement, je suis toujours mandaté par la défenderesse en qualité de consultant. Je travaille avec la défenderesse depuis une vingtaine d'années. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai été amener à travailler avec le demandeur. […] Je confirme que ma société figure dans ce relevé. Il s'agit de la société G______. […] Je suis mandaté pour préparer des tableaux de bord. […]". Elle a allégué le contenu de cette pièce (n. 185 à 189).

e. Par ordonnance du 14 avril 2022, le Tribunal a imparti à A______ un délai de trente jours dès réception pour répliquer sur compétence à raison de la matière et à B______/1______ un délai de trente jours dès réception de la réplique pour dupliquer.

Par courrier du 9 mai 2022, A______ a relevé l'irrecevabilité du dépôt de la réponse, intervenu hors le délai prolongé au 31 mars 2022, et fait valoir l'impraticabilité des déterminations de la réponse sur ses allégués, réponse dont elle a requis la rectification.

Le 13 mai 2022, le Tribunal a envoyé à A______ copie de l'annotation manuscrite apposée sur la lettre de B______/1______ du 25 mars 2022, et dit qu'il ne serait pas fait droit à la rectification requise.

Par réplique du 16 août 2022, A______ a conclu au déboutement de B______/1______ "de sa requête en déclinatoire" et persisté dans ses conclusions de fond.

Il a en particulier allégué que G______ n'avait pas de personnalité juridique et qu'il s'agissait d'un logo. Au sujet des allégués 185 à 189 de la réponse, il s'est déterminé par les termes "contesté", respectivement "contesté irrelevant pour ce qui concerne le cas du demandeur", sans autre précision.

f. Le 20 octobre 2022, le Tribunal a notamment annoncé qu'il allait prochainement délibérer.

EN DROIT

1.             1. L'appel a été interjeté contre une décision finale (308 al. 1 let. a CPC), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans le délai utile de trente jours (art. 142 al. 1 et 3, 143 al. 1, 145 al. 1 let. c et 311 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 131 et 311 CPC). Il est dès lors recevable, sous réserve de ce qui suit.

L'écriture d'appel comporte inutilement la reproduction des 103 allégués de fait de la demande. Elle ne contient en revanche pas de critiques portant sur les chiffres 3 et 4 du dispositif de la décision attaquée, de sorte que l'appel est irrecevable sur ces points.

1.2 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC).

La présente procédure est régie par la maxime des débats, qui prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC).

2.             L'appelant reproche au Tribunal de ne pas avoir retenu dans la partie en fait de son jugement certains de ses allégués; ceux-ci ont été incorporés, en tant qu'ils étaient pertinents, dans l'état de fait dressé ci-dessus.

3.             L'appelant fait grief aux premiers juges d'avoir admis la réponse de l'intimée, puis de s'être déclarés incompétents à raison de la matière pour connaître de ses conclusions.

3.1 Le tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).

Il n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action (art. 59 al. 1 CPC). Ces conditions sont notamment: le tribunal est compétent à raison de la matière et du lieu (art. 59 al. 2 let. f CPC).

3.2. Le canton de Genève a institué une juridiction spécialisée - le Tribunal des prud'hommes - pour juger " [d]es litiges découlant d'un contrat de travail, au sens du titre dixième du Code des obligations " (art. 1 al. 1 let. a LTPH).

Il s'ensuit que l'existence d'un contrat de travail est un fait doublement pertinent, soit un fait déterminant pour la compétence du tribunal comme pour le bien-fondé de l'action (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2).

Conformément à la théorie de la double pertinence, le juge examine sa compétence uniquement sur la base des allégués, moyens et conclusions de la demande, sans tenir compte des objections de la partie défenderesse, et sans procéder à aucune administration de preuves. Les faits doublement pertinents n'ont pas à être prouvés, mais sont censés établis sur la seule base des écritures du demandeur. Il faut et il suffit que le demandeur allègue correctement les faits doublement pertinents, c'est-à-dire de telle façon que leur contenu permette au tribunal d'apprécier sa compétence. Si les faits doublement pertinents ne doivent pas être prouvés, cela ne dispense toutefois pas le juge d'examiner s'ils sont concluants (schlüssig), c'est-à-dire s'ils permettent juridiquement d'en déduire le for invoqué par le demandeur (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2; 141 III 294 consid. 5.2 et 6.1).

La théorie de la double pertinence autorise ainsi le juge saisi à admettre sa compétence sans en vérifier toutes les conditions, par exemple à se déclarer compétent alors même que l'existence d'un contrat de travail n'a pas été établie (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2).

Si, lors de l'examen de sa compétence, fondé sur l'analyse restreinte aux éléments précités, le juge aboutit à la conclusion qu'il n'est pas compétent (par exemple, parce qu'un contrat de travail ne peut pas être retenu), il doit déclarer la demande irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_429/2020 consid. 2.1; cf. ATF
141 III 294 consid. 5.2).

Le Tribunal fédéral a considéré que la théorie de la double pertinence était justifiée dans son résultat (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2; 141 III 294 consid. 5.2).

Il n'est fait exception à l'application de la théorie de la double pertinence qu'en cas d'abus de droit de la part du demandeur, par exemple lorsque la demande est présentée sous une forme destinée à en déguiser la nature véritable et à éluder la règle de for applicable, ou lorsque les allégués sont manifestement faux (ATF 147 III 159 consid. 2.2; 141 III 294 consid. 5.3; 136 III 486 consid. 4; 66 II 179 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_484/2018 du 10 décembre 2019 consid. 5.2; 4A_510/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2; 4A_573/2015 du 3 mai 2016 consid. 5.2.3; 4A_28/2014 du 10 décembre 2014 consid. 4.2.2), ou que la thèse de la demande apparaît d'emblée spécieuse ou incohérente, ou se trouve réfutée immédiatement et sans équivoque par la réponse et les documents produits par la partie adverse (ATF 137 III 32 consid. 2.3; 136 III 486 consid. 4; arrêts du Tribunal fédéral 4A_484/2018 précité consid. 5.2; 4A_630/2011 du 7 mars 2012 consid. 2.2 non publié in ATF 138 III 166; 4A_31/2011 du 11 mars 2011 consid. 2). Dans ces situations d'abus, la partie adverse doit être protégée contre la tentative du demandeur de l'attraire au for de son choix (ATF 147 III 159 consid. 2.2; 141 III 294 consid. 5.3; 136 III 486 consid. 4; arrêts précités 4A_573/2015 consid. 5.2.3; 4A_28/2014 consid. 4.2.2).

3.3 En l'espèce, l'appelant se plaint de ce que la réponse de l'intimé a été admise par les premiers juges; il soutient qu'elle aurait été déposée hors délai, faute d'ordonnance prolongeant celui qui avait été imparti et qu'il s'agissait de statuer dès lors en application de l'art. 223 CPC. Ce faisant, il méconnaît que le Tribunal a, le 29 mars 2022, certes sous une forme manuscrite et dont la communication à son endroit a été tardive, rapporté sa précédente ordonnance, et fait droit à la requête de prolongation motivée qui lui était soumise (art. 144 al. 2 CPC). Le grief tombe ainsi à faux.

Pour le surplus, il sera rappelé que la recevabilité de la demande est examinée d'office, en particulier sous l'angle de la compétence ratione loci et materiae.

Le Tribunal a retenu qu'il y avait lieu, en l'occurrence, de faire exception à la théorie des faits de double pertinence au motif que la thèse présentée par l'appelant apparaissait d'emblée spécieuse et incohérente. Cette conclusion suit immédiatement la constatation que l'appelant n'aurait pas démontré, ou rendu vraisemblable, l'existence d'un contrat de travail, de sorte qu'il peut être supposé qu'il s'agit là du motif déterminant pour les premiers juges.

Quoi qu'il en soit du bien-fondé de cette constatation, elle n'est pas propre, en elle-même, à fonder la qualification d'une thèse spécieuse (soit susceptible de tromper) encore moins incohérente.

Cela étant, il apparaît que l'appelant – personne physique – a formulé des allégués portant sur une relation de travail avec l'intimée – société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois –, soumise au droit suisse, et dont le for du lieu d'exécution du travail serait à Genève, et conclu à l'octroi d'une rémunération de 2015 à 2021. A l'appui de ces allégués, il s'est fondé, essentiellement, sur trois contrats portant le titre de "consulting", conclus, selon leur lettre, entre une structure de droit français (dont il affirme qu'elle n'a pas la personnalité juridique) et des entités de droit néerlandais, anglais et luxembourgeois respectivement, comportant des clauses d'élection de droit en faveur du droit anglais, du droit néerlandais et du droit luxembourgeois, datant respectivement de 2002, 2005 et 2009.

Au vu des écarts patents entre ses allégations et les pièces produites en vue de les démontrer, l'appelant, pour soutenir sa thèse, se devait d'apporter, point par point, les faits propres à circonstancier au premier chef la conclusion des contrats produits, en particulier sous l'angle des parties contractantes, du libellé ainsi que du contenu de ces contrats.

Dans sa demande, il n'a rien allégué sur le sujet, ni n'a développé d'argument de droit à ce propos. Il n'a singulièrement pas fait valoir la simulation dont il se prévaut pour la première fois dans son appel, et n'a pas apporté au procès de première instance de faits destinés à prouver que la volonté réelle des parties (qui ne comprenaient pas l'intimée) aux contrats de 2002, 2005 et 2008, – soit à trois reprises successives – divergerait des déclarations reproduites dans ces accords écrits. Or, comme le rappelle le Tribunal fédéral, au demeurant cité par l'appelant, savoir si les parties avaient la volonté (réelle) de feindre une convention revient à constater leur volonté interne au moment de la conclusion du contrat, soit un élément factuel (cf arrêt du Tribunal fédéral 4A_484/2018 du 10 décembre 2019 consid. 4.1).

L'appelant s'est limité à alléguer qu'il avait fourni "une prestation de travail continue" et exclusive en faveur de l'intimée, avec laquelle il était en lien de subordination (sans alléguer le contenu des pièces offertes en preuve sur ce point, comme l'a justement relevé le Tribunal). Il s'est certes référé à quelques circonstances spécifiques, admises par l'intimée, relatives à des correspondances, notamment l'existence d'une messagerie (A______@B______.ch) à son nom au sein du groupe B______, comprise dans une liste de distribution dudit groupe, à divers courriels de 2010 à 2020, à une présence non contestée dans des locaux de ce groupe, au fait qu'il avait "accès" à un administrateur de certaines sociétés du groupe et avait perçu durant un laps de temps long une rémunération qualifiée de fixe. Il a encore fait grand cas d'un courriel émanant du directeur d'une société du groupe comportant, à son sujet, la mention qu'il ne "travaill[ait] plus dans l'entreprise".

Contrairement à ce que prétend l'appelant, le Tribunal a pris en compte les allégués précités (hormis l'accès à l'administrateur, dont il n'a pas été explicité ce qu'il révélerait de décisif en l'occurrence), certes sans administrer la totalité des preuves offertes s'agissant de ceux d'entre eux qui demeuraient contestés. Il les a appréciés, pour retenir qu'ils n'étaient pas dépourvus de toute pertinence sous l'angle de la qualification prétendue de contrat de travail, mais qu'ils étaient également pertinents voire concluants sous l'angle d'une autre qualification juridique plus conforme aux contrats produits, étant précisé qu'il n'était pas contesté que l'appelant avait – au travers d'une entité selon l'intimée – développé des activités en faveur du groupe B______, dans des locaux de celui-ci, avec la disposition de certains moyens de communication dudit groupe et au milieu de "collègues", activités rémunérées (sur la base de factures soumises selon l'intimée).

Quant au courriel susmentionné, qui n'émane au demeurant pas de l'intimée selon la mention y figurant, il n'est pas particulièrement révélateur. Les termes "travailler pour" constituent un indice bien étique en faveur de l'existence d'un contrat de travail au sens de l'art. 319 CO, puisqu'ils sont couramment employés au sujet d'artisans, d'entrepreneurs, de mandataires, d'agents, ou de courtiers par exemple. Il en va de même de la référence à un ou des collègue(s), et des deux courriels adressés par le directeur de l'intimée, au contenu anodin, supposés démontrer un lien de subordination.

Aucun élément pertinent ne peut non plus être tiré des extraits de compte produits, l'appelant n'en ayant pas allégué le contenu de façon précise, étant relevé que celui-ci semble considérablement différer de ce qu'il affirme, tant en termes de montants que de provenance des crédits, et n'étant en tout état pas propre à nourrir la qualification prétendue de salaire fixe et régulier. Aucune explication n'a de surcroît été donnée s'agissant du libellé des notes d'honoraires supposément soumises annuellement à l'administrateur D______, ni s'agissant de la ventilation prétendue des crédits (à raison d'un tiers ou d'un quart à charge d'une autre entité que l'intimée ou à la charge de celle-ci, selon que l'on lit le courrier d'avocat de l'appelant du 20 avril 2021 ou la demande).

Pour le surplus, le Tribunal a retenu à raison que l'appelant n'avait formé aucun allégué sur des points typiques d'un contrat de travail, tels les vacances, les horaires, le sort du salaire en cas d'assurance maladie, les charges sociales voire la situation fiscale. L'appelant n'adresse d'ailleurs aucune critique aux premiers juges à cet égard, demeurant muet sur ce point du jugement.

S'y ajoutent encore les allégués, au contenu peu détaillé, portant sur la fin des rapports contractuels, dont il semble résulter que l'appelant aurait fourni une prestation non rémunérée durant une année environ, sans émettre de protestations antérieurement au courrier de son avocat d'avril 2021, adressé à une entité du groupe B______ qui n'était pas l'intimée. L'existence de quelques courriels produits aux fins de démontrer une supposée activité durant le laps de temps d'une année entre le dernier versement reçu et le courrier précité, qui datent de juillet et août 2021, dont la substance n'a pas été alléguée, ne sont pas particulièrement concluants; au demeurant, l'invocation à cet égard d'oubli de suppression de l'adresse électronique de l'appelant dans la liste de distribution de l'intimée, telle que présentée par celle-ci, n'est pas dépourvue de vraisemblance.

Enfin, il est à relever que l'appelant n'a pas fourni d'explication relative à sa déclaration au Tribunal, en qualité de témoin assermenté et rendu attentif aux conséquences pénales attachées à un faux témoignage, dans le cadre de la cause C/10______/2015, se limitant à une détermination "contesté" s'agissant des allégués de réponse de l'intimé portant sur la déclaration précitée. Or celle-ci est manifestement contraire à la thèse qu'il soutient dans la présente procédure.

En définitive, au vu de ce qui précède, l'argumentation de la demande de l'appelant repose de façon première sur des contrats dont rien ne laisse apparaître un for en faveur d'une juridiction de droit du travail à Genève ainsi que sur des allégués lacunaires voire contradictoires – en particulier en tant qu'ils sont rapportés à sa propre déclaration de témoin assermenté dans une autre cause, pièce produite par l'intimée, emportant une réfutation immédiate et sans équivoque des allégués de la demande. Elle apparaît donc abusive, de sorte qu'elle ne mérite pas de protection.

Ainsi, le Tribunal a retenu à raison l'existence d'un abus de droit, soit un cas dans lequel il est fait exception à l'application de la théorie de la double pertinence, partant a déclaré irrecevable la demande de l'appelant.

Il s'ensuit que le grief dirigé contre le chiffre 1 du dispositif de la décision attaquée sera confirmé, ce qui englobe, dans son résultat, le chiffre 2 de ce dispositif, dépourvu de portée propre.

4. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 2'000 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 1 :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé par A______ contre le jugement JTPH/374/2022 rendu par le Tribunal des prud'hommes le 19 décembre 2022, en tant qu'il vise les chiffres 1 et 2 ainsi que 5 à 10 du dispositif dudit jugement, et irrecevable pour le surplus.

Au fond :

Confirme les chiffres 1, 2 et 5 à 10 de ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, juge employeur; Monsieur Roger EMMENEGGER, juge salarié; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.