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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/7216/2021

CAPH/119/2023 du 13.11.2023 sur JTPH/292/2022 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 25.12.2023, 4A_617/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7216/2021-2 CAPH/119/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

 

Entre

 

A______ SA, sise ______ [VD], appelante d’un jugement rendu par le Tribunal des prud’hommes le 23 septembre 2022 (JTPH/292/2022), représentée par Me Francesco LA SPADA, avocat, Etude De-Beaumont, 3, rue De-Beaumont, 1206 Genève,

 

Et

 

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Emma LIDEN, avocate, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4.

 

 


EN FAIT

 

A.           Par jugement JTPH/292/2022 du 23 septembre 2022, notifié le jour même, le Tribunal des prud'hommes a condamné l’employeuse A______ SA à verser au travailleur B______ une somme nette de 15'000.- fr., avec suite d’intérêts, au titre d’indemnité pour licenciement abusif. Les premiers juges ont considéré que le licenciement notifié à B______ présentait un caractère abusif compte tenu des circonstances dans lesquelles il avait été notifié et au regard de l’âge de l’intéressé, jugeant que le motif économique invoqué par l’employeuse pour justifier sa décision s’effaçait derrière un motif qui tenait à la personnalité de l’intéressé au regard notamment de son âge.

B.            Par acte du 26 octobre 2022, A______ SA interjette appel à l’encontre de ce jugement, reprochant essentiellement au Tribunal de n’avoir pas pris en considération les circonstances économiques de l’entreprise qui avaient justifié le licenciement du travailleur. Par mémoire du 1er décembre 2022, B______ a conclu au déboutement de l’appel et a formé appel joint tendant à la condamnation de A______ SA de lui verser une indemnité pour licenciement abusif d’un montant de 25'000.- fr. A l’appui de son argumentaire, B______ a invoqué la violation par l’employeuse d’un devoir de protection accru, compte tenu de son âge et de son ancienneté dans l’entreprise, et a nié le motif économique invoqué comme seule raison de la fin des rapports de travail. Au regard des circonstances qui avaient entouré la décision de licenciement et la faute grave, à ses yeux, de l’entreprise, il concluait que le jugement soit réformé concernant la quotité de l’indemnité qui devait être portée à 25'000.- fr.

Les parties ont répliqué et dupliqué par actes respectifs des 20 janvier et 23 février 2023.

Les arguments développés par les parties dans leurs écritures seront repris dans la mesure utile.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :

a)           B______, né le ______ 1958, a été engagé par A______ SA (ci-après « A______ ») à compter du 1er juin 2001 en qualité de boulanger. Le salaire de départ mensuel était fixé à 3'800.- fr. bruts pour 42 heures de travail, la convention collective de travail de la boulangerie, pâtisserie, confiserie artisanale suisse s’appliquant à la relation. A la fin des rapports de travail, la rémunération mensuelle de l’intéressé s’élevait à 4'614.- fr.

b)          Selon le contrat de travail conclu entre les parties le 3 juillet 2001, B______ était affecté à l’atelier-laboratoire de C______ [GE] où il exerçait une activité de fabrication, en compagnie d’un second employé qui exécutait les mêmes tâches.

c)           En 2016, durant les travaux de rénovation de C______, le laboratoire de fabrication fut fermé. B______ fut alors affecté au laboratoire de D______ [GE] jusqu’au réaménagement de C______.

d)          A la réouverture de C______, B______ fut à nouveau affecté au laboratoire de C______, mais il exerçait son activité seul, sa collègue de fabrication étant restée travailler au laboratoire de D______. L’employeur a justifié avoir procédé à une réorganisation des activités de ce laboratoire en raison de la concurrence et de la diminution du chiffre d’affaires et décidé de réduire le personnel de production de C______. L’employeuse invoquait notamment que le nouveau laboratoire de C______ était plus petit et que des travaux de fabrication (pétrissage, cuisson de certains produits) étaient effectués directement au laboratoire de D______.

e)           Les parties divergent sur les plaintes qui auraient été formulées par B______ concernant un surcroît de travail lié à cette nouvelle organisation. L’employé a indiqué s’être plaint à plusieurs reprises auprès de sa hiérarchie de difficultés liées à cette réorganisation et son obligation de devoir exécuter seul les tâches qui auparavant étaient effectuées par deux employés.

A______ a contesté que des plaintes lui auraient été formulées à cet égard et nié avoir reçu des réclamations concernant cette nouvelle organisation.

f)       L’employeuse a notifié à son employé, en date du 8 janvier 2019, un avertissement lui reprochant la gestion de la marchandise dans le laboratoire de C______ et la conservation de produits périmés. Il était en outre spécifié que des collaboratrices du secteur vente se plaignaient du comportement de B______ à leur endroit. Cet avertissement a été contesté par courrier de B______ du 14 janvier 2019, tant en ce qui concerne la gestion de la marchandise que le prétendu comportement à l’encontre de ses collègues. Dans sa communication précitée, il s’est plaint auprès de son employeur de travailler seul au laboratoire de production de C______ pour effectuer des tâches qui auparavant étaient réalisées par deux personnes. Il ne comprenait ainsi pas la pression que mettait à son endroit un responsable de l’entreprise.

g)      En raison de la pandémie covid-19, B______, au même titre que ses collègues, a été mis au chômage technique à compter du 18 mars 2020 et ceci jusqu’au 27 mai 2020. Les laboratoires de fabrication, comme les magasins de vente, ont été fermés durant cette période.

h)     A la reprise des activités de l’entreprise, le 27 mai 2020, l’employeuse informa B______ qu’elle dénonçait son contrat de travail pour le 31 août 2020.

i)        Un certificat de travail intérimaire fut établi le 3 juillet 2020, indiquant que B______ avait travaillé à l’entière satisfaction de l’employeur, qu’il s’était acquitté de ses tâches avec sérieux, rigueur et ponctualité et qu’il représentait un excellent professionnel. Personne dynamique et ponctuelle, apprécié de ses collègues et de ses supérieurs, l’entreprise indiquait qu’elle pouvait compter sur sa présence dès lors qu’il n’était jamais absent de son poste de travail.

j)       Sous la plume du syndicat E______, B______, par courrier du 15 août 2020, s’est opposé à son licenciement en indiquant être la victime d’un licenciement abusif au sens de la loi et invitant l’entreprise à formuler les motifs réels de ce licenciement. Par courrier du 19 août 2020, A______ a justifié le licenciement de l’intéressé par la fermeture du laboratoire de C______ auquel était affecté B______. Il était indiqué que la période covid avait déstructuré les activités de l’entreprise qui avait dû faire face à des baisses drastiques des ventes, impliquant une réduction de la production de la marchandise qui justifiait la fermeture du laboratoire de C______. Le licenciement du travailleur était ainsi motivé par des considérations économiques.

k)     L’entreprise a requis B______ d’effectuer son préavis dans le laboratoire de D______ où il avait précédemment travaillé en 2016 lors de la fermeture du local de C______ et le travailleur a effectué cette activité jusqu’au 26 août 2020, date à laquelle il s’est trouvé en incapacité de travail pour cause de maladie. Par courrier du 9 novembre 2020, l’assurance perte de gain de l’entreprise, F______, informait B______ qu’une reprise de son activité professionnelle pouvait être exigée à compter du 1er décembre 2020 et que seul un rapport médical détaillé serait pris en considération pour examiner le bien-fondé d’une prolongation du versement des indemnités journalières. L’employeuse a alors requis B______ de reprendre son poste de travail le 1er décembre 2020 à 6.00 heures au laboratoire de D______ pour effectuer le solde de son préavis, dont l’échéance était reportée au 15 décembre 2020. B______ ne s’étant pas présenté à son poste le 1er décembre 2020, il lui fut indiqué par courrier du même jour que, faute de se présenter jusqu’au 4 décembre pour honorer son délai de préavis, cette absence serait considérée comme abandon de poste.

l)        B______ a produit auprès de l’assurance perte de gain de nouveaux certificats médicaux émanant de spécialistes qui ont conduit l’assurance à prolonger le versement d’indemnités journalières au-delà du 1er décembre 2020. L’échéance du préavis a, par la suite, été repoussée jusqu’au 28 février 2021, date à laquelle le délai de protection de 180 jours était arrivé à son terme.

D.           Par demande non conciliée du 13 septembre 2021, B______ a assigné A______ SA en paiement des sommes de 29'991.- fr. nette au titre d’indemnité pour licenciement abusif et 15'000.- fr. nette au titre d’indemnité pour tort moral. A l’appui de sa réclamation, B______ a indiqué que le licenciement qui lui avait été notifié avait un caractère abusif dès lors qu’il avait été licencié alors qu’il était âgé de 62 ans, après 19 années de service. De plus, son employeur s’était montré particulièrement agressif et avait maintenu une pression sur lui afin qu’il vienne travailler durant son délai de congé nonobstant une incapacité de travail qui était attestée par un rapport médical. Il sollicitait ainsi, au titre d’indemnité, le versement de 6 mois de salaire. En outre, considérant que son employeur avait porté atteinte à sa personnalité et qu’il n’avait pris aucune mesure pour remédier à une situation de détérioration qui lui avait été rapportée, il réclamait une indemnité nette de 15'000.- fr. à titre de tort moral. A l’appui de sa demande, il produisait notamment deux rapports médicaux établis en novembre 2020 et juillet 2021, mentionnant un contexte d’épisodes dépressifs majeurs et d’anxiété faisant suite à un licenciement et un deuil récent, ainsi qu’une dégradation des conditions de travail rappelée par le patient. Il a en outre produit des documents relatifs à deux hospitalisations survenues en mai et juin 2021 en raison d’un état dépressif sévère, la première pour mise à l’abri d’idéations suicidaires.

E.            Par mémoire du 15 décembre 2021, A______ SA s’est opposée à la demande et a expliqué que le motif qui présidait au licenciement était exclusivement économique, dès lors que la pandémie covid avait largement impacté son chiffre d’affaires qui impliquait une restructuration des activités et, partant, la fermeture de certains lieux de vente et de l’unité de fabrication située à la C______. Elle a contesté la surcharge de travail dont pouvait s’être plaint son ancien employé, en indiquant qu’il n’avait jamais effectué d’heures supplémentaires. S’agissant de la réorganisation de l’entreprise, le choix de la fermeture d’un des deux sites de production s’était porté sur celui de la C______, dans lequel travaillait B______ et l’entreprise avait dû également se séparer d’autres employés qui ne pouvaient être affectés dans d’autres lieux de vente ou de production. Le choix s’était ainsi porté sur B______ au motif qu’il était le seul à travailler dans ce site de production dont la fermeture était décidée. Le fait que B______ ait reçu dans le passé plusieurs avertissements constituait également un élément pris en compte par l’employeuse dans sa décision de licenciement. A l’appui de ces explications, l’employeuse a produit ses états financiers (compte de pertes et profits) pour l’année 2017, montrant une réduction du chiffre d’affaires des magasins de C______.

F. A l’audience des débats principaux, les parties ont persisté dans leurs explications et le Tribunal a entendu deux témoins, notamment un collègue de B______ qui avait travaillé dans l’entreprise de 2008 à 2021 et qui a rappelé que le laboratoire de C______ occupait, au début, deux personnes, puis un seul employé en raison de la réduction des activités de ce laboratoire. Situation qui avait conduit B______ à se plaindre auprès de ce collègue d’un surcroît de travail, étant précisé que l’ambiance était restée bonne au sein de l’entreprise. Un autre témoin a indiqué avoir commencé à travailler pour l’entreprise le 2 mars 2020 et être affecté au laboratoire de D______ qui occupait six employés.

G.      Par jugement entrepris du 23 septembre 2022, le Tribunal des prud'hommes a admis un licenciement abusif et a condamné A______ SA à verser à B______ la somme nette de 15'000.- fr., avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 28 février 2021. Pour motiver sa décision, les premiers juges ont retenu que, nonobstant la baisse du chiffre d’affaires pour l’année 2020, le licenciement du travailleur pour raisons économiques ne présentait pas un caractère prépondérant. D’autres considérations conduisaient à retenir le caractère abusif du licenciement. A cet égard, le Tribunal a rappelé que la décision de licenciement de l’intéressé, pour raisons économiques, et au motif qu’il avait reçu trois avertissements, alors que l’autre collaborateur avait été exempt de telles mesures, ne pouvait se comprendre compte tenu des certificats de travail élogieux qui avaient été décernés au travailleur, l’employeuse ne pouvant donc se prévaloir de ces avertissements pour justifier le choix de licencier B______ plutôt qu’un autre de ses collègues. Le Tribunal a en outre considéré que B______ avait effectué son préavis dans le laboratoire de D______, démontrant par là que les employés de l’entreprise pouvaient être affectés ponctuellement dans l’un ou l’autre des laboratoires. Le fait que le laboratoire de C______ ait connu une fermeture ne saurait justifier, à lui seul, le licenciement d’un employé âgé et bénéficiant d’une grande ancienneté dans l’entreprise et qui devait dès lors être traité avec certains égards. Dans ces circonstances, le Tribunal a retenu que la mesure définitive prise à l’encontre de B______ apparaissait dans ce contexte comme précipitée et n’était accompagnée d’aucune solution alternative, alors même que cette décision avait des conséquences importantes sur la situation de l’employé proche de la retraite et ne pouvant retrouver un emploi à son âge. Le Tribunal a ainsi fixé à environ trois mois de salaire l’indemnité nette dévolue à l’employé.

Le Tribunal a rejeté la prétention en paiement d’une indemnité pour tort moral considérant que les conditions légales d’application n’étaient pas réalisées en l’espèce.

H.           A l’encontre de ce jugement, A______ SA a interjeté appel par acte du 26 octobre 2022. L’appelante reproche au Tribunal une violation de l’article 336 CO en ayant omis de retenir la prise en compte de raisons économiques comme motif de la décision de licenciement. A l’appui de son argumentaire, l’appelante allègue qu’à partir du moment où le motif économique a pu être prouvé, la question du licenciement abusif ne se posait plus. Or, le Tribunal, se basant sur les états financiers de l’entreprise, avait reconnu une baisse du chiffre d’affaires sur la période de la pandémie précédant le licenciement et aurait donc dû retenir le motif économique à l’appui de cette décision.

I.              L’intimé B______ s’est opposé à l’appel, considérant que, nonobstant la baisse du chiffre d’affaires en 2020, il incombait à l’employeur d’établir que ce motif économique justifiait le licenciement et que, lorsque plusieurs motifs de congé entrent en jeu, il convient de déterminer si, sans le motif illicite, le contrat aurait été de toute manière résilié, auquel cas le congé ne serait pas abusif. Selon l’intimé, le Tribunal n’avait pas violé la loi puisque, après avoir pris en considération le motif économique invoqué par l’employeuse à l’appui de sa décision de licenciement, les premiers juges avaient examiné ce motif à la lumière des circonstances du cas d’espèce, pour retenir que ce motif ne pouvait présenter un caractère prépondérant. L’argument de la liberté économique invoqué également par l’appelante pour justifier le bien-fondé de son appel est contesté par l’intimé, le Tribunal n’ayant pas violé le principe de la liberté économique énoncé à l’article 94 al. 1 Cst. Enfin, l’intimé invoque un devoir de protection accrue de l’employeur compte tenu de l’âge du travailleur et de son ancienneté dans l’entreprise, devoir de protection qui a été violé en l’espèce et qui justifie le caractère abusif du licenciement.

Il en découle, selon l’intimé, le paiement d’une indemnité qui doit être fixée, selon tous les critères dégagés par la jurisprudence, à cinq mois de salaire, soit une somme de 25'000.- fr.

* * * * *

 

 

 

 

 

 

EN DROIT

 

1.1 L’appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l’autorité compétente (article 124 lit. a LOJ), dans les délai et forme utiles (articles 130, 131, 142 al. 1 et 311 CPC) par une partie qui y a intérêt (article 59 al. 2 lit. a CPC) à l’encontre d’une décision finale (article 308 al. 1 lit. a CPC) rendue par le Tribunal des prud’hommes dans une affaire patrimoniale, dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance était supérieure à 10'000.- fr. (articles 91 ss et 308 al. 2 CPC). L’appel-joint est également recevable (article 313 CPC).

1.2 Le juge d’appel dispose d’un pouvoir d’examen complet et revoit librement les questions de fait, comme les questions de droit (article 310 CPC). En particulier, il contrôle librement l’appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits tels qu’il les a retenus (article 157 CPC ; ATF 138 III 374 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_55/2017 du 6 juin 2017 consid. 5.2.3.2). Conformément à l’article 311 al. 1 CPC, il le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l’appelant estime entachés d’erreurs et qui ont fait l’objet d’une motivation suffisante pour violation du droit (article 310 lit. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (article 310 lit. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, la Cour doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 132 III 413 consid. 2.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

2. L’appelante conteste sa condamnation à payer à l’intimé une indemnité nette de 15'000.- fr., avec suite d’intérêts, pour licenciement abusif, l’intimé, de son côté, souhaitant porter la quotité de cette indemnité à 25'000.- fr.

2.1 a) Le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (article 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (articles 336 ss CO ; ATF 136 III 513 consid. 2.3, 132 III 115 consid. 2.1, 131 III 535 consid. 4.1). L’article 336 al. 1 et 2 CO énumère des cas dans lesquels la résiliation est abusive. Cette liste n’est pas exhaustive ; elle concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit. Un congé peut donc se révéler abusif dans d’autres situations que celles énoncées par la loi ; elles doivent toutefois apparaître comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément envisagées (ATF 136 III 513 consid. 2.3, 1
32 III 115 consid. 2.1, 131 III 535).

Ainsi, le caractère abusif du congé peut résider dans le motif répréhensible qui le sous-tend, dans la manière dont il est donné, dans la disproportion évidente des intérêts en présence ou encore dans l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but (ATF 136 III 513 consid. 2.3,
132 III 115 consid. 2.2 ; arrêt 4A_266/2020 du 23 septembre 2020 consid. 3.1).

La jurisprudence du Tribunal fédéral a ainsi connu une évolution pour admettre de façon plus large de nouveaux cas de licenciements abusifs, tout en développant une motivation suffisamment restrictive pour ne pas rendre illusoire la liberté de résilier mais permettant de sanctionner des situations dans lesquelles la résiliation apparaît véritablement choquante (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4è éd., p. 808-809). Même si la jurisprudence en matière de cas innomés de licenciement abusif est abondante (DUNAND, Commentaire du contrat de travail, 2è éd., n°85 ad article 336 CO), il est malaisé de la synthétiser, dès lors que l’existence d’un abus de droit nécessite par essence de prendre en considération les circonstances particulières du cas concret (WYLER/HEINZER, loc. cit., p. 809). L’appréciation du caractère abusif d’un licenciement suppose ainsi l’examen de toutes les circonstances du cas d’espèce et il convient de se garder de se focaliser sur un seul élément du dossier sorti de son contexte (arrêt 4A_485/2016 du 28 avril 2017 consid. 3.2.4).

b) Le licenciement d’un travailleur proche de la retraite et bénéficiant d’une ancienneté au sein de l’entreprise a donné lieu à diverses décisions du Tribunal fédéral, pouvant peut-être apparaître disparates, qu’il est utile de rappeler. Ainsi, dans une décision de 2015, soumise à publication, le Tribunal fédéral avait jugé abusif le congé donné à un collaborateur âgé de 63 ans, bénéficiant de 44 années d’ancienneté (ATF 132 III 115 consid. 5).

Trois années plus tard, en 2008, le Tribunal fédéral retenait que n’était pas abusif le licenciement d’un collaborateur de 55 ans bénéficiant de 27 années de service, mais n’étant plus en mesure d’exécuter correctement ses tâches, ni d’assumer une autre occupation compatible avec ses ressources
(ATF 4A_419/2007 du 29 janvier 2008). Par cette décision, la Cour suprême annulait une décision cantonale ayant appliqué la jurisprudence antérieure publiée (ATF 132 III 115) au motif que cet arrêt concernait un cas exceptionnel et extrême et qu’il fallait prendre en considération toutes les circonstances entourant un congé. Dans un arrêt de 2009, le Tribunal fédéral avait également jugé non abusif le congé d’un travailleur âgé de 63 ans bénéficiant de 25 années de service, mais présentant une mauvaise exécution du travail notamment due à des problèmes d’alcool (ATF 4A_60/2009 du 18 février 2013 consid. 3.2).

En 2013, le Tribunal fédéral a admis le caractère abusif d’un congé d’un travailleur âgé de 64 ans présentant 12 années de service, ayant exécuté ses tâches avec diligence et bénéficiant d’une évaluation satisfaisante. Dans une décision de 2014, le Tribunal fédéral a considéré comme abusif le licenciement d’un travailleur âgé de 59 ans et bénéficiant de 11 années de service et rappelé à cet égard que l’employeur doit informer préalablement le travailleur de la mesure envisagée, lui donner l’occasion de se déterminer et rechercher des solutions permettant le maintien des rapports de travail
(ATF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014 consid. 4.2.1 et 4.2.2). Sur la base de cette jurisprudence, la Haute Cour a également confirmé le caractère abusif du licenciement d’un travailleur âgé de 59 ans et bénéficiant de 24 années de service pour lequel une solution de remplacement ou de dernière chance n’avait pas été offerte à l’intéressé (ATF 4A_31/2017 du 17 janvier 2018 consid. 2 et 3).

En 2021, le Tribunal fédéral semble avoir fait marche arrière en considérant que le licenciement d’un travailleur occupant une position de direction générale, âgé de 60 ans et bénéficiant de 37 années de service, présentant au demeurant des conflits avec ses collaborateurs, n’était pas abusif nonobstant l’absence d’audition préalable et de recherche de solutions alternatives
(ATF 4A_44/2021 du 2 juin 2021 consid. 4.2.3 ; cf. le commentaire de cet arrêt par Sattiva SPRING, Le bouclier de l’âge sous les coups du TF, Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_44/2021 du 2 juin 2021 in Newsletter DroitDuTravail.ch, septembre 2021). Cette autrice relève que la Cour paraît avoir compris que la rédaction de sa décision du 12 novembre 2014 était peut-être excessive ou maladroite et qu’il fallait probablement faire marche-arrière pour revenir à une application du droit qui corresponde mieux aux principes du Code des obligations fondés sur la liberté contractuelle, mêmes s’ils sont tempérés à de nombreux égards dans les relations de travail. Et de conclure que « la Haute Cour a été désormais extrêmement prudente puisqu’elle souligne l’obligation accrue de l’employeur d’une certaine protection dans la résiliation des contrats de travail d’employés âgés en poste de longue date, tout en relevant que le congé doit être examiné sur la base d’une évaluation globale des circonstances ». En l’espèce, le Tribunal fédéral avait considéré qu’il n’y avait pas de nécessité de protéger un directeur général disposant d’un pouvoir de décision considérable et bénéficiant d’un salaire relativement élevé. Dans une décision ultérieure du 1er février 2022 (ATF 4A_390/2021), le Tribunal fédéral a cassé l’arrêt de l’autorité cantonale qui avait jugé abusif le licenciement d’un collaborateur de 63 ans bénéficiant de 14 années de service. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle que le cas de l’ATF 132 III315 est exceptionnel, voire extrême et qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances du cas particulier et non s’en tenir au seul âge du collaborateur pour décider du caractère abusif ou non d’une résiliation. Et de préciser que les principes découlant de l’ATF 132 III 315 ne sauraient faire systématiquement obstacle au licenciement d’un collaborateur d’un certain âge, ayant œuvré durant de longues années au service du même employeur, lorsque le rendement du travailleur diminue à un tel point qu’il n’est plus en mesure d’exécuter à satisfaction les tâches qui lui sont confiées, ni d’assumer une autre occupation compatible avec ses ressources (arrêt 4A_390/2021 consid. 3.1.2). Et de préciser encore que le Code des obligations ne prévoit pas d’obligation d’un entretien préalable avant de prononcer un licenciement ou une mise en garde de l’employé à cet égard, de même qu’il n’existe pas d’obligation générale de soumettre le licenciement envisagé à un contrôle de proportionnalité. Dans ce cas d’espèce, la Haute Cour a considéré que, bien que l’employée n’était qu’à 10 mois de l’âge légal de la retraite, il n’était pas abusif pour l’employeuse de la licencier, faute notamment de savoir quand elle pourrait regagner son poste après plus de six mois d’arrêt maladie et en l’absence de toute information sur ce point de la part de l’employée. Dans une décision ultérieure de 2022, le Tribunal fédéral a considéré comme non abusif le licenciement d’un travailleur occupant une fonction élevée âgé de 54 ans et bénéficiant de 14 années d’ancienneté, en présence d’un changement d’organisation dans l’entreprise (ATF 4A_186/2002 consid. 4.3). Dans cet arrêt, la Haute Cour a pris en considération la fonction de cadre de l’intéressé.

Dans un arrêt de 2023 (ATF 4A_316/2022 du 18 janvier 2023 consid. 4), le Tribunal fédéral a confirmé le caractère abusif d’un licenciement jugé par la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice genevoise d’un travailleur âgé de 62, bénéficiant de 30 années d’ancienneté et ceci afin de diminuer l’effectif du personnel. La Haute Cour a considéré que la notification d’un tel licenciement à une employée qui avait fait preuve de loyauté et d’un travail irréprochable dénote un manque d’égards à son endroit et l’employeur aurait dû procéder à un entretien préalable et rechercher des solutions alternatives au licenciement. Enfin, dans un autre arrêt de 2023 (ATF 4A_117/2023 du
15 mai 2023), le Tribunal fédéral a jugé abusif le licenciement d’un travailleur âgé de 64 ans et bénéficiant d’une ancienneté de 30 ans, en rappelant que l’appréciation du caractère abusif du licenciement du travailleur âgé ayant une grande ancienneté, et le devoir de protection corrélatif pesant sur l’employeur, doivent se faire au regard des circonstances du cas particulier.

C’est à l’aune de tous ces principes qu’il convient d’apprécier le bien-fondé de la critique de l’appelante à l’endroit du jugement entrepris.

3. Pour assoir leur décision, les premiers juges ont considéré que, même si le licenciement de B______ pouvait s’inscrire dans un contexte économique lié à la fermeture (provisoire ?) du laboratoire de C______ en raison de la baisse du chiffre d’affaires 2020 lié notamment à la pandémie, ce licenciement présentait toutefois un caractère abusif en raison de la façon dont il avait été donné, au regard de l’âge et de l’ancienneté du collaborateur, de ses prestations qui avaient donné pleine satisfaction, comme en témoignaient les certificats de travail remis à l’employé, et de l’absence de mesures moins incisives, notamment la possibilité d’affecter le travailleur au laboratoire de D______ comme cela avait été le cas lorsque l’atelier de C______ avait été fermé, que ce soit lors de travaux de rénovation de C______ en 2016 ou de l’exécution du préavis du collaborateur licencié.

A l’appui de son appel, l’appelante relève que le Tribunal a violé la loi en omettant de prendre en considération le motif économique à l’appui du licenciement, motif pourtant invoqué par les premiers juges et qui dès lors s’imposait et, partant, excluait de considérer que le licenciement était abusif. Aux yeux de l’appelante, dès lors que la baisse du chiffre d’affaires imposait une réorganisation de l’activité, réorganisation qui impliquait la fermeture de l’espace de travail où évoluait B______, le licenciement de ce dernier s’inscrivait à l’évidence dans un contexte exclusivement économique et ne pouvait donc présenter un caractère abusif. En outre, le Tribunal s’est immiscé en arbitre dans le choix de l’entreprise, violant ainsi le principe de liberté économique. Enfin, c’est à tort que les premiers juges ont évoqué une obligation de rechercher une solution alternative qui n’est nullement exigée par la jurisprudence.

A l’appui de son argumentaire de réponse, B______ relève que le motif économique invoqué par l’employeur s’est estompé derrière les conditions dans lesquelles le licenciement a été décidé et notifié, au regard notamment de toutes les circonstances du cas d’espèce que, en application de la jurisprudence, le Tribunal devait prendre en considération. S’agissant de la critique liée à la liberté économique, l’intimé rappelle que le Tribunal ne s’est pas érigé en censeur ou en arbitre des choix de l’entreprise, mais a appliqué la loi et les critères retenus par la jurisprudence en retenant que le licenciement d’un travailleur âgé qui bénéficiait d’une ancienneté avait droit à des égards dus à sa personnalité.

4. La Chambre des prud’hommes relève que, engagé en 2001 en qualité de boulanger, B______ bénéficiait au moment de son licenciement d’une ancienneté de 19 années. De plus, né en 1958, il était âgé de 62 ans au moment de la prise de décision de son employeur. Les certificats de travail qui lui ont été remis témoignent d’une grande satisfaction de l’employeur sur l’exécution des tâches de son subordonné, qui s’est montré compétent, assidu et ponctuel. Les certificats de travail remis à ce sujet sont ainsi largement positifs. S’agissant de l’activité de l’intéressé, ce dernier a été principalement affecté au laboratoire de C______ de 2001 à 2016, puis au laboratoire de D______ de 2016 à 2017, puis à nouveau au laboratoire de C______ à compter de 2017 jusqu’à la fermeture pour cause de pandémie en mars 2020, pour être enfin à nouveau affecté au laboratoire de D______ afin d’y effectuer son préavis qu’il a réalisé jusqu’à son incapacité pour cause de maladie.

L’employeuse invoque la fermeture du laboratoire de C______ pour raisons économiques comme motif du licenciement notifié à son travailleur âgé et bénéficiant d’une ancienneté. Quelle que soit la légitimité de ce motif, il convient d’apprécier, s’agissant d’un travailleur âgé bénéficiant d’une ancienneté, si un devoir de protection corrélatif de l’employeur s’imposait au regard de l’ensemble des circonstances du cas concret. Cet examen doit être effectué à l’aune des critères jurisprudentielles rappelés ci-dessus, en prenant toujours en considération les circonstances du cas concret.

Il découle de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral énoncée ci-dessus que le caractère abusif d’un licenciement d’un collaborateur âgé bénéficiant d’une ancienneté n’a pas été retenu essentiellement au regard d’une position élevée du collaborateur (ATF 4A_186/2002 ; ATF 4A_44/2021) ou lorsque le collaborateur était absent et que cette situation nécessitait une réorganisation de l’entreprise
(ATF 4A_390/2021) ou encore les prestations du collaborateur étaient jugées mauvaises ou insuffisantes (ATF 4A_419/2007 ; ATF 4A_60/2009).

S’agissant des décisions jurisprudentielles les plus récentes, le Tribunal fédéral a admis le caractère abusif d’un licenciement d’un collaborateur âgé de 62 ans et disposant de 39 ans d’ancienneté qui avait fait preuve de loyauté et d’un travail irréprochable en considérant que, même si les motifs invoqués par l’employeur pour diminuer l’effectif du personnel pouvaient être légitimes, l’employeur aurait dû procéder à un intérêt préalable et rechercher des solutions alternatives au licenciement (ATF 18 janvier 2023 4A_307/2022). Dans un arrêt ultérieur du 15 mai 2023, le Tribunal fédéral a jugé abusif le licenciement d’un travailleur âgé de 64 ans, ayant une ancienneté de 30 ans, en considérant que le devoir de protection corrélatif pesant sur l’employeur doit se faire au regard de l’ensemble des circonstances du cas particulier (TF arrêt du 15 mai 2023 4A_117/2023).

En l’espèce, il ressort des certificats de travail établis par l’employeur que l’intimé a travaillé à l’entière satisfaction de A______, qu’il s’était acquitté de ses tâches avec sérieux, rigueur et ponctualité, qu’il était un excellent professionnel, toujours présent à son poste de travail et apprécié de ses collègues et de ses supérieurs. Certes, l’intimé avait fait l’objet de deux avertissements en 2010 et 2016 pour des faits mineurs et un troisième avertissement sur lequel il a eu l’occasion de s’exprimer, la juridiction n’ayant pas été informée du sort qui avait été donné à sa contestation de cette mesure, qui ne semble toutefois pas avoir altéré la satisfaction sur les tâches de son subordonné, comme en témoignent les deux certificats de travail qui ont été produits à la procédure. L’employeur ne peut donc invoquer une quelconque défaillance liée à la qualité des prestations de son subordonné pour justifier un licenciement et l’appelante ne le fait d’ailleurs pas.

Il ressort de la procédure que le travailleur a été licencié le 27 mai 2020, dès la reprise du travail à la fin du chômage technique lié à la situation de la pandémie covid-19, qui avait obligé l’entreprise à cesser son activité le 18 mars 2020. Aucune solution alternative ne fut discutée ni lors de l’entretien de licenciement du 27 mai 2020 au cours duquel l’employé s’est vu remettre une lettre qu’il a été invité à signer, ni ultérieurement, notamment lorsque l’employé s’est opposé au licenciement par courrier du 15 août 2020, en sollicitant les motifs de la décision de mettre fin aux rapports de service, motifs qui lui ont été communiqués par courrier du 19 août 2020. Dans cette communication, il était indiqué que la production de la marchandise ayant diminué, eu égard à la baisse de la fréquentation des points de vente, la décision avait été prise de fermer le laboratoire de C______. Cette décision n’était toutefois pas définitive puisque l’employeur indiquait que, à sa connaissance, le laboratoire de C______ ne rouvrirait pas avant plusieurs mois. Ainsi l’employé s’est trouvé définitivement licencié en raison de la fermeture, à l’époque provisoire, du lieu de travail dans lequel il évoluait.

Il importait que l’employeur puisse discuter avec son employé de la restructuration (provisoire) qu’il envisageait, d’examiner avec le travailleur de possibles solutions alternatives – qui, au demeurant, existaient en l’espèce – et de lui montrer un peu d’empathie. Or, il ressort de la procédure que l’appelante a sèchement congédié le travailleur le jour même du retour d’un chômage technique imposé par la pandémie covid-19, situation qui a beaucoup choqué B______ qui produit à la procédure des certificats médicaux démontrant une souffrance psychologique liée à cette situation. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu le manque d’égards à l’endroit de l’employé. La jurisprudence retient que l’abus n’est pas obligatoirement inhérent au motif de la résiliation ; il peut également surgir dans les modalités et peut découler, en outre, de la manière dont le congé a été donné (ATF 136 III 513 ; ATF 131 III 535). La Chambre des prud’hommes relève au demeurant que le manque d’égards à l’endroit de l’intimé s’est également manifesté après la notification du licenciement. Alors que le collaborateur licencié avait effectué la quasi-totalité de son préavis, il fut instruit, après plus de trois mois de maladie, d’effectuer le solde de son préavis au motif que l’assurance perte de gains avait, dans un premier temps, considéré qu’une reprise de l’activité au 1er décembre 2020 pouvait être envisagée.

Compte tenu de l’âge de B______ et d’un accomplissement sans critique de ses tâches pendant de nombreuses années, la Chambre des prud’hommes considère que l’employeur avait, au sens de la jurisprudence précitée, un devoir de protection à l’endroit de son collaborateur âgé, bénéficiant d’une ancienneté. Ce devoir de protection pouvait se concrétiser en l’espèce par la recherche d’une solution alternative ou autre mesure de reclassement qui pouvait être retenue. Sur ce point, le Tribunal rappelle judicieusement que B______ avait, pendant la fermeture du laboratoire de C______, travaillé dans le laboratoire de D______, tout d’abord en 2016 à l’occasion des travaux de la C______, puis en 2020 pour y effectuer le préavis de licenciement au motif que le laboratoire de C______, était « provisoirement » fermé. En invitant son collaborateur à effectuer son préavis dans le laboratoire de D______, l’employeuse a démontré qu’une solution alternative pouvait être trouvée par l’affectation de son collaborateur à l’atelier de fabrication de D______ dans lequel il avait déjà évolué lorsque le laboratoire de C______ avait été fermé. Le Tribunal relève d’ailleurs avec raison que les boulangers de l’entreprise travaillaient alternativement à l’atelier de D______ et au laboratoire de C______, les employés pouvant être ponctuellement affectés à l’un ou l’autre des deux laboratoires. Enfin, avec pertinence, les premiers juges ont retenu qu’un nouveau boulanger avait été engagé au début du mois de mars 2020 au laboratoire de D______ en remplacement d’un salarié qui avait quitté l’entreprise, employé qui n’avait que très peu d’ancienneté au regard des quasiment 20 ans dont bénéficiait l’intimé.

C’est donc à juste titre que l’instance précédente a retenu une disproportion manifeste des intérêts en jeu et le licenciement doit ainsi être qualifié d’abusif.

5. Dans un appel joint, l’intimé conclut au paiement d’une indemnité nette de
25'000.- fr., en lieu et place de 15'000.- fr. alloués par le Tribunal, au regard du préjudice important causé par cette situation et de la faute grave qui peut être reprochée à l’employeuse.

a) L’indemnité en raison du congé abusif a une double finalité, punitive et réparatrice (ATF 132 III 115 consid. 5.6 ; DUNAND, loc. cit., n°7 ad article 336a CO et les références citées). Cette indemnité n’a pas un caractère salarial et est due même si le travailleur n’a subi et éprouvé aucun dommage ou préjudice. Elle revêt ainsi un caractère sui generis et s’apparente à une peine conventionnelle (ATF 135 III 405 consid. 3.1). L’indemnité est fixée par le juge compte tenu de toutes les circonstances (article 335a al. 2 CO). Le juge jouit ainsi d’un large pouvoir d’appréciation (article 4 CC) et n’est limité que dans la mesure où il ne peut allouer au maximum qu’un montant correspondant à six mois de salaire. Les critères devant être pris en considération pour fixer l’indemnité sont ainsi très divers et la jurisprudence a notamment retenu une dizaine de critères, tels la gravité de la faute de l’employeur, la manière dont s’est déroulée la résiliation, la gravité de l’atteinte à la personnalité du travailleur, l’intensité et la durée des rapports de travail, les effets économiques du licenciement, l’âge et la situation personnelle du travailleur, les éventuelles difficultés de réinsertion dans la vie économique, l’éventuelle faute concomitante du travailleur licencié.

b) La Chambre des prud’hommes n’entend pas minimiser le désarroi que le licenciement a suscité chez la personne de B______ et des effets psychologiques qui sont venus s’ajouter à une autre circonstance dramatique. Toutefois, au regard de toutes les circonstances du cas d’espèce, l’indemnité de licenciement abusif retenu par les premiers juges ne souffre pas de critique et est conforme à la jurisprudence relative à l’article 336a al. 2 CO. La faute de l’employeuse ne peut en effet être qualifiée de très grave, ainsi que l’invoque l’intimé à l’appui de son appel-joint. En effet, l’entreprise, même si elle n’a pas manifesté beaucoup d’égards à l’endroit de son collaborateur licencié, a pris une décision managériale en décidant de fermer un poste de fabrication qui, à ses yeux, l’autorisait à mettre fin aux rapports de travail avec le collaborateur qui officiait dans ce lieu de fabrication, sans certes rechercher si une solution alternative pouvait être trouvée. On ne voit pas dans ce comportement une faute très grave qui justifierait la réforme du jugement du Tribunal sur ce point.

 

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 2 :

A la forme :

Déclare recevable l’appel formé le 26 octobre 2022 par A______ SA contre le jugement JTPH/292/2022 rendu par le Tribunal des prud'hommes le 23 septembre 2022 dans la cause C/7216/2021-2.

Déclare recevable l’appel-joint formé par B______ contre ledit jugement.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit qu’il n’est pas perçu de frais judiciaires.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Guy Stanislas, président ; Madame Fiona MAC PHAIL, juge employeur; Monsieur Kasum VELII, juge salarié; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

Le président :

Guy STANISLAS

 

La greffière :

Fabia CURTI

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.