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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/7950/2022

CAPH/64/2023 du 14.06.2023 sur JTPH/375/2022 ( OS ) , ARRET/CONTRA

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7950/2022-5 CAPH/64/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MERCREDI 14 JUIN 2023

 

Entre

A______ SA, en liquidation, sise c/o B______ SA, succursale de Genève, ______,

et

C______, domicilié c/o A______ SA, en liquidation, sise c/o B______ SA, succursale de Genève, ______,

Tous deux recourant contre une décision rendue le 19 décembre 2022 par le Collège des Présidents et Vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes,

et

ASSOCIATION D______, sise ______, intimée, comparant par
Me Nicolas GIORGINI, avocat, THCB Avocats, Rue Saint-Léger 8, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


 

EN FAIT

A.           A______ SA (anciennement C______, J______ & PARTENAIRES SA, aujourd'hui A______ SA, en liquidation) était une société anonyme inscrite au Registre du commerce de Genève en ______ 2021 dont le but était le développement, la promotion et la fourniture de toutes prestations juridiques, en Suisse et à l'étranger, ainsi que toutes autres activités en lien direct ou indirect avec ce but.

E______ et F______ en étaient les administrateurs, chacun disposant d'une signature individuelle.

Par décision du 4 avril 2023, l'Autorité fédérale de surveillance des marché financiers (FINMA) a prononcé la dissolution et la mise en liquidation de A______ SA, laquelle n'existe plus aujourd'hui, sous la raison sociale A______ SA en liquidation, qu'aux fins de sa liquidation par la liquidatrice désignée par la FINMA, soit la succursale genevoise de l'Etude d'avocats B______ SA.

B.            Jusqu'à sa dissolution en avril 2023, A______ SA, qui employait plusieurs avocats brevetés et juristes, exerçait une activité de conseil juridique indépendant, proposant ses prestations à ses clients sous la forme d'un abonnement.

C.           Par demande déclarée non conciliée le 29 août 2022 et introduite le 28 novembre 2022 devant le Tribunal des prud'hommes, G______, représentée par "Monsieur C______, titulaire du brevet d'avocat c/o A______ SA", a assigné l'ASSOCIATION D______ (ci-après : l'employeur) en paiement d'un montant brut de 6'000 fr. avec suite de frais et dépens. Une procuration établie le 25 janvier 2022 faveur de E______ était annexée à la demande.

D.           Par décision JTPH/375/2022 du 19 décembre 2022, reçue le 20 décembre 2022 par A______ SA et C______, le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes a, statuant sur la qualité de mandataire professionnellement qualifié au sens des art. 68 al. 1 let. c CPC et 15 LaCC, dénié cette qualité à A______ SA. Il ne s'est en revanche pas prononcé sur la vocation personnelle de C______ à postuler en qualité de mandataire professionnellement qualifié.

En substance, le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes a considéré que A______ SA n'était pas une organisation professionnelle syndicale ou patronale, notamment active dans la défense des travailleurs ou employeurs, ni une assurance de protection juridique, ni encore un organisme soumis à surveillance à l'instar des avocats, seules entités généralement admises au nombre des mandataires professionnellement qualifiés autorisés à représenter des parties devant le Tribunal des prud'hommes.

La décision était signée par la greffière de juridiction, H______, et la présidente du Tribunal des prud'hommes, I______. Elle ne mentionnait pas les membres du Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes qui avaient effectivement pris part à la décision.

E.            Par acte expédié le 22 décembre 2022 à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice (ci-après la Chambre), A______ SA et C______, ce dernier agissant à titre personnel, ont formé un recours contre la décision du 19 décembre 2022, concluant à ce qu'elle soit annulée puis, cela fait, à ce que la qualité de mandataire professionnellement qualifié leur soit reconnue. Ils concluaient encore à ce que l'instruction de la cause soit suspendue et à ce que les frais de procédure ainsi qu'une équitable indemnité à titre de dépens soient mis à la charge du fisc.

A l'appui de ces conclusions, les recourants ont fait valoir que la qualité de mandataire professionnellement qualifié avait été reconnue à plusieurs reprises par le Tribunal des prud'hommes à des employés de A______ SA titulaires, à l'instar de C______, d'un brevet d'avocat. Le fait d'être titulaire d'un tel diplôme permettait en effet de retenir que ces employés, tout comme le recourant, présentaient les qualités requises pour agir en qualité de mandataire professionnellement qualifié. Cette qualité devait par voie de conséquence également être reconnue à leur employeur A______ SA, le fait qu'elle ne soit pas une assurance de protection juridique ou une organisation professionnelle ayant pour but la représentation individuelle de ses membres étant à cet égard dénué de pertinence.

F.            Invité à répondre au recours par courrier du 23 décembre 2022, l'employeur s'en est rapporté à justice par lettre du 29 décembre 2022. Egalement interpellée, G______ ne s'est pas déterminée.

La cause a été gardée à juger le 17 janvier 2023, ce dont les parties ont été informées par courrier du greffe du même jour.

EN DROIT

1.             1.1.1 En procédure civile, la décision sur la capacité de postuler de l'avocat – ou de tout autre mandataire au sens de l'art. 68 al. 2 CPC – vise à garantir la bonne marche du procès. Elle entre donc dans la catégorie des décisions relatives à la conduite du procès, au sens de l'art. 124 al. 1 CPC (ATF 147 III 351 consid. 6.3).

La voie du recours est ouverte contre les ordonnances d'instruction et autres décisions au sens de l'art. 124 al. 1 CPC pour autant qu'elles causent un préjudice difficilement réparable. Le recours, écrit et motivé est introduit auprès de l'instance de recours dans les 30 jours à compter de la notification de la décision pour les autres décisions et dans les 10 jours pour les ordonnances d'instruction (art. 319 let. b ch. 2, 321 al. 1 et 2 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, CPC, 2019, n° 10 et ss ad art. 319 CPC).

Le mandataire auquel la vocation à postuler a été déniée par une décision a la qualité pour recourir contre celle-ci, même s'il n'est pas personnellement partie à la procédure dans laquelle cette décision a été rendue (arrêts du Tribunal fédéral 5A_124/2022 du 26 avril 2022 consid. 1.1; 5A_967/2014 du 27 mars 2015 consid. 1.2 et 1.3).

1.1.2 L'exercice d'une voie de recours suppose l'existence d'un intérêt actuel à obtenir l'annulation ou la modification de la décision contestée. Cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'à celui où la décision tranchant le sort du recours est tranchée (ATF 139 I 206 consid. 1.1). Il s'agit là d'une condition de recevabilité du recours que le juge doit examiner d'office (art. 59 al. 1, 59 al. 2 let. a et 60 CPC; ATF 130 III 430 consid. 3.1).

Si un intérêt digne de protection existe lors du dépôt du recours mais disparaît pendant la durée de la procédure de recours, la cause doit être radiée du rôle car devenue sans objet (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1).

1.1.3 La nullité d'une décision judiciaire peut être invoquée et doit être relevée d'office, en tout temps et par toutes les autorités chargées d'appliquer le droit. Elle peut également être invoquée dans un recours – et même encore dans la procédure d'exécution (ATF 145 III 436 consid. 4; ATF 137 III 217 consid. 2.4.3; 129 I 361 consid. 2.1, JT 2004 II 47; arrêts du Tribunal fédéral 5D_78/2022 du 31 octobre 2022 consid. 3.1).

1.2.1 Le recours a en l'espèce été interjeté en temps utile et dans les formes prévues par la loi contre une décision pouvant en principe être contestée par cette voie. Il est dans cette mesure recevable.

La recourante, à laquelle la décision contestée dénie la qualité pour représenter la partie demanderesse dans une procédure prud'homale, avait initialement qualité pour recourir (cf. consid. 1.1.1 in fine). Elle disposait en effet d'un intérêt digne de protection à la modification de la décision attaquée, afin qu'elle puisse défendre les intérêts de sa cliente dans la procédure litigieuse conformément à son but social. Cet intérêt a toutefois disparu avec sa dissolution, intervenue le 4 avril 2023, et sa mise en liquidation subséquente. Depuis cette date en effet, la recourante n'existe plus "qu'aux fins de liquidation" avec pour conséquence que, quel que soit le sort de son recours, elle ne pourra plus représenter une partie devant le Tribunal des prud'hommes.

Le recours devra donc être déclaré sans objet en ce qui la concerne.

Le recourant pour sa part n'est pas touché par la décision litigieuse : celle-ci ne statue en effet que sur la capacité de son employeur, la recourante, à représenter la demanderesse dans la procédure n° C/7950/2022 pendante devant le Tribunal des prud'hommes. En l'état en revanche, aucune décision n'a été prise quant à sa capacité à postuler personnellement, au titre de mandataire professionnellement qualifié, devant le Tribunal des prud'hommes dans le cadre de la procédure n° C/7950/2022. C'est à ce dernier qu'il incombera, le moment venu, de statuer sur cette question, ce dans la composition prévue par l'art. 12 LTPH (cf. consid. 2.2.1 ci-dessous). Le recourant ne disposait ainsi, d'emblée, d'aucun intérêt digne de protection à recourir, ce qui conduit, en ce qui le concerne, à l'irrecevabilité de son recours.

1.2.2 Nonobstant l'absence d'objet, respectivement l'irrecevabilité du recours, l'éventuelle nullité de la décision contestée doit être examinée – et le cas échéant constatée – d'office.

2.             2.1.1 Des décisions entachées d'erreurs sont nulles si le vice qui les affecte est particulièrement grave, s'il est manifeste ou du moins facilement décelable et si, de surcroît, la sécurité du droit n'est pas sérieusement mise en danger par l'admission de la nullité. Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire. Des vices de fond d'une décision n'entraînent qu'exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure (ATF 145 III 436 consid. 4; ATF 137 III 217 consid. 2.4.3; 129 I 361 consid. 2.1, JT 2004 II 47; arrêts du Tribunal fédéral 5D_78/2022 du 31 octobre 2022 consid. 3.1).

2.1.2 Sont autorisés à représenter les parties à titre professionnel, devant les juridictions spéciales en matière de contrat de bail et de contrat de travail, les mandataires professionnellement qualifiés si le droit cantonal le prévoit (art. 68 al. 2 let. d CPC). A Genève, l'art. 15 LaCC le prévoit, à l'instar de ce qui prévalait sous l'empire de l'ancien droit cantonal de procédure.

Pour l'acte introductif d'instance, la capacité de postuler du mandataire qui a rédigé la demande est une condition de sa recevabilité (art. 59 al. 1 CPC). Le tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC). Si la capacité de postuler est déniée à un mandataire, un délai doit être fixé à la partie concernée pour remédier à l'irrégularité (art. 132 CPC par analogie). Il s'ensuit que, dans une procédure pendante, l'autorité qui doit statuer sur la capacité de postuler du mandataire est le tribunal compétent sur le fond de la cause ou, sur délégation, un membre de ce même tribunal (art. 124 al. 2 CPC). La primauté du droit fédéral interdit aux cantons de consacrer la compétence d'une autre autorité (ATF 147 III 351 consid. 6.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 3.2.3).

2.1.3 Aux termes de l'art. 7 LTPH, le collège des présidents et vice-présidents de groupe réunit les présidents et vice-présidents de groupe et le président des juges conciliateurs et des juges conciliateurs-assesseurs (al. 1). Le collège constitue la séance plénière du tribunal au sens de l'art. 30 LOJ.

Selon l'art. 1 al. 5 RTPH, la séance plénière exerce les attributions que la loi lui confère de même que celles qui sont attribuées au collège des présidents et vice-présidents de groupe.

L'art. 2 al. 1 RTPH prévoit que la commission de gestion du Tribunal des prud'hommes se compose des 10 présidents et vice-présidents de groupe élus lors des assemblées générales annuelles, du greffier de juridiction et des greffiers-adjoints.

Selon l'art. 3 RTPH, la commission est compétente pour tout ce qui n'est pas de la compétence de la séance plénière, du président ou du greffier de juridiction (al. 1), Dans ce cadre, elle règle les questions organisationnelles liées à l'activité judiciaire communes à l'ensemble du Tribunal ou à plusieurs groupes professionnels. Elle est notamment habilitée à : a. adopter des directives relatives au fonctionnement des juges prud'hommes favorisant une saine administration de la justice ou une pratique uniforme dans les différents groupes professionnels; b. désigner les présidents amenés à siéger dans un autre groupe professionnel en application de l'art. 12 al. 3 LTPH.

2.2 En l'espèce, la décision attaquée porte sur la capacité à postuler de la recourante en qualité de mandataire professionnellement qualifié et, partant, sur la recevabilité des actes qu'elle sera appelée à effectuer au nom d'une partie dans le cadre d'une procédure en cours. Elle a été rendue par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes. Or, elle relève de la compétence du Tribunal des prud'hommes en charge de la procédure au fond – constitué conformément à l'art. 12 LTPH, soit un président, un juge prud'homme employeur et un juge prud'homme salarié – qui est seul fondé à examiner les conditions de recevabilité des actes et à rendre des décisions en matière de conduite du procès.

Les compétences légales du Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes, soit qu'il soit constitué en séance plénière de la juridiction, soit qu'il soit constitué en commission de gestion, sont de nature administrative ou organisationnelle; elles ne lui permettent pas de s'immiscer dans la conduite d'une procédure judiciaire prud'homale.

Au vu de l'incompétence fonctionnelle de l'autorité qui a prononcé la décision attaquée, celle-ci est nulle, ce qui doit être constaté d'office.

3.             Il n'y a pas lieu de renvoyer la cause au Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes, celui-ci ne disposant pas de la compétence pour statuer à nouveau. Il appartiendra au Tribunal des prud'hommes, dans sa composition prévue par l'art. 12 LTPH, de reprendre l'instruction de la cause et de statuer le cas échéant sur les questions de capacité à postuler susceptibles de se poser.

4.             Il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens de recours (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe :


À la forme
:

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA contre la décision rendue le 19 décembre 2022 par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes dans la cause C/7950/2022-5.

Constate que ledit recours est devenu sans objet.

Déclare irrecevable le recours interjeté par C______ contre la même décision.

Au fond :

Constate la nullité de la décision rendue le 19 décembre 2022 par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes dans la cause C/7950/2022-5.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Monsieur Michael RUDERMANN; juge employeur; Monsieur Willy KNOPFEL, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

 

 

 Le greffier :

Javier BARBEITO

 

 


 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile ; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires ; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.