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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/4313/2021

CAPH/18/2023 du 15.02.2023 sur JTPH/98/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/4313/2021-2 CAPH/18/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MERCREDI 15 FEVRIER 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié c/o Mme B______, ______, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 29 mars 2022 (JTPH/98/2022), comparant par Me Diana ZEHNDER LETTIERI, avocate, Rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève, en l'Étude de laquelle il fait élection de domicile,

d'une part,

Et

C______ SA, domiciliée ______, intimée, comparant par Me François BELLANGER, avocat, Poncet Turrettini, Rue de Hesse 8, Case postale , 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

d'autre part.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/98/2022 du 29 mars 2022, reçu le 30 mars 2022 par A______, le Tribunal des prud'hommes, statuant par voie de procédure ordinaire, a déclaré recevable la demande formée le 3 mai 2021 par A______ contre C______ SA (chiffre 1 du dispositif), l'a débouté de toutes ses conclusions (chiffre 2), dit que la procédure était gratuite et qu'il n'était pas alloué de dépens (chiffre 4) et débouté les parties de toute autre conclusion (chiffre 3).

B.            a. Par acte adressé le 27 avril 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ a appelé de ce jugement, concluant à titre principal à l'annulation des chiffres 2 à 4 de son dispositif et à ce que, ceci fait, la Cour constate le caractère abusif du licenciement intervenu le 29 octobre 2029 et condamne C______ SA à lui verser les montants de 24'000 fr. brut au titre d'indemnité pour congé abusif et de 20'000 fr. net au titre d'indemnité pour atteinte à l'intégrité ou, subsidiairement, à l'annulation du jugement et au renvoi du dossier au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, le tout sous suite de frais et dépens.

b. Dans sa réponse du 30 mai 2022, C______ SA a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement attaqué, sous suite de frais et dépens.

c. A______ a répliqué le 30 juin 2022 et C______ SA dupliqué le 5 septembre 2022, chacun persistant dans ses conclusions et argumentations.

d. La cause a été gardée à juger le 21 septembre 2022, ce dont les parties ont été informées par pli du greffe du même jour.

C.           Les éléments pertinents suivants résultent de la procédure.

a. A______ est actif dans le domaine de la restauration à Genève, où il indique avoir créé plusieurs établissements.

b. D______ est un chef étoilé et entrepreneur, qui a créé divers restaurants à Genève.

c. De mars 2019 à août 2020, A______ et D______ ont chacun déployé une activité, coordonnée entre eux, en vue d'ouvrir un restaurant consacré au ______ et aux ______ à l'enseigne "C______".

La paternité du concept, les rôles, modalités de collaboration et contributions respectives de A______ et de D______ lors de cette phase de développement sont aujourd'hui disputés.

d. L'exploitation proprement dite du restaurant devait être assurée par une société constituée à cet effet, C______ SA, dont la totalité des actions appartiendrait, à tout le moins dans un premier temps, à D______. A______ devait pour sa part assurer la direction opérationnelle de l'établissement.

Il avait d'autre part été convenu entre les deux hommes qu'après une période d'activité de six mois en qualité de directeur, et pour autant que ses prestations donnent satisfaction, A______ pourrait entrer dans l'actionnariat de C______ SA puis, avec le temps et selon des modalités à déterminer, procéder à des achats d'actions complémentaires.

Cet accord de principe a donné lieu à l'établissent, à une date non déterminée, d'un projet de "Pacte d'actionnaires" destiné à régler les conditions d'acquisition par A______ d'une partie des actions de C______ SA et, par la suite, les relations entre les actionnaires. Les art. 1.1 et 1.2 de ce projet réservaient à D______ la "direction générale supérieure" de la société, la "direction opérationnelle" en étant confiée à A______. Les art. 1.6.1 et 1.6.2 du projet donnaient la possibilité à A______ d'"acquérir 10% au plus des actions de la Société [à leur valeur nominale – art. 1.10 du projet] après l'écoulement de ses six premiers mois de travail dans la Société, pour autant que Monsieur D______ estime que ces six mois de collaboration ont été satisfaisant et permettent de franchir le pas supplémentaire de l'entrée de Monsieur A______ dans l'actionnariat de la Société" puis, selon des modalités à convenir, d'augmenter par la suite sa participation. L'art. 2.1.2 du projet prévoyait par ailleurs qu'en cas de rupture "pour quelque motif que ce soit" du contrat de travail entre C______ SA et A______, ce dernier devait rétrocéder à D______ les actions acquises en application des art. 1.6.1 et 1.6.2.

Pour des raisons non déterminées, ni ce projet ni aucun texte formalisant l'accord intervenu entre D______ et A______ n'a été signé. Dans le cadre de la procédure, celui-ci a indiqué avoir demandé que des modifications – non précisées – soient apportées au projet, lesquelles auraient été acceptées oralement par D______, mais que celui-ci aurait ensuite "fait traîner" tout en lui assurant qu'il n'avait "qu'une parole".

e. La société C______ SA a été constituée le ______ 2020 et inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2020. D______ en était l'administrateur unique, avec pouvoir de signature individuel.

f. Le 20 août 2020, C______ SA et A______ ont conclu – sur la base d'un formulaire de contrat type conforme à la Convention Collective Nationale de Travail pour l'hôtellerie-restauration – un contrat de travail aux termes duquel le second était engagé par la première en qualité de directeur pour un salaire mensuel brut de 8'000 fr. à compter du 1er septembre 2020.

Le contrat était conclu pour une durée indéterminée. Un temps d'essai de trois mois était stipulé (art. 3), pendant lequel le contrat pouvait être résilié avec un préavis de sept jours. Après le temps d'essai, le congé pouvait être donné pour la fin d'un mois moyennant un préavis d'un mois, respectivement de deux mois à compter de la sixième année de travail (art. 4).

g. A______ a commencé son activité de directeur au service de C______ SA le 1er septembre 2020.

Le ______ 2020, il a été inscrit au Registre du commerce en qualité de directeur de C______ SA, avec pouvoir de signature collective à deux.

h. Le restaurant C______ a ouvert ses portes le ______ 2020 et a reçu un accueil favorable de la presse et du public.

Le personnel comprenait notamment des personnes connues de A______ ainsi que des personnes provenant d'autres établissements créés par D______, parmi lesquels le chef de cuisine, E______, et F______, directrice de salle du restaurant G______ et détachée temporairement pour recréer au sein de C______ les mêmes processus internes.

A______ a assumé la direction de C______ jusqu'à la fin du mois d'octobre 2020.

i. A la fin du mois de septembre 2020, F______ a écrit à D______ pour lui demander de la relever de sa mission au sein de C______, où elle estimait ne plus avoir sa place. Selon elle, A______ n'assumait pas ses fonctions de directeur, lui laissant la charge de nombreuses tâches lui incombant. Il lui avait manqué de respect en présence d'autres collaborateurs et avait tenté de saper son autorité auprès du personnel.

j. Lors d'un entretien s'étant déroulé le 29 octobre 2022 dans les locaux du restaurant entre les deux hommes, D______, pour le compte de C______ SA, a signifié à A______ la résiliation de son contrat de travail pour le 5 novembre 2020. Il a voulu à cette occasion lui remettre, contre signature, une lettre de licenciement faisant état d'une rupture de la relation de confiance "après plusieurs avertissements oraux" mais A______ a refusé de la signer et a quitté les lieux sans qu'elle lui ait été remise. D______ a alors demandé à deux collaborateurs présents dans les locaux, E______ et H______, d'y apposer leur signature pour attester du refus de signer de A______.

k. Selon un certificat médical établi le 30 octobre 2020 par le Dr I______, A______ a été totalement incapable de travailler du 30 octobre au 22 novembre 2020 "pour raisons médicales".

l. Par courrier de son conseil du 30 octobre 2020, A______ a fait opposition au congé donné la veille. C______ SA a maintenu sa décision par lettre de son conseil du 4 novembre 2020.

Par courrier de son conseil du 11 novembre 2020, A______ a dénoncé le caractère à son sens abusif du congé signifié le 29 octobre 2020, au vu de l'activité qu'il avait déployée aussi bien en vue de la création du restaurant que de son fonctionnement après son ouverture. La résiliation du contrat de travail lui causait un préjudice important tant au niveau de son image que d'un point de vue économique, le privant en particulier de la possibilité d'acquérir des actions de C______ SA. Au terme de ce courrier, A______ a énuméré diverses prétentions contre son ancien employeur.

Par réponse de son conseil du 9 décembre 2020, C______ SA a contesté le caractère abusif du congé ainsi que les prétentions émises par A______. Selon elle, ce dernier avait créé au sein du restaurant une atmosphère de travail "délétère et toxique" ayant poussé plusieurs collaborateurs à la démission. Il lui était en particulier reproché d'avoir tenu à l'égard de plusieurs collaborateurs, dont F______, des propos humiliants en présence d'autres employés, d'avoir négligé les tâches lui incombant en sa qualité de directeur, de s'être soûlé avec des amis venus au restaurant, de leur avoir offert des consommations pour un montant de 850 fr. et d'avoir contredit une instruction de D______ relative au traitement de clients de longue date.

D.           a. Par demande déposée le 16 février 2021 en conciliation, déclarée non conciliée lors d'une audience de conciliation tenue le 16 avril 2021 et introduite le 3 mai 2021 devant le Tribunal, A______ a conclu à la condamnation de C______ SA à lui verser les montants de 24'000 fr. brut plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 9 octobre 2020 au titre d'indemnité pour congé abusif et de 20'000 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 29 octobre 2020 au titre d'indemnité pour atteinte à la personnalité.

A l'appui de ces conclusions, A______ a fait valoir que le véritable motif du congé ne résidait pas dans de prétendus manquements graves et répétés à ses obligations, en réalité inexistants, mais dans une volonté de l'évincer afin de le priver de la possibilité d'entrer dans l'actionnariat de C______ SA et de le dépouiller ainsi des fruits de son apport considérable au succès du restaurant, ce qui était constitutif d'un congé représailles au sens de l'art. 336 al. 1 let. d CO. Intervenant deux mois seulement après le début de ses fonctions de directeur, le licenciement était par ailleurs constitutif d'une trahison au vu du comportement de D______, en sa qualité d'administrateur de C______ SA, qui l'avait incité à se dépenser sans compter dans le projet commun. Il portait en outre préjudice à son image et à sa réputation professionnelle et violait ainsi l'art. 328 CO. Le fait qu'une période d'essai ait été contractuellement stipulée n'était pas relevant dès lors que le début de ses fonctions avait été précédé d'une longue période de collaboration au cours de laquelle les parties avaient appris à se connaître et à s'apprécier.

b. Dans ses écritures en réponse du 16 août 2021, C______ SA a conclu au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions sous suite de frais et dépens.

Selon elle, le congé avait été donné en raison des manquements du demandeur dans l'accomplissement de ses tâches. Un tel motif n'avait rien d'abusif au vu du principe de la liberté de résiliation prévalant en droit suisse, ce d'autant plus que le congé avait été donné pendant le temps d'essai. Le congé n'avait par ailleurs causé aucun tort moral au demandeur.

c. L'instruction de la cause, au cours de laquelle les parties ainsi que de nombreux témoins ont été entendus, a notamment porté sur les motifs de résiliation mentionnés par l'employeur dans sa lettre du 9 décembre 2020.

Il en est résulté les éléments suivants :

·         A______ a exposé s'être toujours bien entendu avec F______, qui était une grande professionnelle; après avoir travaillé ensemble à la sélection du personnel, ils étaient convenus qu'elle s'occuperait de la salle et lui de l'accueil de la clientèle.

L'entretien de licenciement s'était déroulé en tête-à-tête avec D______ et avait duré quatre minutes. Aucune raison ne lui avait été indiquée. Il avait demandé à D______ ce qu'allait devenir le nom C______, qui à ses yeux était un "bébé commun", et ce dernier lui avait répondu qu'il n'avait qu'à ouvrir un restaurant avec son "fric". Il avait tenté de rappeler D______ une heure plus tard pour obtenir des explications, sans parvenir à le joindre. Préalablement à son licenciement, il n'avait jamais eu de discussion avec D______ concernant son attitude et sa manière de gérer le personnel et il ne lui avait jamais été reproché d'avoir offert des consommations à des clients.

Il avait très mal vécu son licenciement, le ressentant comme une trahison au vu des dix-huit mois qu'il avait consacrés au projet; il s'était également inquiété pour sa réputation et son avenir professionnel; ces préoccupations lui avaient fait passer de "très mauvaises nuits".

Avant son licenciement, il avait plusieurs fois demandé oralement à D______ des nouvelles du pacte d'actionnaires mais celui-ci avait invoqué des excuses tout en affirmant n'avoir qu'une parole.

J______ n'avait pas les compétences pour assumer les fonctions de chef de salle pour lesquelles il avait été engagé, ce dont il [A______] avait fait part à D______ et à F______. J______ aurait dû être licencié mais avait finalement, à la demande de D______, donné sa démission.

Ce n'était pas lui qui avait contredit une instruction de D______ d'offrir l'apéro à de bons clients mais la serveuse qui avait oublié.

·         D______, entendu en qualité d'organe de C______ SA, a confirmé qu'il était convenu que A______ devienne directeur du restaurant C______ à son ouverture puis, après avoir fait ses preuves pendant six mois, ait la possibilité d'entrer dans l'actionnariat de la société.

Dès l'ouverture de l'établissement, des problèmes d'ambiance de travail et de gestion du personnel étaient toutefois apparus en raison du fait que A______ maltraitait oralement et dénigrait les collaborateurs, en particulier J______. Ce dernier avait décidé de partir car il ne supportait plus de travailler avec A______. Après ce départ, il [D______] avait clairement averti ce dernier que s'il continuait à maltraiter le personnel il serait licencié. Il [D______] avait également "recadré" A______ après avoir reçu le courrier de F______ lui faisant part de son souhait d'être relevée de sa mission au sein de C______.

A la fin du mois d'octobre 2020, il [D______] avait appris par des collaborateurs et le chef de cuisine que A______ avait offert de nombreuses consommations à des clients, avait bu avec eux au point qu'il titubait et avait demandé au personnel de fermeture de quitter le restaurant pour y rester seul avec ses amis. A une autre occasion, A______ avait contredit une instruction de D______ que l'apéro soit offert à des bons clients, expliquant à la serveuse que c'était lui le directeur et ajoutant une remarque indélicate sur les clients. Au vu de ces faits, qu'il considérait inadmissibles, il [D______] avait décidé de licencier A______, ce qu'il avait fait lors d'un entretien en tête-à-tête avec lui.

·         Entendue en qualité de témoin, F______ a indiqué que D______, pour lequel elle travaillait depuis six ans au sein du restaurant G______, lui avait confié la mission de faire pour C______ un "copier-coller" de ce qu'ils avaient créé chez G______.

Elle s'entendait bien avec A______ sur un plan personnel; sur le plan professionnel, ils n'avaient pas la même manière de fonctionner et tout ne s'était pas bien passé. Elle avait dû s'occuper de certaines tâches à sa place et en plus il lui avait manqué de respect.

A______ pouvait être très sympathique mais devenir très agressif envers les collaborateurs, ce qui avait suscité beaucoup de plaintes de leur part. Elle avait elle-même été la cible de "hurlements" de sa part devant d'autres collaborateurs

A______ venait et partait quand il voulait. Il n'avait jamais fait la fermeture mais, pendant une période en tout cas, avait assuré l'ouverture.

J______ était un ami proche. Il avait été engagé par D______ et A______. Il aurait pu être à sa place au sein de C______ si les choses avaient été faites correctement dès le départ et si A______ avait respecté son travail. Il est vrai que J______ avait connu une période de flottement de deux à trois jours avant l'ouverture et avait des difficultés à gérer les priorités, ce qui agaçait A______. Dès l'ouverture du restaurant, ce dernier avait tout fait pour que J______ s'en aille. Lorsqu'il s'adressait à lui, il n'était pas vraiment correct, voire un peu agressif, et cela devant les autres collaborateurs, ce qui les mettait mal à l'aise. Les remarques de A______ à J______ étaient de nature professionnelle mais également personnelle, certaines concernant son orientation sexuelle.

Les consommations offertes devaient être "tipées", ce que A______ ne faisait pas.

C'est bien elle qui, à la fin du mois de septembre 2022, avait écrit à D______ pour demander à être relevée de sa mission (pièce 3 intimée; cf. let C.i ci-dessus), sa lettre reflétant son ressenti de l'époque.

·         Entendu en qualité de témoin, E______, chef de cuisine de C______, a indiqué travailler depuis 2016 pour D______, avec lequel il avait préparé la carte de C______.

Avant l'ouverture du restaurant, il avait discuté du concept avec A______. Celui-ci avait des idées, mais elles n'étaient pas très structurées.

Au niveau personnel, il s'entendait bien avec A______, mais pas sur le plan professionnel. A______ avait un caractère difficile. Selon lui [E______], A______ ne connaissait pas bien son métier dans la restauration; il avait un caractère expansif qui attirait l'attention des clients mais n'était pas "à la hauteur" professionnellement, n'assumant pas ses responsabilités en tant que directeur.

A______ entretenait des relations conflictuelles avec F______, à qui il lui arrivait de "mal parler" en présence de collaborateurs du restaurant, allant jusqu'à hurler.

A______ était présent au restaurant pendant la journée mais personne ne savait quand il arrivait ou quand il partait.

Lors d'une fin de soirée, il avait vu A______ se déplacer en titubant après avoir consommé de l'alcool avec des clients. Il lui était également arrivé de jeter son masque dans le tiroir où se trouvaient les couverts.

Le comportement de A______ à l'égard de J______ était plutôt désagréable, et ce en présence de collaborateurs du restaurant. Les remarques que le premier adressait au second étaient également de nature personnelle. Il [E______] l'avait entendu traiter J______ d'homosexuel.

Le témoin a indiqué avoir parlé à D______ des difficultés rencontrées avec A______. Il avait personnellement assisté à deux avertissements verbaux donnés par D______ à A______, le premier invitant le second à changer son attitude envers le personnel et à faire son travail avec professionnalisme. A son souvenir, le premier de ces avertissements avait été donné environ deux semaines après l'ouverture et le second deux semaines plus tard.

·         Entendu en qualité de témoin, J______ a indiqué être un ami de F______.

Selon lui, A______ était un directeur d'établissement incompétent. Il était fréquemment absent et arrivait souvent en retard au "briefing", ce qui ne l'empêchait pas de modifier après coup les instructions données au personnel de salle, ce qui le [J______] décrédibilisait. Il ne respectait pas les règles d'hygiène, ayant plusieurs fois mis son masque COVID usagé dans le bac à couverts propres. Il ne traitait pas tous les employés de la même manière.

Sa propre relation avec A______ avait été conflictuelle. Celui-ci le décrédibilisait devant ses collègues et s'adressait à lui d'un ton inadéquat. Après un mois seulement d'activité, il [J______] ne "tenait plus le coup" et avait annoncé sa démission à D______, qui avait toutefois préféré lui donner son congé. Ses collègues, qui avaient pu voir qu'il était en souffrance, lui avaient manifesté leur soutien.

·         Entendu en qualité de témoin, H______ a indiqué avoir travaillé au sein du restaurant C______ comme assistant maître d'hôtel, puis comme maître d'hôtel, avant de démissionner.

Il avait travaillé environ un mois en même temps que A______, avec lequel il avait entretenu des rapports "ni mauvais, ni bons".

A______ offrait de manière récurrente des consommations à des clients sans les "tiper".

A une occasion, en soirée, il avait vu A______ légèrement ivre sur le lieu de travail. Celui-ci, qui avait offert des consommations à un groupe de trois à quatre clients, lui avait demandé de partir avant lui, ce qu'il avait fait après avoir clôturé la caisse. A son départ, les seuls clients encore présents étaient ceux se trouvant avec A______.

·         Entendue en qualité de témoin, K______ a indiqué avoir travaillé au sein de C______ comme chef de rang en septembre 2020 puis avoir démissionné.

A une occasion, elle avait reçu pour instruction de D______ de servir deux coupes de champagne à des clients VIP. Au moment où elle avait voulu s'exécuter, A______ s'y était opposé. Comme elle insistait, il lui avait répondu que c'était lui le patron et qu'elle n'avait pas à remettre ses ordres en question. A la fin du repas, A______ avait encore fait une remarque sur l'âge des clients.

·         Entendu en qualité de témoin, L______ a indiqué être photographe de profession et recevoir à ce titre des mandats de D______. Il connaissait par ailleurs A______ depuis vingt ans.

En septembre 2020, il avait participé au "testing" du restaurant. A cette occasion, il avait assisté à des scènes "un peu embêtantes, qui m'ont paru un peu homophobes" : lors du repas, A______ était en effet venu vers lui et lui avait dit, en parlant de J______, "tu as vu ce petit pédé ?". A______ lui avait aussi parlé de la manière dont J______ s'habillait, de son incompétence et du fait qu'il n'était pas à sa place dans le restaurant. Il [L______] avait relaté ces propos à D______. Quelques jours plus tard, J______ s'était confié à lui, lui disant à quel point il était touché et se sentait persécuté.

·         Entendu en qualité de témoin, M______ a indiqué avoir travaillé au sein de C______ du 7 septembre à la deuxième ou troisième semaine du mois d'octobre 2020. Auparavant, A______ et lui avaient travaillé trois ans et demi pour un autre employeur.

Selon lui, A______ était un bon directeur et lui-même pourrait retravailler sans problème avec lui.

Les relations entre le personnel et A______ étaient bonnes. Même en situation de stress, le comportement de ce dernier était bien. Il lui arrivait de "parler sec et autoritaire", mais il n'y avait là rien d'anormal dans un restaurant.

Il [M______] avait entretenu de très bons rapports avec J______. Celui-ci pouvait être stressé très rapidement et il [M______] ne pensait pas que C______ était le type d'établissement qui lui convenait.

·         Entendue en qualité de témoin, N______ a indiqué avoir travaillé au sein de C______ en qualité de serveuse durant le mois d'octobre 2020. C'est A______, avec lequel elle avait précédemment travaillé trois ans dans un autre établissement, qui lui avait proposé de le rejoindre chez C______.

Selon elle, A______ était un bon directeur. C'est lui qui l'avait formée lors de son arrivée chez C______, lui expliquant notamment comment ouvrir la caisse le matin. Il était toujours présent le matin lorsqu'elle prenait son emploi, à 6h30.

Elle avait entretenu de bonnes relations avec A______, qui était quelqu'un d'humain, d'investi et de poli. Elle ne pouvait pas s'exprimer sur les relations entre A______ et les autres collaborateurs du restaurant dès lors qu'elle travaillait dans d'autres salles et seule.

·         Entendu en qualité de témoin, O______ a indiqué figurer sur le "mailing" de A______ et fréquenter depuis vingt ans les restaurants où ce dernier travaillait, ayant toujours été bien reçu dans des lieux créatifs et accueillants.

Il était venu plusieurs fois manger chez C______ et avait été émerveillé. A______ était le personnage clé pour accueillir les clients; il lui avait présenté les lieux et lui avait expliqué qu'il en était le créateur.

A______ voyait tout ce qui se passait au restaurant. Il passait de table en table et donnait des instructions au personnel. Il [O______] n'avait rien remarqué de spécial dans son langage à l'égard des employés, ayant le sentiment qu'il y avait une bonne ambiance entre les collaborateurs comme dans les autres restaurants gérés par A______.

d. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a retenu que, quand bien même la force probante des déclarations des témoins F______, J______ et E______ devait être relativisée, les autres éléments du dossier, en particulier les déclarations des témoins H______, K______ et L______ permettaient de retenir certains manquements de A______ à ses devoirs, à savoir d'avoir été légèrement ivre sur son lieu de travail, d'avoir offert des consommations sans les enregistrer en caisse, d'avoir contredit des instructions de D______ et d'avoir tenu des propos inadéquats concernant J______. La réalité des motifs de licenciement invoqués par l'intimée avait ainsi été établie, alors que l'appelant n'était pour sa part pas parvenu à démontrer le caractère fictif de ces motifs, échouant en particulier à prouver qu'il aurait formulé avant le licenciement des demandes de finalisation de la convention d'actionnaires. Les motifs invoqués étaient par ailleurs de nature à justifier un congé, à plus forte raison pendant le temps d'essai; l'argument de l'appelant selon lequel les parties travaillaient ensemble depuis plus d'une année au moment du congé devait être écarté dans la mesure où son activité de directeur n'avait débuté qu'en septembre 2020.

En l'absence de violation du contrat de travail par l'intimée, l'allocation à l'appelant d'une indemnité pour tort moral au sens des art. 328 et 49 al. 1 CO n'entrait par ailleurs pas en considération.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est dirigé contre une décision finale de première instance rendue dans le cadre d'un litige portant sur une valeur litigieuse de plus de 10'000 fr. au dernier état des conclusions de première instance (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Il a été déposé dans le délai de 30 jours à compter de la notification de la décision et respecte, au surplus, la forme prescrite (art. 130, 131, 145 al. 1 let. c et 311 CPC).

L'appel est ainsi recevable.

1.2 La valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr., la procédure ordinaire est applicable (art. 219 et 243 CPC) et celle-ci est soumise aux maximes des débats et de disposition (art. 55 CPC cum art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC et art. 58 CPC).

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par les juges de première instance et vérifie si ceux-ci pouvaient admettre les faits qu'ils ont retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

2.             L'appelant fait reproche au Tribunal d'avoir apprécié les faits de manière arbitraire en retenant que les motifs de congé invoqués par l'intimée étaient établis et qu'il s'agissait des motifs réels du congé. Il considère en outre que, s'il s'était fondé sur un établissement correct des faits, le Tribunal aurait dû retenir le caractère abusif, au sens de l'art. 336 al. 1 let. d CO, du congé notifié le 29 octobre 2020.

2.1.1 Selon le principe posé à l'art. 335 al. 1 CO, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. En droit suisse du travail prévaut la liberté de la résiliation, de sorte que, pour être valable, un congé n'a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier (ATF 131 III 535 consid. 4.1 p. 538). Le droit fondamental de chaque cocontractant de mettre fin unilatéralement au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO).

L'art. 336 CO ne définit pas la notion de congé abusif mais contient une liste – non exhaustive – de différents cas dans lesquels la résiliation d'un contrat de travail doit être considérée comme abusive. Peuvent également être considérés comme abusifs les congés donnés dans d'autres situations qui apparaissent comparables, par leur gravité, aux hypothèses mentionnées à l'art. 336 CO (ATF 136 III 513 consid. 2.3).

De manière générale, le congé doit être qualifié d'abusif s'il est donné pour un motif qui n'est pas digne de protection (Dunand, in Commentaire du contrat de travail, 2ème édition, 2022, Dunand/Mahon [éd.], N 10 ad art. 336 CO). Ce n'est pas le but premier du congé, soit la fin des rapports de travail, qui donne au congé son caractère abusif, mais le motif intérieur qui a poussé de manière décisive la partie à résilier le contrat. Ce motif doit être examiné au moment où le congé est notifié : un comportement postérieur au licenciement ne peut donc, en principe, le rendre abusif ou le justifier a posteriori (arrêt du Tribunal fédéral 4A_439/2016 du 5 décembre 2016 consid. 3.2).

L'art. 336 CO est en soi applicable à un congé donné pendant le temps d'essai, mais l'admission du caractère abusif d'un tel congé devrait rester exceptionnelle. Dans la mesure en effet où le temps d'essai doit permettre aux parties de déterminer si leurs attentes respectives sont réalisées et d'apprécier en pleine connaissance de cause si elles entendent entrer dans une relation durable, chacune d'elles doit pouvoir décider librement de se lier ou non, ce qui implique nécessairement une part d'arbitraire (ATF 134 III 108 consid. 7; arrêt du Tribunal fédéral 4A_432/2009 du 10 novembre 2009 consid. 2.2, 2.4 et 2.5).

2.1.2 Doivent notamment être considérés comme abusifs :

·         Le congé donné pour une raison inhérente à la personnalité de l'autre partie, à moins que cette raison n'ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entreprise (art. 336 al. 1 let. a CO). Est visé le congé discriminatoire, fondé par exemple sur le statut familial, la race, la nationalité, etc. (Dunand, op. cit., N 30 ad art. 336 CO et références citées). Le licenciement n'est en principe pas abusif lorsque le travailleur présente des manquements ou des défauts de caractère (par exemple: forte personnalité; trouble de la mémoire; caractère brouillon; incapacité de décision) qui nuisent au travail en commun (arrêts du Tribunal fédéral 4A_309/2010 du 6 octobre 2010 consid. 2.4 à 2.6; 8C_826/2009 du 1er juillet 2010 consid. 4.4; 4C.189/2003 du 23 septembre 2003 consid. 4.2; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4e éd., 2019, p. 786 ss; Dunand, op. cit., N 32 ad art. 336 CO). De même, il a été jugé que le congé n'était pas abusif lorsqu'il était donné au travailleur qui, en raison de son caractère difficile, avait créé une situation conflictuelle qui nuisait notablement au travail en commun (ATF 136 III 513 consid. 2.5).

·         Le congé donné seulement afin d'empêcher la naissance de prétentions juridiques de l'autre partie, résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. c CO). La prétention visée peut résulter du contrat ou de la loi et son exécution doit être liée à un moment déterminé des rapports de travail; il s'agira par exemple d'une prime de fidélité, d'une gratification, d'une augmentation du droit aux vacances, etc. (arrêt du Tribunal fédéral 4C_388/2006 du 30 janvier 2007 consid. 3.1).

·         Le congé donné parce que l'autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. d CO). Sont notamment visées les prétentions portant sur des salaires, des primes ou des vacances (arrêt du Tribunal fédéral 4C_237/2005 du 27 octobre 2005 consid. 2.3 et les références citées). Ces prétentions émises par l'employé doivent encore avoir joué un rôle causal dans la décision de l'employeur de le licencier (ATF 136 III 513 consid. 2.6 p. 517). Ainsi, le fait que l'employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n'a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l'employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l'origine et qu'elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement (arrêt du Tribunal fédéral 4C.60/2006 du 22 mai 2006 consid. 7.1 et les arrêts cités). Plus les deux évènements seront rapprochés dans le temps et plus facilement l'on pourra en inférer un indice du caractère abusif du congé (Dunand, op. cit., N 52 ad art. 336 CO).

·         Selon les circonstances, le congé donné par l'employeur pour un motif de pure convenance personnelle, sans relation avec l'existence de manquements professionnels de la part de l'employé (ATF 131 III 535 consid. 4.2 et 4.3).

·         Le congé notifié sans égards. Par exemple, le fait d'accuser à la légère un travailleur d'une faute lourde, portant atteinte à son honneur personnel et professionnel, constitue une violation de l'obligation de l'employeur de respecter la personnalité du travailleur, ce indépendamment de toute communication à des tiers. Intervenant à l'occasion de la résiliation, cette manière de procéder rend le licenciement abusif (arrêts du Tribunal fédéral 4A_694/2015 du 4 mai 2016 consid. 2.2; 4A_99/2012 du 30 avril 2012 consid. 2.2.2; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 806 ss, notamment 815; Dunand, op. cit., N 92 ad art. 336 CO). En revanche, un comportement qui ne serait simplement pas convenable ou qui serait indigne des relations commerciales établies ne suffit pas (ATF 132 III 115 consid. 2.3; 131 III 535 consid. 4.2).

2.1.3 En application de l'art. 8 CC, c'est en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. Elle doit établir non seulement le motif abusif, mais aussi l'existence d'un lien de causalité entre l'état de fait fondant le caractère abusif du congé et la résiliation du contrat de travail. L'appréciation du caractère abusif d'un licenciement suppose l'examen de toutes les circonstances du cas d'espèce afin de déterminer quel est le motif réel du congé (arrêt du Tribunal fédéral 4A_408/2011 du 15 novembre 2011 consid. 5.2; 4A_564/2008 du 26 mai 2009 consid. 2.1; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 804 ss; Dunand, op. cit., N 22 ad art. 336 CO).

En ce domaine, la jurisprudence a cependant tenu compte des difficultés qu'il pouvait y avoir à apporter la preuve d'un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui a donné le congé. Selon le Tribunal fédéral, le juge peut présumer en fait l'existence d'un congé abusif lorsque l'employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l'employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n'a pas pour résultat d'en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de "preuve par indices". De son côté, l'employeur ne peut rester inactif; il n'a pas d'autre issue que de fournir des preuves à l'appui de ses propres allégations quant au motif du congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1).

2.2 En l'espèce, la teneur exacte de l'entretien du 29 octobre 2020 lors duquel l'administrateur de l'intimée a signifié oralement son congé à l'appelant n'a pu être établie, et en particulier les motifs éventuellement invoqués de vive voix à cette occasion. La lettre de licenciement qui aurait dû être remise lors de cette entretien à l'appelant – et que celui-ci a refusé de signer – fait état d'une rupture de la relation de confiance malgré plusieurs avertissements. Enfin, la lettre du conseil de l'intimée du 9 décembre 2020 mentionne plusieurs manquements de l'appelant, auquel il était reproché de créer une ambiance de travail délétère, de traiter de manière inadéquate certains membres du personnel, d'avoir été ivre sur son lieu de travail, d'offrir des consommations à des clients sans les enregistrer en caisse et d'avoir, à une occasion, refusé d'exécuter une instruction de l'administrateur de l'intimée.

En d'autres termes, le congé était officiellement motivé par le caractère difficile de l'appelant et ses conséquences sur l'ambiance de travail et la gestion du personnel, ainsi que sur ses insuffisances professionnelles.

Il convient donc d'examiner si, d'un point de vue factuel, les motifs invoqués par l'intimée peuvent être retenus (consid. 2.2.1), s'ils constituent le motif réel du congé ou si celui-ci a en réalité été donné pour un autre motif (consid. 2.2.2) et, une fois le motif réel du congé établi, d'établir en droit s'il revêt un caractère abusif (consid. 2.2.3).

2.2.1 Le Tribunal a retenu que l'instruction de la cause, et en particulier l'audition des nombreux témoins cités à la requête des parties, avait permis de confirmer la réalité des comportements imputés à l'appelant par l'intimée.

Cette appréciation doit être confirmée.

Certes, et comme l'a relevé le Tribunal, les déclarations de certains témoins doivent être prises avec une certaine prudence, que ce soit en raison de leur ressentiment manifeste à l'égard de l'appelant (témoin J______) ou de leur dépendance professionnelle à l'égard de l'administrateur de l'intimée (témoins F______ et E______). Il n'en reste pas moins que ces déclarations, prises dans leur ensemble et mises en relation avec celles des autres personnes entendues, apparaissent cohérentes et crédibles. Elles portent en grande partie sur des éléments de fait objectifs, sur lesquels on peut penser que les témoins n'ont pas délibérément menti, et, même lorsqu'elles concernent des éléments plus subjectifs, les témoins F______ et E______ ont pris soin de distinguer leurs relations personnelles avec l'appelant, qualifiées de bonnes, de leurs rapports professionnels. Enfin, cette nécessité de faire preuve de prudence dans l'appréciation des témoignages s'applique également aux déclarations des témoins O______, M______ et N______, proches de l'appelant pour le suivre depuis de nombreuses années ou avoir travaillé précédemment avec lui.

Il a ainsi été établi que l'appelant pouvait avoir à l'égard de certains membres du personnel du restaurant un comportement versatile, se montrant capable de s'emporter et de s'en prendre en hurlant à certains collaborateurs, même d'un niveau élevé comme F______, lorsqu'il n'était pas satisfait de la manière dont les choses se passaient. Les déclarations concordantes des témoins F______, E______, J______ et L______ attestent également de l'attitude inadéquate de l'appelant à l'égard de J______, allant de remarques à des tiers ou en présence de collaborateurs sur son incompétence supposée à des commentaires sur la manière dont il s'habillait et ses orientations sexuelles. Il résulte enfin des témoignages recueillis qu'un certain nombre de collaborateurs ressentaient un malaise face à ce type de comportement, d'où une ambiance de travail difficile; sur ce dernier point, les déclarations des témoins O______, qui n'était qu'un client occasionnel et n'était donc pas présent au quotidien, et N______, qui travaillait seule dans une salle séparée, ne sont pas déterminantes. Celles du témoin M______, lequel admet au demeurant qu'il arrivait à l'appelant de parler de manière sèche et autoritaire, ne permettent pas à elles seules de renverser ces conclusions.

Les déclarations des témoins F______, E______ et H______ confirment pour leur part plusieurs comportements de l'appelant dénotant de sa part un certain manque de professionnalisme dans l'accomplissement de ses tâches. Il doit ainsi être retenu que celui-ci ne prévenait pas ses proches collaborateurs de ses allées et venues, faisait preuve d'une grande légèreté dans le respect et la surveillance des règles d'hygiène alors en vigueur, offrait des consommations à des clients sans les enregistrer en caisse et, de manière générale, concentrait son activité sur l'accueil de la clientèle au détriment des tâches administratives, allant même jusqu'à être surpris à une occasion légèrement ivre sur son lieu de travail.

Le témoin K______, dont les déclarations paraissent a priori crédibles, a pour sa part confirmé qu'à une occasion au moins l'appelant, sous prétexte d'asseoir son autorité, se serait opposé à ce que des instructions expresses données par l'administrateur de l'intimée soient suivies, ce que l'appelant conteste. La question peut demeurer ouverte, étant précisé que l'appelant admet avoir eu en présence du témoin une remarque indélicate à propos des clients concernés.

C'est ainsi à juste titre que le Tribunal a retenu que les comportements imputés à faute à l'appelant par l'intimée, et invoqués par celle-ci pour motiver la résiliation du 29 octobre 2020, étaient établis.

2.2.2 Il résulte des témoignages (notamment témoins F______, E______ et L______; cf. également pièce 3 intimée) que les comportements de l'appelant décrits ci-dessus ont été portés à la connaissance de l'intimée, en la personne de son administrateur D______. Selon le témoin E______, et contrairement à ce que soutient l'appelant, D______ l'a par ailleurs averti à deux reprises au moins qu'il lui appartenait de changer son attitude à l'égard du personnel et de faire preuve de davantage de professionnalisme.

La résiliation est en outre intervenue quelques jours seulement après que les incidents relatifs à l'ivresse sur le lieu de travail et au non-respect des instructions de l'intimée eurent été portés à la connaissance de D______.

Ces éléments permettent de retenir, à l'instar du Tribunal, que les motifs réels du licenciement sont bien ceux invoqués par l'intimée dans la lettre de licenciement du 29 octobre 2020 et dans la lettre de son conseil du 9 décembre 2020.

La thèse contraire soutenue par l'appelant, selon laquelle le motif réel du congé aurait été de l'empêcher d'entrer dans l'actionnariat de l'intimée comme convenu entre lui et D______, ne trouve pour sa part aucun appui dans le dossier.

En premier lieu, et comme l'a constaté le Tribunal, l'appelant a échoué à établir, serait-ce sous l'angle de la vraisemblance et par indices, qu'il aurait formulé, avant son licenciement, des demandes de finalisation du pacte d'actionnaires devant le lier à D______. L'argument qu'il invoque à cet égard en appel, soit qu'il n'était guère en situation de formuler une telle demande par écrit, ne lui est à cet égard d'aucun secours : c'est à lui en effet qu'incombe le fardeau de la preuve du motif (abusif) du congé et de sa relation de causalité avec la résiliation et, si cette preuve a certes été facilitée par la jurisprudence, cette facilitation ne saurait conduire à admettre la réalité d'un fait en l'absence de toute preuve.

En second lieu, la convention conclue entre l'appelant et D______ relative à l'entrée du premier dans l'actionnariat de l'intimée, telle qu'elle résulte des déclarations des parties et de la pièce 3 appelant, ne lui confère aucune prétention certaine. Ce n'est en effet qu'après une période de mise à l'épreuve de six mois que, pour autant que D______ juge sa performance satisfaisante, l'appelant aurait pu espérer acquérir une participation très minoritaire dans la société exploitant le restaurant. Cette participation devait en outre être restituée à D______ en cas de résiliation du contrat de travail de l'appelant, pour quelque motif que ce soit. En d'autres termes, D______ n'aurait eu aucune obligation ferme de céder des actions de la société intimée à l'appelant même dans l'hypothèse d'une continuation des rapports de travail, à plus forte raison compte tenu des difficultés liées à la manière dont il exerçait ses fonctions.

2.2.3 Il résulte du considérant qui précède que les motifs (réels) du licenciement résident d'une part dans le manque de professionnalisme de l'appelant, et donc dans l'insuffisance de ses prestations, et d'autre part dans son caractère difficile, avec les conséquences en découlant sous l'angle de la gestion du personnel et celui de la création d'une ambiance de travail adéquate. A priori, ces motifs n'ont rien d'abusif au regard de l'art. 336 al. 1 CO, en particulier de ses let. a et d.

A plus forte raison, ils ne sont pas critiquables dans le cadre d'une résiliation donnée pendant le temps d'essai dans la mesure où, jusqu'à l'expiration de cette période, les parties conservent en principe leur liberté contractuelle de s'engager ou non pour une durée plus longue. L'appelant ne conteste pas à cet égard avoir accepté qu'une période d'essai de trois mois soit stipulée dans le contrat conclu le 20 août 2020. On ne saurait dès lors faire reproche à l'intimée, après avoir constaté que les prestations de l'appelant ne la satisfaisaient pas, d'avoir mis un terme à la relation.

L'argument de l'appelant selon lequel, les parties (plus exactement D______ et lui-même) collaborant déjà depuis plus d'une année dans le cadre du développement du restaurant, elles n'ignoraient plus rien de leurs qualités et défauts et s'étaient engagées en connaissance de cause, ne porte pas. Il oublie en effet que ce n'est qu'à compter de l'ouverture effective du restaurant, en septembre 2020, que l'intimée a pu évaluer ses compétences en matière de direction d'un restaurant.

Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de considérer que la résiliation serait intervenue sans égard. Selon les déclarations des parties et des témoins E______ et H______, c'est lors d'un entretien en tête-à-tête avec l'administrateur de l'intimée que la décision de cette dernière de mettre un terme aux relations de travail lui a été annoncée. Comme relevé ci-dessus, le congé était par ailleurs consécutif à au moins deux avertissements oraux de l'employeur. La brièveté alléguée de l'entretien, comme l'absence alléguée de motivation, au demeurant contestées et non établies, ne peuvent en soi et compte tenu des circonstances être considérées comme un manque d'égards, ce d'autant que l'appelant lui-même a refusé de signer pour réception la lettre de congé, laquelle comportait une motivation embryonnaire.

Le congé donné le 29 octobre 2020 n'était donc pas abusif, avec pour conséquence que le rejet des prétentions de l'appelant en paiement d'un montant de 24'000 fr. au titre d'indemnité pour congé abusif au sens de l'art. 336a CO doit être confirmé.

3.             L'appelant dénonce une violation des art. 328 et 49 al. 1 CO. Selon lui, la manière dont le congé lui avait été notifié, les motifs invoqués et le contexte dans lequel il était intervenu constituaient autant d'atteintes à sa personnalité, à son image et à sa réputation, lesquelles avaient provoqué chez lui le sentiment d'avoir été exploité et trahi, ce qui justifiait l'allocation en sa faveur d'une indemnité pour tort moral.

3.1 L'art. 336a al. 2 deuxième phrase CO réserve les prétentions en dommages et intérêts de l'employé contre l'employeur dues à un autre titre que le caractère abusif du congé. Sont notamment visées les prétentions en octroi d'une indemnité pour tort moral au sens de l'art. 49 al. 1 CO résultant d'une autre cause que le licenciement, en particulier la violation de l'obligation contractuelle liée à la protection de la personnalité du travailleur (art. 328 CO) (Dunand, op. cit., N 40 ad art. 336a CO et références citées).

L'art. 328 al. 1 CO impose à l'employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur, et de manifester les égards voulus pour sa santé. La violation de l'art. 328 CO est une inexécution contractuelle, qui permet à la victime de réclamer la réparation du dommage, lequel peut consister en une réparation pour tort moral aux conditions posées par l'art. 49 CO (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4ème éd., 2019, pp. 397-398).

Selon l'art. 49 al. 1 CO celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. N'importe quelle atteinte ne justifie pas une indemnité (ATF 125 III 70 consid. 3a). L'atteinte doit revêtir une certaine gravité objective et être ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu'il apparaisse légitime de s'adresser au juge afin d'obtenir réparation (cf. ATF 129 III 715 consid. 4.4 et 120 II 97 consid. 2a et b). Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer si les circonstances d'espèce justifient une indemnité pour tort moral dans le cas particulier (ATF 129 III 715, consid. 4.4; 137 III 303, consid. 2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_159/2016 du 1er décembre 2016 consid. 4.1).

L'atteinte objectivement grave doit être ressentie par la victime comme une souffrance morale, à défaut de quoi aucune indemnisation ne peut lui être accordée. Comme chaque être humain ne réagit pas de la même manière à une atteinte portée à son intégrité psychique, le juge doit se déterminer à l'aune de l'attitude d'une personne ni trop sensible, ni particulièrement résistante. Pour que le juge puisse se faire une image précise de l'origine et de l'effet de l'atteinte illicite, le lésé doit alléguer et prouver les circonstances objectives desquelles on peut inférer la grave souffrance subjective qu'il ressent, malgré la difficulté de la preuve dans le domaine des sentiments (ATF 125 III 70 consid. 3a; 120 II 97 consid. 2b p. 98 s.). La gravité de l'atteinte à la personnalité suppose en tout cas une atteinte extraordinaire, dont l'intensité dépasse l'émoi ou le souci habituel, de telle sorte qu'elle peut fonder une prétention particulière contre son auteur, alors que la vie exige de chacun qu'il tolère de petites contrariétés (arrêt du Tribunal fédéral 6B_400/2008 du 7 octobre 2008 consid. 6.1).

3.2 Dans le cas d'espèce, il a déjà été établi que les circonstances dans lesquelles le congé a été notifié n'étaient pas constitutives d'un manque d'égard de la part de l'intimée.

L'appelant se plaint pour le surplus d'avoir été exploité, le licenciement donné moins de deux mois après l'ouverture du restaurant constituant selon lui une "trahison". Par cette argumentation, l'appelant se réfère à la période d'environ dix-huit mois précédant l'ouverture du restaurant pendant laquelle l'administrateur de l'intimée et lui-même ont chacun œuvré, de manière coordonnée mais dans des conditions aujourd'hui litigieuses, en vue de cette ouverture. Il oublie toutefois que son activité pendant cette période ne relevait pas d'un contrat de travail, que ses fonctions de directeur au service de l'intimée n'ont débuté que le 1er septembre 2020 et que, ayant convenu avec cette dernière d'une période d'essai de trois mois, il ne pouvait s'attendre à ce que son emploi soit garanti pour une durée plus longue, voire indéterminée, à plus forte raison si, comme cela a été le cas, ses prestations ne donnaient pas satisfaction. Le fait de mettre fin – de manière licite – à la relation de travail deux mois après son commencement ne saurait donc être considéré comme une atteinte à la personnalité de l'appelant.

L'appelant paraît reprocher à l'intimée de ne pas avoir fait de communiqué public relatif à la fin des relations de travail. Il n'indique toutefois pas quel aurait pu ou dû être le contenu d'un tel communiqué ni sur quelle base l'intimée aurait été tenue de l'émettre. Au vu des motifs du congé, on peut du reste s'interroger sur la conformité d'un tel communiqué avec le devoir de l'intimée de protéger la personnalité de l'appelant.

Une violation de l'art. 328 CO ne peut ainsi être retenue en l'espèce.

A cela s'ajoute que les atteintes à sa personnalité alléguées (dégât d'image, atteinte à la réputation, difficultés de sommeil, incapacité de travail) par l'appelant ne sauraient justifier l'allocation d'une indemnité pour tort moral au sens de l'art. 49 al. 1 CO. Outre le fait que ni leur existence ni leur relation de causalité avec les violations de l'art. 328 CO imputées à l'intimée ne sont établies, elles sont pour partie (dégât d'image et de réputation) la conséquence directe du congé, dont la licéité a été admise, et n'atteignent pour le surplus pas le degré de gravité requis par l'art. 49 al. 1 CO.

Le jugement contesté doit ainsi également être confirmé en tant qu'il rejette la prétention de l'appelant en octroi d'une indemnité pour tort moral de 20'000 fr.

L'appel sera donc rejeté dans son intégralité.

4.             La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., la procédure d'appel est gratuite (art. 114 let. c et 116 al. 1 CPC; art. 71 RTFMC; art. 19 al. 3 let.c LaCC) et il ne sera pas alloué de dépens d'appel (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *

 


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 2 :


À la forme
:

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPH/98/2022 rendu le 29 mars 2022 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/4313/2021-2.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président ; Monsieur Vincent CANONICA, juge employeur ; Monsieur Kasum VELII, juge salarié ; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

Le greffier :

Javier BARBEITO

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.