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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/22145/2019

CAPH/181/2021 du 19.09.2021 ( OO ) , ARRET/CONTRA

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22145/2019-4 CAPH/181/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 19 SEPTEMBRE 2021

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, recourant contre une amende (AMTPH/3/2021) prononcée par le Tribunal des prud'hommes le 29 avril 2021, comparant en personne.


EN FAIT

A.           Par amende n°AMTPH/3/2021 du 29 avril 2021, le Tribunal des prud'hommes a condamné A______ à une amende de 500 fr. pour avoir enfreint les convenances, dans la cause C/22145/2019.

La décision ne comporte aucune motivation.

B.            a. Par acte déposé à la Cour le 7 mai 2021, A______ forme recours contre cette amende, reçue le 30 avril 2021, concluant à son annulation et à la mise des frais à la charge de l'Etat.

b. Par arrêt présidentiel du 18 mai 2021, la Cour a admis la requête de A______ tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché au dispositif de la décision d'amende n° AMTPH/3/2021 rendue le 29 avril 2021 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/22145/2019.

c. Par déterminations reçues par la Cour le 9 juin 2021, le Président du Tribunal des prud'hommes a conclu à la confirmation de l'amende, mais à la réduction de son montant à 250 fr.

d. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 7 juillet 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits suivants ressortent du dossier.

a. A______ a été cité en qualité de témoin par le Tribunal, dans la cause opposant B______ à C______ SA.

b. A teneur du procès-verbal de son audition, A______ a été exhorté à dire la vérité. Ses déclarations ont été protocolées de la manière suivante:

"A la question de savoir comment j'ai eu l'idée de créer une société qui est active principalement dans la gestion de ______, je réponds que je trouve profondément scandaleux qu'on me pose ce genre de questions. Il suffit d'aller voir sur internet pour constater que les banques et un grand nombre d'autres institutions offrent des prestations identiques ( )".

A la suite de quoi, selon la note qui figure au procès-verbal, le Tribunal a rendu le témoin attentif à son devoir de témoigner et lui a rappelé les règles de la bienséance. Il a averti le témoin qu'il serait amendé s'il continuait à commenter la procédure au lieu de donner les réponses.

Le témoin a répondu qu'il se réjouissait de recevoir l'amende.

La suite du procès-verbal a la teneur suivante:

"Audition (suite)

Avant de créer [la société] D______, je n'avais pas d'expérience dans les ______ similaires à ceux vendus par C______ SA, sinon je n'aurais pas engagé des spécialistes dans ce domaine.

Note du Tribunal

Le conseil de la défenderesse indique qu'il s'agit de l'allégué 73 déf. qui sert de base à la question posée.

Audition (suite)

B______ n'a pas d'intérêt dans la société autre que son salaire. Il a une rémunération de base et un bonus.

Note du Tribunal

Le Tribunal décide d'infliger une amende d'ordre de 250 fr. au témoin pour avoir à nouveau interpellé le Tribunal sur la procédure au lieu de répondre à la question.

Audition (suite)

( )"

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC).

L'art. 128 al. 4 CPC stipule que l'amende disciplinaire peut faire l'objet d'un recours.

Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours dans les 30 jours à compter de la notification de la décision. Le délai est de dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire et les ordonnances d'instruction, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

La doctrine est partagée sur la qualification de la décision infligeant une amende disciplinaire (ordonnance d’instruction, ou « autre décision » au sens de
l’art. 319 lit. b CPC) et sur le délai du recours disponible en vertu de l'art. 128 al. 4 CPC (ATF
145 III 469 consid. 4).

1.2 En l'espèce, dans la mesure où le recours a été déposé dans le délai de dix jours dès réception de l'amende, il l'a été en temps utile, sans qu'il soit nécessaire de trancher plus avant la nature de la décision querellée. De plus, il répond aux exigences de forme, de sorte qu'il est recevable.

2. Le recourant reproche au Tribunal d'avoir prononcé une amende disciplinaire sans motiver sa décision.

2.1.1 Quiconque, au cours de la procédure devant le tribunal, enfreint les convenances ou perturbe le déroulement de la procédure est puni d’un blâme ou d’une amende disciplinaire de 1'000 francs au plus. Le tribunal peut, en outre, ordonner l’expulsion de la personne concernée de l’audience (art. 128 al. 1 CPC).

Le prononcé d'une mesure disciplinaire en raison d'un comportement inconvenant constitue une limitation de la liberté d'expression garantie par les art. 16 Cst. et 10 CEDH, qui comprend le droit de formuler des critiques envers la justice et ses fonctionnaires. Elle doit donc reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et proportionnée au but visé. L'art. 128 CPC constitue une base légale idoine. Est qualifiée d'inconvenante au sens de cette norme, une argumentation qui méconnaît les usages imposés en matière procédurale et dont le ton, ainsi que les termes utilisés ne sont pas justifiables, même par le droit d'exprimer des critiques sévères envers les autorités. Est qualifiée d'inconvenante une argumentation qui méconnaît les usages imposés en matière procédurale et dont le ton, ainsi que les termes utilisés ne sont pas justifiables, même par le droit d'exprimer des critiques sévères envers les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 13.3.4 et les références citées).

Cette disposition permet au juge ou au tribunal d'assurer la police d'audience (haldy, CR-CPC, n. 3 ad art. 128 CPC).

2.1.2 Garanti aux art. 29 al. 2 Cst et 53 CPC, le droit d'être entendu impose notamment au juge de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse en saisir la portée et, le cas échéant, l'attaquer en connaissance de cause. Pour répondre à cette exigence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 137 II 266 consid. 3.2;
136 I 229 consid. 5.2). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 137 II 266 consid. 3.2; ATF 136 I 229 consid. 5.2). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_879/2015 du 29 février 2016 consid. 4.1).

Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2). Ce moyen doit être examiné avec un plein pouvoir d'examen (arrêt du Tribunal fédéral 5A_540/2013 du 3 décembre 2013 consid. 3.3.1; ATF 127 III 193 consid. 3).

Même en présence d'un vice grave, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1).

2.2 En l'espèce, la décision querellée ne comporte aucun état de fait ni aucune motivation. Il est uniquement fait référence à l'art. 128 CPC. Le droit d'être entendu du recourant a manifestement été violé. Les allégations nouvelles contenues dans les déterminations du Tribunal sont à cet égard irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

L’affaire devrait en principe être renvoyée au Tribunal afin qu’il rende une nouvelle décision prise dans le respect du droit d’être entendu du recourant.

Toutefois, compte tenu du montant en jeu, il se justifie, à titre exceptionnel et par économie de procédure, d’examiner si le prononcé de cette sanction était justifié. Force est de constater que tel n'est pas le cas. On ne discerne en effet pas, à teneur du procès-verbal de l'audience, ce que les propos du recourant ont eu d'inconvenant. La qualification de la question posée par le Conseil d'une partie de "scandaleuse" ne saurait suffire à cet égard. La suite de l'audition de témoin ne laisse non plus apparaître, à teneur du procès-verbal, aucun élément justifiant le prononcé d'une amende.

On ne discerne pas davantage une perturbation de l'audience, justifiant le prononcé d'une amende.

L'argumentation du Tribunal dans ses déterminations écrites relative à la violation par le recourant de son devoir de collaborer sont sans pertinence au regard du fondement de l'amende (art. 128 al. 4 CPC et non 167 al. 1 let. a CPC). En tout état, il ne ressort pas du procès-verbal de l'audience que le témoin aurait refusé de collaborer, de façon à justifier le prononcé d'une amende.

Le recours est fondé, de sorte que la décision entreprise sera annulée.

3. Aucun émolument n'est dû (art. 71 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4:


A la forme
:

Déclare recevable le recours interjeté le 7 mai 2021 par A______ contre la décision AMTPH/3/2021 du 29 avril 2021.

Au fond :

Annule cette décision.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salariée; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.