Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des prud'hommes

1 resultats
C/21540/2013

CAPH/180/2021 du 17.09.2021 sur OTPH/1315/2020 ( OO ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

 

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 17 SEPTEMBRE 2021

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 20 août 2020 sous référence OTPH/1315/2020 dans la cause C/21540/2013 et OTPH/1316/2020 dans la cause C/6479/2013, comparant par Me Marc BEGUIN, avocat, BÉGUIN DE GORSKI HUNZIKER, rue du Marché 20, case postale 3029, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié à ______, Emirats Arabes Unis, intimé, comparant par Me Romanos SKANDAMIS, avocat, SKANDAMIS AVOCATS SA, rue du Marché 18, 1204 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           a. A______ SA (ci-après: A______) est une société de droit suisse active notamment dans la constitution, le contrôle et la gestion de trusts, fondations et sociétés.

b. Par contrats de travail des 31 août et 1er septembre 2005, A______ a engagé B______ en qualité de "Compliance Manager" dès le 15 septembre 2005, pour une durée indéterminée.

B______ était notamment soumis à un devoir de fidélité et de confidentialité perdurant au-delà des rapports de travail.

c. Par courrier du 21 décembre 2012 adressé à A______ et B______, l'Etude parisienne C______ a indiqué être "conforté dans l'idée qu'une fraude grave [était] en cours" au préjudice de leurs "mandants" en lien avec la gestion d'un trust et que les démarches utiles allaient être entreprises pour recouvrer les sommes dues, précisant être représentée en Suisse par l'Etude D______.

Il ressort de la procédure que les mandants précités sont E______, F______, G______ et H______ et que le trust en question est le I______.

d. Par courrier du 7 janvier 2013, A______ a mis un terme aux relations de travail avec B______ avec effet au 30 avril 2013, tout en libérant ce dernier de son obligation de travailler avec effet immédiat.

Le licenciement était motivé par la découverte d'un blog sur internet dans lequel B______ critiquait son environnement de travail, ainsi que le secteur de la finance en général.

A______ a rappelé à B______ ses obligations de confidentialité et de s'abstenir de contacter les clients de celle-ci.

e. Le 11 janvier 2013, A______ a déposé une plainte pénale contre inconnu, complétée courant 2013 puis dirigée contre B______, pour violation du secret de fabrication ou du secret économique, vol, soustraction de données, recel, gestion déloyale, diffamation, calomnie, dénonciation calomnieuse et pour avoir induit la justice en erreur.

Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de cause P/1______/2013.

f. Par courrier du 4 avril 2013, le conseil de B______ a adressé à A______ une copie de sa correspondance du jour même adressée à Me J______, avocat au sein de l'Etude D______, dont la teneur était la suivante: "mon client me transmet les courriers que vous lui avez expédiés à l'adresse de [A______], certains depuis 2012 déjà. Il n'en avait pas pris connaissance avant que vous les lui acheminez à son domicile privé, [A______] n'ayant pas jugé utile de l'informer de ces correspondances, quand bien même ces dernières le mettaient en cause personnellement. [ ] il est temps pour [B______] de vous fournir toutes explications utiles, tant sur l'absence de responsabilité de sa part quant à la situation que vous décrivez - soit la gestion du I______ -, que sur la diligence et les scrupules qui ont été les siens et qui, en fin de compte, lui ont couté son poste de travail. Je vous propose dès lors de nous rencontrer".

g. Par requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles du 18 avril 2013, A______ a saisi le Tribunal des prud'hommes afin qu'il soit fait interdiction à B______ de communiquer à tout tiers tout document, information ou opinion, directement ou indirectement en lien avec son travail pour elle, en particulier à l'Etude D______ et/ou Me J______.

Par décisions des 19 avril et 4 juillet 2013, le Tribunal a fait droit à la requête susmentionnée.

h.a Par acte déposé le 19 août 2013 au greffe du Tribunal, après l'échec de conciliation, B______ a assigné A______ en paiement de la somme de 108'450 fr., avec intérêts à 5% dès le 30 avril 2013, à titre de dommage pour licenciement abusif. Il a également requis l'établissement d'un certificat de travail conforme au poste occupé et à la qualité objective de son travail.

Cette procédure a été inscrite sous le numéro de cause C/6479/2013.

B______ a, en substance, allégué que A______ l'avait licencié pour un faux motif. Dès septembre 2011, il avait fait part à celle-ci de ses inquiétudes s'agissant de la gestion du I______, les fonds ayant "changé d'ayant droit par le truchement d'une construction juridique mise en place par [A______] à des fins étrangères aux intérêts des ayants droits". Ses inquiétudes s'étaient confirmées lorsque l'Etude parisienne C______, mandatée par les réels bénéficiaires dudit trust, l'avait contacté, ainsi que A______. Une rencontre avait eu lieu entre lui, l'Etude précitée et Me J______, lors de laquelle il avait fourni toutes les explications utiles sur l'absence d'acte de sa part dans la gestion du I______. Ces derniers l'avaient alors assuré qu'il ne serait pas inquiété par les dénonciations pénales qui allaient être déposées pour blanchiment d'argent, gestion déloyale et abus de confiance en relation avec la gestion dudit trust. Ces dénonciations pénales avaient conduit à l'ouverture de la procédure pénale P/2______/2013.

Préalablement, il a notamment conclu à la production des pièces du dossier pénal P/2______/2013.

h.b Dans sa réponse, A______ a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a, en substance, allégué que B______ avait violé son devoir de fidélité en raison de son blog, ainsi que son devoir de confidentialité en transmettant des informations sur le I______ à des tiers, en 2012 déjà. Il avait ainsi porté atteinte à sa réputation.

i. Par acte déposé le 8 octobre 2013 au greffe du Tribunal, A______ a assigné B______ en paiement des sommes de 322'169 fr. 05 et 25'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2013, à titre de dommages et intérêts, respectivement de réparation du tort moral. Elle a également conclu à ce qu'il soit fait interdiction à B______ de communiquer à tout tiers tout document, information ou opinion, directement ou indirectement en lien avec son travail pour A______, en particulier à l'Etude D______ et/ou Me J______, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.

Cette procédure a été inscrite sous le numéro de cause C/21540/2013.

A______ a, en substance, soutenu que B______ avait violé son devoir de fidélité et de confidentialité à son égard. Les Etudes D______ et C______ n'ayant formulé aucune prétention à l'encontre de B______, ce dernier ne pouvait pas se prévaloir du fait qu'il leur avait fourni des informations et documents dans le but de se défendre.

j. Par ordonnances des 6 juin et 16 octobre 2014, le Tribunal a suspendu les procédures C/6479/2013 et C/21540/2013 jusqu'à l'issue de la procédure pénale P/1______/2013.

Par ordonnance du 6 décembre 2018, confirmée par arrêt du Tribunal fédéral du 25 juin 2019, le Ministère public a classé la procédure pénale P/1______/2013, au motif que la transmission des documents relatifs au I______ par B______ ne constituait pas une violation du secret commercial au sens de l'art. 162 CP.

Par ordonnances des 5 novembre et 6 décembre 2019, le Tribunal a ordonné la reprise des procédures C/6479/2013 et C/21540/2013, ainsi que la "jonction de l'instruction" de ces deux causes.

k.a Dans le cadre de la procédure C/21540/2013, A______ a déposé le 23 décembre 2019 un mémoire complémentaire et a amplifié ses conclusions en ce sens qu'elle concluait à la condamnation de B______ à lui verser 347'169 fr. 05, avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2013, 135'175 fr., avec intérêts à 5% dès le 23 décembre 2019, et 104'984 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2016, à titre de remboursement de ses frais d'avocats encourus dans les diverses procédures susmentionnées.

Elle a notamment allégué que B______ avait transmis les informations confidentielles relatives au I______ à un ami et partenaire en affaires, K______, en août 2012, dans le but d'obtenir un profit financier. En effet, K______ avait, par le biais de tiers, contacté les personnes et entités concernées par ce trust, soit celles mentionnées dans la lettre de vœux du settlor fournie par B______ (E______, F______, G______ et H______), en leur faisant croire que A______ détenait indûment des fonds leur revenant de plein droit et que celle-ci cherchait à les voler. B______ et K______ avaient fait signer des conventions avec l'Etude C______ leur permettant de percevoir des commissions sur les honoraires perçus par celle-ci. La procédure pénale P/2______/2013 initiée à son encontre par E______, F______, G______ et H______, avait été classée par ordonnance du 1er décembre 2017.

k.b Dans le cadre de la procédure C/6479/2013, A______ a déposé un mémoire complémentaire contenant les mêmes allégués que précités.

l. Dans sa réplique et réponse du 13 mars 2020, B______ a persisté dans ses conclusions prises dans la procédure C/6479/2013 et a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions prises dans celle C/21540/2013.

Il a soutenu n'avoir transmis les informations confidentielles relatives au I______ à un tiers qu'en avril 2013, en raison des "menaces" reçues de Me J______ par courrier du 4 avril 2013. Il avait donc agi de manière désintéressée dans l'unique but de se défendre (état de nécessité), de sorte qu'il n'avait pas violé ses devoirs de confidentialité et de fidélité envers A______. La procédure pénale P/2______/2013 avait été classée en raison d'accords transactionnels conclus entre A______, d'une part, et E______, F______, G______ et H______, d'autre part. La qualification juridique des actes reprochés à A______ dans la gestion du I______ devant "être évaluée avec plus de clarté", B______ a persisté à requérir l'apport de cette procédure pénale et a également sollicité la production des accords précités, ceux-ci contenant des informations sur les frais d'avocats d'A______ que celle-ci lui réclamait dans la cause C/21540/2013.

B.            Lors de l'audience de débats d'instruction du 20 août 2020 des causes C/6479/2013 et C/21540/2013, instruites parallèlement, les parties ont persisté dans leurs conclusions telles que formulées ci-dessus, étant précisé que A______ a renoncé à sa conclusion visant au remboursement de ses frais d'avocats à hauteur de 104'984 fr.

A______ s'est opposée à l'apport de la procédure pénale P/2______/2013, celle-ci n'étant pas pertinente pour la résolution du litige, ainsi qu'à la production des accords conclus avec E______, F______, G______ et H______, pour la même raison que précitée et le caractère confidentiel de ceux-ci.

Statuant, à l'issue de l'audience, par une même ordonnance d'instruction dans les deux causes (OTPH/1315/2020 dans la cause C/21540/2013 et OTPH/1316/2020 dans la cause C/6974/2020), le Tribunal a dit que la procédure pénale P/2______/2013 serait requise auprès du Ministère public (chiffre 1), ordonné la production par A______ de l'accord conclu avec E______ (ch. 2), F______ (ch. 3), G______ (ch. 4) et H______ (ch. 5).

Le Tribunal a également statué sur ordonnance de preuves.

C. a. Par acte déposé le 31 août 2020 au greffe de la Cour de justice, A______ recourt contre l'ordonnance d'instruction rendue dans les deux causes C/6479/2013 et C/21540/2013, dont elle sollicite l'annulation. Cela fait, elle conclut au déboutement de B______ de toutes ses conclusions.

Elle produit des pièces nouvelles.

b. Dans sa réponse, B______ conclut, principalement, à l'irrecevabilité de ce recours et, subsidiairement, à son rejet, sous suite de frais judiciaires et dépens.

c. Dans leurs réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions et A______ a produit une pièce nouvelle.

d. Par avis du greffe de la Cour du 12 novembre 2020, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 La décision querellée, en tant qu'elle admet ou refuse un moyen de preuve, est une ordonnance d'instruction, susceptible de recours immédiat si elle est de nature à causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Le Tribunal des Prud'hommes n'a pas formellement joint sous un même numéro de cause les procédures C/21540/2013 et C/6479/2013, lesquelles ont conservé leur numéro de cause initiale, mais a fait une instruction parallèle de ces deux causes, de sorte qu'il a rendu une ordonnance unique dans les deux causes précitées, portant cependant respectivement les références
OTPH/1315/2020 dans la cause C/21540/2013 et OTPH/1316/2020 dans la cause C/6479/2013, références non spécifiées aux parties lors de la notification de l'ordonnance.

Le recours interjeté le 31 août 2020 contre l'ordonnance rendue dans les causes C/21540/2013 et C/6479/2013, notifiée à l'issue de l'audience du 20 août 2020 aux parties, dans le délai de 10 jours, et dans la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 et 2 CPC), est ainsi recevable.

Un même arrêt sera rendu dans les deux causes concernées, le recours étant formé contre l'ordonnance unique du 20 août 2020 portant les références OTPH/1315/2020 dans la cause C/21540/2013 et OTPH/1316/2020 dans la cause C/6479/2020.

2.             L'intimé fait valoir que la recourante a allégué de nombreux faits nouveaux dans son recours.

2.1 Dans la procédure de recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables devant l'autorité de recours (art. 326 al. 1 CPC).

Saisie d'un recours, l'autorité doit examiner s'il y a eu violation du droit ou constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). En tant que voie de droit extraordinaire, le recours a uniquement pour fonction de vérifier la conformité au droit de la décision, et non de continuer la procédure de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 5D_190/2014 du 12 mai 2015 consid. 3). L'autorité de recours contrôle la conformité au droit de la décision attaquée, dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles se trouvait l'autorité de première instance (Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n° 2516).

2.2 Il s'ensuit que les pièces nouvelles déposées par la recourante, ainsi que les faits qui s'y rapportent, sont irrecevables.

En revanche, contrairement à ce que soutient l'intimé, l'argumentation contenue dans la partie en droit du recours, en particulier le fait que la procédure pénale P/2______/2013 contient des informations confidentielles, ne constitue pas des faits nouveaux. En effet, il s'agit de la thèse soutenue par la recourante pour s'opposer à l'ordonnance litigieuse, de sorte qu'elle est recevable.

De plus, les allégués de la recourante contenus dans la partie en fait de son recours ressortent tous de ses écritures de première instance, en particulier celle complémentaire du 23 décembre 2019, même si la formulation de ceux-ci ne sont pas strictement identiques. Ces allégués ne sont donc pas nouveaux.

3.             Reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante.

3.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3). Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure (Jeandin, Commentaire romand CPC, 2019, n° 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2; Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n° 8 ad art. 319 CPC), ce qui surviendra lorsque la sauvegarde de secrets est en jeu, par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_63/2016 du 10 octobre 2016 consid. 1.1; 4A_195/2010 du 8 juin 2010 consid. 1.1.1 et 4A_315/2008 du 27 avril 2009 consid. 1.5; OGer/ZH RB170016 du 26 juin 2017 consid. 3.4; Jeandin, op. cit., n° 22a ad art. 319 CPC; Bastons Bulletti, Petit commentaire CPC, 2020, n° 14 ad art. 319 CPC).

Si on exclut le recours immédiat contre une ordonnance qui, par hypothèse, exige à tort la divulgation d'éléments secrets concernant une tierce personne, on cause un préjudice irréparable pour le tiers, dont le législateur veut précisément protéger la situation (cf. art. 163 CPC). Une telle solution n'apparaît pas satisfaisante. La lettre de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, respectivement l'art. 319 lit. b ch. 2 CPC, n'exige au demeurant pas que le risque de préjudice irréparable menace la partie recourante elle-même (arrêt du Tribunal fédéral 4A_63/2016 du 10 octobre 2016 consid. 1.2).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2; 133 III 629 consid. 2.3.1).

3.2 En l'espèce, il est manifeste que les informations et les documents contenus dans la procédure pénale P/2______/2013 opposant la recourante à des tiers, en particulier les accords transactionnels conclus entre ces derniers, ont un caractère confidentiel.

Dès que ces documents et ces informations seront produits dans les présentes procédures et portés à la connaissance de l'intimé, ceux-ci seront définitivement révélés. Il s'ensuit que, par la nature des choses, il ne sera plus possible de revenir en arrière en ce sens que la connaissance ainsi acquise par l'intimé ne pourrait plus être supprimée.

L'ordonnance querellée est ainsi susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante, de sorte que son recours est recevable.

Le fait que l'intimé pourrait utiliser et/ou rendre public les informations contenues dans la procédure pénale P/2______/2013 n'est, en revanche, pas pertinent, car il s'agit d'une supposition, qui ne saurait fonder un préjudice difficilement réparable.

4.             La recourante reproche au Tribunal d'avoir ordonné la production de pièces qui ne sont pas pertinentes pour la résolution du litige et qui contiennent des informations sensibles et confidentielles.

4.1 Selon l'art. 150 CPC, la preuve n'a pour objet que des faits pertinents et contestés. Les faits pertinents sont ceux propres à influencer la solution juridique du litige. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst inclut le droit à l'administration des preuves valablement offertes, à moins que le fait à prouver ne soit dépourvu de pertinence ou que la preuve apparaisse manifestement inapte à la révélation de la vérité. Par ailleurs, le juge est autorité à effectuer une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles et, s'il peut admettre de façon exempte d'arbitraire qu'une preuve supplémentaire offerte par une partie serait impropre à ébranler sa conviction, refuser d'administrer cette preuve (arrêts du Tribunal fédéral 4A_487/2018 du 30 janvier 2019 consid. 4.2.1 et 4A_229/2012 du 19 juillet 2012 consid. 4).

Le Tribunal ordonne les mesures propres à éviter que l'administration des preuves ne porte atteinte à des intérêts dignes de protection des parties ou de tiers, notamment à des secrets d'affaires (art. 156 CPC).

En principe, les parties et les tiers sont tenus de collaborer à l'administration des preuves (art. 160 al. 1 CPC). Une partie peut toutefois s'opposer à l'administration des preuves lorsque cette dernière pourrait exposer un de ses proches à une poursuite pénale ou engager sa responsabilité civile (let. a) ou lorsque la révélation d'un secret pourrait être punissable en vertu de l'art. 321 du code pénal (let. b) (art. 163 al. 1 CPC). Les dépositaires d'autres secrets protégés par la loi peuvent refuser de collaborer s'ils rendent vraisemblable que l'intérêt à garder le secret l'emporte sur l'intérêt à la manifestation de la vérité (art. 163 al. 2 CPC).

4.2.1 En l'occurrence, l'intimé sollicite l'apport de l'intégralité de la procédure pénale P/2______/2013, afin de prouver le comportement pénalement répréhensible de la recourante dans le cadre de la gestion du I______, justifiant, selon lui, la violation de son devoir de fidélité et de confidentialité à l'égard de celle-ci.

Il n'appartient toutefois pas au Tribunal des prud'hommes de résoudre, sur la base du dossier pénal requis, la question d'un éventuel comportement pénalement répréhensible de la recourante à l'encontre de tiers. Les premiers juges doivent déterminer si, oui ou non, le licenciement litigieux était abusif, compte tenu du motif invoqué à l'appui de celui-ci, et si l'intimé a, oui ou non, violé ses devoirs envers la recourante en transmettant des informations à des tiers et ce, indépendamment de la qualification pénale du comportement de celle-ci.

L'apport de l'intégralité de la procédure pénale P/2______/2013 n'apparaît donc pas pertinent, d'autant plus que celle-ci a été classée en raison d'accords transactionnels conclus entre la recourante, d'une part, et des tiers, d'autre part, et non en raison d'une condamnation de celle-ci.

Par ailleurs, en sa qualité d'ancien "Compliance Manager" auprès de la recourante, l'intimé détient déjà les documents et les informations nécessaires pour accréditer sa thèse selon laquelle il avait transmis des informations relatives à la gestion problématique du I______ afin de se défendre (état de nécessité) et non de nuire à la recourante. En effet, c'est la transmission des documents et informations précités à des tiers qui a abouti à l'ouverture de la procédure pénale P/2______/2013.

Enfin, il est évident que la procédure pénale P/2______/2013 contient des données sensibles concernant la recourante, ainsi que E______, F______, G______ et H______, telles que des courriers d'avocats ou encore des informations sur les situations financières de ces derniers.

Dans ces circonstances particulières, la Cour considère que l'apport de l'intégralité de la procédure pénale P/2______/2013, non caviardée, n'est pas nécessaire pour la résolution du litige et ne sert ainsi pas un intérêt à la manifestation de la vérité.

4.2.2 L'intimé sollicite également la production des accords transactionnels conclus dans le cadre de la procédure pénale P/2______/2013 entre la recourante, d'une part, et E______, F______, G______ et H______, d'autres parts.

Or, lesdits accords ne sont pas pertinents pour l'issue du litige. En effet, l'intimé a sollicité la production de ceux-ci afin de déterminer dans quelle mesure la recourante avait été indemnisée s'agissant de ses frais d'avocats encourus dans la procédure pénale P/2______/2013. Cette dernière a toutefois renoncé, lors de l'audience du 20 août 2020, à sa conclusion tendant au remboursement par l'intimé des frais précités.

Il résulte de ce qui précède que l'apport de l'intégralité de la procédure pénale P/2______/2013, non caviardée, ainsi que la production des accords transactionnels conclus dans le cadre de celle-ci, ne sont pas justifiés. L'intérêt de la recourante et des tiers au maintien du secret de l'instruction de la procédure pénale devant, en l'occurrence, primer.

Partant, l'ordonnance entreprise sera annulée et la requête de l'intimé en production des accords conclus dans le cadre de la procédure P/2______/2013 et en apport de celle-ci sera rejetée.

5.             Les frais judiciaires de recours seront arrêtés à 500 fr. (art. 19 al. 3 let. c LaCC) et mis à la charge de l'intimé, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de même montant fournie par la recourante, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimé sera condamné à verser 500 fr. à la recourante à titre de remboursement de l'avance de frais (art. 111 al. 2 CPC).

Il ne sera pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 31 août 2020 par A______ SA contre l'ordonnance d'instruction rendue par le Tribunal des prud'hommes le 20 août 2020 dans les causes C/21540/2013 (OTPH/1315/2020) et C/6479/2013 (OTPH/1316/2020).

Au fond :

Annule l'ordonnance d'instruction entreprise, soit l'ordonnance OTPH/1315/2020 dans la cause C/21540/2013 et OTPH/1316/2020 dans la cause C/6479/2013.

Rejette la requête de B______ visant à l'apport de la procédure pénale P/2______/2013, ainsi que la production des accords transactionnels conclus dans le cadre de celle-ci par A______ SA, d'une part, et par E______, F______, G______ et H______, d'autre part.

Arrête les frais judiciaires de recours à 500 fr., les compense entièrement avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de B______.

Condamne B______ à verser 500 fr. à A______ SA à titre de frais judiciaires de recours.

Dit qu'il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE CHAVANNE, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salariée; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 


 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.