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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/13971/2022

ACJC/958/2025 du 11.07.2025 sur JTBL/544/2024 ( OBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13971/2022 ACJC/958/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 11 JUILLET 2025

 

Entre

A______/B______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 22 mai 2024, représentée par Me Boris LACHAT, avocat, rue des Deux-Ponts 14, case postale 219, 1211 Genève 8,

 

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Guillaume FATIO, avocat, avenue de Champel 8C, case postale 385, 1211 Genève 12.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/544/2024 du 22 mai 2024, communiqué pour notification aux parties le 27 mai 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a déclaré nulle la résiliation de bail notifiée le 10 juin 2022 à A______/B______ SA pour le 30 juin 2023 portant sur l’ensemble des locaux de la clinique sis chemin 1______ no. ______, [code postal] C______, à l’exception de la dépendance (petite villa) et ses abords (ch. 1 du dispositif), déclaré valable la résiliation de bail notifiée le 20 juin 2022 à A______/B______ SA pour le 30 juin 2023 portant sur l’ensemble des locaux de la clinique sis à la même adresse, y compris la dépendance (petite villa) et ses abords (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

En substance, les premiers juges ont considéré que l’avis de résiliation du 10 juin 2022 était nul car la description de l’objet loué qui y figurait relevait d’une erreur de forme. Elle reprenait celle du contrat de bail, sans tenir compte de la modification orale ou tacite convenue ultérieurement par les parties. L’avis du 20 juin 2022, qui indiquait que la résiliation portait sur l’ensemble des locaux, y compris la dépendance (petite villa) et ses abords, était exempt de tout caractère confus puisque B______ SA expliquait, dans son courrier d’accompagnement, qu’elle maintenait sa résiliation de bail sur l’ensemble des locaux loués et transmettait à A______/B______ SA un avis de résiliation exprimant sa volonté, sans ambiguïté quant à l’étendue de la résiliation. B______ SA n’ayant jamais eu l’intention de procéder à une résiliation partielle des locaux et A______/B______ SA n’alléguant pas avoir compris cette résiliation comme telle, l’avis du 10 juin 2022 était entaché d’une erreur de forme. Dans ces circonstances, B______ SA était fondée à notifier l’avis du 20 juin 2022 à titre préventif. Cet avis n’était affecté d’aucune cause de nullité et, faute d’avoir fait l’objet d’une contestation par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, il était pleinement valable.

B. a. Par acte expédié le 27 juin 2024 à la Cour de justice, A______/B______ SA forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation du chiffre 2 de son dispositif. Elle conclut, principalement, à ce que les résiliations des 10 et 20 juin 2022 soient déclarées nulles, subsidiairement, à ce qu’elles soient annulées, et, plus subsidiairement, à ce qu’il lui soit accordé une prolongation de bail de six ans. Plus subsidiairement encore, elle conclut au renvoi du dossier au Tribunal.

b. Dans sa réponse du 30 août 2024, B______ SA conclut au rejet de l’appel et au déboutement de A______/B______ SA de toutes ses conclusions, sous suite de frais.

c. Dans leur réplique du 30 septembre 2024 et duplique du 30 octobre 2024, les parties persistent dans leurs conclusions.

d. Elles ont été avisées le 19 novembre 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a.    B______ SA, bailleresse, et A______/B______ SA, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location de l’ensemble des locaux de la clinique, sis chemin 1______ no. ______ à C______, à l’exception de la dépendance (constituée d'une petite villa) et ses abords.

Les locaux étaient destinés à l’exploitation d’une clinique médicale et de cabinets de médecins.

Le contrat a été conclu du 1er juillet 2008 au 30 juin 2023; il prévoyait par la suite un renouvellement tacite de cinq ans en cinq ans, sauf dénonciation moyennant un préavis d’un an (art. 4 du contrat).

Le bail annulait et remplaçait le précédent, qui avait pris effet le 1er octobre 1997 (art. 1 des clauses particulières du contrat).

Le bail « ne [portait] pas sur l’étage supérieur de la dépendance (petite villa), ceci pour une période de deux ans. Cette situation se [poursuivrait] tacitement, d’année en année, sauf demande dûment motivée, fondée sur les besoins d’exploitation de A______/B______ SA, annoncés six mois avant l’échéance, de récupérer ladite surface » (art. 6 des clauses particulières du contrat).

A______/B______ SA ayant fait usage de cette faculté, le bail a porté sur l’ensemble des locaux, y compris la dépendance et ses abords.

Le loyer annuel, hors charges, a été fixé à 250'000 fr.

b.   Des projets de promesse d’achat-vente des actions de B______ SA et de convention de cession du capital-actions de B______ SA ont été respectivement établis les 18 novembre 2020 et 28 avril 2022.

c.    Par courrier et avis de résiliation du 10 juin 2022, B______ SA a résilié le bail, avec effet au 30 juin 2023. Il ressort de l’avis que la résiliation portait sur l’«ensemble des locaux de la clinique sise à l’adresse chemin 1______ no. ______, [code postal] C______, à l’exception de la dépendance (petite villa) et ses abords».

d.  Par courrier et avis de résiliation du 20 juin 2022, B______ SA a résilié le bail pour le 30 juin 2023. Il ressort de l’avis que la résiliation portait sur l’«ensemble des locaux de la clinique sise à l’adresse chemin 1______ no. ______, [code postal] C______, y compris la dépendance (petite villa) et ses abords».

Aux termes du courrier, B______ SA a indiqué ce qui suit :

«Je fais suite au courrier que je vous ai adressé par recommandé et courrier A+ le 10 juin 2022 (copie jointe).

Selon les informations fournies par l’Office de poste de D______, il apparaît qu’à ce jour, vous n’avez toujours pas retiré le courrier recommandé susmentionné. Je vous le renvoie donc par la présente, en précisant, en ce qui concerne l’avis de résiliation du bail, que si ce dernier, comme le contrat de bail, semblait exclure la dépendance de la clinique (constituée par une petite villa et ses abords), ces biens immobiliers sont à ce jour également compris dans le bail, de sorte que vous trouverez ci-joint un nouvel avis de résiliation les couvrant également, pour exclure tout malentendu.

Dès lors, une nouvelle formule officielle de résiliation du bail est jointe à la présente.»

e.   Le 8 juillet 2022, A______/B______ SA a contesté auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers le congé du 10 juin 2022, concluant principalement, à son annulation et subsidiairement, à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans.

f.    Par courrier du 11 juillet 2022, B______ SA a informé A______/B______ SA que «le congé [était] motivé par le souhait de la bailleresse de vendre les locaux visés en marge libres de bail».

g.   Par courrier du 15 novembre 2022 à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, A______/B______ SA a précisé ses conclusions, « dans la mesure où la bailleresse [semblait] vouloir se prévaloir de plusieurs envois ». Elle a conclu, principalement, à la constatation de la nullité de la résiliation ordinaire du bail, subsidiairement, à son annulation, et plus subsidiairement encore, à l’octroi d’une prolongation de bail de six ans.

h.  Par demande déclarée non conciliée le 17 février 2023 et portée devant le Tribunal le 20 mars 2023, A______/B______ SA a conclu, principalement, à la constatation de la nullité des résiliations des 10 et 20 juin 2022, subsidiairement, à l’annulation des résiliations des 10 et 20 juin 2022, et plus subsidiairement, à l’octroi d’une prolongation de bail de six ans.

i.     Dans sa réponse du 19 juin 2023, B______ SA a conclu au déboutement de A______/B______ SA de toutes ses conclusions.

j.    Dans leurs réplique du 29 septembre 2023 et duplique du 3 novembre 2023, A______/B______ SA et B______ SA ont persisté dans leurs conclusions.

k.  Lors de l’audience du 9 janvier 2024, le Tribunal a ordonné la limitation de la procédure à la question de la nullité des congés.

l.     Lors de l’audience de plaidoiries du 27 février 2024, A______/B______ SA a conclu à la nullité des congés des 10 et 20 juin 2022. B______ SA a conclu au rejet de la conclusion en nullité du congé du 10 juin 2022 et à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet, de la conclusion en nullité du congé du 20 juin 2022.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

 

 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l’usage d’une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail,
la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel hors charges s’élevant à 250’000 fr., la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr. La voie de l’appel est dès lors ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit ; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.5 Selon l’art. 243 al. 2 let. c CPC, la procédure simplifiée s’applique aux litiges portant sur des baux et loyers d’habitation et de locaux commerciaux en ce qui concerne la consignation du loyer, la protection contre les loyers abusifs, la protection contre les congés ou la prolongation du bail. La maxime inquisitoire sociale régit la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC).

2. L’appelante fait grief aux premiers juges d’avoir tranché la question de savoir si l’avis de résiliation du 20 juin 2022 avait fait l’objet d’une contestation devant l’autorité de conciliation et s’il était valable. Ce faisant, le Tribunal avait tranché la question de l’annulation du congé ainsi que celle de la prolongation de bail ayant fait l’objet de ses conclusions subsidiaires, outrepassant le cadre limité du procès qu’il avait lui-même fixé. Cette manière de procéder constituait une violation des règles de limitation de la procédure ainsi que des principes fondamentaux de procédure, en particulier le droit d’être entendu, le droit de faire administrer des preuves, les garanties d’un procès équitable, l’égalité des armes et le respect des règles de la bonne foi.

2.1.
2.1.1
Le Tribunal peut notamment limiter la procédure lorsqu'il s'agit de trancher une question préjudicielle qui peut permettre de mettre un terme au procès, qui débouchera alors sur une décision finale ou incidente (Haldy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 5 ad art. 125).

2.1.2 Selon l'art. 52 CPC, quiconque participe à la procédure doit se conformer aux règles de la bonne foi. Cette obligation vaut pour les parties comme pour le juge; elle concrétise le droit à un procès équitable et le droit à l'égalité des armes (arrêt du Tribunal fédéral 4A_319/2021 du 18 juillet 2022, consid. 2.1).

2.1.3 A teneur de l'art. 53 al. 1 CPC, les parties ont le droit d'être entendues. Cette disposition reprend la formule générale de l'art. 29 al. 2 Cst. La jurisprudence développée par le Tribunal fédéral en relation avec la norme constitutionnelle doit aussi être prise en compte pour l'interprétation de cette disposition (arrêts du Tribunal fédéral 5A_465/2014 du 20 août 2014 consid. 5.1; 5A_805/2012 du 11 février 2013 consid. 3.2.3; 5A_109/2012 du 3 mai 2012 consid. 2.1; 5A_31/2012 du 5 mars 2012 consid. 4.3 et les références).

Le droit d'être entendu est un grief de nature formelle dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond, même si cette violation n'a pas d'incidence effective sur la décision (ATF 141 V 495 consid. 2.2; 140 I 99 consid. 8). Il convient d'examiner ce grief avant tout autre (ATF 135 I 279 consid. 2.6.1; 124 I 49 consid. 1). L'admission du grief conduit au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision (ATF 134 III 379 consid. 1.3; arrêt du Tribunal fédéral 5D_19/2018 du 14 février 2018 consid. 2.2).

Une violation du droit d'être entendu qui n'est pas particulièrement grave peut être exceptionnellement réparée devant l'autorité de recours lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une telle autorité disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité précédente sur les questions qui demeurent litigieuses (ATF 136 III 174 consid. 5.1.2; 133 I 201 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_126/2018 du 14 septembre 2018 consid. 5 et 6; 5A_897/2015 du 1er février 2016 consid. 3.2.2), et qu'il n'en résulte aucun préjudice pour le justiciable (ATF 136 III 174 consid. 5.1.2 a contrario).

2.2 En l'occurrence, il est constant que le Tribunal a limité la procédure à la question de la nullité des congés. Or, en considérant, dans le jugement entrepris, que l’avis de résiliation du 20 juin 2022 était pleinement valable, faute d’avoir fait l’objet d’une contestation par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, en prononçant la validité du congé et en déboutant l'appelante de ses conclusions subsidiaires en annulation du congé et prolongation de bail, a excédé le cadre des débats qu’il avait fixé. Ce faisant, il a violé le droit d’être entendu des parties, en particulier de l’appelante, laquelle n’a pas pu se prononcer sur la question de la validité de la contestation de la résiliation du 20 juin 2022, et en particulier faire administrer des preuves et plaider sur ce point.

Le chiffre 2 du jugement entrepris sera donc annulé. La cause sera renvoyée au Tribunal pour instruction et nouvelle décision sur la question de la validité de la résiliation du 20 juin 2022.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 27 juin 2024 par A______/B______ SA contre le jugement JTBL/544/2024 rendu le 22 mai 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/13971/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif de ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision sur la question de la validité de la résiliation du 20 juin 2022.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.