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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/15609/2021

ACJC/663/2025 du 22.05.2025 sur JTBL/950/2024 ( OBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15609/2021 ACJC/663/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 22 MAI 2025

 

Entre

Madame A______ et Monsieur B______ domiciliés ______ [GE], appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 1er octobre 2024, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

C______ AG, sise ______ [ZH], intimée, représentée par Me Mark BAROKAS, avocat, rue de l'Athénée 15, case postale 368, 1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/950/2024 du 1er octobre 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a débouté A______ et B______ des fins de leur demande en constatation de droit (ch. 1 du dispositif), et de leurs conclusions en contestation du loyer initial relatif à l'appartement de 5 pièces situé au 1er étage de l'immeuble sis avenue 1______ [no.] 48 à Genève (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 4 novembre 2024, A______ et B______ (ci-après : les locataires ou les appelants) ont formé appel de ce jugement. Ils ont conclu, préalablement, à l'annulation de l'ordonnance de preuve du 13 mai 2024, ainsi qu'à celle figurant dans le procès-verbal du 20 juin 2024, par laquelle le Tribunal avait rejeté les offres de preuves contenues dans leur courrier du même jour, et, statuant à nouveau, à ce qu'il soit ordonné à C______ AG de produire des documents qu'ils ont listés, à ce qu'il soit ordonné à D______ SA de produire les pièces précédemment citées, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, à ce que soit ordonnée l'inspection de l'appartement litigieux, à ce que soit ordonné à l'Office cantonal du logement la production du dossier relatif à l'arrêté et au plan financier produit sous pièce 6 de leur chargé, à ce que soit ordonnée la mise sur pied d'une expertise judiciaire confiée à un spécialiste de l'immobilier en vue de confirmer que la valeur de 3'997'470 fr. correspondait à la valeur du terrain établie au moment de la conclusion du bail le 6 mai 2021, cas échéant ordonner la dite expertise judiciaire en vue de déterminer la valeur de l'immeuble (terrain) sis avenue 1______ 48 à Genève, et au complètement de l'état de fait en ce sens que lors de la conclusion du bail, l'appartement et l'immeuble étaient en bon état et ne nécessitaient aucuns travaux d'entretien.

Principalement, ils ont conclu à la constatation de la nullité de la clause de durée déterminée du contrat de bail et à ce qu'il soit dit qu'en conséquence, à son échéance le 31 juillet 2026, le bail continuerait pour une durée indéterminée et pourrait être résilié par l'une ou l'autre des parties moyennant le respect des préavis et échéances légaux. Ils ont également conclu à ce que le loyer soit fixé à 24'000 fr. par année, acompte de frais d'exploitation en 3'490 fr. et acompte de frais de chauffage et eau chaude en 1'800 fr. non compris, à la condamnation de C______ AG à leur verser le trop-perçu de loyer en découlant, soit 800 fr. par mois dès le 16 juillet 2021, à la réduction de la garantie de loyer à 6'000 fr. et à ce que la libération du solde soit ordonnée en leur faveur, au déboutement de la précitée de toute autre conclusion, ou au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il statue dans le sens des considérants.

b. Par réponse du 18 novembre 2024, C______ AG (ci-après : la bailleresse ou l'intimée) a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par réplique du 16 décembre 2024 et duplique du 18 décembre 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

d. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 22 janvier 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits suivants ressortent du dossier soumis au Tribunal :

a. En date du 6 mai 2021, C______ AG, propriétaire, et A______ et B______, locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 5 pièces situé au 1er étage de l'immeuble sis avenue 1______ 48 à Genève.

Le bail a été conclu pour une durée déterminée de 5 ans et 15 jours, du 16 juillet 2021 au 31 juillet 2026, date à laquelle il s'éteindrait sans résiliation préalable.

Le loyer annuel, acomptes de frais de chauffage et eau chaude en 1'800 fr. et de frais d'exploitation en 3'420 fr. non compris, a été fixé initialement à 33'600 fr.

Les locataires devaient fournir une garantie de loyer d'un montant de 8'400 fr.

Les locataires allèguent qu'ils auraient souhaité conclure un contrat de durée indéterminée, mais que la bailleresse prévoyait systématiquement, à tout le moins pour les logements sis à cette adresse, des baux de durée déterminée. La régie en charge de l'immeuble leur aurait néanmoins laissé entendre que le bail serait reconduit à son échéance si tout se passait bien. Ils ont offert de prouver ce qui précède par l'audition des parties et de témoins, ainsi que par des pièces à produire par la bailleresse.

La bailleresse conteste ces allégations. Elle affirme examiner de cas en cas si un appartement pourrait faire l'objet d'une rénovation hors présence de locataire, ce dans une optique d'entretien de l'immeuble. Si tel était le cas, elle concluait un bail de durée déterminée.

Elle expose que l'immeuble se situe dans un quartier recherché, calme, bien desservi par les transports publics, proche des commerces et de zones de verdure. L'appartement est composé de trois grandes chambres à coucher, d'une salle de bains et d'une salle de douche, d'un grand salon, d'une grande cuisine, d'un hall et d'une véranda.

b. Selon l'avis de fixation du loyer initial du 6 mai 2021, le précédent locataire s'était acquitté, depuis le 1er juillet 2019, d'un loyer annuel de 38'040 fr., charges non comprises.

L'avis était motivé comme suit : "Bail de 5 ans à terme fixe indexé à 100 % de l'ISPC. Adaptation du loyer au loyer usuel dans la localité ou dans le quartier selon l'art. 269a lettre a CO et l'art. 11 OBLF".

c. Il ressort de l'état des lieux, établi le 15 juillet 2021, que les murs et le plafond de la cuisine, du hall, du salon, de la chambre à coucher et de la chambre 3, les murs de la chambre 2, le parquet (sol, joints, plinthes) du hall, de la chambre à coucher et des chambres 2 et 3 étaient nouveaux. Le reste de l'appartement, ainsi que la cave, étaient dans un état correspondant à une usure normale. L'appartement avait fait l'objet d'un nettoyage "en ordre". Étaient jointes à l'état des lieux quelques photographies, en particulier des travaux entrepris sur le sol, les plafonds et les murs.

d. La bailleresse allègue qu'elle a acquis la parcelle sur laquelle se trouvent les immeubles 42 à 50 avenue 1______ en 1968. Ceux-ci ont été construits en 2008.

Selon arrêté du Conseil d'Etat du 17 décembre 2007, relatif aux immeubles sis 40, 42, 44, 46, [48] et 50 avenue 1______, alors propriété de la E______, la valeur de ceux-ci totalisait 27'500'000 fr., y compris le prix du terrain (5'844 m2) de 3'798'600 fr.

Ces immeubles ont été financés uniquement par des fonds propres.

Les locataires allèguent que l'appartement litigieux représente 1,63% du total des six allées (n°42 à 50).

En février 2008, l'Indice Suisse des Prix à la Consommation (ISPC) était de 158.4 points, alors qu'il était de 159.8 points au moment de la signature du bail.

A la date de la conclusion du bail, le taux hypothécaire de référence était de 1.25%.

Les locataires allèguent que les charges courantes et d'entretien annuelles assumées par la bailleresse sont de 330'000 fr. Ils offrent de le prouver au moyen de pièces à produire par la bailleresse.

e. L'immeuble litigieux est devenu propriété de la C______ AG le 20 septembre 2019 suite à la fusion de cette dernière avec la F______ SA (anciennement : E______).

f. Le 12 août 2021, les locataires ont déposé par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers une requête en contestation du loyer initial (cause C/15609/2021).

Le même jour, ils ont déposé une requête en constatation de droit (cause C/15610/2021).

Déclarées non conciliées à l'audience de la Commission du 19 septembre 2022, les affaires ont été portées devant le Tribunal des baux et loyers le 20 septembre 2022.

Les locataires ont pris les conclusions suivantes :

"Préalablement :

- Ordonner à la bailleresse de produire un état locatif des six allées, mentionnant quels baux sont à terme fixe et quels baux sont de durée indéterminée, et précisant, dans ce second cas de figure, s'il s'agit du premier contrat conclu avec les locataires en question;

- Ordonner un calcul de rendement et ordonner la déposition de la bailleresse afin qu'elle indique au Tribunal quelles pièces elle détient elle-même ou quels tiers sont en possession de celles-ci parmi les suivantes :

• L'acte d'acquisition de l'immeuble litigieux;

• Le détail du financement de l'immeuble, à savoir le montant des fonds empruntés et des fonds propres, ainsi que le détail des amortissements intervenus (montants et dates);

• L'état des charges immobilières sur les cinq dernières années (charges financières, charges courantes, charges d'entretien, impôt immobilier complémentaire, honoraires de régie);

• L'état locatif de l'immeuble et tout document permettant de procéder à une ventilation de l'état locatif admissible (quote-part que représentait le logement litigieux par rapport à l'ensemble de l'immeuble);

- Ordonner à la bailleresse de produire les pièces susmentionnées qu'elle détient;

- Ordonner aux tiers désignés par la bailleresse de produire les pièces susmentionnées qui sont en leur possession sous la menace de la peine prévue par l'article 292 CP (…);

Principalement :

- Constater la nullité de la clause de durée déterminée du bail entré en vigueur le 16 juillet 2021 portant sur l'appartement [litigieux] et dire qu'en conséquence, à son échéance du 31 juillet 2026, le bail continuera pour une durée indéterminée et pourra être résilié par l'une ou l'autre des parties moyennant le respect des préavis et échéances légaux;

- Fixer à 13'248 fr. par année, acomptes de chauffage/eau chaude et frais d'exploitation étendus non compris, le loyer de l'appartement [litigieux] dès le 16 juillet 2021, sous réserve d'amplification au vu du résultat du calcul de rendement;

- Ordonner à la bailleresse de rembourser aux locataires le trop-perçu de loyer en découlant avec intérêts à 5 % l'an dès la date moyenne;

- Réduire la garantie de loyer à trois mois du loyer net susmentionné, soit 3'312 fr., et ordonner la libération immédiate du solde en faveur des locataires."

g. Par ordonnance du 29 septembre 2022, le Tribunal a ordonné la jonction des causes C/15609/2021 et C/15610/2021 sous le n° de cause C/15609/2021.

h. Dans sa réponse du 21 décembre 2022, la bailleresse a conclu à l'irrecevabilité des conclusions en constatation de la nullité de la clause de durée déterminée du bail, subsidiairement à leur rejet, ainsi qu'au rejet de la requête en contestation du loyer initial.

i. Lors de l'audience de débats d'instruction du 16 février 2023, les locataires ont déposé des déterminations sur les allégués de la réponse, dans le cadre desquelles ils ont notamment admis que la bailleresse était propriétaire de l'immeuble litigieux depuis 1968. Ils ont formulé des "allégués nouveaux", selon lesquels la bailleresse avait pour politique, depuis de nombreuses années à Genève, de conclure des baux à durée déterminée d'une durée de trois à cinq ans pour dissuader les locataires de contester leur loyer initial ou de faire valoir d'autres prétentions. Le loyer de l'appartement était très élevé au vu des statistiques cantonales, indépendamment du rendement de l'objet loué. L'appartement et l'immeuble étaient en bon état et ne nécessitaient l'exécution d'aucuns travaux. Ils ont sollicité l'audition de témoins, pour prouver la raison pour laquelle la bailleresse avait signé un contrat de durée déterminée, ainsi qu'une expertise pour déterminer la valeur de la parcelle au moment de la conclusion du bail, la production de tous les baux conclus par la bailleresse durant ces dix dernières années dans le canton de Genève, a fortiori, tous les baux conclus ces dix dernières années pour tous les appartements de toutes les allées de l'immeuble sis avenue 2______/[avenue] 1______ 48-50, la production de tous les états des lieux d'entrée et de sortie effectués au cours des dix dernières années pour toutes les allées de l'immeuble précité.

La bailleresse a admis qu'il existait une politique, mais a précisé que cette dernière dépendait de l'immeuble considéré. Elle a sollicité une inspection locale. Elle a soutenu qu'il s'agissant d'un immeuble ancien et que les pièces sollicitées ne devaient pas être produites. L'état locatif était exorbitant au litige.

Le Tribunal a ouvert les débats principaux et procédé à l'interrogatoire des parties.

B______ a expliqué que les locataires avaient souhaité déménager de leur ancien appartement situé à la rue 3______, car il n'y avait pas de chambre pour leur enfant d'un an. Ils avaient également le projet d'avoir un deuxième enfant – projet qui s'était concrétisé – et cherchaient un appartement plus grand. Ils avaient visité plusieurs appartements et celui de l'avenue 1______ était bien en termes de localisation (parc et école à proximité, proche de leur travail, du bus et des commerces). S'agissant de la durée du contrat, s'ils avaient eu le choix, ils auraient préféré signer un contrat de durée indéterminée. Vu leur projet d'avoir un deuxième enfant, ils voulaient pouvoir rester le plus longtemps possible. Ils avaient demandé à pouvoir signer un contrat de durée indéterminée, mais la régie, soit pour elle G______, avait refusé en précisant, cependant, que si les choses se passaient bien, il y avait de fortes chances qu'ils puissent ensuite avoir un autre contrat à l'échéance. Ils n'avaient pas envisagé de choisir un autre appartement avec un contrat de durée indéterminée. L'appartement leur plaisait et il y avait une certaine urgence, car leur fils grandissait. En outre, la régie leur avait dit qu'il y avait de fortes chances qu'ils puissent ensuite rester. Ils ne trouvaient par ailleurs rien d'autre. L'appartement était plus calme que le précédent qu'ils occupaient à la rue 3______, même s'il y avait du bruit sur l'avenue 2______ le matin et le soir.

j. Le Tribunal a procédé à l'audition de témoins lors des audiences des 7 décembre 2023 et 21 mars 2024.

H______, ancienne employée de la régie, a indiqué avoir signé le contrat de bail litigieux, alors même qu'elle ne gérait pas l'immeuble. Elle ne se souvenait pas pourquoi ledit contrat de bail était de durée déterminée. La bailleresse décidait de la durée des contrats en fonction des circonstances, des négociations, de la question de savoir si des travaux devaient être faits dans l'appartement ou dans l'immeuble, etc. Selon les immeubles et les appartements, la bailleresse donnait des instructions sur la durée des baux. Il existait une tendance – sans que le témoin puisse dire si elle était majoritaire ou non - à conclure des contrats de cinq ans, mais ce n'était pas systématique. Il pouvait également y avoir des contrats de trois ou quatre ans, ainsi que des contrats de durée indéterminée. Cela dépendait des travaux qui devaient parfois être réalisés ou qui avaient été réalisés.

I______, directeur auprès de la régie, a expliqué avoir signé le contrat de bail litigieux, mais ne pas avoir participé à son élaboration. Il n'était pas en charge de la gestion de l'immeuble. La durée déterminée du bail découlait d'une stratégie générale de la bailleresse, laquelle concluait, pour la plupart de ses appartements, des contrats de cinq ans pour pouvoir les entretenir d'une façon régulière. Cela permettait également de répondre aux contraintes de la LDTR et d'éviter un entretien différé dans le temps, qui impliquait des déposes d'autorisation par procédure accélérée (APA), un loyer fixé par la LDTR et des périodes de vacance plus importantes. Le but était également d'avoir des appartements et des immeubles régulièrement entretenus et répondant à un certain standard de confort. La plupart des baux étaient conclus pour une durée fixe de cinq ans, mais il y avait parfois des exceptions, avec des durées fixes différentes ou des durées indéterminées. Cela dépendait de la stratégie dans chaque immeuble. L'idée était que lorsque le locataire partait à la fin du bail, des travaux d'entretien soient réalisés dans l'appartement. Il s'agissait toutefois d'une stratégie générale et, dans chaque immeuble, la bailleresse pouvait avoir une stratégie particulière qui dépendait également du besoin de rénover l'immeuble lui-même. Chaque gérant en discutait avec le responsable de l'immeuble au sein de la bailleresse. Il n'avait pour sa part pas eu de discussions avec la bailleresse au sujet de cette stratégie. Il n'y avait pas d'objectif de faire perdre des droits aux locataires.

G______, employée de la régie, a déclaré avoir établi le contrat de bail litigieux. Elle s'occupait de l'immeuble 48, avenue 1______. Un contrat d'une durée fixe de cinq ans avait été établi à la demande de la bailleresse, qui souhaitait conclure des baux de cinq ans pour cet immeuble, afin de pouvoir rénover les appartements. La question de savoir si des travaux étaient faits à chaque changement de locataire dépendait de l'état de l'appartement. La bailleresse effectuait toujours un rafraîchissement de peinture, mais ne refaisait pas forcément le parquet. Elle suivait pour ce faire la tabelle d'amortissement des installations. Au cours des dix dernières années, les autres appartements de l'immeuble avaient fait l'objet de travaux. Après les cinq ans du bail, la bailleresse faisait des travaux. Il n'y avait pas de renouvellement du bail au terme de la durée fixe, même si un locataire en faisait la demande. Les demandes de conclusion d'un nouveau bail étaient transmises à la bailleresse qui, en principe, les refusait. Il était arrivé à une reprise que la bailleresse accepte de conclure un nouveau contrat de durée déterminée avec un locataire. La question de la durée du bail n'avait pas été évoquée lors de l'un de ses entretiens avec les locataires, lesquels ne lui avaient pas demandé de conclure un contrat de durée indéterminée.

k. La bailleresse a été entendue lors de l'audience du 21 mars 2024 en les personnes de J______ et K______.

J______ a expliqué que la bailleresse n'avait pas pour politique de conclure des baux à durée déterminée, mais que cela dépendait, notamment s'il s'agissait d'un appartement ou d'un immeuble entier. Si la bailleresse devait assurer le bon entretien d'un immeuble par des travaux importants, par exemple changer les sols, il lui arrivait de conclure des baux de durée déterminée, lesquels facilitaient l'accès à l'immeuble et permettaient de faire des états des lieux. Si les appartements ne nécessitaient pas de travaux importants, des baux de durée indéterminée étaient conclus. Elle n'avait pas participé à la conclusion du contrat litigieux et ignorait la raison justifiant la durée déterminée du bail. Elle savait cependant que la bailleresse avait des problèmes avec cet immeuble et qu'il y avait des entretiens fréquents à faire. La bailleresse avait dû intervenir à plusieurs reprises pour des problèmes liés à la construction, dont la qualité laissait à désirer; elle devait souvent assainir. S'agissant spécifiquement de l'appartement des locataires, elle ne l'avait jamais vu et ne pouvait pas dire quels travaux devraient être faits. Il devait toutefois y en avoir, sinon ils n'auraient pas conclu de contrat de durée déterminée. A l'échéance du bail, la régie ferait un état des lieux et des recommandations de travaux à réaliser. Si des travaux importants devaient être faits, ils le seraient rapidement; sinon, dans quelques années, la bailleresse pourrait revoir la situation. Pour cet immeuble, il serait toutefois, dans un tel cas, difficile d'envisager un bail de durée indéterminée, car il y avait beaucoup de travaux à réaliser. Il arrivait que des baux de durée déterminée soient finalement prolongés à la demande des locataires. La bailleresse ne concluait pas de baux à durée déterminée dans le but d'entraver les locataires dans l'exercice de leurs droits.

K______ a expliqué qu'une stratégie était définie chaque année pour les immeubles, y compris s'agissant du loyer. La stratégie pour l'immeuble litigieux était de conclure des contrats de durée déterminée, car la qualité de construction de cet immeuble était mauvaise (fissures sur les murs du hall d'entrée, appareils ménagers à changer après deux ou trois ans, portes ne fermant pas correctement). La bailleresse pouvait ainsi, le cas échéant, intervenir rapidement pour faire les travaux nécessaires. La politique des travaux - travaux importants ou simple rafraichissement - se définissait au cas par cas, selon les états des lieux et les informations reçues de la régie. Après l'échéance de la durée de cinq ans, la bailleresse examinait si des travaux devaient être faits. Si tel n'était pas le cas, elle pouvait proposer un nouveau contrat de cinq ans. Au terme de cette nouvelle période, le locataire pouvait encore obtenir une prolongation de quatre ans. K______ avait été impliqué dans la conclusion du contrat de bail des locataires. Ces derniers avaient demandé à la régie une baisse considérable du loyer. Il avait fait une étude du marché sur la question du loyer et était arrivé à la conclusion que le loyer se trouvait dans la partie inférieure de ce qui se pratiquait sur le marché. La bailleresse n'avait pas conclu un contrat de durée déterminée avec les locataires dans le but de les amener à accepter un certain loyer ou une augmentation de loyer ou dans le but de les priver de l'exercice de leurs droits. K______ ne connaissait pas personnellement l'état de l'appartement litigieux, ni son état au moment de la conclusion du bail. Il ignorait dans quel état il serait en 2026.

l. A l'issue de l'audience du Tribunal du 21 mars 2024, les locataires ont pris les conclusions suivantes :

- Ordonner un calcul de rendement (y compris la production des pièces qui figuraient dans la demande).

- Ordonner à la bailleresse d'indiquer si l'immeuble avait été financé entièrement par des fonds propres.

- Ordonner la production par la régie, sous menace de l'article 292 CP, des charges courantes et des charges d'entretien de 2016 à 2020. En cas de refus, faire usage de l'article 160 let c CPC.

- Ordonner à la bailleresse la production de toutes les factures de travaux dans l'immeuble et ses appartements pour les dix dernières années.

- Ordonner à l'Office cantonal du logement la production du dossier relatif à l'arrêté figurant à la procédure.

- Ordonner un transport sur place.

La bailleresse s'est opposée à toutes ces conclusions.

m. Par ordonnance du 13 mai 2024, le Tribunal a rejeté les offres de preuve formulées par les locataires le 21 mars 2024, clos les débats principaux et ordonné la tenue d'une audience pour les plaidoiries finales.

Il a notamment considéré que, l'immeuble étant ancien, il n'y avait pas lieu de procéder à un calcul de rendement, de sorte que les offres de preuve y relatives étaient dénuées de pertinence. Les locataires n'avaient pas exposé la pertinence d'un transport sur place, auquel la bailleresse avait renoncé.

n. Lors de l'audience qui s'est tenue le 20 juin 2024, les locataires ont formé des allégués complémentaires aux termes desquels le terrain sur lequel se situait l'immeuble avait été acquis en 1968 pour un prix de 2'460'000 fr., les locataires produisant à ce sujet un extrait d'un contrat de vente dont il ne ressort pas sur quel immeuble il porte. Les locataires ont allégué également que, selon le plan financier sur lequel le Conseil d'Etat avait fondé son arrêté du 17 décembre 2007, le prix de ladite parcelle s'élevait à 3'962'600 fr. en 2007, soit une valeur de 3'997'470 fr. en mai 2021 en prenant en compte la variation de l'ISPC.

Ils ont persisté dans toutes leurs offres de preuve et maintenu leur demande tendant à ce que le Tribunal ordonne à l'Office cantonal du logement la production du dossier relatif à l'arrêté produit en lien avec le prix du terrain. Le dossier devait mentionner comment avait été calculé le prix de revient du terrain.

Ils ont également pris les conclusions suivantes :

- Ordonner à la bailleresse de produire l'intégralité du contrat de vente portant sur l'acquisition en 1968 du terrain sur lequel avait été construit le bâtiment.

- En cas de refus de la bailleresse, vu ledit document, ordonner sa production par le registre foncier.

- Ordonner la mise sur pied d'une expertise judiciaire confiée à un spécialiste de l'immobilier en vue de confirmer que la valeur de 3'997'740 fr. correspondait bel et bien à la valeur du terrain établie au moment de la conclusion du bail le 6 mai 2021, cas échéant, ordonner ladite expertise judiciaire en vue de déterminer la valeur du terrain.

La bailleresse a contesté les allégués nouveaux et s'est opposée aux nouvelles offres de preuve.

Sur quoi, le Tribunal a rendu une ordonnance de preuve rejetant les offres de preuve formulées par les locataires.

Le Tribunal a clos les débats principaux et ordonné les plaidoiries finales orales.

Les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions. Les locataires ont répliqué, la bailleresse a dupliqué et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse correspond à la différence entre le montant annuel du loyer initial tel que fixé dans le contrat de bail et le montant requis par le locataire sans les charges, multiplié par vingt (art. 92 al. 2 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2012 du 6 décembre 2012 consid. 1.1).

En l'espèce, la valeur litigieuse est ainsi supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte, ce qui n'est pas contesté.

1.2 Selon l'art. 311 al. 1 et 2 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier.

L'appel a été interjeté dans les délais et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.4 Les conclusions nouvelles (réduites) prises par les appelants devant la Cour sont recevables, car la restriction des conclusions ne constitue pas une modification de la demande, mais un retrait partiel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_184/2013 du 26 avril 2013 consid. 3.2).

2. Le Tribunal a retenu en substance que la bailleresse avait expliqué l'établissement de baux de durée déterminée par sa volonté de faire exécuter des travaux dans les appartements à l'échéance des baux, ce qu'avaient confirmé ses représentants ainsi que les représentants de la régie. Bien qu'elle n'avait pas à justifier son choix de conclure un bail de durée déterminée, elle avait fourni dans le cadre des enquêtes une explication plausible à la conclusion de tels baux, cette motivation étant restée la même depuis le dépôt du mémoire réponse. Elle était ainsi en droit de proposer un contrat d'une durée fixe de cinq ans et elle n'avait violé aucune disposition légale en le faisant. Rien n'indiquait en effet qu'elle ait voulu contourner des règles impératives en proposant un contrat de durée déterminée. Aucun élément ne laissait apparaître que lors de la conclusion du bail, la bailleresse aurait voulu se lier par un contrat de durée indéterminée à condition que les locataires ne contestent pas le loyer initial. Le loyer avait diminué par rapport à celui du précédent locataire et aucun échelon n'était prévu. Il n'était en outre pas établi que les locataires se seraient inquiétés de la durée du bail ou auraient demandé un contrat à durée indéterminée, ni qu'ils auraient reçu une assurance de la part de la bailleresse quant au fait qu'ils pourraient rester dans l'appartement à l'échéance du bail. Le seul fait que les locataires n'aient pas d'intérêt à ce que le bail soit de durée déterminée et qu'ils aient allégué se trouver dans une situation de contrainte n'était pas suffisant pour retenir une fraude à la loi de la bailleresse.

Les appelants reprochent au Tribunal d'avoir violé leur droit à la preuve et de ne pas avoir retenu que la durée déterminée du contrat de bail relevait d'une fraude à la loi.

2.1 Selon l'art. 255 CO, le bail peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Il est de durée déterminée lorsqu'il doit prendre fin, sans congé, à l'expiration de la durée convenue. Les autres baux sont réputés conclus pour une durée indéterminée.

Lorsque les parties sont convenues expressément ou tacitement d'une durée déterminée, le bail prend fin sans congé à l'expiration de la durée convenue. Si le bail est reconduit tacitement, il devient un contrat de durée indéterminée (art. 266 CO).

Le bail à durée déterminée se distingue du bail à durée indéterminée en particulier sur les points suivants : prenant fin sans congé, il sort du champ d'application des règles de protection contre les congés abusifs, qui sont de nature impérative (cf. art. 273c CO). Dans le bail à terme fixe, le loyer ne peut pas être modifié en cours de contrat. En raison du principe de fidélité contractuelle, la loi autorise à augmenter ou diminuer le loyer uniquement pour le prochain terme de résiliation, qui est en l'occurrence un terme extinctif (ATF 128 III 419 consid. 2.4.1; Lachat/Grobet-Thorens/Rubli/Stastny, Le bail à loyer, 2ème éd., 2019, Lausanne, p. 499 et 792); si les parties décident de conclure un nouveau contrat, le bailleur pourra augmenter le loyer, qui sera susceptible de contestation au titre de loyer initial (art. 270 CO).

Dans un système de baux à durée déterminée, chaque partie est entièrement libre de conclure ou non un nouveau contrat à l'expiration du précédent, sans avoir à se justifier. Le bailleur peut ainsi refuser son accord parce qu'il a succombé dans une procédure, ou parce qu'il estime le locataire trop revendicateur; le locataire n'a aucun moyen juridique de le contraindre à la poursuite des relations contractuelles. Ce risque peut inciter le locataire à se montrer docile et à ne pas revendiquer des droits, afin de ne pas compromettre ses chances d'obtenir un renouvellement de son bail; il pourra notamment hésiter à contester un loyer initial abusif (Saviaux, Baux de courte durée successifs et contestation du loyer initial, PJA 2010 p. 289 et 300 ss; Bohnet/Carron/Montini, in Droit du bail à loyer, 2017, 2ème éd., n. 9 ad art. 255 CO; Nicolini/Bachelard, Bail de durée déterminée : bien plus qu'un bail à l'essai, un musellement des locataires, in 40 ans des Juristes Démocrates Suisse (JDS) : résolu-e-s, impertinent-e-s, engagé-e-s, 2018, p. 115 ss.), à demander des travaux ou à contester des décomptes de chauffage (ATF 139 III 145 consid. 4.2.3).

Dans un arrêt de principe concernant la conclusion successive de plusieurs contrats à durée déterminée, le Tribunal fédéral a relevé que la conclusion de tels contrats était licite, sous réserve toutefois d'une fraude à la loi. L'interdiction de l'abus de droit est un principe général de l'ordre juridique suisse (ATF 140 III 491 consid. 4.2.4; 137 V 394 consid. 7.1; 130 II 113 consid. 4.2), développé à l'origine sur la base des concepts propres au droit civil (art. 2 CC). Il y a fraude à la loi - forme particulière d'abus de droit - lorsqu'un justiciable évite l'application d'une norme imposant ou interdisant un certain résultat par le biais d'une autre norme permettant d'aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit (ATF 142 II 206 consid. 2.3; 132 III 212 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_190/2017 du 15 septembre 2017 consid. 3.3.1).

La loi ne requiert aucun motif particulier pour conclure un bail de durée déterminée et n'interdit pas d'enchaîner deux ou plusieurs baux de ce type. Il n'est pas aisé de tracer la frontière entre le choix consensuel d'une construction juridique offerte par la loi et l'abus de cette liberté, constitutif d'une fraude à la loi (ATF 139 III 145 consid. 4.2.4). Il s'agit bien plutôt de rechercher si les faits recueillis conduisent à la conclusion que le bailleur qui, en soi, a l'intention de s'engager pour une durée indéfinie, a mis en place un système qui ne s'explique que par la volonté de contourner des règles impératives, telles les règles contre les loyers abusifs ou contre les congés abusifs (ATF 139 III 145 consid. 4.2.3 et 4.3.2). Ainsi, le défaut de motif plausible peut, dans le cadre d'une appréciation d'ensemble de tous les éléments pertinents - parmi lesquels figurent notamment la pénurie de logements sur le marché concerné et une pratique systématique du bailleur - conduire à l'admission d'une fraude à la loi (arrêt du Tribunal fédéral 4A_598/2018 du 12 avril 2019 consid. 4.2.3).

Dans l'affaire qui a donné lieu à l'ATF 139 III 145, le Tribunal fédéral a considéré que la situation de pénurie notoire existant dans le cas d'espèce, ainsi que la déclaration des bailleurs selon laquelle ils privilégiaient les baux de durée limitée afin de préserver leur liberté de conclure ou non de nouveaux contrats constituaient autant d'indices d'une fraude à la loi. Toutefois, l'appréciation des circonstances concrètes, prises dans leur ensemble, ne permettait pas de conclure que cette construction juridique visait uniquement à contourner les règles impératives de protection des locataires.

En matière de contrat de travail, la doctrine et la jurisprudence admettent que la fraude doit être retenue lorsqu'aucune raison objective, respectivement aucune circonstance économique ou sociale particulière, ne justifie de conclure une chaîne de contrats à durée limitée; entre autres exemples de motif objectif, on peut citer le cas où le travailleur lui-même ne veut s'engager que pour une durée déterminée (ATF 139 III 145 consid. 4.1 et les références). Si ces principes ne sont pas directement transposables au contrat de bail, le fait que le locataire ne veuille en soi pas s'engager seulement pour une durée déterminée, respectivement n'ait pas d'intérêt à conclure un contrat de bail de durée déterminée plutôt que de durée indéterminée, est un élément pertinent dans l'appréciation de l'ensemble des circonstances, tout comme le fait que le bailleur n'indique pas, respectivement ne rend pas plausible, le motif qui l'a conduit à opter pour un contrat de durée déterminée. S'il appartient en principe au locataire de prouver la fraude à la loi, il convient de tenir compte du fait que démontrer l'intention frauduleuse, en tant que circonstance interne au bailleur, confine souvent à l'impossible (Lachat, Le bail à loyer, 2019, p. 798; Bohnet/Dietschy-Martenet, Commentaire pratique, Droit du bail à loyer et à ferme, 2e éd. 2017, no 9 ad art. 255 CO; Gil, La crise et le contrat de bail : où est l'abus de droit ?, in Les difficultés économiques en droit, 2015, p. 377; Diaz, Validité des contrats conclus en chaîne en droit du bail, in Plaidoyer 5/2013 p. 14). Lorsque le locataire allègue de manière détaillée en quoi consisterait la fraude à la loi qu'il reproche au bailleur, le juge peut se contenter d'une vraisemblance prépondérante (Weber, in Basler Kommentar, OR I, 6e éd. 2015, no 6 ad art. 255 CO; Lachat, op. cit, p. 798) et inviter le bailleur à collaborer à la preuve, en exposant pour quelles raisons - qu'il ne connaît a priori que lui-même - il a opté pour la conclusion de baux de durée déterminée (Lachat, op. cit, p. 798; Siegrist, Validité des contrats en chaîne : les droits des locataires sont-ils garantis ?, Newsletter Bail.ch mai 2013, p. 3; Weber, op. cit., no 6 ad art. 255 CO).

Le défaut de motif plausible peut, dans le cadre d'une appréciation d'ensemble de tous les éléments pertinents - parmi lesquels figure notamment la pénurie de logements sur le marché concerné (cf. ATF 139 III 145 consid. 4.3.3; Koller, Die mietrechtliche Rechtsprechung des Bundesgerichts im Jahr 2013, RJB 150/2014 p. 924; Thanei, in Das Mietrecht für die Praxis, 9e éd. 2016, p. 665 [cité ci-après: Mietrecht]; la même, Der befristete Mietvertrag, in mp 2018 p. 271) et une pratique systématique du bailleur (Thanei, Mietrecht, p. 665) - conduire à l'admission d'une fraude à la loi (Weber, op. cit., n. 6 ad art. 255 CO; Thanei, Mietrecht, p. 665) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_598/2018 précité, consid. 4.2.3).

Rien ne s'oppose à l'application des principes susmentionnés relatifs à la conclusion successive de plusieurs baux de durée déterminée également lorsqu'il s'agit d'examiner la validité d'une clause de durée déterminée insérée dans le premier contrat conclu par les parties. En effet, il est concevable que les éléments constitutifs d'une fraude à la loi, parmi lesquels la volonté du bailleur de contourner les règles impératives de protection du locataire, existent dès la conclusion d'un premier contrat de durée déterminée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_598/2018 précité cons. 4.2.1).

Le Tribunal fédéral a ainsi retenu dans l'arrêt précité, dans le cadre d'une clause de durée déterminée insérée dans le premier contrat conclu par les parties, qu'il y avait lieu de considérer que la construction juridique proposée par la bailleresse - qui correspondait à une pratique systématique s'agissant des objets soumis à la LDTR, pour laquelle elle n'avait avancé aucun motif et qui ne correspondait à aucun intérêt du locataire - ne pouvait s'expliquer que par la volonté d'éluder des dispositions impératives protégeant le locataire et était ainsi constitutive d'une fraude à la loi. Dans ce cas précis, la bailleresse n'avait pas avancé de motif particulier justifiant la durée déterminée du bail; le locataire était dans une situation de contrainte, car il avait attendu un an pour cet appartement, dont il avait besoin pour recevoir ses enfants, étant en séparation; le locataire ne souhaitait pas s'engager seulement pour une durée déterminée; il ressortait de la procédure que ce dernier s'était inquiété avant la conclusion du bail de la durée du bail et de la possibilité de rester dans l'appartement après cette échéance; à la suite de cela, la représentante de la régie lui avait indiqué qu'il était possible qu'il puisse rester dans l'appartement à l'échéance du bail, car elle avait souvent vu des renouvellements de baux à durée déterminée, mais qu'elle ne pouvait lui donner aucune assurance quant au fait que son bail serait renouvelé "ad vitam aeternam"; la conclusion d'un bail de durée déterminée de quatre ans, comprenant pour la quatrième année (soit à l'expiration de la durée du contrôle obligatoire) un échelon prévoyant une majoration du loyer de quelque 96.4% motivée par une adaptation aux loyers usuels du quartier - étant précisé que la cour cantonale a retenu que cet échelon conduisait à un loyer abusif - présentait l'avantage pour la bailleresse, par rapport à un bail de durée indéterminée, de minimiser le risque de voir le loyer ramené à un montant non abusif; ce système était en effet de nature à inciter le locataire à se montrer docile et à ne pas contester le loyer initial (y compris l'échelon) afin de ne pas compromettre ses chances d'obtenir un renouvellement de son bail.

Lorsque le bailleur abuse de l'institution du contrat à durée déterminée afin de limiter les droits du locataire en cas de congé, il se justifie de traiter les contrats en chaîne comme des baux de durée indéterminée (Lachat, op. cit., p.798).

2.2 En l'espèce, les locataires ont allégué que la bailleresse prévoyait, à tout le moins pour l'immeuble concerné, des baux de durée déterminée dans le seul but de les dissuader de faire valoir leurs droits, ce que celle-ci a contesté, exposant que, de manière générale, la décision de conclure un bail de durée déterminée s'examinait de cas en cas, en fonction du besoin de rénovation des locaux, hors la présence de locataires, dans une optique d'entretien de l'immeuble. Si tel était le cas, elle concluait un bail de durée déterminée.

Quand bien même il appartenait aux locataires de démontrer que le motif allégué par la bailleresse n'était qu'un prétexte, indice que la conclusion d'un bail à durée déterminée relevait de la fraude à la loi, la bailleresse devait collaborer à la preuve, notamment en démontrant la réalité du motif invoqué pour la conclusion d'un bail de durée déterminée.

Or, malgré la demande des locataires, la bailleresse n'a produit aucune pièce étayant le motif invoqué et permettant d'infirmer l'allégation des locataires. En particulier, elle n'a produit aucun document démontrant le besoin de rénovation de l'appartement des précités ou attestant du mauvais état de l'immeuble, ni aucune preuve des travaux importants qu'elle allègue, effectués sur celui-ci ces dernières années. Les enquêtes n'ont pas non plus permis de contredire la thèse des appelants.

En effet, les représentants de la bailleresse ont d'abord admis qu'ils n'avaient pas vu l'appartement des appelants. Ensuite, ils se sont contentés de faire état de la mauvaise qualité de l'immeuble, affirmant que celui-ci nécessitait des interventions régulières, sans fournir aucune précision à cet égard. Or, les locataires ont démontré, par la production de l'état des lieux d'entrée, que l'appartement concerné n'avait fait l'objet, avant leur entrée, que d'un rafraichissement partiel, qui aurait pu être effectué en présence des occupants.

Ces différents éléments permettent de retenir, avec une vraisemblance prépondérante, que la conclusion d'un bail de durée déterminée relevait d'une politique générale et n'était pas justifiée par le maintien du bon état de l'immeuble, voire de celui de l'appartement loué aux appelants.

Plusieurs témoins ont d'ailleurs fait état de l'existence d'une "politique générale" de la bailleresse de conclure des baux de durée déterminée, même si nuancée selon certains en ce qu'elle était décidée "par immeuble" ou dépendait des travaux à effectuer.

Les déclarations du témoin G______, selon lesquelles les baux [de durée déterminée] n'étaient généralement pas reconduits accréditent la thèse d'une telle politique, et contredisent l'affirmation selon laquelle les baux de durée déterminée seraient reconduits lorsque des travaux n'étaient pas nécessaires.

Les allégations des locataires selon lesquelles ils auraient souhaité un bail de durée déterminée paraissent plausibles, notamment au regard de l'agrandissement de la famille et des contraintes que représente un déménagement. La promesse qu'un nouveau bail leur serait proposé "si tout se passait bien" est également crédible, les dénégations du témoin G______ à cet égard devant être appréciées avec retenue, compte tenu de ses liens avec la bailleresse.

La pénurie de logement à Genève ne fait pas de doute.

Ainsi, le bail de durée déterminée conclu avec les locataires ne repose pas sur les motifs allégués, aucune rénovation dans un avenir proche n'ayant été démontrée. Le fondement de la décision de conclure un bail de durée déterminée relève manifestement d'une "politique générale" de la bailleresse, indépendamment du besoin concret de maintien en bon état de l'immeuble litigieux. Il peut dès lors être considéré que cette manière de procéder vise à exercer une certaine pression sur les locataires, pour les dissuader de faire valoir leurs droits, afin de ne pas courir le risque que leur bail ne soit pas renouvelé. Le fait que dans la présente espèce le loyer avait diminué par rapport à celui du précédent locataire, qu'aucun échelon n'était prévu et que les locataires aient contesté le loyer initial ne suffit pas à contredire ce qui précède.

En conclusion, c'est à tort que le Tribunal a nié l'existence d'une fraude à la loi dans la présente affaire, en retenant que le motif allégué par la bailleresse pour justifier la conclusion d'un bail de durée déterminée était plausible.

Le chiffre 1 du dispositif du jugement attaqué sera en conséquence annulé et il sera constaté que la clause de durée déterminée du bail conclu entre les parties est nulle.

3. Concernant le loyer, le Tribunal a retenu que l'immeuble concerné était ancien et que dès lors le loyer initial devait être examiné sur la seule base des loyers usuels du quartier. Un calcul de rendement n'était pas possible. Le loyer initial n'avait pas subi d'augmentation - il avait même diminué – de sorte qu'il n'était pas présumé abusif. Il incombait aux locataires de fournir cinq exemples comparatifs de façon à en démontrer le caractère abusif, ce qu'ils n'avaient pas fait. Il n'appartenait dès lors pas au juge de fixer ledit loyer.

Les appelants soutiennent que le Tribunal aurait dû procéder à un calcul de rendement, la valeur de la parcelle ayant été établie par l'Office cantonal du logement dans son arrêté du 17 décembre 2007 et l'immeuble construit en 2008, de sorte qu'il ne pouvait être considéré que celui-ci était ancien. Il aurait dû ordonner à la bailleresse de produire, entre autres, les charges des cinq dernières années ou prendre en compte 15% du prix de revient à titre de charges et procéder au calcul de rendement, étant en possession de tous les éléments utiles.

3.1 En vertu de l'art. 270 al. 1 CO, le locataire peut contester le loyer initial qu'il estime abusif au sens des art. 269 et 269a CO, notamment à la condition formelle qu'il a été contraint de conclure bail en raison de la situation sur le marché local du logement (art. 270 al. 1 let. a CO).

Les critères matériels permettant de juger du bien-fondé d'une demande de diminution du loyer par rapport à celui payé par le précédent locataire se trouvent aux art. 269 et 269a CO (ATF 139 III 13 consid. 3.1.2; 120 II 240 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_295/2016 du 29 novembre 2016 consid. 4.1). Selon l'art. 269 CO, le loyer est abusif lorsqu'il permet au bailleur d'obtenir un rendement excessif de la chose louée.

Le critère absolu du rendement net a la priorité sur celui des loyers usuels de la localité ou du quartier (ATF 147 III 14 consid. 4.2; 124 III 310 consid. 2b), en ce sens que le locataire peut toujours tenter de prouver que le loyer permet au bailleur d'obtenir un rendement excessif (art. 269 CO), et ce n'est donc qu'en cas de difficulté ou d'impossibilité de déterminer le caractère excessif du rendement net qu'il pourra être fait application du critère des loyers usuels de la localité ou du quartier (ATF 147 III 14 consid. 4.2; 124 III 310 consid. 2b).

Pour les immeubles anciens, la hiérarchie des critères absolus est inversée : le critère des loyers usuels de la localité ou du quartier l'emporte sur le critère du rendement net des fonds propres investis (ATF 147 III 14 consid. 4.2; 140 III 433 consid. 3.1). Pour de tels immeubles, en effet, les pièces comptables nécessaires pour déterminer les fonds propres investis en vue de calculer le rendement net font fréquemment défaut ou font apparaître des montants qui ne sont plus en phase avec la réalité économique actuelle (ATF 147 III 14 consid. 4.2; 140 III 433 consid. 3.1; 122 III 257 consid. 4a/bb; arrêt du Tribunal fédéral 4A_191/2018 précité consid. 3.1). Pour un immeuble ancien, le bailleur peut donc se prévaloir de la prééminence du critère des loyers usuels de la localité ou du quartier; le fait que ce critère ait la priorité ne l'empêche toutefois pas d'établir que l'immeuble ne lui procure pas un rendement excessif à l'aide du rendement net (arrêts du Tribunal fédéral 4A_583/2023 du 12 août 2024 consid. 3.2; 4A_191/ 2018 précité consid. 3.1 et les arrêts cités). Est ancien un immeuble dont la construction ou la dernière acquisition remonte à trente ans au moins, au moment où débute le bail; autrement dit, ce délai de trente ans commence à courir soit à la date de la construction de l'immeuble, soit à celle de sa dernière acquisition, et doit être échu au moment où débute le bail (ATF 148 III 209 consid. 3.1; 147 III 14 consid. 4.2; 144 III 514 consid. 3.2).

Le critère du rendement net de l'art. 269 CO se base sur le rendement net des fonds propres investis. Le loyer doit, d'une part, offrir un rendement raisonnable par rapport aux fonds propres investis et, d'autre part, couvrir les charges immobilières (ATF 147 III 14 consid. 4.1.1; 141 III 245 consid. 6.3 et les références citées). Le loyer est ainsi contrôlé sur la base de la situation financière de la chose louée à un moment donné, sans égard aux accords antérieurs passés avec le locataire, lesquels ne sont pris en considération que dans l'application de la méthode relative (arrêts du Tribunal fédéral 4A_583/2023 du 12 août 2024 consid. 3.1.1; 4A_63/2024 du 17 juin 2024 consid. 5.2; 4A_581/2018 précité consid. 3.1.1; 4A_191/2018 précité consid. 3.1; 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.2).

Pour déterminer le rendement net de la chose louée, il faut procéder en sept étapes, consistant à : 1° déterminer tous les coûts d'investissements effectifs (ou prix de revient) de l'immeuble; 2° déduire de ces coûts les fonds étrangers afin d'obtenir le montant des fonds propres investis; 3° réévaluer le montant des fonds propres investis pour tenir compte du renchérissement; 4° appliquer à ces fonds propres investis réévalués le taux de rendement admissible; 5° ajouter à ce rendement admissible des fonds propres les charges immobilières annuelles; 6° ventiler ce résultat appartement par appartement pour obtenir le loyer admissible de la chose louée; 7° comparer le loyer admissible obtenu avec le loyer actuel (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.2.2).

Selon la jurisprudence, il appartient au locataire qui conteste le loyer initial d'apporter la preuve que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif. Toutefois, selon les principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la charge de la preuve (soit le bailleur) doit collaborer loyalement à l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est la seule à détenir (ATF 147 III 14 consid. 6.1 et les arrêts cités). Dès lors que le bailleur détient seul les documents permettant un calcul de rendement, on peut en effet attendre de lui qu'il les produise (arrêts du Tribunal fédéral 4A_3/2011 du 28 février 2011 consid. 4; 4C.61/2005 du 27 mai 2005 consid. 4.3.2, in SJ 2006 I p. 34).

3.2 En l'espèce, l'existence d'une situation de pénurie à Genève est notoire, de sorte que les appelants pouvaient contester le loyer initial, ce qui ne fait pas débat.

Les parcelles sur lesquelles se situent les immeubles propriété de l'intimée ont certes été acquises en 1968, mais leur construction remonte à 2008. Dans ce cadre le Conseil d'Etat a rendu un arrêté dont ressort le prix de revient des parcelles en 2007, acquises au moyen de fonds propres exclusivement. C'est ainsi à tort que le Tribunal a considéré que l'immeuble litigieux était ancien. Il aurait ainsi dû inviter l'intimée à produire les pièces utiles à un calcul de rendement.

C'est le lieu de relever que le représentant de la bailleresse n'a pas prétendu devant le Tribunal ne pas être en possession des documents utiles à un calcul de rendement, mais a exposé qu'il avait fait une étude de marché sur la question du loyer et était arrivé à la conclusion que le loyer des appelants se trouvait dans la partie inférieure de ce qui se pratiquait sur le marché. Il n'a pas fait mention du rendement de l'immeuble comme critère de fixation du loyer.

Le chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris sera en conséquence annulé et la cause sera renvoyée au Tribunal, pour complément d'instruction et nouvelle décision (art. 327 al. 3 let. a CPC).

4. La procédure est gratuite (art. 22 LaCC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 4 novembre 2024 par A______ et B______ contre le jugement JTBL/950/2024 rendu le 1er octobre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15609/2021.

Au fond :

Annule ce jugement et, cela fait, statuant à nouveau :

Constate que la clause de durée déterminée contenue dans le contrat de bail du 6 mai 2021 conclu entre les parties est nulle.

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants, s'agissant de l'action en contestation du loyer initial.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.1