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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/28333/2019

ACJC/424/2025 du 12.03.2025 sur JTBL/469/2024 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/28333/2019 ACJC/424/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MERCREDI 12 MARS 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 30 avril 2024, comparant par Me Christian LÜSCHER, avocat, esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,

 

Et

 

Madame B______, Madame C______, Monsieur D______ et Madame E______, intimés, représentés par [l'agence immobilière] F______, sise ______ [GE],

Madame G______, domiciliée ______ [GE], représentée par Me Nicolas DAUDIN, avocat, place Claparède 7, case postale 360, 1211 Genève 12.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/469/2024 du 30 avril 2024, notifié aux parties le 2 mai 2024, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valable la modification unilatérale du bail de 2002 pour le local d’environ 675 m2 situé au rez-de-chaussée de l’immeuble sis route 1______ nos. ______, [code postal] H______ [GE], notifiée à A______ SA par avis officiel du 14 novembre 2019 (chiffre 1 du dispositif), déclaré valable la modification unilatérale du bail du 24 août 2006 pour le local d’environ 190 m2 situé au rez-de-chaussée de l’immeuble sis route 1______ nos. ______, [code postal] H______, notifiée à A______ SA par avis officiel du 14 novembre 2019 (ch. 2), débouté A______ SA de ses conclusions en constatation de droit (ch. 3), débouté les parties de toutes conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

En substance, les premiers juges ont retenu que les modifications proposées, qui tendaient à passer d’une reconduction tacite du bail de cinq ans en cinq ans à une reconduction annuelle, n’équivalaient pas à une résiliation des baux et n’étaient pas contraire à la bonne foi ou à des dispositions impératives. L’intérêt des bailleurs était de pouvoir commencer les travaux envisagés sur leur parcelle le plus tôt possible une fois les autorisations obtenues, tandis que l’intérêt de la locataire était de pouvoir rester le plus longtemps possible dans les locaux. La modification de la durée de reconduction tacite des baux n’empêcherait toutefois pas la locataire, au moment de la résiliation de ses baux, d’en demander la prolongation, la difficulté à trouver des locaux de remplacement étant prise en compte dans ce cadre. La prise en compte des intérêts divergents des parties conduisait ainsi à déclarer valables les modifications unilatérales des baux. La locataire était dès lors déboutée de sa conclusion en constatation de droit, dont la recevabilité pouvait rester ouverte.

B. a. Par acte déposé le 30 mai 2024 à la Cour de justice, A______ SA forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut à l’annulation des avis de modification du 14 novembre 2019 et à ce qu’il soit constaté qu’elle bénéficie du délai de protection de trois ans dès la fin de la présente procédure.

A______ SA produit des pièces nouvelles (102 à 105) et formule de nouveaux allégués (78 à 90).

b. Dans sa réponse du 27 juin 2024, G______ conclut à l’irrecevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux et, au fond, à la confirmation du jugement.

c. Dans sa réplique du 3 septembre 2024, A______ SA persiste dans ses conclusions au fond.

Elle produit une pièce nouvelle (106) et formule dix nouveaux allégués (91 à 97 [recte : 91 à 100]). Elle conclut à ce que les bailleurs produisent le bail et les avenants conclus avec une autre locataire occupant des locaux sis sur la parcelle litigieuse.

d. Dans leurs dupliques des 2 et 7 octobre 2024, G______, d’une part, et, B______ ainsi que C______, D______ et E______, d’autre part, persistent dans leurs conclusions.

Préalablement, G______ conclut à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet de la nouvelle conclusion de A______ SA. G______ ainsi que B______ et C______, D______ et E______ produisent le contrat de bail conclu avec une autre locataire jouissant de locaux situés sur la parcelle litigieuse et formulent de nouveaux allégués s’y rapportant.

e. Dans ses déterminations spontanées du 17 octobre 2024, A______ SA persiste dans ses conclusions.

f. Les parties ont été avisées le 8 novembre 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a.    G______ ainsi que B______ et C______, D______ et E______ sont copropriétaires de la parcelle n° 2______, sise route 1______ nos. ______, [code postal] H______.

La parcelle se situe en zone 5, soit en zone villas.

b.   Le 13 janvier 1986, les consorts C______/D______/E______ ainsi que I______ SA (actuellement : A______ SA) ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d’une surface commerciale au rez-de-chaussée de l’immeuble sis route 1______ no. ______ à H______, « soit les sept premières travées représentant une surface approximative de 700 m».

La locataire était autorisée à y exercer, à ses risques et périls, l’exploitation commerciale de vente et d’installation de piscines.

Le bail a été conclu pour une durée initiale de dix ans, du 1er février 1986 au 31 janvier 1996. Il s’est renouvelé ensuite tacitement d’année en année. Le préavis de résiliation était de six mois.

c.    En novembre 2002, les consorts C______/D______/E______ ainsi que I______ SA ont conclu un nouveau contrat de bail à loyer portant sur une surface commerciale au rez-de-chaussée de l’immeuble sis route 1______ no. ______ à H______, « soit les sept premières travées représentant une surface de 675 m2 ».

Le contrat a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, du 1er décembre 2002 au 31 décembre 2007. Il s’est renouvelé ensuite tacitement de cinq ans en cinq ans. Le préavis de résiliation était de six mois.

Le loyer annuel de ces locaux a été fixé en dernier lieu à 155'208 fr. dès le 1er janvier 2009.

d.   Le 24 août 2006, les consorts C______/D______/E______ ainsi que A______ SA ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d’une surface commerciale de 190 m2 située au rez-de-chaussée de l’immeuble sis route 1______ no. ______ à H______.

Le contrat a été conclu pour une durée initiale de six ans et quatre mois, du 1er septembre 2006 au 31 décembre 2012. Il s’est renouvelé par la suite tacitement de cinq ans en cinq ans. Le préavis de résiliation était de six mois.

Le loyer annuel de ces locaux a été fixé en dernier lieu à 21'660 fr. dès le 1er janvier 2009.

e.    En août 2015, les architectes urbanistes J______ et K______ ont élaboré une étude de potentiel de l’aménagement du secteur L______, dans lequel se situe la parcelle n° 2______. Ils ont envisagé trois variantes : la variante 1 prévoyait la démolition du bâtiment dans lequel se situent les locaux et un relogement de A______ SA sur le site, la variante 2, la conservation partielle du bâtiment et la surélévation de deux niveaux et la variante 3, la démolition du bâtiment.

f.     Le 24 août 2018, deux représentants des propriétaires ainsi que deux représentants de M______ SA se sont réunis au sujet de l’aménagement du secteur L______, dans le but de faire un point de situation et de lancer l’aménagement du secteur.

g.    Le 11 février 2019, deux représentantes de l’Office de l’urbanisme, deux représentants des propriétaires ainsi qu’un architecte de M______ SA se sont réunis au sujet de l’aménagement du secteur, dans le but de planifier les travaux d’aménagement.

Selon le procès-verbal de cette séance, le périmètre concerné par le projet de développement du secteur L______ correspondait aux parcelles n° 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______, sises sur la commune de N______ [GE] en zone 5, et était propriété de deux groupes, à savoir le « groupe O______ (C______/D______/E______, G______, B______) » et le « groupe M______ ». Les biens-fonds étaient occupés par les entreprises A______ SA et P______ SA, par l'[école privée] Q______, au bénéfice d’une autorisation à durée limitée jusqu’en août 2019, et par des locataires avec des baux à durée limitée. Une nouvelle demande d’autorisation de dérogation à la zone pour le maintien de l'[école privée] Q______ pour une durée de 5 ans était en cours d’instruction. Le projet de développement du secteur avait été initié en 2014. Pour des raisons propres aux deux groupes propriétaires, il avait pris beaucoup de retard.

h.   Par avis de majoration de loyer ou d’autres modifications du bail des 14 novembre 2019, G______, B______ et C______, D______ et E______ ont proposé à A______ SA de fixer la nouvelle échéance des baux au 31 décembre 2023, avec renouvellement par la suite d’année en année.

Le motif des modifications était le suivant : « […] Dès le 1er janvier 2023, le bail se renouvellera d’année en année. La résiliation avec un préavis de 6 mois pour l’échéance du bail demeure inchangée. Voir notre lettre du 14.11.2019 ci-annexée, faisant partie intégrante du présent avis. »

Dans la lettre accompagnant les avis du 14 novembre 2019, G______, B______ et C______, D______ et E______ ont indiqué faire suite aux différentes entrevues des dernières années avec R______ au sujet du projet de développement de la parcelle sur laquelle sont situés les locaux. Comme A______ SA le savait, l’immeuble était destiné à être démoli, un projet de nouvelles constructions étant à l’étude, impliquant le déménagement de la société et la dépose de ses aménagements personnels. Les baux arrivant à échéance le 31 décembre 2022, ils se renouvelleraient dès le 1er janvier 2023 pour une période d’une année et ainsi de suite d’année en année, avec un préavis de résiliation de six mois pour chaque échéance.

i.      Par requête de conciliation du 13 décembre 2019, A______ SA a contesté les avis de modification de bail portant sur la surface commerciale de 675 m2 (C/28333/2019) et sur la surface commerciale de 190 m2 (C/28335/2019) et conclu à ce qu’il soit constaté qu’elle était bénéficiaire du délai de protection de trois ans de l’art. 271a let. e CO (C/28337/2019).

j.     Non conciliées lors de l’audience du 26 avril 2022, les causes C/28333/2019 et C/28335/2019 ont été introduites par les bailleurs par-devant le Tribunal le 25 mai 2022. Ces derniers ont conclu à la validité des modifications unilatérales des baux.

Ils ont allégué que l’immeuble dans lequel se situaient les locaux était voué à la destruction. Depuis plusieurs années, un projet de nouvelles constructions était à l’étude sur la parcelle. La locataire en avait toujours été informée ainsi que du fait, qu’à terme, elle devrait quitter les locaux. Elle avait été reçue à plusieurs reprises dans les locaux de la régie pour être tenue au courant de l’avancée du projet. Le maintien d’un renouvellement quinquennal des baux pourrait leur causer un préjudice et retarder la réalisation du projet une fois celui-ci en mesure d’être réalisé.

k.   Non conciliée lors de l’audience du 26 avril 2022, la cause C/28337/2019 (action en constatation de droit) a été portée par la locataire par-devant le Tribunal le 25 mai 2022. Cette dernière a conclu à ce qu’il soit constaté qu’elle était bénéficiaire du délai de protection de trois ans prévu par l’art. 271a let. e CO dans le cadre des procédures C/28333/2019 et C/28335/2019, sous réserve d’amplification. Elle a exposé déposer sa demande afin qu’aucune résiliation ne puisse être signifiée dans les trois années suivant la conclusion d’une transaction ou de tout autre accord dans le cadre des procédures C/28333/2019 et C/28335/2019.

l.      Par ordonnance du 15 juin 2022, le Tribunal a ordonné la jonction des causes C/28333/2019, C/28335/2019 et C/28337/2019 sous le numéro de cause C/28333/2019.

m. Par réponse dans la procédure portant sur l’action en constatation de droit du 13 juillet 2022, G______, B______ et C______, D______ et E______ ont conclu au rejet de la demande. G______ a également conclu à l’irrecevabilité de l’action en constatation de droit.

n.   Dans sa réponse du 25 août 2022 relative aux modifications unilatérales des baux, A______ SA a conclu au rejet des demandes.

Elle a allégué avoir été informée une seule fois, le 14 juillet 2014, de l’éventualité d’un projet de construction sur la parcelle et de la possibilité que les baux soient résiliés. Rien n’avait été entrepris ensuite et trois ans plus tard, en 2017, les contrats avaient été prolongés pour cinq ans. Les bailleurs n’avaient aucun projet concret et aucune demande de permis de construire n’avait été déposée. En novembre 2019, le Département du territoire avait décidé de geler les constructions dans la zone villas et restreint les possibilités de dérogation. La locataire n’était pas opposée à déménager et avait entamé de sérieuses démarches pour trouver des locaux de remplacement dans la région, étant contrainte d’installer ses locaux dans une zone artisanale et industrielle. Ni la régie, ni les bailleurs ne l’avaient aidée, contrairement aux assurances données. Cela démontrait qu’il n’y avait aucune urgence dans l’éventuel projet de promotion. Il était difficile de trouver des locaux équivalents en termes de surface, de prix et de visibilité. La taille, le type d’exploitation et le nombre d’employés qu’elle comptait ne lui permettait pas de déménager en quelques mois. Elle employait 29 personnes, ce qui correspondait à 26 postes à plein temps. La localisation sur la rive gauche était impérative au vu de sa clientèle, dont 80% provenait de cette rive.

o.    Lors de l’audience du 4 avril 2023, le Tribunal a procédé à l’audition de S______, architecte, et R______, membre de la famille des propriétaires et associé de la régie les représentant, en qualité de témoins.

S______ a déclaré avoir contacté son ami R______ en 2006 en vue d’une revalorisation de la parcelle sise route 1______ nos. ______. En 2013, le mandat de développement de la parcelle lui avait été confié. Entre 2013 et 2016, ils avaient pu acquérir trois autres parcelles contigües. En 2015 et 2016, des analyses du site avaient été effectuées par un bureau d’urbanisme, notamment compte tenu de la proximité de la route 1______. Le « feu vert » pour le développement de la zone avait finalement été obtenu du Département en 2016. Un bureau d’urbanisme avait été mandaté début 2022 pour réaliser une image directrice sur toute la surface, soit près de 15'000 m2. En principe, cette image directrice, élaborée avec les services de la commune et de l’Etat, devait aboutir en 2023 et être approuvée en automne 2023. La demande d’autorisation de démolir et de construire devait être déposée en été 2024 et l’ouverture était prévue pour l’automne 2025. Des logements étaient prévus à la place du bâtiment litigieux ainsi que sur les parcelles contigües occupées par des villas. Les occupants des trois villas concernées étaient d’accord de partir dès que le chantier débuterait. L’option de conserver le bâtiment litigieux n’avait pas été retenue car la parcelle était étroite et longue; l’autorisation risquait d’être refusée en raison des distances entre les bâtiments. Il avait été décidé par les services de l’Etat de Genève que toutes les entreprises devaient quitter la zone villas et être déplacées à T______, l’idée étant de rationnaliser et regrouper les différentes entreprises et de conserver la zone villas pour de l’habitation.

R______ a déclaré intervenir sur le projet de développement en tant que représentant des propriétaires. Le bureau S______, qui pilotait alors le projet, avait été mandaté formellement en 2013, les premiers contacts ayant eu lieu en 2006. Il avait rencontré U______ à quatre reprises, pour connaitre ses besoins puis pour le tenir informé de l’avancement du projet car le bâtiment dans lequel se trouvait A______ SA devait être démoli. Il n’avait jamais dit à U______ qu’il devait quitter les lieux, mais lui avait annoncé qu’un jour le bail devrait être résilié et qu’à ce moment-là il devrait quitter les locaux. Il l’avait informé du fait que le bail serait résilié pour qu’il puisse trouver une solution. Les propriétaires avaient modifié le bail d’une autre société également locataire, dont la clause de renouvellement était passée à une année. La demande d’autorisation n’avait pas encore été déposée. Rien de concret n’avait été proposé à la locataire sinon des pistes, comme celle de T______.

p.   Lors de l’audience du 12 mars 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

La cause a été gardée à juger à l’issue de l’audience.

q.   Une demande d’autorisation de construire définitive a été déposée le 29 juillet 2024 pour l’installation provisoire pour cinq ans de l'[école privée] Q______ sur la parcelle 7______ ainsi que la prolongation provisoire pour cinq ans du délai de maintien des locaux scolaires sur les parcelles 4______ et 2______.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC). Le recours est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance qui ne peuvent faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, le litige porte sur la modification d’échéances contractuelles. Il est soutenu que si la validité de la modification est admise, la locataire risque de voir son bail résilié plus rapidement que si les échéances contractuelles étaient maintenues. Dès lors, la valeur litigieuse, fixée sur la base de l'art. 271a al. 1 let. e CO, correspond au loyer de la période minimum de protection de trois ans dès la fin de la procédure (cf. ATF 137 III 389 consid. 1.1).

Les loyers annuels, sans les charges, étant de 155’208 fr. et 21'660 fr., la valeur litigieuse est largement supérieure à 10’000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.5 Le présent litige est soumis à la procédure simplifiée (art. 243 al. 2 let. c CPC), dans la mesure où il relève de la protection contre les loyers abusifs ou d’autres prétentions abusives du bailleur en matière de baux d’habitations et de locaux commerciaux (art. 269 ss ; ATF 142 III 690 consid. 3.1; 142 III 402 consid. 2; 142 III 336 consid. 5.2.4).

La maxime inquisitoire sociale ou simple est applicable (art. 247 al. 2 let. a CPC).

2. Les parties ont produit des pièces nouvelles et allégué des faits nouveaux.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, la pièce 102 produite par l’appelante ainsi que les faits s’y rapportant (allégués 78 et 80) sont recevables dès lors qu’ils portent sur des informations notoires, facilement accessibles sur le site du suivi administratif des décisions de l’Office des autorisations de construire. La pièce 103 ainsi que les faits s’y rapportant (allégué 81), relatifs au personnel de l’appelante, sont irrecevables dès lors qu’ils portent sur l’état du personnel de l’appelante au 3 janvier 2024, soit avant que la cause ait été gardée à juger devant le Tribunal. La pièce 104 ainsi que les faits s’y rapportant (allégués 82 à 86) sont irrecevables dès lors qu’ils portent sur l’état des locaux loués et qu’ils auraient pu être allégués et démontrés dans le cadre de la procédure de première instance. La pièce 105 ainsi que les faits s’y rapportant (allégué 87) sont irrecevables dès lors qu’ils portent sur une séance intervenue le 30 janvier 2024, soit avant la clôture des débats de première instance. La pièce 106 ainsi que les faits s’y rapportant (allégués 91 à 94) sont recevables dès lors qu’ils portent sur des informations notoires, facilement accessibles sur le site de la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève, et des faits intervenus postérieurement à la clôture des débats, à savoir le 29 juillet 2024. Les allégués 88 à 90 sont recevables dès lors qu’ils portent sur des faits survenus après la clôture des débats de première instance. Les allégués 96 à 100 ne portent pas sur des faits mais sur des questions d’appréciation ou de droit.

Le contrat de bail conclu avec une autre locataire jouissant de locaux situés sur la parcelle litigieuse, produit par les intimés, ainsi que les faits s’y rapportant, sont irrecevables dès lors qu’ils auraient pu être produit et allégués durant la procédure de première instance. Au demeurant, ils ne sont pas déterminants pour l’issue de la procédure.

3. L’appelante fait grief au Tribunal de ne pas avoir matériellement motivé sa décision.

3.1 Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Le juge n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 143 III 65 consid. 5.2; 134 I 83 consid. 4.1; arrêt 4A_400/2019 du 17 mars 2020 consid. 5.7.3, non publié in ATF 146 III 265). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt 4A_266/2020 du 23 septembre 2020 consid. 4.1).  

3.2 A teneur du jugement entrepris, la modification proposée n’équivalait pas à une résiliation des baux et n’était pas contraire à la bonne foi ou à des dispositions impératives. L’intérêt des bailleurs était de pouvoir commencer les travaux envisagés le plus tôt possible tandis que l’intérêt de la locataire était de pouvoir rester le plus longtemps possible. La modification de la durée de reconduction tacite n’empêchait pas la locataire, au moment de la résiliation des baux, d’en demander la prolongation. La prise en compte des intérêts divergents des parties conduisait à valider les avis de modification.

Le jugement entrepris est ainsi motivé avec suffisamment de clarté, exposant l’intérêt de chacune des parties et les raisons pour lesquelles celui des intimés était privilégié.

Le grief est ainsi infondé.

4. L’appelante invoque une mauvaise application du droit en ce sens que le Tribunal aurait procédé à une pesée des intérêts erronée. Il aurait dû privilégier les intérêts de la locataire car celle-ci employait de nombreuses personnes et avait des besoins particuliers en matière de locaux. Les propriétaires n’avaient pas allégué ni démontré avoir un projet sérieux de développement de la parcelle et ne lui avaient fait aucune proposition de relogement. Aucune requête en autorisation de construire n’était en cours d’instruction.

4.1 A teneur de l'art. 269d al. 1 et 3 CO, le bailleur peut en tout temps majorer le loyer ou apporter au contrat, unilatéralement, d'autres modifications défavorables au locataire, consistant par exemple à diminuer les prestations fournies ou à introduire de nouveaux frais accessoires. La majoration du loyer ou la modification du contrat doivent prendre effet au prochain terme de résiliation. Un avis de majoration du loyer ou de modification du contrat, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen d'une formule agréée par le canton. L'art. 270b al. 1 et 2 CO habilite le locataire à contester une majoration du loyer ou une modification du contrat par la voie d'une requête à l'autorité de conciliation compétente. Cette requête doit être introduite dans le délai de trente jours à compter de la réception de l'avis sur formule officielle. Si la conciliation n'aboutit pas, la contestation peut être portée devant le juge; le locataire peut alors faire valoir, le cas échéant, que le loyer même inchangé devient abusif par suite d'une modification du contrat, au regard des art. 269 et 269a CO, ou qu'une modification équivaut à un congé accompagné de la proposition d'un contrat différent, et que ce congé contrevient à la bonne foi selon les art. 271 et 271a CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_425/2019 du 11 novembre 2019 consid. 7 ; ATF 125 III 231 consid. 3c p. 236).

Par arrêt 4A_425/2019 du 11 novembre 2019, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours en matière civile interjeté par des locataires à l’encontre de la Ville de Genève, faute d’intérêt digne de protection à obtenir l’annulation ou la modification de l’arrêt de la Cour de justice. L’avis sur formule officielle prévoyant l’assujettissement du contrat de bail au règlement fixant les conditions de location des logements à caractère social de la Ville de Genève du 18 février 2009 n’apportait aucune modification à la relation contractuelle existant entre les parties. Aucune majoration du loyer ne devait prendre effet à la prochaine échéance, une éventuelle majoration ne pouvant prendre effet qu’à un terme de résiliation ultérieur, moyennant notification conforme à l’art. 269d al. 1 CO, avec possibilité pour les locataires de revendiquer la protection conférée par les articles 269ss CO. Le droit d’usage conféré aux locataires demeurait inchangé dans son objet, son étendue et ses modalités. Les clauses convenues relatives à la résiliation et au renouvellement tacite du contrat n’étaient pas non plus modifiées. Une résiliation ne pourrait prendre effet qu’à un terme de résiliation plus éloigné, devrait être notifiée conformément à l’art. 266l CO et les locataires pourraient alors revendiquer la protection conférée par les articles 271ss CO. Aucune disposition du règlement n’influençait directement les relations contractuelles entre la Ville de Genève et les locataires de ses logements à caractère social. Cet acte normatif avait pour seul effet de restreindre la liberté contractuelle de la Ville de Genève dans la gestion de son propre patrimoine immobilier, en l’assujettissant à des règles concernant surtout, pour les logements de la catégorie concernée, le choix des locataires et le calcul des loyers (consid. 8).

Constitue une modification unilatérale du contrat au sens des art. 269d al. 3 et 270b al. 2 CO la modification du préavis de résiliation, de l'échéance du bail, de sa durée ou de la période de tacite reconduction. Il en va de même de l'introduction de nouvelles conditions générales au contrat (Lachat/Grobet Thorens, Le bail à loyer, Lausanne 2019, pp. 709-710).

En vertu des art. 269d al. 3 CO et 19 al. 1 OBLF, la modification du contrat doit être notifiée au locataire sur la formule officielle, au même titre que le serait une hausse de loyer. A réception de l'avis officiel modifiant unilatéralement le contrat, le locataire peut résilier le bail, contester la modification ou l'accepter; l'absence de contestation équivaut à l'acceptation de la modification unilatérale du contrat (Lachat/Grobet Thorens, op. cit., pp. 713-714).

La loi est muette quant aux critères en vertu desquels le juge doit examiner le bien-fondé de la modification du contrat. Si celle-ci est appréciable économiquement, le juge s’inspirera des règles des art. 269 et 269a CO. Dans les autres cas, il tranchera en équité, en mettant en balance les intérêts en présence. En d’autres termes, le juge tiendra compte des inconvénients que la modification du contrat engendre pour le locataire, ainsi que des motifs invoqués par le bailleur. La limite des prétentions que le bailleur peut formuler résulte du caractère impératif de la plupart des dispositions des art. 253 ss CO, du respect des règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de la nécessité d’éviter que la prétention équivaille dans ses effets à une résiliation (par exemple, la transformation d’un bail à durée indéterminée en un bail à terme fixe ou l’introduction d’une clause selon laquelle le bail expirera le jour où une autorisation de transformer l’immeuble aura été accordée). En cas de doute, le juge refusera la modification sollicitée en s’appuyant sur le principe de la fidélité du contrat (Lachat/Grobet Thorens, op. cit., pp. 714-715).

4.2 En l’occurrence, la modification du contrat engendre le risque pour la locataire d’une résiliation de bail ordinaire non pas tous les cinq ans mais toutes les années, et ainsi un laps de temps moindre pour déménager ou envisager d’éventuels investissements dans les locaux. De leur côté, les bailleurs souhaitent disposer de la faculté de pouvoir résilier le bail à échéances plus rapprochées pour le cas où un projet de réaménagement de la parcelle se concrétiserait. Ce faisant, ils ne violent aucune disposition impérative et respectent les règles de la bonne foi, de sorte que leur prétention n’équivaut pas à une résiliation. La modification de l’échéance ne les dispensera pas de résilier le bail lorsqu’ils s’estimeront fondés à le faire. Le projet n’a pas à être dès aujourd’hui concret et urgent dès lors que les bailleurs n'ont pas opté pour une résiliation des baux mais pour une modification de l’échéance. Le caractère concret et éventuellement urgent du projet sera déterminant lors de l’éventuelle résiliation des baux et de contestation de congés. La situation de l’appelante, en particulier le nombre de personnes qu’elle emploie ainsi que ses besoins particuliers, pourra également être considérée si les bailleurs résilient les baux et que la locataire s’estime fondée à contester leurs résiliations et demander leur prolongation. Dans ces circonstances, l’intérêt des intimés doit être privilégié.

En définitive, au vu de l’ensemble des circonstances, c’est à bon droit que les premiers juges ont validé les modifications litigieuses et rejeté la conclusion de l’appelante en constatation de droit. Le jugement sera donc confirmé.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

 

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 30 mai 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/469/2024 rendu le 30 avril 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/28333/2019.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.