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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/6890/2023

ACJC/1036/2024 du 23.08.2024 ( SBL ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.319.letb.ch2
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6890/2023 ACJC/1036/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 23 AOUT 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 18 avril 2024, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

CAISSE DE PREVOYANCE B______, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Boris LACHAT, avocat, Lachat Marconi Muller Avocats, rue des Deux-Ponts 14, case postale 219, 1211 Genève 8.

 


EN FAIT

A. a. Le 13 novembre 2023, A______, locataire, a déposé devant le Tribunal des baux et loyers une requête en réduction de loyer, concluant à la condamnation de la CAISSE DE PREVOYANCE B______, bailleresse, au paiement d'une réduction de loyer de 15% entre le 1er juin 2018 et le 31 janvier 2023, excepté pour la période du 15 mars 2020 au 15 mai 2020, soit un montant de 21'079 fr. 50 et au déboutement de la bailleresse de toutes autres conclusions.

Il a notamment requis son audition et celle de témoins.

b. Dans sa réponse du 31 janvier 2024, la CAISSE DE PREVOYANCE B______ a conclu au rejet de la demande et au déboutement de A______.

c. Lors de l'audience devant le Tribunal du 16 avril 2024, A______ a déposé des pièces nouvelles ainsi qu'une liste de témoins.

La CAISSE DE PREVOYANCE B______ a formé des allégués complémentaires et a déposé des pièces nouvelles. Elle s'est opposée à l'audition des témoins dont A______ avait requis l'audition.

Les parties ont sollicité des plaidoiries finales écrites.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a réservé la suite de la procédure.

B. Par ordonnance du 18 avril 2024, le Tribunal a rejeté les offres de preuves, ordonné des plaidoiries écrites et imparti aux parties un délai au 31 mai 2024 pour le dépôt desdites plaidoiries.

Il a retenu que A______ avait sollicité l'audition de témoins et l'interrogatoire des parties en relation avec divers allégués, lesquels n'étaient pas suffisamment précis au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral qui exige que les allégués de fait soient formulés de manière à ce qu'une contestation motivée soit possible ou que la preuve du contraire puisse être recueillie.

C. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 3 mai 2024, A______ a formé recours contre cette ordonnance. Il a conclu à son annulation et au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il instruise la cause conformément aux offres et moyens de preuve proposés, en lui demandant au besoin de compléter la description de l'objet du litige.

b. La CAISSE DE PREVOYANCE B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

c. Le 4 juin 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 319 let. b CPC, le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi
(ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable
(ch. 2).

En l’espèce, aux termes de l'ordonnance attaquée, le Tribunal a refusé de mettre en œuvre des moyens de preuve offerts par le recourant, soit l'interrogatoire des parties et l'audition de témoins. Ce faisant, le Tribunal a pris une décision d’ordre procédural, qui doit être qualifiée d’ordonnance d'instruction, laquelle peut faire l'objet d'un recours au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.2 Introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 321 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

1.3 L'hypothèse visée par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisée, il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

1.3.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b
ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres :
ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2), ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée, ou encore, lorsqu'une ordonnance de preuve ordonne une expertise ADN présentant un risque pour la santé ce qui a pour corollaire une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC (Jeandin, op. cit., n. 22a ad art. 319 CPC et les références citées).

En règle générale, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause pas de préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC), puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou, à l'inverse, d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014 consid. 1.2.3, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; Colombini, Code de procédure civile, 2018, p. 1024).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III 131 ss, 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (parmi plusieurs: ACJC/220/2023 du
13 février 2023 consid. 2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2; ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie: ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (Brunner, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 13 ad art. 319 CPC).

1.3.2 En l’espèce, le Tribunal a rejeté les conclusions du recourant tendant à son interrogation et à l'audition de témoins. Le recourant soutient que ce refus constitue une violation de son droit d'être entendu et qu'il serait disproportionné d'exiger de lui qu'il attende le prononcé du jugement final pour se plaindre de cette violation.

Cela étant, le Tribunal a fixé aux parties un délai pour déposer leurs plaidoiries finales, de sorte qu'elles n'auront vraisemblablement pas d'autres actes de procédure à accomplir et que la cause va être gardée à juger à réception desdites plaidoiries, sous réserve d'éventuelles réplique et duplique qu'elles souhaiteraient spontanément déposer. Le fait d'attendre que le jugement au fond soit rendu pour que le recourant puisse soumettre à la Cour une prétendue violation de son droit d'être entendu n'a dès lors rien de disproportionné.

Si le jugement au fond est défavorable au recourant, celui-ci aura la possibilité de former appel devant la Cour, laquelle statuera avec un plein pouvoir d’examen, et de faire valoir l’ensemble de ses griefs, y compris à l’égard de l’ordonnance du
18 avril 2024. Le recourant pourra ainsi se plaindre à cette occasion du refus du Tribunal, selon lui injustifié, de procéder aux mesures d’instruction requises, rien ne permettant de retenir que l’écoulement du temps les rendrait impossibles.

Enfin, la présente cause n'est pas comparable à celle ayant donné lieu à l'arrêt ACJC/160/2020 du 3 février 2020 dont se prévaut le recourant dans la mesure où l'ordonnance dont était recours dans cette affaire avait été rendue à un stade plus précoce de la procédure puisque la partie défenderesse n'avait pas encore déposé sa réponse.

Au vu de ce qui précède, le recourant n'a pas rendu vraisemblable que l'ordonnance attaquée serait susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Le recours sera dès lors déclaré irrecevable.

2. À teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 3 mai 2024 par A______ contre l'ordonnance rendue le 18 avril 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/6890/2023.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Serge PATEK, Madame Sibel UZUN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.