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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/14067/2023

ACJC/90/2024 du 26.01.2024 sur JTBL/916/2023 ( SBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14067/2023 ACJC/90/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 26 JANVIER 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 30 octobre 2023, représentée par Me Serge PATEK, avocat, boulevard Helvétique 6, case postale , 1211 Genève 12,

 

et

Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée.

 


EN FAIT

A.           a. Le 6 juillet 2023, A______ a saisi le Tribunal des baux et loyers d'une requête en évacuation, assortie de mesures d'exécution directe, en paiement et en libération de la garantie de loyer, en protection de cas clair.

b. Le 23 octobre 2023, B______ a déposé des pièces au Tribunal.

c. A l'audience du Tribunal du 30 octobre 2023, le représentant de A______ a persisté dans les conclusions de la requête. Le procès-verbal d'audience comporte la note suivante : "Vous m'indiquez qu'une procédure en contestation en congé extraordinaire est pendante devant la Commission de conciliation entre les mêmes parties".

B______ a déclaré ne pas s'être "opposée" et avoir uniquement "demandé un délai afin de pouvoir récupérer son argent".

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

B.            Par jugement JTBL/916/2023 du 30 octobre 2023, le Tribunal, statuant par voie de procédure sommaire, a déclaré irrecevable la requête formée par A______ le 6 juillet 2023 à l'encontre de B______ (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et a rappelé que la procédure était gratuite (ch. 3).

Ce jugement ne contient aucun état de faits à l'exception des mentions de la requête du 6 juillet 2023, des pièces produites et de l'audience du 30 octobre 2023. Dans la partie en droit, le Tribunal a considéré : "qu'à teneur de l'art. 257 al. 1 CPC, le Tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux, ou est susceptible d'être immédiatement prouvé, et que la situation juridique est claire,

Que la situation juridique est claire si, sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées, la norme s'applique au cas concret et y déploie ses effets de manière évidente (Hohl, Procédure civile, Tome II, Berne 2010, p. 304),

Considérant qu'en l'espèce la situation juridique n'est manifestement pas claire, dans la mesure où la résiliation du bail intervenue le 25 mai 2023 pour le 30 juin 2023 a fait l'objet d'une contestation par la locataire devant la commission de conciliation en matière de baux et loyers sous cause C/1______/2023, toujours pendante,

Qu'ainsi l'une des conditions d'application de la procédure sommaire n'est pas remplie en l'espèce.

C.           a. Par acte déposé le 16 novembre 2023 à la Cour de justice, A______ a formé appel de ce jugement, sollicitant son annulation. Elle a conclu à ce que la Cour condamne B______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que tout tiers dont elle serait responsable, l'appartement de 2 pièces n° 43 situé au 4ème étage de l'immeuble sis chemin 2______ no. ______ à Genève, ordonne à la force publique ainsi qu'à tout huissier judiciaire de procéder à l'expulsion forcée de la précitée des locaux en cause, condamne B______ à lui verser la somme de 5'277 fr. 50, ainsi que le montant de 1'466 fr. par mois à titre d'indemnités pour occupation illicite, et ordonne la libération en sa faveur de la garantie de loyer constituée auprès de [la banque] C______.

A______ a produit un décompte actualisé (pièce n. 15).

b. B______ n'a pas déposé de réponse dans le délai imparti à cet effet, ni ultérieurement.

c. Les parties ont été avisées par plis du greffe du 6 décembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche le congé est également contesté, il y a lieu de prendre en compte la durée prévisible pendant laquelle l'usage de l'objet se prolongerait si le congé était éventuellement invalidé, soit la période de protection de trois ans de l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239).

La résiliation du bail est litigieuse en l'espèce, de sorte que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., au vu du loyer mensuel, charges comprises, de 1'466 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.  L'appelante reproche au Tribunal une violation de l'art. 257 CPC, la contestation du congé ne faisant pas obstacle au prononcé de l'évacuation.

2.1
2.1.1 La procédure de protection dans les cas clairs prévue par l'art. 257 CPC permet à la partie demanderesse d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire, lorsque la situation de fait et de droit n'est pas équivoque (ATF 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1). En vertu de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (art. 257 al. 3 CPC).

Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée: le demandeur doit apporter la preuve certaine ("voller Beweis") des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ("Glaubhaftmachen") ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections motivées et concluantes ("substanziiert und schlüssig"), qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 138 III 123 consid. 2.1.2 p. 126, 620 consid. 5.1.1 p. 621, 728 consid. 3.3 p. 734). En règle générale (cf. cependant arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 141 III 23 consid. 3.2 p. 26; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).

2.1.2 Selon l'art. 257d al. 1 et 2 CO, lorsque le locataire a reçu la chose louée et qu'il tarde à s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit être d'au moins trente jours pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux (al. 1). A défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés avec un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois (al. 2).

2.1.3 Une requête en expulsion d'un locataire selon la procédure sommaire pour les cas clairs (art. 257 CPC) est admissible même lorsque le locataire a contesté en justice le congé donné par le bailleur et que cette procédure est pendante. Dans une telle situation, il appartient au juge saisi de la requête d'expulsion d'examiner à titre préjudiciel la validité de la résiliation du bail. Si cette dernière est claire au sens de l'art. 257 CPC, il peut procéder (ATF 144 III 462 consid. 3.3.1; 141 III 262 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_422/2020 précité consid. 4.3 et les références citées).

2.1.4 Les tribunaux doivent motiver leurs décisions (art. 238 lit. f CPC). Ceci est évidemment avant tout dans l’intérêt des parties, dont un aspect du droit d’être entendues (art. 53 CPC) implique qu’elles puissent comprendre la décision rendue à leur avantage ou à leur détriment. Si elles souhaitent introduire une voie de droit, elles doivent critiquer la décision et en particulier, ses considérants (art. 311 et 321 CPC; OGer/ZH LB110049 du 5.3.2012 c. 1.1 s. et réf. ainsi qu’ATF 138 III 374). Toutefois, afin que l’autorité de recours puisse examiner ces griefs, elle aussi doit comprendre la décision attaquée. A défaut, elle ne peut pas accomplir sa tâche. Le droit fédéral contient à cet égard une disposition expresse: les décisions cantonales doivent entre autres contenir « les motifs déterminants de fait et de droit » et si une décision ne satisfait pas à cette exigence, le Tribunal fédéral peut soit la renvoyer à l’autorité cantonale en invitant celle-ci à la parfaire, soit l’annuler (art. 112 al. 1 lit. b et al. 3 LTF). Cette disposition doit, par nature, être aussi applicable en procédure cantonale de recours – dès lors qu’à défaut, l'instance cantonale de recours ne peut pas accomplir sa tâche. Cependant, un renvoi ou une annulation au sens de l’art. 112 LTF doit en tout cas demeurer l’exception et ne peut être ordonné que dans les cas où cela s’impose (OGer/ZH du 14 septembre 2020 (LB190052-O/U) consid. 3.2).

2.1.5 Selon l'art. 318 CPC, l'instance d'appel peut confirmer la décision attaquée, statuer à nouveau ou renvoyer la cause à la première instance. Bien que principalement réformatoire, l'appel peut être aussi cassatoire, mais seulement si un élément essentiel de la demande n'a pas été examiné (art. 318 al. 1 let. c ch. 1 CPC) ou si l'état de fait doit être complété sur des points essentiels (art. 318 al. 1 let. c ch. 2 CPC).

2.2 En l'espèce, le jugement entrepris, qui ne comprend pas d'état de faits - à l'exception des mentions de la requête du 6 juillet 2023, des pièces produites et de l'audience du 30 octobre 2023 - ne développe qu'un argument à savoir que le congé a été contesté et que la procédure serait toujours pendante devant la Commission de conciliation. Ce raisonnement se heurte à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, à teneur de laquelle la protection de cas clair est admissible même lorsque le locataire a contesté en justice le congé donné par le bailleur et que cette procédure est pendante. Il est au demeurant surprenant que le Tribunal ait lui-même évoqué cette procédure, alors que l'intimée a déclaré ne pas s'être "opposée.

2.3 Par conséquent, le jugement entrepris sera annulé et la cause retournée au Tribunal pour qu'il rende une nouvelle décision conforme aux principes rappelés ci-dessus, la cause n'étant pas en état d'être jugée sur appel.

3.  A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 16 novembre 2023 par A______ contre le jugement JTBL/916/2023 rendu le 30 octobre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/14067/2023‑3-SE.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER, Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.