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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/17555/2020

ACJC/1473/2023 du 06.11.2023 sur JTBL/708/2022 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17555/2020 ACJC/1473/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 6 NOVEMBRE 2023

 

Entre

Madame A______, ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 3 octobre 2022, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, 1207 Genève,

 

et

 

B______ SA, sise ______, intimée, représentée par Me Mike HORNUNG, avocat, place du Bourg-de-Four 9, 1204 Genève.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/708/2022 du 3 octobre 2022, reçu par les parties le 4 octobre 2022, le Tribunal des baux et loyers a réduit de 100% le loyer de l'appartement de cinq pièces au 1er étage de l'immeuble sis no. ______, rue 1______, à C______ [GE], du 28 avril 2018 au 24 juillet 2018 (ch. 1 du dispositif), a dit que la bailleresse, B______ SA, s'était déjà acquittée de la réduction précitée (ch. 2), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 3 novembre 2022 à la Cour de justice, A______ forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, cela fait, à ce que la Cour condamne B______ SA à lui verser 12'450 fr. à titre de frais de relogement, 300 fr. à titre de remboursement des frais d'électricité des déshumidificateurs, 20'000 fr. à titre de remboursement de ses biens personnels endommagés et 2'000 fr. à titre d'indemnité pour tort moral.

b. Dans sa réponse du 7 décembre 2022, B______ SA a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives et produisant des pièces nouvelles.

d. Les parties ont été avisées le 1er mai 2023 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Par contrat du 30 janvier 1989, A______, locataire, a pris à bail un appartement de cinq pièces au 1er étage de l'immeuble sis no. ______, rue 1______, à C______, propriété de B______ SA, bailleresse, pour une durée initiale du 15 février 1989 au 30 juin 1992, renouvelable ensuite tacitement d'année en année.

b. En dernier lieu, le loyer a été fixé à 1'230 fr. par mois dès le 1er avril 2003, charges de 147 fr. non comprises.

c. La locataire, malvoyante et diabétique, nécessite – en raison de cette dernière affection – une régime alimentaire particulier.

d. Elle a déclaré n'avoir souscrit à aucune assurance ménage dans le cadre de la location de son appartement, en raison de ses faibles revenus.

e. En novembre 2016, à la demande de la bailleresse, une entreprise est intervenue dans l'appartement de la locataire, afin de rechercher la présence de fuites d'eau.

f. Le 28 avril 2018, un refoulement d'eaux usées est survenu dans les WC et a entrainé une inondation de 3 cm de hauteur dans toutes les pièces du logement. L'entreprise D______ SA est intervenue le jour même en urgence pour arrêter le sinistre : elle a procédé au démontage des WC et au tringlage des canalisations, ainsi qu'au nettoyage des sols. A la fin de l'intervention, trois humidificateurs ont été mis en place dans le logement, afin de procéder à l'asséchement des locaux. La locataire n'était pas présente lors de cet événement se trouvant à l'étranger.

g. Le 3 mai 2018, elle a sollicité de la régie en charge de l'immeuble la prise en charge financière d'un logement d'urgence, ainsi que de ses frais de nourriture, à hauteur d'un montant journalier de 150 fr. Elle a requis de la régie d'actionner l'assurance responsabilité civile du propriétaire de l'immeuble, afin d'obtenir réparation, notamment le remboursement de plusieurs éléments de son mobilier endommagés par l'inondation (lit, armoires, vaisselier, bureau, etc.) et l'équivalent de deux mois de loyer, à titre de compensation forfaitaire.

h. Le 5 mai 2018, elle a sollicité de la régie la désinfection complète du logement et la réfection des peintures.

i. Le 25 juin 2018, elle a mis en demeure la bailleresse de procéder à la remise en état complète du logement sous vingt jours, faute de quoi le loyer serait consigné. Elle a sollicité à nouveau la prise en charge de frais de relogement à hauteur de 100 fr. par jour, en lien avec la sous-location d'une chambre chez une tierce personne, avec la jouissance d'une cuisine, précisant que son régime alimentaire ne lui permettant pas de prendre ses repas à l'extérieur ou de se reloger dans un hôtel. Une réduction de 100% du loyer était également sollicitée depuis le 28 avril 2018.

j. Le 29 juin 2018, la régie a fait savoir à la locataire que les travaux dans l'appartement étaient toujours en cours et qu'elle serait informée aussitôt qu'elle serait en mesure de récupérer son logement. S'agissant du dommage subi, il appartenait à la locataire de contacter son assurance-ménage.

k. En raison des travaux précités, l'appartement a été inhabitable jusqu'au 24 juillet 2018.

l. Le 6 novembre 2018, la régie a informé la locataire que l'assurance bâtiment de l'immeuble en cause lui avait octroyé une indemnité de trois mois de loyer, soit 3'690 fr., montant qui a été versé le 6 décembre 2018.

m. Le 14 février 2019, la locataire a indiqué à la régie que le montant perçu précité ne le serait qu'à titre d'acompte, dans la mesure où il lui avait été nécessaire de se reloger du 2 mai au 24 juillet 2018 en raison du caractère inhabitable de son logement. Le coût de sa relocation temporaire dans un logement meublé avait été de 150 fr. par nuit, soit un total de 12'450 fr. pour la période considérée. La locataire a également sollicité la prise en charge du surcoût de consommation électrique de l'appartement litigieux, qu'elle évaluait à 300 fr. en comparaison avec les années précédentes. Elle a ajouté se réserver le droit de solliciter une réduction de loyer, ainsi que le paiement de dommages-intérêts pour ses affaires endommagées par le sinistre.

n. Le 15 février 2019, la régie a refusé d'entrer en matière sur une indemnité autre que celle équivalant à trois mois de loyer, tout en renvoyant la locataire à son assurance privée s'agissant de ses affaires personnelles endommagées.

o. Le 8 juillet 2019, la locataire a rappelé qu'en raison de ses faibles revenus, elle n'avait pas conclu d'assurance ménage et qu'elle avait été contrainte de jeter des biens pour une valeur estimée à 20'000 fr.

p. Le 9 août 2019, la régie a accepté de prendre en charge la somme de 300 fr. à titre de remboursement des surcoûts relatifs à l'électricité et a maintenu son refus de prendre en charge les autres prétentions de la locataire. Le montant précité a été versé à la locataire durant le mois d'octobre 2019.

q. Par requête déposée le 4 septembre 2020 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée le 16 novembre 2020 et portée devant le Tribunal le 16 décembre 2020, la locataire a sollicité une réduction de 100% du loyer du 28 avril au 24 juillet 2018 et la condamnation de la bailleresse de lui verser 12'450 fr. à titre de frais de relogement; 300 fr. à titre de surcoût de frais d'électricité; 20'000 fr. à titre de dédommagement pour ses biens personnels endommagés et 2'000 fr. à titre de préjudice moral.

Elle a allégué avoir payé de manière fractionnée et en liquide ses frais de relogement. A titre de preuve, elle a produit une facture du 2 mai 2018 établie par E______, compagnon de sa fille, portant sur la location d'un appartement meublé du 2 mai 2018 au 24 juillet 2018 pour un montant total de 12'450 fr., soit 150 fr. par jour de location; la mention manuscrite « payé le 24.7.18 » figure dans le document, ainsi que la signature de E______. Une attestation écrite de ce dernier du 5 novembre 2020 a également été produite, laquelle confirme la location et le paiement en liquide fractionné, avec un remboursement complet à la date de l'attestation.

En lien avec ses affaires endommagées, la locataire a estimé celle-ci à 20'000 fr. et a offert, à titre de preuve, l'audition des parties et de témoins.

En lien avec la faute de la bailleresse, elle a sollicité la production par la régie de l'ensemble des bons de travaux délivrés dans l'immeuble à des entreprises sanitaires depuis 2015.

r. Dans sa réponse du 23 mars 2021, la bailleresse a conclu au déboutement de la locataire de toutes ses conclusions. Elle a allégué que la locataire ne vivait plus dans l'appartement litigieux depuis plus de 10 ans, étant logée au no. ______, avenue 2______, à Genève. S'agissant des canalisations de l'immeuble, elle a produit la facture d'intervention du 28 avril 2018 de D______ SA et des justificatifs en lien avec la remise en état de l'appartement.

s. Interrogée par le Tribunal, la locataire a déclaré être uniquement la garante d'un bail d'un appartement situé à l'avenue 2______ no. ______, dans lequel sa fille F______ vivait depuis 2010. Elle ignorait pourquoi son nom figurait sur la porte de l'appartement de cette dernière. Elle a affirmé vivre seule dans l'appartement litigieux, précisant que sa famille venait souvent lui rendre visite. Lors de la survenance du sinistre en 2018, elle était en vacances et avait été prévenue par téléphone. G______, gérante auprès de la régie lui avait indiqué que la bailleresse prendrait en charge ses frais de relogement pendant la remise en état de l'appartement, à concurrence de 100 fr. à 150 fr. par jour. Elle avait alors sous-loué l'appartement de son beau-fils E______, soit un quatre pièces meublées à L______ [GE], pour 150 fr. par jour. Elle s'était acquittée de ce montant en espèces, soit un total de 12'450 fr. Tout son appartement avait été souillé par le refoulement des eaux usées. Elle avait dû racheter ses affaires, car elle rangeait notamment des couvertures et des duvets sous le lit, ainsi que des tableaux. Elle n'avait conservé aucune facture du mobilier qui avait été endommagé ou de ce qui avait été racheté en remplacement.

t. Le Tribunal a procédé à l'audition de plusieurs témoins :

E______, compagnon de la fille de la locataire, a déclaré avoir sous-loué à la locataire son appartement à L______. Il avait assisté à une discussion entre cette dernière et deux représentants de la régie, qui avaient affirmé que les frais de relogement seraient pris en charge à concurrence de 150 fr. par jour. Il avait en conséquence fixé le prix de la sous-location sur cette base et avait reçu le loyer en espèces pendant deux à trois mois. Aucun reçu n'avait été établi. Son loyer principal s'élevait à 3'000 fr. par mois, charges comprises. Il avait sous-loué l'entier de cet appartement, luxueusement meublé, à la locataire. Toutes les affaires qui touchaient le sol de l'appartement de la locataire avaient été endommagées durant le sinistre, soit notamment les meubles, les matelas et la literie, ainsi que les affaires se situant sous le lit (habits, tableaux et albums photos). Les pompiers présents sur place lors du sinistre lui avaient indiqué que celui-ci avait pour origine un mauvais entretien de l'immeuble. Les habitants de l'immeuble étaient venus en aide pour débarrasser les affaires endommagées de la locataire dans une benne de chantier. Cette dernière avait très mal vécu ce sinistre.

G______, gérante auprès de la régie en charge de l'immeuble jusqu'en octobre 2018, a déclaré ne pas se rappeler avoir discuté avec la locataire au sujet d'un montant pris en charge par le bailleur pour les frais de relogement. Elle se souvenait que la locataire lui avait dit qu'elle irait se loger chez son fils ou sa fille. Lorsque la régie n'avait pas d'appartement de remplacement, elle proposait dans ce genre de situation de payer un forfait par nuitée pour que le locataire se reloge ailleurs. C'était l'assurance qui fixait le montant par nuitée. Elle n'avait pas le souvenir d'avoir fixé un tel montant avec la locataire et si tel avait été le cas, celui-ci aurait été convenu par écrit. S'agissant des meubles endommagés, elle avait dit à la locataire de déclarer le sinistre à son assurance ménage.

u. H______, administratrice de la bailleresse, a déclaré qu'elle ignorait si des discussions avaient eu lieu entre la locataire et la régie en lien avec des frais de relogement, laissant cette dernière gérer ce genre d'affaires.

I______, employé de la régie en charge de l'immeuble depuis 2018, a déclaré ne pas se souvenir si, avant le sinistre de 2018, des bons de travaux avaient été délivrés pour des problèmes de refoulement similaires dans l'immeuble. De tels problèmes étaient relativement rares. Les canalisations étaient aux normes, de même que les diamètres utilisés pour les tuyaux d'évacuation dans l'immeuble. L'immeuble était bien entretenu et les rénovations nécessaires étaient faites à chaque changement de locataire. A sa connaissance, la régie n'avait pas proposé à la locataire un montant pour ses frais de relogement. Généralement, la direction et l'assurance décidaient du montant final alloué à un locataire pour se faire reloger. A la suite du sinistre en cause, le mobilier de la locataire avait pris l'eau mais il ne pouvait pas préciser ce qui avait été endommagé. Le parquet et les peintures avaient dû être entièrement refaits. Enfin, une montant de 300 fr. avait été versé à la locataire en octobre 2019 pour ses frais d'électricité.

J______, fiancée du fils de la locataire, a déclaré que la locataire vivait bien dans l'immeuble litigieux, en tous cas depuis 12 ans. La locataire n'avait pas d'autre appartement, si ce n'est en Tunisie. Sa fille F______ vivait aux ______[quartier]. Elle s'était rendue chez la locataire un ou deux jours après le sinistre et avait constaté que toutes les affaires qui se trouvaient entre 5 et 10 cm du sol avait été souillées pour l'inondation : il y avait des excréments et du papier hygiénique partout dans l'appartement. Toute la chambre avait été endommagée, ainsi que les canapés, les tapis et d'autres objets, ce qui représentait des milliers de francs. Elle avait aidé, avec d'autres personnes, à débarrasser lesdites affaires dans une grande benne mise à disposition par la commune. La table et les chaises figurant sur les photographies produites à la procédure avaient été débarrassées, ainsi que tous les lits, une grande armoire à l'entrée, les tables basses, le canapé, l'armoire de la chambre, les tapis et un bureau. Des affaires personnelles avaient également été jetées. La locataire avait été dévastée par le sinistre et elle avait sous-loué un appartement durant les travaux. Le fils de la locataire n'avait pas pu l'accueillir, car il n'y avait pas de place chez lui.

v. K______, ancien locataire de l'immeuble en cause et président de l'association des locataires de l'immeuble, a déclaré que durant les 50 ans où il avait vécu dans l'immeuble, la régie était intervenue deux fois car les toilettes coulaient dans le mur. Dans l'allée d'à côté, un refoulement s'était également produit au 1er étage. Il existait, selon lui, un problème récurrent à ce propos, dans la mesure où d'autres personnes que la locataire avait eu des problèmes similaires. À la suite du sinistre de la locataire, tous les habitants de l'immeuble s'étaient montrés solidaires avec cette dernière. Il avait assisté à des discussions avec la régie sur la prise en charge des coûts de relogement mais cette dernière n'avait rien indiqué de définitif à ce propos. La locataire avait trouvé d'elle-même une solution de relogement et avait vécu chez des membres de sa famille. Elle était aussi allée en Tunisie chez ses parents.

w. A l'issue de l'audience, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives, suite de quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile [CR-CPC], 2e éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013).

1.1 En l'espèce, la valeur litigieuse se compose des différentes prétentions pécuniaires de l'appelante, soit un total de 38'440 fr. (3'690 fr. [réduction de loyer], 12'450 fr. [frais de relogement], 300 fr. [frais d'électricité], 20'000 fr. [dommage matériel] et 2'000 fr. [tort moral]. La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.             Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, CR-CPC, op. cit., n. 6 ad art. 317 CPC).

2.1 En l'espèce, l'appelante a produit une pièce nouvelle dans le cadre de la duplique en lien avec son appel, à savoir une attestation écrite du 23 novembre 2022 d'une autre locataire de l'immeuble litigieux, alléguant la survenance d'un refoulement d'eaux usées le 8 novembre 2022.

Dans sa réplique, l'intimée a produit le contrat de bail de ladite locataire ainsi qu'un document de la régie intitulé « Cahier de vie des travaux » en lien avec celle-ci, qui fait état de divers travaux dans l'appartement. En lien avec les canalisations, il est fait mention de la remise en état d'une chasse d'eau en 2009, de mauvaises odeurs provenant de l'évier de la cuisine et de fuites dans le siphon en 2013, de mauvaises odeurs provenant de l'évier et de la baignoire en 2014, ainsi que d'autres travaux.

Dans la mesure où la pièce produite par l'appelante fait état d'un événement postérieur à la date du jugement querellé, il s'agit d'une pièce nouvelle recevable en appel. Il en est de même des pièces nouvelles produites par l'intimée en réponse à ces nouvelles allégations.

3.             L'appelante fait grief au Tribunal de ne pas avoir retenu la faute du bailleur dans la survenance du sinistre, alors que celle-ci est présumée, en violation de son droit à la preuve. Elle reproche en particulier aux premiers juges de n'avoir pas donné suite à sa demande de production de pièces en mains de la régie, à savoir tous les bons de travaux émis depuis 2015 en lien avec les canalisations de l'immeuble litigieux.

3.1.1 Selon l'art. 259e CO, si en raison du défaut, le locataire a subi un dommage, le bailleur lui doit des dommages et intérêts s'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable. Cette action en dommages-intérêts obéit aux règles ordinaires de la responsabilité contractuelle (art. 97 et 101 CO) et nécessite de réunir les conditions suivantes : un préjudice, un défaut dont répond le bailleur, une faute et un lien de causalité naturelle et adéquate entre le défaut de la chose louée et le préjudice subi (Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 5e éd., 2016, n. 1796 à 1802; Lachat et al., Le bail à loyer, 2019, p. 322 et 323).

3.1.2 Il y a défaut lorsque la chose louée ne présente pas une qualité que le bailleur avait promise ou lorsqu'elle ne présente pas une qualité sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter en se référant à l'état approprié à l'usage convenu (ATF 135 III 345 consid. 3.2). Le défaut peut être corporel (p.ex. manque d'étanchéité ou disfonctionnement du système de climatisation) ou incorporel (p.ex. perte de réputation de l'immeuble ou chiffre d'affaires ne correspondant pas aux promesses du bailleur). Un manque d'entretien peut constituer également un défaut (Bieri, « La réparation du préjudice subi par le locataire en cas de défaut de la chose louée » in 18e Séminaire du droit du bail, 2014, n. 30 et 31).

3.1.3 La faute du bailleur est présumée, qu'elle soit en lien avec la création du défaut ou avec l'absence ou le retard pris pour la suppression de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 4A_647/2015 du 11 août 2016 consid. 6.3). Le bailleur peut cependant se disculper s'il démontre avoir pris toutes les précautions pour éviter le dommage ou pour y remédier (arrêt du Tribunal fédéral 4A_395/2017 du 11 octobre 2018 consid. 6.2) ou qu'il n'est pas responsable du défaut ou du retard en lien avec son élimination (Lachat, op. cit., p. 325).

3.2 En l'espèce, seules les questions de la faute et du préjudice subi par la locataire sont encore litigieuses en appel. Les premiers juges ont considéré que l'appelante n'avait pas apporté la preuve de son dommage, faute de pièces produites en ce sens, et que la bailleresse ne pouvait être tenue responsable de l'inondation, car l'obstruction d'une canalisation serait « un risque inévitable et inhérent à chaque immeuble ».

3.2.1 Sur la faute du bailleur, l'arrêt cité par le Tribunal (ACJC/291/1992 du 27 novembre 1992 mentionné par Aubert, CPra Bail, 2017, n. 20 ad art. 259e CO) doit être précisé : le bailleur avait prouvé son absence de faute en démontrant que l'obstruction des canalisations à l'origine de l'inondation avait pour cause la présence de déchets ménagers introduits par des habitants de l'immeuble, pratique au demeurant interdite (art. 7 al. 1 aRPSS [RSGe F 3 15.04] en vigueur à l'époque où la jurisprudence précitée a été rendue; désormais : art. 10 al. 2 LGD [RSGe L 1 20]) et dont il ne portait pas la responsabilité. Aucun manque d'entretien, un défaut de conception ou un retard dans la réparation du défaut n'avait alors été constaté.

Le caractère inévitable, qu'il convient par ailleurs d'analyser au cas par cas, ou le risque inhérent n'est ainsi pas déterminant. Un sinistre, qu'il soit en lien avec un dégât des eaux, d'incendie ou autre, étant par principe soudain et imprévisible, il ne saurait dédouaner par ce simple fait toute responsabilité du bailleur. On ne saurait également admettre qu'une inondation constitue un risque inhérent admissible à toute habitation. L'obligation d'entretien du bailleur de la chose louée (art. 256 al. 1 in fine CO) et la délivrance d'un logement exempte de défaut impliquent, en particulier, que les installations techniques ou sanitaires soient aux normes et qu'un entretien régulier soit mis en place afin de prévenir autant que possible la survenance d'un sinistre, notamment un risque accru d'incendie ou d'inondation. Il s'agit là d'une qualité que le locataire peut légitimement attendre, étant rappelé qu'un manque d'entretien de l'immeuble peut également constituer un défaut.

3.2.2 Conformément à la répartition du fardeau de la preuve (art. 8 CC), il appartient à l'intimée d'apporter la preuve libératoire de sa responsabilité présumée, c'est-à-dire l'absence de faute de sa part. Il n'est pas contesté en appel qu'elle a pris rapidement les mesures qui s'imposaient pour réparer le défaut. Il lui appartenait également de démontrer qu'elle avait satisfait à son devoir d'entretien de la chose louée, en lien en particulier avec les canalisations de l'immeuble, ou que la cause du sinistre devait être imputée aux comportements d'un tiers dont elle ne portait pas la responsabilité.

3.2.3 Aucun élément n'a été produit en ce sens par l'intimée. La facture d'intervention du 28 avril 2018 de l'entreprise mandatée par celle-ci décrit les travaux de réparation effectués, sans indiquer la cause du sinistre, en particulier si le refoulement des eaux usées serait le fait d'un corps étranger ou d'une canalisation défectueuse ou mal entretenue. Ce document ne permet ainsi pas d'exonérer l'intimée de sa responsabilité. En ce qui concerne l'immeuble, aucune pièce probante n'a été produite, en particulier relative à des entretiens réguliers des canalisations en cause (strikter Beweis ou voller Beweis ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 ; (Bohnet/Jeannin, « Le fardeau de la preuve en droit du bail » in 19e Séminaire sur le droit du bail, 2016, n. 11). Certes, un représentant de la régie a déclaré que l'immeuble était bien entretenu et les canalisations aux normes, ce qui n'est pas suffisant pour établir le fait.

3.3 L'intimée a dès lors échoué à apporter la preuve libératoire, de sorte que la faute de cette dernière doit être retenue. Sur ce point, le grief de l'appelante est fondé, mais sans conséquence au vu de ce qui va suivre.

4.             La locataire sollicite le remboursement du préjudice qu'elle allègue avoir subi des suites de l'inondation.

4.1 En lien avec les défauts de la chose louée (art. 259e CO), constitue un préjudice indemnisable notamment l'impossibilité d'utiliser des locaux commerciaux, les frais d'hôtel liés à un logement de remplacement ou des meubles endommagés (Lachat, op. cit., p. 323) mais pas un désagrément causé par la perte de l'usage du logement (dommage de frustration; ATF 115 II 474 consid. 3 et 127 III 403 consid. 4a; Lachat, op. cit., p. 324; Bieri, op. cit., n. 24). Un tel préjudice peut cependant, en cas de gravité particulière, justifier une réparation morale au sens de l'art. 49 CO (ATF 126 III 388 consid. 11b; Lachat, ibid.; Bieri, op. cit., n. 18; Muller/Singer, « Le préjudice réparable : une notion sans contours » in Dupont/Muller, L'évaluation du préjudice corporel, Neuchâtel, 2021, n. 62).

4.1.1 Une indemnité pour tort moral en cas de violation contractuelle n'est possible que si l'atteinte aux droits de la personnalité est suffisamment grave (art. 49 CO; Tercier et al., op.cit., n. 1799; Werro, « Le tort moral en cas de violation d'un contrat » in Chappuis/Winiger, Le tort moral en question, 2013, p. 73). Dans la jurisprudence, elle a été admise lorsque la violation du contrat a entrainé une grave atteinte à la réputation personnelle et professionnelle de l'autre partie contractante, ainsi qu'une atteinte à sa santé (ATF 87 II 143 consid. 5), notamment la perte d'un œil (ATF 102 II 18); le Tribunal fédéral l'a en revanche niée dans le cadre de locataires avec trois enfants ayant vécu, par la faute du bailleur, dans un appartement humide et dépourvu de chauffage durant près d'un mois, faute d'atteinte à la santé ou à l'équilibre familial (arrêt du Tribunal fédéral 4C_169/1998 du 2 février 1999; Aubert, CPra Bail, 2017, n. 10 ad 259e CO; plus critique : Werro, op. cit., p. 67 et 68, qui estime qu'un « petit » tort moral méritait d'être octroyé).

4.1.2 Une réduction ou un remboursement du loyer ne peut être assimilé à des dommages-intérêts, dans la mesure où ils visent à rétablir l'équilibre des prestations contractuelles entre les parties prenantes à un bail (arrêt du Tribunal fédéral 4C_397/1999 du 18 juillet 2000 consid. 11c).

4.1.3 Le lésé doit chiffrer et justifier ses prétentions (art. 42 al. 1 CO; art. 84 al. 2 CPC), notamment en produisant les factures acquittées ou tout élément probant permettant de déterminer son montant.

Si le montant du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement (art. 42 al. 2 CO). Cette disposition instaure une preuve facilitée en faveur du lésé lorsque le dommage est d'une nature telle qu'une preuve certaine est objectivement impossible à rapporter ou ne peut pas être raisonnablement exigée, au point que le demandeur se trouve dans un état de nécessité quant à la preuve (Beweisnot; ATF 122 III 219 consid. 3a et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_307/2008 du 27 novembre 2008 consid. 5.3).

Toutefois, cette disposition ne libère pas le lésé de la charge de fournir au juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l'attendre de lui, tous les éléments qui permettent ou facilitent l'estimation du dommage ; elle n'accorde pas au lésé la faculté de formuler sans indications plus précises, des prétentions en dommages-intérêts de n'importe quelle ampleur (ATF 131 III 360 consid. 5).

Par conséquent, si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l'estimation, l'une des conditions dont dépend l'application de l'art. 42 al. 2 CO n'est pas réalisée, alors même que, le cas échéant, l'existence d'un dommage est certaine. Le lésé est alors déchu du bénéfice de cette disposition ; la preuve du dommage n'est pas rapportée et, en conséquence, conformément au principe de l'art. 8 CC, le juge doit refuser la prétention (arrêts du Tribunal fédéral 4A_214/2015 du 8 septembre 2015 consid. 3.3; 4A_691/2014 du 1er avril 2015 consid. 6).

4.1.4 La preuve d'un dommage incombe à celui qui en demande réparation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_19/2010 du 15 mars 2010 consid. 5), soit en l'occurrence le locataire.

4.2 Sur la question du relogement, contrairement à ce que soutient l'intimée, le paiement de trois mois de loyer à la locataire ne correspond pas à un dédommagement mais à un rééquilibre des prestations contractuelles entre les parties, dans la mesure où l'appelante a été privée de l'usage de son logement pour l'équivalent d'une telle durée. Le Tribunal a d'ailleurs estimé que ledit montant correspondait à la baisse de loyer accordée à la locataire, élément qui n'est pas remis en cause en appel.

Les frais liés au relogement temporaire de la locataire, en raison du caractère inhabitable du logement litigieux, constituent sur le principe un préjudice indemnisable. Conformément au fardeau de la preuve (art. 8 CC), il appartenait à la locataire de démontrer et chiffrer son préjudice de façon probante. À ce propos, l'appelante a allégué dans sa requête s'être acquittée, de manière « fractionnée », de la somme en liquide de 12'450 fr. pour une location du 2 mai au 24 juillet 2018, directement en main du compagnon de sa fille, dont elle avait sous-loué l'appartement meublé.

La facture qu'elle a produite, datée du 2 mai 2018, mentionne une période de location de 2 mai 2018 au 24 juillet 2018 et un paiement au 24 juillet 2018. Ce document comporte dès lors une incohérence, car la date de fin de période était nécessairement inconnue et imprévisible lors de l'établissement de la facture. Par ailleurs, l'attestation produite par le gendre de la locataire du 5 novembre 2020 et les allégués de la locataire dans sa requête fait état de plusieurs paiements fractionnés et d'un remboursement en novembre 2020, ce qui ne correspond pas non plus à la facture précitée et se trouve en contradiction avec les allégués portant sur un paiement échelonné. Les pièces ne sont dès lors pas probantes.

4.3 En ce qui concerne les frais d'électricité, ceux-ci ont déjà été payés par la bailleresse en octobre 2019 à teneur des déclarations non contestées du témoin I______, de sorte que la conclusion sur ce point n'est pas fondée.

4.4 Quant aux biens personnels endommagés, il a été démontré par les témoignages E______, J______ et K______ concordants que des meubles de la locataire avaient été altérés et jetés à la suite du sinistre. L'appelante n'a fourni aucune explication sur la quotité du préjudice globalement estimée à 20'000 fr., sans détails ni facture en lien avec les biens de remplacement achetés.

La simple référence, dans son appel, à l'équité et au cours ordinaires des choses et à l'expérience générale de la vie n'est pas conforme à son obligation d'étayer son préjudice en fournissant une estimation chiffrée suffisamment probante, y compris dans le cadre de l'application de l'art. 42 al. 2 CO.

La preuve du dommage n'a ainsi pas été apportée, ce qui justifie le rejet de cette prétention de l'appelante également.

4.4.1 Quant au préjudice moral, on rappellera que l'art. 49 CO n'indemnise que les atteintes à la personnalité d'une gravité particulière. Une violation contractuelle peut, conformément à la jurisprudence, donner droit à l'octroi d'un tort moral, à condition qu'une grave atteinte à la personnalité, notamment à la santé ou la réputation, soit présente.

Avec l'appelante, il convient d'admettre qu'un refoulement d'eaux usées dans un logement constitue un évènement pénible pour tout locataire, en particulier lorsqu'une grande quantité de ses biens personnels est souillée, endommagés ou même détruits. Il lui appartenait d'alléguer et de démontrer, ce qu'elle n'a pas fait, que cet événement l'avait affecté gravement dans sa personnalité, en particulier dans sa santé, étant relevé que la jurisprudence se montre restrictive dans l'octroi d'un tort moral dans un tel cadre et qu'un simple désagrément ne suffit pas.

4.5 En définitive, faute d'avoir démontré son préjudice, l'appelante ne pourra voir que rejeté son grief en lien avec son indemnisation. Le jugement querellé sera dès lors confirmé.

5.             A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 3 novembre 2022 par A______ contre le jugement JTBL/708/2022 rendu le 3 octobre 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/17555/2020.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY‐BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe FERRERO et Monsieur Jean‑Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY‐BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.