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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/17333/2023

ACJC/1460/2023 du 02.11.2023 sur JTBL/869/2023 ( SP ) , REJETE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17333/2023 ACJC/1460/2023

ORDONNANCE

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 2 NOVEMBRE 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [TI], appelante d'une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 18 octobre 2023, représentée par Me Sidonie MORVAN, avocate, Esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,

et

B______ AG, sise ______ [ZH], intimée, représentée par Me Emmanuelle GUIGUET-BERTHOUZOZ, avocate, rue du Général-Dufour 11, 1204 Genève.

 


Attendu, EN FAIT, que le 28 février 2006, B______ SA, en qualité de propriétaire, et A______ SA, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer commercial, portant sur la location de locaux sis dans l'immeuble rue 1______ 62 à Genève, soit 210 m2 de locaux sis à l'entresol côté ouest, 185 m2 de locaux et vitrines sis au rez-de-chaussée côté ouest, 216,5 m2 de locaux sis au 1er sous-sol et 14,55 m2 de locaux sis au 2ème sous-sol;

Que le contrat a été conclu pour une durée de 14 ans et dix mois, soit jusqu’au 31 décembre 2020;

Qu'en 2016, A______ SA a entrepris, avec l'accord de B______ SA, d'importants travaux de transformation de la boutique avec création d'un ascenseur;

Que par avenant au contrat de bail signé le 12 juin 2017, les parties sont notamment convenues de ce que le bail serait reconduit pour une nouvelle période d'une durée de 10 ans, soit du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2030, avec option de renouvellement à de nouvelles conditions pour une période de 5 ans supplémentaire du 1er janvier 2031 au 31 décembre 2035;

Qu'elles sont également convenues de ce que le loyer serait augmenté, par deux échelons, et fixé en dernier lieu à 999'999 fr. 60 par an à compter du 1er janvier 2021, soit 83'333 fr. 30 par mois;

Que B______ SA a pris la décision de procéder à la rénovation de son immeuble sis rue 1______ 62; que pour ce faire, elle a mandaté C______ SA et D______ SA, en qualité de planificateur général;

Que le 29 octobre 2021, une séance s'est tenue en présence des représentants de B______ SA, de E______ SA (en charge de la gestion de l'immeuble), de C______ SA, de D______ SA et de F______, client "advisor" de A______ SA;

Que lors de cette séance, les mandataires de B______ SA ont exposé que le projet de rénovation de l'immeuble rue 1______ 62 consisterait en l'assainissement, la rénovation énergétique complète du bâtiment, le remplacement des installations techniques, la mise aux normes énergétique et la labélisation Minergie, la remise à neuf complète des façades – les façades (partie vitrée et ossature métallique) de l'entresol seraient remplacées; que les échafaudages et installations de chantier n'étaient pas encore déterminés mais seraient adaptés à la qualité de l'immeuble; que les travaux devaient débuter en février-mars 2023 et durer entre 16 et 18 mois; que A______ SA a été invitée à remettre à D______ SA les plans des installations techniques et aménagements de la boutique;

Que par courriel du 5 novembre 2021, D______ SA a transmis à tous les participants à la séance le document de présentation du projet de rénovation de l'immeuble;

Que le 30 novembre 2021, l'architecte de A______ SA a transmis les plans d'exécution demandés à D______ SA;

Que le propriétaire de l'immeuble sis rue 1______ 70 a obtenu une autorisation de démolir l'immeuble (M2______/1) existant et de construire un immeuble commercial; que le chantier, qui a débuté en 2021, est toujours en cours avec la présence d'échafaudages, de bâches et d'installations sur la voie publique;

Que le 11 mars 2022, B______ SA a requis l'autorisation de rénover et de transformer l'immeuble rue 1______ 62, soit la rénovation de l'enveloppe thermique (façades, puits de lumière et toiture) ainsi que la rationalisation et la mise aux normes de toutes les techniques CVSE (chauffage, ventilation, sanitaire et électricité);

Que l'autorisation de construire requise (DD 3______/1) lui a été délivrée le 15 septembre 2022;

Qu'une autorisation de construire complémentaire (DD 3______/2) portant sur la modification des vitrages de la façade nord a été délivrée le 30 juin 2023 à B______ SA;

Que dans le cadre de la procédure d'appel d'offres pour la réalisation des travaux de rénovation, A______ SA a accepté que les potentiels candidats visitent ses locaux le lundi 30 janvier 2023;

Que par courrier du 2 mars 2023, E______ SA a informé A______ SA que le chantier débuterait début mai 2023 et lui a transmis le planning prévisionnel des travaux, l'informant que des modifications pourraient intervenir en fonction de l'évolution du chantier;

Que le 15 mars 2023, une rencontre a eu lieu entre un représentant de B______ SA, de E______ SA, de D______ SA et de A______ SA, lors de laquelle des informations sur le déroulement du chantier ont été communiquées;

Que par courriel du même jour, E______ SA a adressé à A______ SA les plans du positionnement de l'échafaudage qui serait installé devant la boutique;

Que le 21 mars 2023, E______ SA a transmis à A______ SA les plans des surfaces du bâtiment avec les indications des parties qui seraient démolies et reconstruites;

Que par courrier du 19 avril 2023, A______ SA a informé E______ SA de ce qu'elle trouvait regrettable, vu l'ampleur des travaux, de ne pas avoir été consultée et avisée dans des délais convenables, ajoutant que la durée des travaux et l'installation d'échafaudages pendant plus d'une année lui causeraient un grave préjudice en terme de chiffre d'affaires et d'image; qu'elle sollicitait une réduction de loyer de 100% pour la durée des travaux; qu'elle a également requis la transmission du planning des travaux et la fixation d'un rendez-vous en vue de trouver une solution permettant de réduire les nuisances liées au chantier;

Que le 1er mai 2023, E______ SA a rappelé à A______ SA qu'elle avait été avisée des travaux, D______ SA s'étant rendue à plusieurs reprises dans ses locaux pour les besoins de l'étude du chantier; qu'elle lui transmettrait le planning définitif dès qu'il serait établi; qu'elle l'invitait, comme demandé lors de la séance du 15 mars 2023, à lui transmettre ses souhaits pour la signalétique à mettre en place durant le chantier; qu'elle a indiqué que les prétentions en réduction de loyer seraient examinées une fois le chantier terminé; qu'elle proposait d'organiser une séance dès que le planning définitif serait établi;

Que par courrier du 23 mai 2023, A______ SA s'est plainte de ne pas avoir d'informations utiles sur la durée et l'étendue des travaux; qu'elle a sollicité une nouvelle rencontre avec la bailleresse, son architecte et son département juridique;

Qu'une séance a eu lieu dans les locaux de A______ SA le 15 juin 2023, lors de laquelle D______ SA a présenté un planning prévisionnel, avec début des travaux le 3 juillet 2023, ainsi qu'un plan des échafaudages et de la bâche de protection sur laquelle une œuvre d'art serait représentée; que sous la bâche, un espace était prévu pour l'installation du logo de A______ SA; que A______ SA a sollicité qu'un planning plus complet et détaillé des travaux mentionnant l'intensité des nuisances lui soit remis;

Qu'une visioconférence a eu lieu le 23 juin 2023 entre les parties, à l'issue de laquelle A______ SA a établi un compte rendu qu'elle a envoyé à E______ SA le 21 juillet 2023; que B______ SA a présenté à A______ SA des plans décrivant les interventions qui seraient effectuées dans ses locaux, la localisation des travaux, leur durée - les dates d'exécution devant être convenues entre les parties - les mesures de sécurité, l'identification des locaux provisoires qui seraient mis à disposition de A______ SA pendant la durée des travaux;

Que D______ SA a indiqué que le dépôt au 2ème sous-sol serait inaccessible pendant plusieurs jours en raison du remplacement de la porte, un autre dépôt pouvant être mis à disposition de la locataire, qu'au 1er sous-sol, les WC et la kitchenette seraient inaccessibles durant 40 jours en raison de la modification des accès pour permettre aux ouvriers d'accéder au chantier sans passer par la boutique et le grand dépôt serait en travaux et qu'à l'entresol, la cabine d'essayage ne serait pas disponible pendant 40 jours et la zone VIC pendant 5 jours;

Que lors de cette séance, B______ SA a indiqué que les travaux commenceraient début septembre 2023, qu'un plexiglas pourrait peut-être être installé en lieu et place du platelage en bois afin que la vitrine soit visible; qu'elle s'engageait à transmettre les plans et le planning ainsi qu'un visuel de la bâche de protection et de la sapine dans la semaine du 26 juin 2023;

Que par courrier du 21 juillet 2023, A______ SA a rappelé à E______ SA la teneur de l'article 260 al. 1 CO et indiqué que les travaux envisagés ne pouvaient raisonnablement lui être imposés; que la rénovation complète de l'immeuble et les importantes installations de chantier (sapine avec benne pour gravats devant l'entrée de la boutique, platelage, bâche de protection, échafaudages) engendreraient des nuisances en terme de visibilité, de bruit, de vibrations, de poussière, de luminosité et d'accessibilité ou de sécurité; que ses employés ne pourraient plus travailler dans des conditions décentes et la clientèle ne pourrait plus être accueillie de manière adéquate; qu'elle restait dans l'attente de propositions concrètes de la bailleresse, notamment d'une proposition de locaux provisoires de remplacement ainsi que des documents présentés le 23 juin 2023;

Que par courriel du 25 juillet 2023, E______ SA l'a informée que les plans ne seraient pas disponibles avant la fin du même mois;

Que par pli recommandé du 31 juillet 2023, E______ SA a confirmé à A______ SA que les travaux débuteraient le 4 septembre 2023; qu'elle lui a adressé un document intitulé "planning intentionnel du 4 juillet 2023", les plans présentés lors de la séance du 23 juin 2023 avec la description de ses interventions à l'intérieur des locaux de A______ SA, les visuels concernant l'emplacement de la sapine, les bâches de protection et les échafaudages; qu'elle a indiqué qu'elle ne disposait d'aucune surface de même standing à mettre à sa disposition;

Que par courrier du 21 août 2023, A______ SA a relevé que les informations transmises étaient tardives et incomplètes, et a requis de B______ SA de ne pas débuter les travaux tant les mesures nécessaires ne soient prises, de manière à ce que les travaux puissent lui être raisonnablement imposés;

Que courant août 2023, les mandataires de A______ SA ont effectué divers sondages dans l'immeuble afin de limiter les interventions dans les locaux de A______ SA;

Que le responsable de la boutique a informé la directrice de A______ SA que des travaux générant un bruit important avaient eu lieu dans l'immeuble le 22 août 2023 et qu'en raison des vibrations causées, l'alarme se déclenchait toutes les dix minutes;

Que par acte déposé au greffe du Tribunal des baux et loyers le 23 août 2023, A______ SA a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de B______ SA concluant à ce que le Tribunal ordonne à B______ SA de cesser immédiatement les travaux entrepris dans l'immeuble sis 62 rue 1______ à Genève dans lequel elle est locataire, jusqu'à droit connu sur le fond du litige, lui fasse interdiction de réaliser les travaux objets des autorisations de construire DD 3______/1 délivrée le 25 septembre 2022 et DD 4______/2 délivrée le 30 juin 2023, dans l'immeuble en cause, jusqu'à droit connu sur le fond du litige, prononce cette injonction et interdiction sous la menace de l'amende prévue à l'article 292 CP et lui impartisse un délai pour le dépôt de la demande au fond;

Qu'à titre subsidiaire, elle a conclu à ce que l'interdiction de réaliser les travaux soit prononcée tant que B______ SA n'aurait pas pris des mesures pour que les travaux puissent lui être raisonnablement imposés;

Qu'elle a notamment exposé que dans la mesure où elle était au bénéfice d'un bail de durée déterminée, la bailleresse n'était pas autorisée à entreprendre les travaux de rénovation projetés sans son accord et que pour ce motif déjà les travaux étaient illicites et devaient être interdits;

Qu'elle a également fait valoir que les travaux projetés ne pouvaient raisonnablement lui être imposés; qu'ils seraient source d'importantes nuisances (bruit, vibration, poussière, perte de luminosité, etc.), accrues par l'installation de l'échafaudage et de la sapine, qui auraient pour effet de rendre la boutique moins attrayante pour la clientèle; que les WC et la kitchenette à disposition des employés seraient supprimés pendant une longue durée sans que des locaux de remplacement ne soient proposés;

Que si les travaux débutaient en septembre 2023, elle se retrouverait prise en "sandwich" entre le présent chantier et celui en cours sur l'immeuble voisin, sis rue 1______ 70;

Qu'à son sens, la bailleresse avait tardé à lui communiquer les premières informations sur les travaux projetés, et lui a reproché un manque d'anticipation et l'absence de prise en compte de ses intérêts dans la gestion des travaux;

Qu'elle a pour le surplus fait valoir que les nuisances induites par les travaux lui causeraient un préjudice en terme de perte de clientèle et de chiffre d'affaires ainsi qu'un préjudice réputationnel d'autant plus important que la boutique A______ SA Genève était la seule en Suisse; que la perte de jouissance des locaux pendant la durée des travaux ainsi que la perte définitive d'une surface locative, suite à la pose d'un isolant au sous-sol, entraineraient également un dommage conséquent; que la présence de polluants dans l'immeuble présentait des risques pour la santé des employés et des ouvriers;

Qu'enfin, il y avait urgence à prononcer les interdictions requises, les travaux ayant déjà débuté;

Que par ordonnance du 23 août 2023, le Tribunal a rejeté la requête sur mesures superprovisionnelles;

Que le 15 septembre 2023, B______ SA a transmis à A______ SA un nouveau planning du chantier sur lequel figuraient les périodes durant lesquelles il serait possible d'effectuer les travaux dans ses locaux, soit entre avril et septembre 2024, ainsi que le plan des installations de chantier; qu'elle a également précisé que le local de remplacement proposé au 2ème sous-sol correspondait au local dans lequel la [banque] G______ avait installé son serveur informatique, que ce local serait transformé pour accueillir tout le stock de A______ SA; que grâce aux derniers sondages effectués, une solution avait pu être trouvée afin de ne pas intervenir dans les WC. Que l'intervention dans la cuisine serait maintenue mais qu'une kitchenette de remplacement serait mise à la disposition de A______ SA au 2ème sous-sol; que la sapine ne serait pas installée devant l'entrée de la boutique mais à droite de celle-ci; que la bâche qui recouvrirait l'immeuble du 1er au dernier étage serait décorée d'une œuvre d'art et qu'elle avait obtenu l'autorisation d'installer des plexiglas au lieu des panneaux de bois, afin que les arcades restent visibles;

Que dans ses déterminations écrites du 18 septembre 2023, B______ SA a conclu à ce que A______ SA soit déboutée de toutes ses conclusions;

Qu'elle a soutenu que les seuls travaux dans les locaux loués porteraient sur la modification des vitrages à l'entresol, pendant une durée de 5 jours, et l'amélioration de l'isolation au sous-sol, pendant 40 jours; que les autres travaux n'auraient aucun lien avec la boutique; que l'impact de ces travaux était raisonnable; qu'en outre, elle avait donné des garanties à A______ SA que ses meubles et marchandises pourraient être stockés en toute sécurité pendant la durée des travaux; qu'elle avait également mis en place de nombreux aménagements pour rendre l'ensemble des travaux plus esthétiques (échafaudages couverts d'une bâche au design soigné, panneaux de plexiglas pour que les arcades soient visibles), garanti qu'aucun ouvrier ne passerait par l'arcade et mandaté des personnes pour assurer la sécurité de l'immeuble; qu'en outre, elle a relevé que A______ SA avait été informée en octobre 2021 déjà des travaux qu'elle souhaitait entreprendre; que les travaux pouvaient être raisonnablement imposés à la précitée, qui ne se prévalait d'aucun préjudice difficilement réparable;

Que le 21 septembre 2023, l'installation de l'échafaudage a débuté;

Que par courrier du 22 septembre 2023 à B______ SA, A______ SA a notamment contesté avoir reçu les informations utiles et nécessaires en 2021 et 2022 de manière à pouvoir s'organiser durant les travaux envisagés;

Que le 22 septembre 2023, A______ SA a produit des pièces complémentaires au Tribunal, comportant notamment des extraits du site internet de l'Etat de Genève (SAD Consult) concernant une demande APA visant la réalisation de travaux sur la parcelle 5______ sise 60 rue 1______;

Que lors de l'audience du Tribunal du 25 septembre 2023, A______ SA a déposé un chargé de pièces complémentaire, comportant en particulier un compte-rendu établi le 22 septembre 2023 par le bureau d'architectes H______ relatif au nouveau planning des travaux du 15 septembre 2023; qu'il en résulte notamment que des nuisances sonores auraient lieu tant lors du montage des installations de chantier que lors de la démolition des murs et sols des surfaces du bâtiment; qu'elle a également versé des photographies de l'immeuble en cause;

Que A______ SA a indiqué que l'installation de chantier avait débuté, ce que B______ SA a confirmé;

Que les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives;

Qu'à l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger;

Que par ordonnance JTBL/869/2023 du 18 octobre 2023, le Tribunal, statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté la requête de mesures provisionnelles (ch. 1 du dispositif), a rappelé que la procédure était gratuite (ch. 2) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3);

Qu'en substance, le Tribunal a considéré que A______ SA n'avait pas rendu vraisemblable les conditions posées à l'art. 260 al. 1 CO; que les travaux envisagés par B______ SA n'affecteraient que peu les locaux de A______ SA, ces travaux ne devant au demeurant se dérouler que pendant une brève période; que ces travaux étaient admissibles dès lors que les parties resteraient liées par le contrat de bail pendant sept ans au minimum, voire douze ans en prenant en compte l'option de renouvellement; que A______ SA avait été informée depuis octobre 2021 des travaux envisagés; qu'en conséquence, la bailleresse avait rendu vraisemblable que les travaux projetés pouvaient raisonnablement être imposés à A______ SA; que le préjudice financier dont se prévalait A______ SA n'apparaissait pas difficilement réparable; qu'en tout état, les travaux ne seraient entrepris dans la boutique de A______ SA qu'au mois d'avril 2024, de sorte que la condition de l'urgence n'était pas réalisée;

Que par acte expédié le 30 octobre 2023 à la Cour de justice, A______ SA a formé appel contre l'ordonnance susmentionnée, sollicitant son annulation; qu'elle a repris ses conclusions de première instance;

Qu'elle a également pris les mêmes conclusions à titre superprovisionnel et provisionnel;

Que A______ SA a fait valoir que B______ SA a débuté les travaux, par l'installation du chantier (échafaudages, palissades, etc), sans l'en informer et sans prendre de mesures lui permettant de "survivre"; que les travaux d'envergure que la bailleresse entreprenait allaient durer près de deux ans, lesquels engendreraient du bruit, des vibrations et de la poussière notamment; que la bailleresse ne lui avait par ailleurs pas proposé de locaux de remplacement; que la perte de clientèle et le dommage à la réputation constituaient un dommage difficilement réparable; qu'ainsi, les conditions justifiant le prononcé de mesures superprovisionnelles étaient réunies;

Qu'elle a également indiqué qu'au 30 octobre 2023, l'échafaudage et les autres installations de chantier (sapine, poteaux notamment) étaient en cours de montage;

Que A______ SA a produit de nouvelles pièces;

Considérant, EN DROIT, qu'en cas d'urgence particulière, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse (art. 265 al. 1 CPC);

Que le prononcé de telles mesures suppose un danger particulièrement imminent ou que le fait de donner connaissance de la requête à la partie requise risquerait de prétériter l'exécution des mesures (Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 2 ad art. 265 CPC);

Que les conditions de la mesure provisionnelle n'ont pas à être prouvées de manière absolue; que le requérant doit les rendre vraisemblables ou plausibles; qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit persuadé de l'existence des faits; qu'il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, il acquière l'impression d'une certaine vraisemblance de l'existence des faits pertinents, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 130 III 321 = JdT 2005 I 618);

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond (ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5D_219/2017 du 24 août 2018 consid. 4.2.2), ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, op. cit., 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC; Hohl, op. cit., n. 1774, p. 325);

Que le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause; qu'en d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets; qu'est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2011 consid. 4); qu'en d'autres termes, la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2); qu'il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1);

Que la mesure ordonnée doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui signifie qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée, en ce sens qu'il ne doit pas exister d'alternatives moins incisives (Hohl, op. cit., p. 323 s.);

Qu'une décision de mesures superprovisionnelles prise en raison d'une urgence particulière (décision d'urgence) doit obligatoirement être suivie - après audition des parties à la procédure - d'une décision de mesures provisionnelles (décision ordinaire de mesures provisionnelles), qui confirme, modifie ou supprime, et ainsi, remplace, les mesures superprovisionnelles précédemment ordonnées (ATF 139 III 86; ATF
140 III 529, JdT 2015 II 135);

Que la requérante qui se prévaut d'un risque d'une atteinte inhérente aux mesures provisionnelles (art. 261 CPC) sans parvenir à en convaincre le premier juge (sous l'angle de la vraisemblance) se voit notifier une décision de refus qui - immédiatement - entre en force et devient exécutoire; que la conséquence en est qu'elle ne bénéficie pas de la protection qu'elle sollicitait, sans qu'un remède ne soit possible;

Que le locataire doit tolérer les travaux destinés à remédier aux défauts de la chose ainsi qu'à réparer ou à prévenir des dommages (art. 257h al. 1 CO); que le bailleur doit annoncer à temps au locataire les travaux et tenir compte, lors de leur accomplissement, des intérêts de celui-ci; que les prétentions éventuelles du locataire en réduction du loyer (art. 259d CO) et en dommages-intérêts (art. 259e CO) sont réservées (art. 257h al. 3 CO);

Que, par ailleurs, le bailleur n'a le droit de rénover ou de modifier la chose que si les travaux peuvent raisonnablement être imposés au locataire et que le bail n'a pas été résilié (art. 260 al. 1 CO); que lors de l'exécution de tels travaux, le bailleur doit tenir compte des intérêts du locataire; que les prétentions du locataire en réduction du loyer (art. 259d CO) et en dommages-intérêts (art. 259e CO) sont réservées (art. 260 al. 2 CO);

Que pour pouvoir effectuer des travaux sur la chose louée conformément à l'art. 260 CO, le bailleur va devoir établir l'existence de trois conditions : premièrement, il doit s'agir de travaux de rénovation ou de modification effectués pendant le bail; deuxièmement, ces travaux doivent pouvoir être raisonnablement imposés au locataire; troisièmement, ces travaux doivent avoir lieu en l'absence de résiliation du bail (Carron, Bail et travaux de construction : aménagement, entretien, rénovation et modification des locaux, in 17ème séminaire sur le droit du bail, Bâle 2012, p. 97, ch. 179); qu'en relation avec la troisième condition, le législateur a estimé qu'il n'était pas équitable que le locataire doive subir les désagréments des travaux si le bail a été résilié, ce qui implique qu'il quitte les lieux prochainement et, selon toute vraisemblance, ne puisse profiter du résultat des travaux (Corboz, Les travaux de transformation et de rénovation de la chose louée entrepris par le bailleur et leur répercussion sur les loyers, in 12ème séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 2002, p. 11). Que le locataire doit faire preuve d'une certaine tolérance face aux travaux, en contrepartie des égards du bailleur lors de leur exécution; le degré de tolérance se mesure en prenant comme référence un locataire raisonnable et correct (Burkhalter/Martinez-Favre, Commentaire SVIT du droit du bail, Lausanne 2011, p. 292);

Que les réparations nécessaires que le locataire est tenu de supporter doivent être distinguées des travaux qui améliorent la chose louée; que très souvent toutefois, les travaux présentent un caractère mixte lorsqu'ils relèvent à la fois de l'entretien et de l'amélioration de la chose louée (par exemple, le bailleur procède à la réfection des façades et en profite pour poser une couche d'isolation extérieure); que ces travaux doivent ainsi être appréciés non seulement à l'aune de l'art. 257h al. 1 CO (réparations) mais aussi de l'art. 260 al. 1 CO (rénovation); que dès lors, le locataire n'est tenu de souffrir de tels travaux «mixtes» que lorsque les conditions des art. 257h al. 1 et 260 al. 1 CO sont réunies cumulativement; qu'il s'agit de déterminer, sous l'angle de la vraisemblance, si lesdits travaux peuvent ou ne peuvent pas être raisonnablement imposés au locataire (Aubert, in Droit du bail à loyer et à ferme, Commentaire pratique, 2ème éd., 2017, n. 8 ad art. 257h CO et les références citées);

Que le locataire qui, sur mesures provisionnelles, demande au tribunal d'interdire à son bailleur d'exécuter des rénovations dans ses locaux doit rendre vraisemblable que les travaux ne peuvent pas raisonnablement lui être imposé ou que son bail a été résilié (Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2011, p. 173);

Qu'en l'espèce, il est constant que l'intimée a obtenu l'autorisation administrative de procéder à d'importants travaux dans son immeuble, consistant dans la rénovation de l'enveloppe thermique (façades, puits de lumière et toiture) ainsi que la rationalisation et la mise aux normes de toutes les techniques CVSE (chauffage, ventilation, sanitaire et électricité);

Que l'appelante soutient que des travaux ne peuvent pas raisonnablement lui être imposés; que l'avancement du chantier rendrait vaine toute action ultérieure; que l'intimée avait débuté les travaux sans l'en informer et sans prendre de mesures lui permettant de "survivre";

Que la Cour, sous l'angle de la vraisemblance, retient que l'appelante a été informée en octobre 2021 de la volonté de l'intimée d'exécuter les travaux en cause; que si les plannings précis n'ont été transmis que récemment à l'appelante, il ne peut en l'état être retenu qu'elle n'aurait pas reçu d'informations utiles quant aux travaux qui seront exécutés;

Que contrairement à ce qu'allègue l'appelante, il ne peut, toujours sous l'angle de la vraisemblance, être considéré qu'en droit du bail, la perte de clientèle et l'atteinte alléguée à sa réputation constitueraient un préjudice difficilement réparable; que l'arrêt cité par l'appelante (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 consid. 4.1) a été rendu dans une affaire prud'homale, dans le cadre de laquelle il était reproché à l'employé de concurrencer l'activité de l'ancien employeur, d'avoir en particulier contacté les anciens clients de cette dernière, et d'avoir pris l'entier des fichiers, photocopies et scans de propositions d'assurance et polices d'assurance de l'ex-employeur; que dans ce cadre, le Tribunal fédéral a considéré que la perte de clientèle, l'atteinte à la réputation d'une personne, ou encore le trouble créé sur le marché par l'utilisation d'un signe créant un risque de confusion constitue un préjudice difficilement réparable; qu'il est, prima facie et sans préjudice de l'examen au fond, que la réputation d'une personne physique puisse, sans autre, être transposée à une société;

Que, par ailleurs, les travaux autorisés semblent, prima facie, avoir un caractère mixte (entretien et amélioration), et l'intimée a, sous l'angle de la vraisemblance, rendu vraisemblable que ceux-ci peuvent raisonnablement être imposés à l'appelante; que l'urgence d'effectuer les travaux en cause n'est pas déterminante;

Que, toujours sous l'angle de la vraisemblance, il ne peut être retenu qu'un contrat de bail à durée déterminée, courant pendant encore au minimum sept ans, et comportant une clause d'option, serait assimilable à une résiliation du bail;

Qu'en conséquence, la requête de mesures superprovisionnelles sera rejetée;

Que la requête sera ainsi transmise à l'intimée, un délai de 10 jours lui étant imparti pour y répondre et produire ses titres;

Que la suite de la procédure sera réservée.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


Statuant sur mesures superprovisionnelles
:

Rejette la requête de mesures superprovisionnelles formée le 30 octobre 2023 par A______ SA à l'encontre de B______ SA.

Cela fait et statuant préparatoirement :

Transmet la requête de mesures provisionnelles formée le 30 octobre 2023 et impartit à B______ SA un délai de 10 jours dès réception de la présente ordonnance pour répondre par écrit et produire ses pièces.

Réserve la suite de la procédure.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1023/2018 du 8 juillet 2019 consid. 6.2.3.1).