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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/7769/2021

ACJC/1071/2023 du 28.08.2023 sur JTBL/448/2022 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 29.09.2023, rendu le 12.02.2024, DROIT CIVIL, 4A_485/2023
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7769/2021 ACJC/1071/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 28 AOUT 2023

 

Entre

 

Madame A______, domiciliée ______[GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 3 juin 2022, comparant par Me Nicolas ROUILLER et Me Alban MATTHEY, avocats, rue du Grand-Chêne 1-3, case postale 7501, 1002 Lausanne, en l'étude desquels elle fait élection de domicile,

 

et

 

FONDATION B______, sise ______[ZH], intimée, comparant par Me Vadim HARYCH, avocat, rue Verdaine 15, case postale 3015, 1211 Genève 3, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/448/2022 du 3 juin 2022, expédié pour notification aux parties le 14 juin 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valables les congés notifiés à A______ par la FONDATION B______ par avis officiels du ______ 2021 pour le 30 septembre 2021 concernant les surfaces de bureaux d'environ 127 m2 situées au septième étage et les places de stationnement nos 6 et 7 au 1er sous-sol et n° 22 au rez-de-chaussée de l'immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève (ch. 1 du dispositif), a accordé à A______ une unique prolongation de bail d'un an et trois mois, échéant au 31 décembre 2022 (ch. 2) a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 15 août 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation ou, subsidiairement la réforme de son chiffre 2 en ce sens qu'une première prolongation de quatre ans lui est accordée, soit jusqu'au 30 septembre 2025.

b. Dans sa réponse du 5 septembre 2022, la FONDATION B______ conclut à la confirmation du jugement entrepris.

c. A______ a répliqué le 17 octobre 2022 et la FONDATION B______ a dupliqué le 28 octobre 2022, les parties persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Les parties ont été avisées le 7 décembre 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. La FONDATION B______ (ci-après : Fondation B______), bailleresse, et A______ et C______, locataires, ont signé un contrat de bail portant sur la location de surfaces de bureau d'environ 127 m2, situées au septième étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______, à Genève, dès le 1er octobre 2014.

b. C______ ayant quitté les locaux le 1er février 2016, les parties ont signé un avenant au bail le 6 novembre 2017 selon lequel seule A______ restait locataire, les autres clauses du contrat restant inchangées.

A______ exploite un cabinet médical.

c. Le contrat a été conclu pour une durée déterminée de trois ans, du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2017.

La durée fixe du contrat découlait de la volonté de la Fondation B______ de surélever l'immeuble, travaux nécessitant de libérer le septième étage.

Six mois avant le terme du bail, soit au 31 mars 2017, la Fondation B______ devait tenir informée A______ par écrit de l'avancement de la procédure d'autorisation de construire et, dans l'hypothèse où l'autorisation ne serait pas entrée en force au jour dit, A______ disposait d'une option de renouvellement d'une durée fixe d'une année, soit jusqu'au 30 septembre 2018 à faire valoir dans un délai de trente jours, par lettre recommandée.

Il était encore précisé, dans le cas où le droit d'option ne serait pas utilisé, soit en raison de l'entrée en force de l'autorisation de construire, soit en cas de non levée de l'option, que la Fondation B______ verserait à A______ une indemnité de 10'000 fr.

Enfin, le bail prévoyait qu'en cas de relogement dans l'immeuble avant le 30 septembre 2018, la Fondation B______ prendrait à sa charge les frais de déménagement de A______, au maximum à concurrence de 5'000 fr. et sur présentation d'une facture.

d. Le loyer a été fixé à 4'200 fr. par mois, charges comprises, et n'a pas été modifié depuis la conclusion du contrat.

e. Les parties sont également liées par trois contrats de bail portant sur la location de places de stationnement.

Le premier contrat, concernant la place n° 6 au 1er sous-sol de l'immeuble, a été conclu pour une durée indéterminée dès le 1er mai 2017, le délai de résiliation étant de trois mois pour les termes de fin mars/juin/septembre (décembre excepté), la première fois pour le 30 juin 2018, il fixait le loyer à 180 fr. par mois.

Le deuxième contrat, concernant la place n° 7 au 1er sous-sol de l'immeuble, a été conclu pour une durée indéterminée dès le 1er juin 2017, le délai de résiliation étant de trois mois pour les termes de fin mars/juin/septembre (décembre excepté), la première fois pour le 30 juin 2018; il fixait le loyer à 150 fr. par mois.

Le troisième contrat, concernant la place n° 22 au rez-de-chaussée de l'immeuble, a été conclu pour une durée indéterminée dès le 1er décembre 2017, le délai de résiliation étant de trois mois pour les termes de fin mars/juin/septembre (décembre excepté), la première fois pour le 30 septembre 2018; il fixait le loyer à 200 fr. par mois.

Ces baux précisent qu'en cas de location conjointe avec des locaux d'habitation ou des locaux commerciaux, la résiliation du bail portant sur ces locaux entraîne celle du bail du garage aux mêmes conditions.

f. Les parties sont en désaccord au sujet de la nature du contrat depuis le 1er octobre 2017.

La Fondation B______ a soutenu que, le contrat étant de durée déterminée et la locataire ayant fait valoir la clause d'option oralement, le bail avait pris automatiquement fin le 30 septembre 2018. A______ a soutenu qu'à compter du 1er octobre 2017, le contrat était devenu de durée indéterminée en l'absence d'exercice de la clause d'option et au vu du fait qu'elle avait continué à occuper les locaux et à payer le loyer.

g. Le 28 septembre 2018, A______ a déposé une requête en constatation de droit visant à constater la durée indéterminée du bail (C/2______/2018).

h. La Fondation B______ a introduit une requête en évacuation le 26 octobre 2018 (C/3______/2018).

Le Tribunal a rejeté cette demande par jugement JTBL/1249/2019 du 18 décembre 2019, retenant que l'option de renouvellement n'avait pas été exercée conformément aux prescriptions contenues dans le bail et que ce dernier s'était ainsi reconduit tacitement pour une durée indéterminée. Partant, à défaut de résiliation du bail, le contrat de durée indéterminée continuait à produire ses effets et l'évacuation ne pouvait donc être prononcée.

Ce jugement a été confirmé par la Cour de justice dans son arrêt ACJC/12/2021 du 11 janvier 2021.

i. Après avoir introduit sa demande en constatation de la durée indéterminée du bail (C/2______/2018) le 1er février 2019, A______ l'a retirée le 26 février 2019, avant sa notification à la Fondation B______. La cause a ainsi été rayée du rôle.

j. Le 30 août 2019, une autorisation de construire portant sur la surélévation de l'immeuble et la création de quatre logements a été délivrée à la Fondation B______.

Cette autorisation est en force depuis mars 2021, le recours formé par A______ ayant été rejeté par le Tribunal administratif de première instance par jugement JTAPI/516/2020 du 18 juin 2020, confirmé par la Chambre administrative de la Cour de justice dans son arrêt ATA/30/2021 du 12 janvier 2021.

k. Le 1er février 2021, la Fondation B______ a proposé à A______ un local de remplacement situé au cinquième étage du même immeuble, d'une surface de 111 m2, pour un loyer identique au loyer payé par la locataire, surface qui pouvait être aménagée et rafraîchie aux frais de la Fondation B______ avant emménagement.

Cette proposition a été refusée par A______, cette dernière estimant le loyer trop élevé et la distribution des locaux peu avantageuse en termes de bruit et de chaleur.

Le 5 février 2021, la Fondation B______ a proposé à A______ des locaux au deuxième étage de l'immeuble, plus grands que les locaux loués, à un loyer inférieur.

A______ a répondu que toutes discussions devaient être faites à travers son conseil et qu'elle était "ouverte à une table ronde".

l. Par avis officiels du ______ 2021, la régie a résilié les baux des locaux et des places de stationnement pour le 30 septembre 2021.

Le motif du congé réside dans la volonté de la Fondation B______ de surélever l'immeuble, les locaux loués devant être détruits pour créer de nouveaux étages de logement.

m. Par requêtes déposées le 23 avril 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarées non conciliées lors de l'audience de la Commission du 14 juin 2021 et portées devant le Tribunal le 16 juillet 2021, A______ a conclu à ce que le Tribunal dise que les résiliations sont nulles, subsidiairement, à ce qu'il les annule, interdise à la Fondation B______ d'empêcher l'usage des locaux, et, subsidiairement, à ce qu'il lui accorde une prolongation de bail de quatre ans. Les numéros de cause C/7769/2021, C/4______/2021, C/5______/2021 et C/6______/2021 ont été attribués aux procédures relatives aux locaux loués et aux places de stationnement.

A______ a notamment allégué que pour beaucoup de ses patients, la proximité du cabinet avec leur domicile était importante et un changement de localisation leur poserait des problèmes et impliquerait une perte de patientèle.

n. Par ordonnance du 30 août 2021, le Tribunal a ordonné la jonction des causes sous le numéro de procédure C/7769/2021.

o. Par réponse du 6 septembre 2021, la Fondation B______ a conclu à ce que le Tribunal rejette la requête de A______ et constate la validité des résiliations.

Elle a notamment produit un courrier du 24 juin 2021 par lequel elle proposait un nouveau local de remplacement à A______ situé à proximité immédiate des locaux actuels. Elle revenait également dans ce courrier sur la proposition relative aux locaux situés au deuxième étage de l'immeuble.

p. Lors de l'audience du Tribunal du 5 novembre 2021, A______ a produit des pièces complémentaires dont plusieurs courriers de la Fondation B______ de septembre 2018, avril et novembre 2019 se plaignant de son comportement ou de celui de ses auxiliaires et la mettant en demeure de cesser les agissements reprochés sous menace de résiliation du bail, sans préjudice de la durée déterminée du contrat.

La Fondation B______ a précisé qu'un architecte avait été mandaté pour déposer une demande d'autorisation de construire en avril 2018 et que dès la conclusion du contrat, elle avait l'intention de surélever l'immeuble, le bail prévoyant, entre autres, une indemnité de déménagement. A______ avait refusé les nombreuses propositions de locaux de remplacement car elle avait l'intention de rester dans les locaux loués, ce que cette dernière a contesté.

La Fondation B______ a produit des pièces complémentaires dont un courrier de l'architecte confirmant avoir été mandaté dès avril 2018 et des échanges de courriers et courriels datant de septembre et octobre 2021 au sujet de la possibilité pour A______ de déplacer provisoirement son cabinet pendant les travaux, possibilité qui n'avait pu aboutir, cette dernière refusant de donner ses critères de locaux à une personne autre qu'un représentant direct de la bailleresse, refusant ainsi de s'adresser soit à la régie soit au conseil de la Fondation B______. Cette dernière a également produit un courrier du 12 octobre 2021 confirmant que toutes les surfaces de l'immeuble avaient finalement été relouées faute pour A______ de les avoir acceptées et proposant d'autres surfaces commerciales disponibles pour déplacer le cabinet, situées dans le même quartier et proposées à des loyers similaires.

Les parties ont ensuite persisté dans leurs conclusions.

q. D______, représentante de la régie, a déclaré que la Fondation B______ était prête à démarrer le chantier dès que les locaux seraient libérés. La volonté de surélever l'immeuble était déjà existante à la conclusion du contrat, raison pour laquelle il contenait une clause à ce sujet. A______ en était clairement informée. En octobre 2017, la régie s'était entretenue avec elle au sujet de son départ et des locaux de remplacement lui avaient été proposés. En novembre 2017, la régie avait compris que A______ déménagerait dans les locaux proposés dès l'entrée en force de l'autorisation de construire.

r. Lors de l'audience du 25 mars 2022, A______ a déclaré qu'elle avait cherché de nouvelles surfaces à louer depuis au moins janvier 2021 et avait fait une cinquantaine de visites, la dernière remontant à environ deux mois. Elle avait refusé les propositions de la régie car les surfaces étaient trop bruyantes ou trop chères.

Les parties ont ensuite procédé aux plaidoiries finales et ont persisté dans leurs conclusions.

s. Sur quoi, le Tribunal des baux et loyers a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel des locaux commerciaux, charges non comprises, a été fixé à 48'000 fr., auxquels s'ajoutent les places de parking. Ainsi, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit ; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelante fait en premier lieu grief au Tribunal d'avoir violé l'art. 271a al. 1 let. e ch. 1 CO. Elle soutient que ce serait à tort que les premiers juges ont validé les résiliations contestées en retenant que, bien qu'elles aient été notifiées dans le délai de protection de trois ans, elles seraient valables car l'expression de la volonté antérieure de l'intimée de mettre un terme aux contrats de bail.

2.1
2.1.1
 En application de l'art. 271a al. 1 let. e ch. 1 CO, le congé est annulable lorsqu'il est donné par le bailleur dans les trois ans à compter de la fin d'une procédure de conciliation ou d'une procédure judiciaire au sujet du bail, si le bailleur a succombé dans une large mesure.

L'esprit et le but de cette disposition sont de permettre au locataire de faire valoir ses droits devant l'autorité de conciliation et le juge compétent sans craindre une résiliation de son contrat (ATF 131 III 33).

Pour qu'elle puisse remplir son but, le champ d'application de cette disposition ne doit pas être limité étroitement. Le congé donné par le bailleur dans les trois suivant une procédure de conciliation ou une procédure judiciaire en rapport avec le bail est annulable indépendamment de la question de savoir s'il est effectivement abusif, sous réserve de la réalisation de l'une des exceptions prévues par l'art. 271a al. 3 CO (ATF 131 III 33).

Malgré le caractère limitatif de la liste d'exceptions contenue à l'art. 271a
al. 3 CO, la jurisprudence et la doctrine admettent que le locataire ne bénéficie pas de la protection instituée par l'art. 271a al. 1 let. d CO lorsque le bailleur répète pendant la procédure et dans les trois ans qui la suivent une résiliation déclarée nulle ou inefficace pour des raisons formelles (arrêts du Tribunal fédéral 4C.432/2006 du 8 mai 2007 consid. 4.4 et 4C.252/2002 du 8 novembre 2002 consid. 3.1). La locution «procédure au sujet du bail» ne comprend en effet pas les litiges ayant trait à la validité formelle d'une résiliation. Toute autre solution conduirait à des résultats absurdes (ACJC/67/1992 du 13 mars 1992).

Le champ des résiliations nulles pour vice de forme ne se limite pas aux congés tombant sous le coup de l'art. 266o CO. Sont également considérés comme nuls pour vice de forme le congé anticipé de l'art. 257d al. 2 CO non précédé d'un avis comminatoire (LACHAT, Le bail à loyer, 2ème édition, Lausanne, 2008, p. 748), le congé n'ayant pas émané de la totalité ou de la majorité requise des co-bailleurs (LACHAT, op. cit., p. 637) ou encore le congé qui n'a pas été donné par tous les membres de la communauté héréditaire propriétaire de l'immeuble (LACHAT, op. cit., p. 636, note 71). Ces résiliations peuvent être répétées durant la procédure ou les trois qui suivent (LACHAT, op. cit., p. 637, note 73).

En revanche, le congé affecté d'un vice matériel (violation des règles de la bonne foi; violation des lettres a, b, c ou f de l'art. 271a al. 1 CO; absence de justes motifs au sens de l'art. 266g CO; pas de violation du devoir de diligence au sens de l'art. 257f al. 3 et 4 CO) ne peut pas être valablement répété durant la procédure ou dans les trois ans qui la suivent (LACHAT, op. cit. p. 748).

2.1.2 Dans un arrêt du 8 novembre 2002, le Tribunal fédéral a admis que le bailleur débouté d'une requête en évacuation intentée contre les locataires au motif que le congé ayant précédé cette requête était nul (le bailleur ayant signifié celui-ci aux locataires à une époque où l'immeuble était sous gérance légale et seul l'Office des poursuites et des faillites ayant alors qualité pour résilier le bail) pouvait répéter le congé durant ladite procédure ou les trois ans suivant la fin de celle-ci. Le premier congé avait en effet été déclaré nul pour une raison procédurale, soit le défaut de qualité pour agir. L'absence de qualité pour agir étant sanctionnée par une fin de non-recevoir péremptoire, alors que le défaut de légitimation active touche le droit au fond, le juge s'était prononcé sur la recevabilité de la demande par une décision procédurale et non par un jugement examinant le fond du litige (arrêt du Tribunal fédéral 4C.252/2002 du 8 novembre 2002 consid. 3.2).

2.1.3 Dans l'arrêt du Tribunal fédéral 4C.432/2006 du 8 mai 2007, notre Haute Cour a jugé qu'un congé donné à la suite d'une procédure en évacuation ayant abouti au déboutement de la bailleresse au motif que les parties s'étaient liées par actes concluants pas un contrat de durée indéterminée qui n'avait pas été résilié ne rentrait pas dans la protection de l'art. 271a al. 1 let. e ch. 1 CO. Les juges fédéraux ont en effet retenu que, dans un tel cas, la décision de résilier remontait à une époque antérieure à la première procédure judiciaire. Ainsi, dans la seconde procédure, le congé était uniquement exprimé dans les formes et non pas par esprit de vengeance à l'égard du locataire. Admettre l'application de l'art. 271a al. 1 let. e ch. 1 CO dans un tel cas serait contraire au sens et au but de la loi.

2.2 En l'espèce, le Tribunal a constaté en premier lieu que l'intimée avait été déboutée définitivement de ses conclusions en évacuation à l'encontre de l'appelante par arrêt de la Cour du 11 janvier 2021 et qu'il était indéniable que les congés notifiés le ______ 2021 l'avaient été dans le délai de trois ans de protection de l'art. 271a al. 1 CO.

Il a toutefois retenu que ce cas d'espèce devait être traité de la même manière que celui ayant mené à l'arrêt du Tribunal fédéral 4C.432/2006 du 8 mai 2007. En effet, l'intimée avait d'abord déposé une requête en évacuation, persuadée que les parties étaient liées par un contrat de durée déterminée qui avait pris fin. Contredite par les deux instances cantonales, l'intimée avait "rectifié" son erreur et procédé à la résiliation formelle des baux.

La Cour fait sien ce raisonnement, qui est conforme au but et au sens de l'art. 271a al. 1 let. e ch. 1 CO.

L'appelante fait grand cas de l'unique différence entre les deux affaires, d'ailleurs relevée par le Tribunal, à savoir que l'intimée ne s'est en l'espèce pas fondée sur une résiliation pour agir une première fois en évacuation à son encontre mais sur un bail dont elle pensait que la durée déterminée avait pris fin.

Or, ainsi que les premiers juges l'ont justement relevé, l'élément décisif n'est pas l'existence ou non d'un congé antérieur mais la volonté de mettre un terme aux relations contractuelles, laquelle remonte en l'espèce à une époque largement antérieure à la première procédure judiciaire ayant opposé les parties.

En effet, dès la signature du bail, l'intimée avait le projet de surélever l'immeuble et, ainsi, de se lier uniquement pour une durée déterminée avec l'appelante. Le contrat de bail prévoyait expressément une unique option de renouvellement à la fin du terme fixe, dans l'hypothèse où l'autorisation de construire ne serait pas encore entrée en force. C'est également dans cette optique que la régie en charge de la gérance de l'immeuble a proposé plusieurs locaux de remplacement à l'appelante, que cette dernière a tous refusés.

Ainsi, la volonté de l'intimée de ne plus être liée par la relation contractuelle est indéniable et elle remontre à une période antérieure à la procédure en évacuation invoquée par l'appelante pour justifier l'application de l'art. 271a al. 1 let. e
ch. 1 CO.

Partant, la Cour, à l'instar des premiers juges, retient que les congés du ______ 2021 ne procèdent pas d'un désir de vengeance envers l'appelante consécutif à la première procédure en évacuation mais uniquement de l'expression de la volonté antérieure de l'intimée de mettre un terme au contrat, cette fois dans les formes prévues par la loi pour un contrat de durée indéterminée.

Ainsi, l'art. 271a al. 1 let. e ch. 1 CO n'a pas été violé.

3. Subsidiairement, l'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé l'art. 272 CO.

Elle soutient, de manière confuse, que les premiers juges n'auraient pas tenu compte du fait que les parties avaient renoncé à un contrat de durée déterminée afin de s'engager dans une relation contractuelle de durée indéterminée et que cela aurait provoqué un "biais dans le mode de réflexion" du Tribunal quant à la durée de la prolongation, puisque la durée définie du bail ne serait pas conforme aux faits.

Elle fait également valoir que l'intimée ne prouverait pas qu'elle disposait d'une autorisation de construire définitive et ni qu'elle serait prête à débuter les travaux de surélévation de l'immeuble dès la restitution des locaux.

Enfin, elle soutient que le jugement entrepris n'avait tenu aucun compte des conséquences pénibles du congé et du comportement de l'intimée à son égard, la première procédure en évacuation étant qualifiée d'inique.

3.1
3.1.1
 Aux termes de l'article 272 al.1 CO, le locataire peut demander une prolongation de bail lorsque la fin du bail aurait pour lui ou sa famille des conséquences pénibles sans que les intérêts du bailleur le justifient. Pour trancher la question, le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence, en prenant en considération notamment les critères énumérés à l'al. 2 de cette disposition. Lorsqu'il s'agit de locaux commerciaux, la durée maximale de la prolongation est de six ans; dans cette limite, le juge peut accorder une ou deux prolongations (art. 272b al. 1 CO).

Les suites de la résiliation d'un contrat de bail et du changement de locaux ne constituent pas à elles seules des conséquences pénibles  au sens de l'art. 272 CO, car elles sont inhérentes à toutes les résiliations de bail et ne sont pas supprimées, mais seulement différées, en cas de prolongation de contrat; une telle prolongation fondée sur ce motif ne peut avoir de sens que si le report du congé permet d'espérer une atténuation des conséquences et laisse prévoir qu'un déménagement ultérieur présentera un inconvénient moindre pour le locataire (ATF 105 II 197 cons. 3a; ATF 102 II 254).

Dans la pesée des intérêts, la loi prévoit que le juge se fonde sur les circonstances de la conclusion du bail et le contenu du contrat, la durée du bail, la situation familiale et financière des parties ainsi que leur comportement, le besoin du bailleur ou de ses proches parents ou alliés et l'urgence de ce besoin, et la situation sur le marché local du logement et des locaux commerciaux (art. 272 al. 2 CO).

3.1.2 La prolongation du bail a normalement pour but de donner au locataire du temps pour trouver une solution de remplacement ou à tout le moins d'adoucir les conséquences pénibles résultant d'une extinction du contrat. La pesée des intérêts en présence imposée par l'art. 272 al. 2 CO implique que l'on ait égard aux intérêts des deux cocontractants. Pour ce qui est du bailleur, il ne faut pas tenir compte uniquement de son besoin propre et urgent d'utiliser les locaux (art. 272 al. 2
let. d CO), mais aussi de sa situation personnelle, familiale et financière (art. 272 al. 2 let. c CO). Le besoin urgent du bailleur n'est en effet qu'une circonstance dont le juge doit tenir compte dans la balance des intérêts. L'énumération de l'art. 272 al. 2 CO n'étant pas exhaustive, il est possible de prendre en considération tous les intérêts financiers du bailleur.  

Lorsqu'il doit se prononcer sur une prolongation de bail, le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du but de la prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4b) ou à tout le moins pour adoucir les conséquences pénibles résultant d'une extinction du contrat (ATF 116 II 446 consid. 3b). Il lui incombe de prendre en considération tous les éléments du cas particulier, tels que les circonstances de la conclusion du bail et le contenu du contrat, la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, le besoin du bailleur ou ses proches parents ou alliés, de même que la situation sur le marché locatif local (art. 272 al. 2 CO; ATF 136 III 190 consid. 6 125 III 226 consid. 4b). Il peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet, ainsi que du fait que le locataire n'a pas entrepris de démarches sérieuses pour trouver une solution de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4c). Si le locataire, à ses risques et périls, a procédé à des investissements, la perte de la possibilité de les amortir n'est pas constitutive de conséquences pénibles (arrêt du Tribunal fédéral 4A_159/2018 du 11 juillet 2018 consid. 3.1).

L'octroi d'une prolongation suppose que le locataire ait entrepris ce que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour remédier aux conséquences pénibles du congé, et cela même lorsqu'il sollicite une première prolongation de son bail, le juge se montrant toutefois moins rigoureux à ce stade qu'à celui de la seconde prolongation (ATF 116 II 448 consid. 1; ATF 110 II 254 consid. 4; ATF 102 II 254).

3.2 En l'espèce, l'appelante était informée dès la signature du bail que l'intimée avait pour projet de surélever l'immeuble. Le contrat a été initialement conclu pour une durée déterminée, avec une unique option de renouvellement d'une année.

A ce propos, il apparaît contrairement aux affirmations de l'appelante, que l'intimée est en possession d'une autorisation de construire définitive depuis le mois de mars 2021 (lettre j. de la partie en faits ci-dessus) et rien ne permet de douter qu'elle soit prête à débuter les travaux dès la restitution des locaux litigieux.

Quant à l'appelante, elle a refusé toutes les offres de l'intimée de locaux de remplacement, y compris ceux se situant dans le même immeuble, plus grands et avec un loyer moins élevé que le sien. Il convient en outre de relever que l'intimée a encore proposé à l'appelante d'aménager à ses frais les locaux de remplacement selon ses besoins.

Cette dernière a allégué rechercher les locaux de remplacement et en avoir visité une cinquantaine, sans toutefois en apporter la preuve.

Dans ces conditions, l'octroi d'une unique prolongation de bail d'une année et trois mois par les premiers juges ne prête pas le flanc à la critique et est proportionnée aux circonstances d'espèce.

Le fait que le bail initial de durée fixe ait été transformé en bail de durée indéterminée n'a aucune pertinence dans l'appréciation de la durée de la prolongation, dont les critères de fixation ont été rappelés ci-dessus.

Enfin, l'appelante ne saurait alléguer de manière convaincante les conséquences pénibles du congé, dont on rappelle que les suites de la résiliation d'un contrat de bail et du changement de locaux n'en sont pas et qui, de surcroît, ne sont nullement prouvées en l'espèce. Il en va de même des aléas de la première procédure, qui n'était pas téméraire et dans le cadre de laquelle la bonne foi de l'intimée n'a pas été remise en cause.

Le grief est ainsi infondé, par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

 

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 15 août 2022 par A______ contre le jugement JTBL/448/2022 rendu le 3 juin 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/7769/2021

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.