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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/15429/2022

ACJC/300/2023 du 06.03.2023 sur JTBL/822/2022 ( SP ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15429/2022 ACJC/300/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 6 MARS 2023

 

Entre

Monsieur A______, sise ______, appelant d'une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 1er novembre 2022, comparant par Me Fabrice COLUCCIA, avocat, quai Gustave-Ador 4, case postale 3082, 1211 Genève 3, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, intimée, comparant par Me Cédric LENOIR, avocat, rue des Battoirs 7, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance du 1er novembre 2022, expédiée pour notification aux parties le 2 novembre 2022, le Tribunal des baux et loyers, statuant sur mesures provisionnelles, a ordonné à A______ de retirer les loquets de la porte coulissante du garage des locaux sis chemin 1______ no.______ à C______ [GE], dans le lot n° 2______ sis au 1er étage du bâtiment A du site D______ (ch. 1), rejeté la requête pour le surplus (ch. 2), et rappelé que la procédure était gratuite (ch. 3).

B.            Par acte du 21 novembre 2022, A______ a formé appel contre le chiffre 1 du dispositif de la décision précitée. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que B______ SA soit déboutée des fins de sa requête de mesures provisionnelles, subsidiairement à ce que la cause soit retournée au Tribunal pour nouvelle décision.

Il a requis, à titre préalable, la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée, conclusion qui a été rejetée par décision de la Cour du 28 novembre 2022.

Il a produit des pièces nouvelles, à savoir un échange de courriels avec la Police du Feu, initié le 20 septembre 2022 et terminé le 17 novembre 2022. Au message de la Police du Feu du 16 novembre 2022 était annexé une décision de celle-ci daté du 21 octobre 2022 (adressé à la "Copropriété D______ A", avec copies notamment à B______ SA et à l'avocat de A______), lequel comporte le passage suivant : "En réponse à votre remarque relative à la localisation de divers points, vous trouverez sous ce pli le plan annoté par le soussigné lors de sa visite sur place du 30 août 2022. Nous précisons que les portes qui ne sont pas balisées en "issue de secours" peuvent être entravées à l'ouverture par un verrouillage intérieur (p. ex. : loquets, barres, etc.). De plus les portes sectionnelles des arcades voisines ne sont pas utilisées comme sortie de secours". Au message de la Police du Feu du 17 novembre 2002 était annexé ledit plan, lequel montre un "balisage locataire à déplacer" de la porte du garage devant la porte intérieure reliant le garage au bureau.

B______ SA a conclu à l'irrecevabilité de l'appel, subsidiairement à la confirmation de l'ordonnance attaquée.

A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Par avis du 6 janvier 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivant résultent de la procédure :

a. B______ SA est titulaire d'un droit de superficie immatriculé 3______ sur la parcelle 4______ de la commune de C______, et propriétaire du lot de copropriété par étage n° 2______ sis au 1er étage du bâtiment A du site D______ à C______.

b. A______ exploite une entreprise individuelle de carrosserie automobile, à l'enseigne E______, A______.

c. Aux termes d'un contrat de bail du 23 janvier 2017, A______ est devenu locataire d'environ 230 m2 de locaux du lot n° 2______ précité, destinés à l'exploitation d'une carrosserie et d'un atelier mécanique, moyennant paiement d'un loyer de 56'160 fr. par an.

Selon le plan annexé au bail, les locaux comportent notamment un bureau doté d'une porte donnant sur l'extérieur, ainsi qu'une porte intérieure conduisant à un couloir adjacent, auquel on peut accéder de l'extérieur par une porte de garage.

d. Par requête du 15 août 2022, déposée au Tribunal, B______ SA a conclu à titre superprovisionnel et provisionnel à ce qu'il soit ordonné à A______, ou, si le précité ne s'exécutait pas à être autorisée à y procéder en faisant appel à la force publique, de retirer la serrure posée sur la porte d'accès au bureau et les loquets de la porte coulissante du garage (sortie de secours) des locaux sis chemin 1______ no.______ à C______ dans le lot n° 2______ sis au 1er étage du bâtiment A du site D______, et de maintenir en permanence l'accès aux parties communes desdits locaux et de ne pas entraver la sortie de secours (porte coulissante du garage), sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP.

Elle a notamment allégué que la porte de garage était une issue de secours qui devait pouvoir s'ouvrir en tout temps de l'intérieur, sans clé ni quelconque obstacle.

Elle a produit, entres autres pièces, un plan d'autorisation de construire relatif aux locaux loués, qui montrent que le bureau est doté, outre d'une entrée extérieure et d'une porte intérieure conduisant au garage, d'un accès à la cage d'escalier portant la mention "S-secours"; cette mention n'apparaît pas en regard des autres issues.

Par décision du 16 août 2022, le Tribunal a rejeté les conclusions superprovisionnelles de la requête.

A______ a conclu à l'irrecevabilité de la requête, subsidiairement au rejet de celle-ci.

Le 26 septembre 2022, B______ SA a déposé notamment copie d'une décision de la Police du Feu. Celle-ci fait état d'un contrôle effectué le 30 août 2022 sur la parcelle 4______ feuille 5______, immeuble sis chemin 1______ no.______ à C______; il en résulte notamment qu'il était ordonné à B______ SA d'"équiper les portes du local, donnant sur l'extérieur et le hall de la cage d'escalier par [sic] un système de fermeture conforme à la norme SN EN 179" avant le 31 octobre 2022.

A l'audience du Tribunal du 3 octobre 2022, A______ a déclaré avoir retiré la serrure objet de la requête le 2 ou le 3 septembre précédents, les loquets (apposés en 2016 à la demande du Service du Feu selon lui) demeurant en place sur la porte du garage, qui n'était à son sens pas une sortie de secours et donc non visée par la décision du Service du Feu du 16 septembre 2022.

B______ SA a allégué avoir eu connaissance "récemment" de la pose des loquets et a persisté dans ses conclusions, soutenant qu'il s'agissait d'une sortie de secours visée par la décision susmentionnée.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions de première instance les mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (RETORNAZ in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363; SPÜHLER, Basler Kommentar, Schweizeriche Zivilprozessordnung, 3e éd., 2017, n. 9 ad art. 308 CPC).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel des locaux commerciaux, charges comprises, s'élève à plus de 56'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte, ce que l'intimée ne conteste pas.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC).

Contrairement à l'avis de l'intimée, il est suffisamment motivé, en tant qu'il remet en cause le raisonnement du Tribunal portant sur l'admission ou non des loquets sous l'angle de l'autorisation de la Police du Feu.

Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelant a produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (JEANDIN, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2e éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 Les éléments des pièces nouvelles établies postérieurement à la date à laquelle la cause a été retenue à juger par le Tribunal sont recevables, soit en particulier la copie de la décision du 21 octobre 2022 et le plan annexé.

3. L'appelant reproche au Tribunal de ne pas avoir retenu son allégué selon lequel la pose des loquets était autorisée par la Police du feu, et d'avoir ainsi fait droit aux conclusions de l'intimée sur ce point.

3.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable. Il s'agit là de conditions cumulatives (BOHNET, Commentaire romand CPC, 2019, n° 3 ad art. 261 CPC).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au CPC, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; BOHNET, op. cit., n° 3 ad art. 261 CPC).

Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Toute mesure provisionnelle implique qu'il y ait urgence. Cette notion d'urgence comporte des degrés et s'apprécie moins selon des critères objectifs qu'au regard des circonstances; ainsi, l'urgence apparaît comme une notion juridique indéterminée, dont le contenu ne peut être fixé une fois pour toutes. Il appartient au juge d'examiner de cas en cas si cette condition est réalisée, ce qui explique qu'il puisse se montrer plus ou moins exigeant suivant les circonstances sans s'exposer pour autant au grief d'arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 4P.224/1990 du 28 novembre 1990, in SJ 1991 p. 113, consid. 4c).

3.2 Les premiers juges ont retenu que l'intimée, bailleresse, avait rendu vraisemblable son droit d'effectuer des travaux destinés à prévenir des dommages, au vu de la non-conformité des dispositifs s'agissant de la prévention des incendies, l'urgence étant donnée compte tenu de la décision de la Police du Feu du 26 septembre 2022 fixant un délai pour la mise aux normes. Ils ont considéré que la porte coulissante du garage, dans la mesure où elle donnait sur l'extérieur, paraissait visée par la décision précitée.

Or, à la lumière du plan produit par l'intimée devant le Tribunal, la désignation du "local donnant sur l'extérieur et le hall de la cage d'escalier", figurant dans la décision du 16 septembre 2022, se rapportait au bureau, qui répond à ces caractéristiques, et non au garage, lequel est certes doté d'une entrée mais ne donne pas sur la cage d'escalier. Au demeurant, dans le plan cité ci-avant, la mention "S-secours" n'a été apposée que devant une issue du bureau et non du garage. La décision du 21 octobre 2022 et le plan annoté figurant en annexe, nouvellement produits en appel, ne font que corroborer ces constatations.

Ainsi, en procédant à une lecture attentive des pièces qui lui étaient soumises, le Tribunal aurait décelé que l'intimée n'avait rendu vraisemblable ni le droit prétendu ni l'urgence alléguée.

Dès lors, le chiffre 1 du dispositif de la décision attaquée sera annulé, et il sera statué à nouveau (art. 318 al. 1 let. b CPC), dans le sens que les conclusions de la requête de B______ SA portant sur le retrait des loquets de la porte coulissante du garage des locaux sis chemin 1______ no.______ à C______ dans le lot n° 2______ du bâtiment A du site D______ seront rejetées.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 21 novembre 2022 par A______ contre le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance JTBL/822/2022 rendue le 1er novembre 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15429/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 1 du dispositif de ce jugement. Cela fait :

Rejette les conclusions de la requête de B______ SA portant sur le retrait des loquets de la porte coulissante du garage des locaux sis chemin 1______ no.______ à C______ dans le lot n° 2______ du bâtiment A du site D______.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Grégoire CHAMBAZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.