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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/577/2025

ATAS/769/2025 du 02.10.2025 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/577/2025 ATAS/769/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 2 octobre 2025

Chambre 3

 

En la cause

A______

représentée par Me Tirile TUCHSCHMID MONNIER, avocate

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Par ordonnance du 4 novembre 2022, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de A______ (ci-après : l’intéressée), née le ______ 1941. Le TPAE a désigné Maître Tirile TUCHSCHMID MONNIER aux fonctions de curatrice, lui a confié les tâches de représenter l’intéressée dans ses rapports avec les tiers, en particulier en matière d'affaires administratives et juridiques, dans le cadre de la procédure pénale P/22610/2022 diligentée par le Ministère public (ci-après : MP), de gérer ses revenus et biens et d’administrer ses affaires courantes. Il a également autorisé la curatrice à prendre connaissance de la correspondance de l’intéressée, dans les limites du mandat.

b. La procédure pénale P/22610/2022 s’est conclue, le 7 juin 2024, par une ordonnance de classement du MP.

Aux termes de ladite ordonnance, il était reproché à B______ d’avoir, le 30 novembre 2020, dans le but de s’enrichir illégitimement, astucieusement induit en erreur l’intéressée, dans le but qu’elle signe un contrat de prêt de CHF 100'000.- en sa faveur, notamment en lui montrant des vidéos d’enfants pauvres au Brésil et en lui expliquant qu’il avait besoin d’argent pour construire un second immeuble qui leur serait destiné, puis de l’avoir davantage induite en erreur, afin qu’elle lui octroie deux autres crédits de CHF 50'000.- chacun, en ne remboursant que très partiellement le prêt déjà accordé, s’enrichissant ainsi illégitimement. Il lui était également reproché de l’avoir amenée chez un notaire à son insu afin qu’elle l’intègre dans son testament en qualité d’héritier, à une date indéterminée avant le 22 octobre 2021, ainsi que, postérieurement à cette date, tenté de l’isoler de ses amis, notamment en bloquant ses contacts dans son téléphone et en jumelant ce téléphone avec le sien afin de savoir avec qui elle était en contact. En outre, il lui était reproché d’avoir changé les plaques d’immatriculation du véhicule de l’intéressée sans son consentement, à une date indéterminée, de lui avoir rendu, le 15 août 2022, ses affaires personnelles en omettant de lui rendre une des clés de son appartement, ainsi que de lui avoir indiqué au téléphone, à une date indéterminée, « tu verras, ça va mal se passer quand je vais venir », l’effrayant de la sorte.

Au terme de son instruction, le MP a considéré que les faits allégués par l’intéressée n’avaient pu être établis à satisfaction de droit et qu’aucun soupçon ne justifiait une mise en accusation du prévenu. La question du prêt d’argent et de son remboursement relevait de la compétence de la filière civile.

B. a. Le 22 août 2024, l’intéressée a déposé auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) une demande de prestations complémentaires à l’AVS/AI par l’intermédiaire de sa curatrice.

Elle a indiqué disposer d’une rente AVS mensuelle de CHF 1'862.-, de trois comptes bancaires totalisant un montant de CHF 166'226.60, devoir s’acquitter de CHF 7'304.80 par mois pour son séjour en établissement médico-social (EMS) et de CHF 606.95 par mois pour son assurance maladie.

Elle a expliqué pour le surplus qu’elle devait subir une dialyse plusieurs fois par semaine, ce qui entraînait d’importantes dépenses médicales et des frais de transport.

Par ailleurs, elle a allégué avoir accordé, en 2020, un prêt à une personne qui avait abusé de sa gentillesse et contre laquelle elle avait déposé, le 9 septembre 2022, une plainte pénale, laquelle avait été classée le 7 juin 2024.

b. Dans le cadre de l’instruction de la demande, ont notamment été recueillis les avis de taxation de l’intéressée depuis l’année 2009, au nombre desquels ceux pour l’impôt cantonal et communal (ICC) 2016, 2021, 2022 et 2023, faisant état d’une fortune mobilière de CHF 246'165.-, CHF 404'046.-, CHF 298'004.- et, respectivement, CHF 166'527.-.

c. La requérante a également produit son certificat d’assurance maladie 2024 (572.55 CHF/mois), ses déclarations de biens immobiliers, ses avoirs bancaires, ses relevés bancaires de juillet 2024 pour ses trois comptes auprès de la Banque Cantonale de Genève (BCGe), ainsi que son jugement de divorce du 15 décembre 1993.

d. Par décision du 28 novembre 2024, le SPC a nié à la requérante le droit aux prestations complémentaires cantonales au motif que, puisqu’elle ne résidait à Genève de manière ininterrompue que depuis le 1er février 2021, le droit aux dites prestations ne pourrait s’ouvrir avant le 1er février 2026.

Le droit aux prestations complémentaires fédérales lui a également été nié, au motif que sa fortune nette était supérieure aux seuils prévus. En effet, le total de la fortune mobilière s’élevait à CHF 89'883.30, auxquels s’ajoutaient des biens dessaisis à hauteur de CHF 152'500.- (montant correspondant à l’argent donné à B______ en 2020, 2021 et 2022 – moins les remboursements partiels), ce qui portait le montant de la fortune mobilière à CHF 242'383.30.

e. Le 19 décembre 2024, la requérante, agissant par l’intermédiaire de sa curatrice, s’est opposée à cette décision.

Elle reprochait au SPC d’avoir retenu à tort un dessaisissement, car elle avait prêté l’argent de bonne foi, en s’attendant à recevoir une contre-prestation adéquate. Elle avait accepté de signer un contrat de prêt à B______, qui s’était engagé à la rembourser. Elle s’était rendu compte, en septembre 2022, qu’il avait abusé de sa situation et de l’amitié qu’elle avait pour lui, car il n’avait plus remboursé les échéances. Elle avait ensuite rencontré des problèmes de santé très importants et avait été hospitalisée de nombreux mois avant d’entrer en EMS. B______ avait encore fait des retraits sur ses comptes bancaires. Elle avait en vain tenté par tous les moyens légaux de récupérer la somme prêtée et celles retirées de son compte.

À l’appui de sa position, la requérante a notamment joint :

-          un contrat de prêt daté du 30 novembre 2020 entre elle-même et B______, aux termes duquel elle lui prêtait la somme de CHF 100'000.-, majorée d’un intérêt annuel de 5%, pour une durée de cinq ans, et qui devait être remboursée dès le 1er janvier 2021, par tranches mensuelles de CHF 1'900.- ;

-          deux avis de débits bancaires des 10 juin 2021 et 20 juillet 2022, de CHF 50'000.- chacun, en faveur de B______ ;

-          un certificat médical du 7 septembre 2022 du docteur C______, chef de clinique au département de réadaptation et gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), dans lequel le médecin émet l’avis qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures de protection pour sa patiente, âgée de 80 ans, hospitalisée depuis le 31 mai 2022 dans un contexte de prise en charge après de multiples interventions chirurgicales ayant en outre nécessité un passage en soins intensifs, depuis novembre 2021 ; sa patiente avait indiqué connaître B______ depuis quatre ans et celui-ci s’était présenté comme seul proche ; la patiente avait un tea-room et cet homme l’avait aidée lors de la vente de ce commerce ; avant son hospitalisation, la patiente vivait « seule à domicile avec aide de sa [recte : son] proche sans aide extérieure avec quelconque organisme pour ses activités de vie quotidienne » ; pendant l'hospitalisation de l'intéressée, qui présentait des chutes à répétition, le personnel médical avait constaté une perte d'autonomie avec un besoin d'aide pour les actes de la vie quotidienne ; la réalisation d'un bilan neuropsychologique était envisagée, afin de déceler d'éventuels troubles cognitifs, mais un « Mini Mental State » avait été réalisé avec un score de 23/30 ; l’intéressée était capable de désigner un mandataire et d'en contrôler l'activité et conservait la capacité de comprendre des situations d'ordre médical et de se déterminer, mais pas d'assumer en personne la gestion de ses affaires administratives et financières ;

-          un commandement de payer du 7 octobre 2024 à l’encontre de B______, pour les sommes de CHF 90'500.- (contrat de prêt du 30 novembre 2020 de CHF 100'000.- dont à déduire CHF 9'500.- remboursés entre le 4 janvier et le 12 mai 2021), CHF 42'300.- (contrat de prêt du 10 juin 2021, de CHF 50'000.-, dont à déduire un remboursement de CHF 7'700.-) et CHF 50'000.- (prêt du 20 juillet 2022).

f. Par décision du 29 janvier 2025, le SPC a rejeté l’opposition.

Le SPC a estimé que les versements opérés en faveur de B______ devaient être considérés comme des donations, au vu des déclarations de ce dernier et de la requérante dans le cadre de la procédure pénale et des constats du MP, selon lequel les divers éléments du dossier soutenaient la version des donations. Rien ne permettait de considérer que la requérante était incapable de discernement au moment des faits, le certificat médical du 7 septembre 2022, postérieur aux faits, précisant qu’aucun bilan neuropsychologique n’avait été effectué, et la bénéficiaire ayant été jugée apte à être entendue le 24 août 2023 par le MP. Cette juridiction avait jugé que l’intéressée n’avait pas été victime d’actes malintentionnés en lien avec les versements effectués en faveur de B______.

 

Dans ces conditions, le montant à prendre en compte à titre de biens dessaisis s’élevait à CHF 170'000.- au 31 juillet 2024, après amortissement, de sorte que la fortune totale – effective et hypothétique – était supérieure à CHF 100'000.- à cette date :

fortune au 31.07.2024

 

fortune mobilière (effective)

CHF 89'836.30

fortune hypothétique (dessaisissements)

CHF 200'000.--

remboursement de Richard Ackermann

CHF 17'000.--

amortissement à déduire

CHF 30'000.--

total

CHF 242'636.30

C. a. Par acte du 20 février 2025, la requérante, représentée par sa curatrice, a interjeté recours auprès de la Cour de céans.

La recourante argue qu’elle n’était de toute évidence en mesure ni de valider, ni de comprendre ou de procéder aux deux virements de CHF 50'000.-, compte tenu de la précarité de son état de santé au moment où sont intervenus les 2ème et 3ème versements (comprenant des frais importants de traitements et de séjours hospitaliers).

Elle allègue avoir agi de manière réfléchie et méthodique lorsque son état de santé le lui a permis, ainsi que le contrat de prêt du 30 novembre 2020 tend à le démontrer. Elle en tire la conclusion que, si elle avait voulu procéder à un prêt supplémentaire en 2021, elle aurait opté pour la même forme, d’autant que B______ lui remboursait à cette époque les mensualités convenues pour le premier prêt.

S’agissant du 3ème versement, elle ne pouvait raisonnablement souhaiter, ni une donation – compte tenu de sa faible fortune à ce moment-là –, ni un nouveau prêt – les mensualités du premier n’étaient plus remboursées et elle-même était hospitalisée.

En tout état de cause, elle n’a jamais souhaité renoncer à une partie de sa fortune, ainsi que le démontre le fait que le prêt qu’elle a consenti le 1er décembre 2020 devait être remboursé dans un délai maximum de cinq ans.

Par ailleurs, la recourante souligne le contexte et, en particulier, le fait que B______ avait repris la gestion de ses comptes bancaires et de ses affaires courantes, alors que sa situation continuait à se dégrader. Il pouvait ainsi librement procéder à des virements bancaires, ce qu’il avait fait. Il avait ensuite indiqué aux HUG, le 15 août 2022, qu’il ne souhaitait plus être contacté à son sujet et ce, alors même qu’il prétendait avoir tout juste reçu de sa part plusieurs dizaines de milliers de francs et qu’il s’était présenté aux HUG comme son ami le plus proche. Ses réelles motivations étaient à l’évidence floues et douteuses. Il y avait eu de sa part abus de la gentillesse d’une vieille dame qui n’était pas en mesure de comprendre la portée de ses actes.

La recourante réaffirme qu’elle n’avait pas la volonté de se défaire d’une quelconque somme d’argent. Le premier prélèvement de CHF 50'000.- a été effectué alors que B______ gérait ses comptes bancaires. Elle fait remarquer qu’il aurait été tout à fait improbable, vu la somme de CHF 100'000.- déjà prêtée, le montant de sa fortune et les frais médicaux importants qui s’annonçaient, qu’elle accepte de son plein gré un nouveau virement. Il apparaît bien au contraire qu’elle a été trompée par un ami en qui elle avait toute confiance, qui a abusé de son âge et de son état de santé précaire. Il en va de même du second prélèvement de CHF 50'000.- opéré durant son hospitalisation et alors que B______ avait cessé le remboursement du prêt accordé en 2020.

Subsidiairement, si la Cour devait admettre qu’elle a consenti aux deux derniers versements, la recourante demande qu’il soit à tout le moins retenu qu’elle n’était pas consciente des risques auxquels elle s’exposait en procédant à de tels virements et qu’elle n’a jamais eu l’intention claire et librement établie de céder une partie de sa fortune, étant rappelé que la capacité de discernement s’apprécie indépendamment pour chaque acte et non de manière globale. Les deux derniers virements devraient a minima être considérés comme des actes déraisonnables, tant quant à leur montant qu’à la personne destinataire, ce qui devrait être considéré – en application de la jurisprudence du Tribunal fédéral – comme un indice de son incapacité de discernement.

Il en découle que ni le prêt de CHF 100'000.- – qui était lié à une contre-prestation adéquate, compte tenu du fait qu’il devait être intégralement remboursé et ce, dans un délai raisonnable –, ni les deux transferts de CHF 50'000.- ne correspondent donc à une renonciation volontaire à une partie de sa fortune, de sorte qu’il n’y a pas eu dessaisissement.

S’agissant de l’ordonnance de classement du MP, la recourante fait valoir qu’elle ne lie pas la Cour de céans. Tout au plus, permet-elle de retenir que les soupçons à l’égard de B______ n’ont pu être suffisamment prouvés, étant rappelé que le MP a expressément autorisé la recourante à agir par la voie civile et que le TPAE a donné son accord au recours contre la décision du SPC.

À l’appui de sa position, la recourante produit, notamment un courriel daté du 31 août 2022 de D______, assistante sociale au Service de médecine interne. Il en ressort que, lors d'un entretien téléphonique s'étant déroulé le jour-même avec un collaborateur de la BCGe, la recourante avait appris qu'un montant de CHF 50'000.- avait été débité de son compte au profit de B______, étant précisé que, si ce dernier ne disposait pas d'une procuration sur le compte concerné, il était par contre en mesure d'y accéder via le e-banking.

La recourante produit également une attestation du docteur E______, datée du 8 décembre 2022. Le médecin y atteste que sa patiente se trouve dans l’incapacité de gérer ses affaires administratives et pécuniaires et qu’elle démontre par des dépenses inconsidérées, observées au niveau de l’EMS et un manque de discernement face à la réalité de ses besoins budgétaires, cet état de fait étant, en soi, un risque majeur pour son équilibre financier.

b. Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 19 mars 2025, a conclu au rejet du recours.

c. La recourante n’a pas souhaité répliquer dans le délai qui lui a été imparti.

d. Par courrier du 8 juillet 2025, la recourante a communiqué à la Cour de céans, à la demande de celle-ci, l’intégralité de l’ordonnance du TPAE du 4 novembre 2022 (DTAE/8539/2022).

Il en ressort que le TPAE a fondé sa décision sur l’état de faiblesse de la recourante. Il a relevé notamment qu’il ressortait des éléments recueillis que la personne concernée, en raison de son état de santé, avait perdu son autonomie et n'était plus capable d'assurer seule la gestion de ses affaires administratives et financières et présentait ainsi, à tout le moins, un état de faiblesse affectant sa condition personnelle. Nonobstant l'avis médical figurant au dossier, l'instruction de la cause et les actes préjudiciables aux intérêts de la recourante vraisemblablement commis par B______ avaient démontré que, si l'intéressée était potentiellement en mesure de désigner un mandataire, elle n'était pas capable d'en surveiller les agissements.

e. Le 4 août 2025, la recourante a également fait parvenir à la Cour de céans l’ordonnance du TPAE du 24 janvier 2023 (DTAE/548/2023), rendue sur mesures superprovisionnelles.

À terme de celle-ci, la recourante a été privée de l’accès à ses comptes bancaires.

Cette décision a été motivée par le constat que la recourante avait effectué plusieurs achats en ligne – dont un téléphone qu'elle n'avait pas lors de son entretien avec sa curatrice – et que le personnel de la Résidence de la Champagne avait avisé la curatrice que plusieurs personnes gravitaient autour de sa protégée, laquelle conservait ses cartes bancaires par-devers elle et quittait souvent la résidence en compagnie de personnes étrangères à la structure. Il importait donc de s'assurer sans délai que la recourante ne mette plus ses intérêts financiers en péril, en particulier en faveur de tiers, étant rappelé que d'importantes sommes d'argent avaient déjà disparu de son compte ces dernières années.

Cette décision a été confirmée sur le fond le 24 mars 2023 (DTAE/2674/2023), puis dans l’ordonnance de reprise de mandat par l’Office de protection de l’adulte le 15 janvier 2025 (DTAE/262/2025), également produites.

f. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30).

Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales, à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC).

En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

Le 1er janvier 2021, est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

1.3 Dans le cadre de la réforme de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, de nombreuses dispositions ont été modifiées (FF 2016 7249 ; RO 2020 585).

Dans la mesure où le recours porte sur le droit aux prestations complémentaires pour une période postérieure au 1er janvier 2021, le litige est soumis au nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur dès le 1er janvier 2021.

1.4 Le recours est recevable, quant à la forme et au délai (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA ; art. 9 de la loi cantonale sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 14 octobre 1965 [LPFC - J 4 20] ; art. 43 LPCC).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé du refus d'octroi de prestations complémentaires à la recourante, au motif que sa fortune, compte tenu d’un dessaisissement, dépasserait le seuil de CHF 100'000.-.

3.              

3.1 Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC, ainsi que les conditions relatives à la fortune nette prévues à l’art. 9a LPC, ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires, notamment, les personnes qui bénéficient d’une rente de vieillesse de l'assurance‑vieillesse et survivants, conformément à l'art. 4 al. 1 let. a LPC.

Ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes dont le revenu annuel déterminant n’atteint pas le revenu minimum cantonal d’aide sociale applicable (art. 4 LPCC).

Aux termes de l’art. 9a al. 1 let. a LPC ont droit à des prestations complémentaires les personnes seules dont la fortune nette est inférieure à CHF 100'000.-. L’al. 3 précise que les parts de fortune visées à l’art. 11a al. 2 à 4 LPC font partie de la fortune nette au sens de l’al. 1. Ainsi, font partie de la fortune nette les parts de fortune auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate (art.11a al. 2 et art. 9a al. 3 LPC).

3.2 Selon l’art. 17b let. a OPC‑ AVS/AI, il y a dessaisissement de fortune, notamment, lorsqu’une personne aliène des parts de fortune sans obligation légale et que la contre-prestation n’atteint pas au moins 90% de la valeur de la prestation.

En cas d’aliénation de parts de fortune, le montant du dessaisissement correspond à la différence entre la valeur de la prestation et la valeur de la contre-prestation (art. 17c OPC-AVS/AI). Pour vérifier s'il y a contre-prestation équivalente et pour fixer la valeur d'un éventuel dessaisissement, il faut donc comparer la prestation et la contre-prestation à leurs valeurs respectives au moment de ce dessaisissement (ATF 120 V 182 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_67/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1). Il y a également dessaisissement lorsque le bénéficiaire a droit à certains éléments de revenu ou de fortune, mais n'en fait pas usage ou s'abstient de faire valoir ses prétentions (ATF 123 V 35 consid. 1).

Il y a lieu de prendre en compte dans le revenu déterminant tout dessaisissement sans limite de temps (Pierre FERRARI, Dessaisissement volontaire et prestations complémentaires à l'AVS/AI in RSAS 2002, p. 420).

Pour qu'un dessaisissement de fortune puisse être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires, la jurisprudence soumet cet acte à la condition qu'il ait été fait « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente ». Les deux conditions précitées ne sont pas cumulatives, mais alternatives (ATF 131 V 329 consid. 4.4).

Le moment déterminant pour établir la valeur des parts de fortune dessaisies et de la contre-prestation éventuelle est celui du dessaisissement (office fédéral des assurances sociales, Directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI [ci-après : DPC], état au 1er janvier 2022, ch. 3532.04 ; ATF 120 V 182 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_67/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1).

L'art. 11a al. 2 LPC contient une définition claire de la notion de dessaisissement qui faisait défaut dans le cadre de l'art. 11 al. 1 let. g aLPC, sans qu'il ne modifie toutefois la pratique en matière de renonciation à des ressources ou de dessaisissement de fortune. En particulier, une contre-prestation est considérée comme adéquate si elle atteint au moins 90% de la valeur de la prestation. Pour les biens de consommation ou les services, la contre-prestation obtenue est considérée comme adéquate si la preuve d’achat est apportée par la personne demandant les prestations complémentaires. Les jeux de hasard, les jeux de loterie et les jeux de casino n’offrent au contraire aucune contre-prestation adéquate et la fortune perdue de cette manière constitue un dessaisissement de fortune au même titre qu’une donation. Il en va de même lorsque la fortune a fait l’objet d’un investissement imprudent qu’une personne raisonnable n’aurait, au vu des circonstances, pas effectué (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC] du 16 septembre 2016, FF 2016 7249 pp. 7322 et 7323).

Lorsque la fortune diminue de façon substantielle sans que le bénéficiaire des prestations complémentaires puisse prouver l’utilisation qu’il en a faite, on suppose aussi, en principe, qu’il y a dessaisissement (DPC, ch. 3532.09).

3.3 Seules sont considérées comme involontaires les pertes de fortune qui ne sont pas imputables à une action intentionnelle ou à une négligence grave de l’intéressé, par exemple des pertes imprévisibles sur les marchés boursiers ou imputables à des défauts de paiement de prêts. Le bénéficiaire de PC doit apporter la preuve de ces pertes (DPC, ch. 3533.25).

Ainsi, d'après la jurisprudence, à la différence de donations ou de jeux d'argent, le fait de placer son patrimoine ne saurait en soi être assimilé à un dessaisissement, puisque tout investissement comprend le risque intrinsèque de perte totale ou partielle de la somme investie. Le critère de distinction essentiel réside dans le degré de vraisemblance qu'une telle issue se produise. En principe, un dessaisissement ne doit être reconnu que dans la situation où l'investissement a été effectué de façon délibérée ou, à tout le moins, de manière imprudente, alors que la vraisemblance que celui-ci se solde par une perte (importante) apparaissait dès le départ si prévisible qu'un homme raisonnable n'aurait pas effectué, dans la même situation et les mêmes circonstances, un tel investissement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_180/2010 du 15 juin 2010 consid. 5). C'est donc plus l'importance du risque pris par l'investisseur au moment d'effectuer son placement que la circonstance qu'il ait été fait sans obligation juridique ou sans contre-prestation qui détermine si un placement doit être ou non assimilé à un dessaisissement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_507/2011 du 1er décembre 2011 consid. 5.2).

À l'égal d'un placement, l'octroi d'un prêt ne saurait être assimilé à un dessaisissement, dès lors qu'il fonde un droit au remboursement. Il faut cependant réserver l'hypothèse où, au regard des circonstances concrètes du cas d'espèce, il apparaît dès le départ que ce prêt (ou ce placement) ne sera pas remboursé (arrêts du Tribunal fédéral 9C_28/2018 du 21 décembre 2018 consid. 3.1 ; 9C_333/2016 du 3 novembre 2016, consid. 4.3.3 ; 9C_507/2011 du 1er décembre 2011 consid. 5.2 ; 9C_186/2011 du 14 avril 2011 consid. 3.2 ; 9C_180/2010 du 15 juin 2010 consid. 5.2 et les jurisprudences citées ; ATAS/679/2019).

3.4 Selon l’art. 17e OPC-AVS/AI, le montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement au sens de l’art. 11a al. 2 et 3 LPC et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire est réduit chaque année de CHF 10'000.-. Le montant de la fortune au moment du dessaisissement doit être reporté tel quel au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement pour être ensuite réduit chaque année (art. 17a al. 2 OPC-AVS/AI). Est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (art. 17a al. 3 OPC‑AVS/AI).

Conformément à l'art. 17e LPC, il faut qu'une année civile entière au moins se soit écoulée entre le moment où l'intéressé a renoncé à des parts de fortune et le premier amortissement de fortune (Ralph JÖHL, Die Ergänzungsleistung und ihre Berechnung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, p. 1816 n. 247).

3.5 Selon la jurisprudence, une diminution du patrimoine due à des actes punissables, comme une escroquerie, ne peut pas être qualifiée de dessaisissement de fortune, étant donné que le propre d'une telle diminution du patrimoine est précisément que la victime de l'acte punissable n'est pas consciente de l'ampleur du risque de l'investissement réalisé ou qu'elle est trompée astucieusement à ce sujet (arrêts du Tribunal fédéral 9C_493/2022 du 28 septembre 2023 consid. 5 ; 9C_180/2010 du 15 juin 2010 consid. 5.2 ; 8C_567/2007 du 2 juillet 2008 consid. 6.5).

En vertu de l'art. 146 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP – RS 311.0), celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers sera puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

La tromperie consiste à faire naître chez la dupe une vision faussée de la réalité en recourant à des affirmations écrites, orales, par gestes ou par actes concluants (ATF 133 IV 256 consid. 4.4.3 ; 128 IV 18 consid. 3a ; 128 IV 255 consid. 2b/aa non publié et les références indiquées).

L'astuce au sens de l'art. 146 CP est réalisée, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 133 IV 256 consid. 4.4.3; 128 IV 18 consid. 3a). Tel est notamment le cas si l’auteur exploite un rapport de confiance préexistant qui dissuade la dupe de vérifier ou encore si la dupe, en raison de sa situation personnelle (faiblesse d’esprit, inexpérience, grand âge ou handicap mental ou physique, état de dépendance, de subordination ou de détresse, vulnérabilité, altruisme, notamment en raison de croyances religieuses, etc.) n’est pas en mesure ou renonce à procéder à une vérification et que l’auteur exploite cette situation (Andrew GARBARSKI/Benjamin BORSODI in Commentaire romand, Code pénal II, art. 111-392 CP, 2017, n. 39 ad art. 146 et les références citées).

L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que si elle n'a pas procédé aux vérifications élémentaires que l'on pouvait attendre d'elle au vu des circonstances. Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 135 IV 76 consid. 5.2).

Le juge des assurances sociales n'est lié par les constatations et l'appréciation du juge pénal ni en ce qui concerne la désignation des prescriptions enfreintes, ni quant à l'évaluation de la faute commise. En revanche, il ne s'écarte des constatations de fait du juge pénal que si les faits établis au cours de l'instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s'ils se fondent sur des considérations spécifiques du droit pénal, qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 125 V 237 consid. 6a et les références; arrêt du Tribunal fédéral 9C_498/2012 du 7 mars 2013 consid. 4.3).

3.6 Le dessaisissement suppose que l’assuré ait la capacité de discernement s’agissant de la diminution de sa fortune (arrêt du Tribunal fédéral 9C_934/2009 du 28 avril 2010 consid. 5.1).

Selon l’art. 16 CC, toute personne qui n'est pas privée de la faculté d'agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d'ivresse ou d'autres causes semblables est capable de discernement au sens de la loi. Cette disposition comporte deux éléments, un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté (ATF 134 II 235 consid. 4.3.2).

La capacité de discernement est relative : elle ne doit pas être appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (arrêt du Tribunal fédéral 9C_209/2012 du 26 juin 2012 consid. 3.2). Une personne n'est privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d'agir raisonnablement est altérée, en partie du moins, par l'une des causes énumérées à l'art. 16 CC, dont la maladie mentale, la faiblesse d'esprit ou une autre altération de la pensée semblable, à savoir des états anormaux suffisamment graves pour avoir effectivement altéré la faculté d'agir raisonnablement dans le cas particulier et le secteur d'activité considérés.

Par maladie mentale, il faut entendre des troubles psychiques durables et caractérisés qui ont sur le comportement extérieur de la personne atteinte des conséquences évidentes, qualitativement et profondément déconcertantes pour un profane averti (arrêt du Tribunal fédéral 4A_194/2009 du 16 juillet 2009 consid. 5.1.1).

La faiblesse d'esprit décrirait un développement insuffisant de l'intelligence et de la force de jugement, dont résulteraient un manque de compréhension important – en particulier par rapport à de nouvelles tâches et des situations de vie inhabituelles – ainsi qu'une propension élevée à être influencé (Franz WERRO/ Irène SCHMIDLIN in Commentaire romand, Code civil I, 2010, n. 39 ad art. 16).

La capacité de discernement est la règle ; elle est présumée d'après l'expérience générale de la vie. Partant, il incombe à celui qui prétend qu'elle fait défaut de le prouver.

Cette présomption n’existe toutefois que s’il n’y a pas de raison générale de mettre en doute la capacité de discernement de la personne concernée, ce qui est le cas des adultes qui ne sont pas atteints de maladie mentale ou de faiblesse d’esprit. Pour ces derniers, la présomption est inversée et va dans le sens d’une incapacité de discernement (ATF 134 II 235 consid. 4.3.3 p. 240). Toute atteinte à la santé mentale ne permet pas de présumer l’incapacité de discernement. Il faut que cette atteinte crée une dégradation durable et importante des facultés de l’esprit (arrêt du Tribunal fédéral 5A_859/2014 du 17 mars 2015 consid. 4.1.2 et la référence). Ainsi, en présence d’un diagnostic de « démence sénile » posé par plusieurs médecins, il y a lieu, selon l’expérience générale de la vie, de présumer l’incapacité de discernement.

En d’autres termes, la présomption d'incapacité de discernement concerne, selon la jurisprudence, les cas dans lesquels la personne en cause se trouve, au moment d'agir, diminuée psychiquement de manière durable en raison de l'âge ou de la maladie, comme cela est notoirement le cas en présence de démences séniles (syndrome psycho-organique avec pour cause une artériosclérose sénile, trouble délirant persistant ou démence sénile de type Alzheimer, p. ex.; cf. arrêt 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.3.1 et les arrêts cités; arrêt 5A_926/2021 du 19 mai 2021 consid. 3.1.1.1).

L'incapacité de discernement n'est, en revanche, pas présumée et doit, partant, être prouvée, par exemple chez une personne d'un âge avancé qui n'est que faible, atteinte dans sa santé et confuse par moment, chez une personne qui ne souffre que d'absences sporadiques ensuite d'une apoplexie ou encore qui ne souffre que de trous de mémoire liés à l'âge (arrêt 5A_951/2016 cité consid. 3.1.3.1 et les références). Un simple doute sur l'état mental ne suffit pas à renverser la présomption de capacité de discernement (arrêt 6B_869/2010 précité consid. 4.5). 

Une très grande vraisemblance excluant tout doute sérieux suffit, en particulier quand il s'agit d'une personne décédée, car la situation rend alors impossible une preuve absolue (ATF 117 II 231 consid. 2b). Lorsqu'une personne est atteinte de faiblesse d'esprit, en particulier due à l'âge, ou de maladie mentale, l'expérience générale de la vie amène à présumer le contraire, à savoir l'absence de discernement (arrêt du Tribunal fédéral des assurances 5A_384/2012 du 13 septembre 2012 consid. 6.1.2).

3.7 Dans un arrêt ATAS/818/2022 du 19 septembre 2022, la Cour de céans a eu à connaître du cas d’une personne, placée sous curatelle de représentation et de gestion, qui avait prêté la somme totale de CHF 585'000.-, soit la quasi-totalité de sa fortune, à une autre, domiciliée en Espagne, sans aucune forme de garantie. Le SPC avait rejeté sa demande de prestations au motif que l’intéressée n’avait démontré, ni qu’elle avait été victime de tromperie lors de l'octroi des prêts successifs, ni que la créance était irrécupérable et que ladite créance devait être considérée comme un dessaisissement de fortune. Contrairement à la Cour de céans – qui avait rejeté le recours interjeté par l’intéressée –, le Tribunal fédéral, saisi à son tour, l’a partiellement admis (arrêt 9C_493/2022 du 28 septembre 2023). Il a considéré que la question de savoir si la diminution de patrimoine avait été provoquée par un acte punissable méritait d’être investiguée de manière plus approfondie. 

Dans cet arrêt, le TF a relevé que le médecin traitant avait indiqué n’avoir pas observé, lors des consultations durant la période des prêts, une incapacité de sa patiente à gérer ses propres affaires. Dans ces conditions, il fallait admettre que le médecin traitant n’avait mis en évidence aucun élément objectif permettant de remettre en cause la capacité de discernement de l’intéressée durant la période déterminante du dessaisissement de fortune ; il ne suffisait pas que le médecin se dise incapable de se prononcer sur la capacité de sa patiente à gérer ses affaires. Ce n’est que par la suite que la patiente avait été signalée au TPAE et qu’une curatelle avait été instituée.

Les affirmations de proches selon lesquelles, l’intéressée, si elle avait été en pleine santé, n'aurait jamais octroyé de prêts si importants, ne suffisaient pas non plus à admettre, au moment des prêts, un état durable d'altération mentale lié à l'âge ou à la maladie, les considérations de proches quant à l'ampleur et au caractère peu raisonnable des prêts accordés ne pouvant l'emporter sur les constatations médicales figurant au dossier, qui, elles, ne faisaient mention ni d'un état durable d'altération mentale, ni d'une incapacité de discernement pour la période topique (arrêt 9C_493/2023 op. cit. consid. 4.4).

De même, la simple affirmation selon laquelle « la remise des fonds en elle-même serait déjà un signe évident d'incapacité de discernement » ne suffisait pas, dès lors qu’une personne pouvait agir de manière déraisonnable sans être dépourvue de la capacité de discernement. À cet égard, le TF a rappelé qu’une personne n'est en effet privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d'agir raisonnablement est altérée, en partie du moins, par l'une des causes énumérées à l'art. 16 CC (ATF 117 II 231 consid. 2a; cf. aussi arrêt 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2.2). Or une telle cause ne pouvait être établie à l'époque déterminante des prêts, au vu des indications médicales au dossier (arrêt 9C_493/2023 op. cit. consid. 4.5). Si un acte déraisonnable peut, dans certaines circonstances, constituer un indice d'un défaut de discernement (arrêt 5A_910/2021 du 8 mars 2023 consid. 6.2.3 et les arrêts cités), cet indice était insuffisant à lui seul.

4.             Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n'existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).

5.             Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). En particulier, dans le régime des prestations complémentaires, l'assuré qui n'est pas en mesure de prouver que ses dépenses ont été effectuées moyennant contre-prestation adéquate ne peut se prévaloir d'une diminution correspondante de sa fortune, mais doit accepter que l'on s'enquière des motifs de cette diminution et, en l'absence de la preuve requise, que l'on tienne compte d'une fortune hypothétique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 65/04 du 29 août 2005 consid. 5.3.2 ; VSI 1994 p. 227 consid. 4b). Mais avant de statuer en l'état du dossier, l'administration devra avertir la partie défaillante des conséquences de son attitude et lui impartir un délai raisonnable pour la modifier ; de même devra-t-elle compléter elle-même l'instruction de la cause s'il lui est possible d'élucider les faits sans complications spéciales, malgré l'absence de collaboration d'une partie (ATF 117 V 261 consid. 3b ; ATF 108 V 229 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 59/02 du 28 août 2003 consid. 3.3 et les références).

6.             En l’espèce, la recourante ne conteste pas avoir renoncé à des parts de fortune sans obligation légale, mais soutient qu’une contre-prestation adéquate était prévue – à tout le moins pour une partie. Subsidiairement, elle soutient qu’elle ne disposait pas de la capacité de discernement nécessaire au moment où sa fortune a diminué.

6.1 La Cour de céans relève que les seuls éléments médicaux au dossier, à savoir le certificat médical du Dr C______ du 7 septembre 2022 et l’attestation du Dr E______ du 8 décembre 2022, ont été établis après les prétendus dessaisissements, intervenus entre 2020 et 2022.

Par ailleurs, la procédure par-devant le TPAE a commencé après le signalement, du 16 août 2022, du Service de médecine interne de Beau-Séjour, sous la plume de F______, assistant social, complétée par courriel du 31 août 2022 de D______, assistante sociale au sein du Service de médecine interne. À teneur de celui-ci, lors d'un entretien téléphonique s'étant déroulé le jour même avec un collaborateur de la BCGe, la recourante avait appris qu'un montant de CHF 50'000.- avait été débité de son compte au profit de B______, étant précisé que si ce dernier ne disposait pas d'une procuration sur le compte concerné, il était par contre en mesure d'y accéder via le e-banking.

Dans ces conditions, force est de constater que les éléments médicaux attestant d’une perte de capacité de discernement au moment des faits font défaut.

Il n’en demeure pas moins que la mise sous curatelle est motivée quasi exclusivement par les deux derniers dessaisissements de fortune – opérés, selon toute vraisemblance, sans la volonté de l’intéressée – en faveur de B______. Le TPAE a considéré qu’il ressortait de l’instruction que l’intéressée, en raison de son état de santé, avait perdu son autonomie et n’était plus capable d'assurer seule la gestion de ses affaires administratives et financières et qu’elle présentait ainsi, à tout le moins, un état de faiblesse affectant sa condition personnelle.

Qui plus est, le TPAE a relevé que, nonobstant l'avis médical figurant au dossier, l'instruction de la cause et les actes préjudiciables à ses intérêts vraisemblablement commis par B______ avaient démontré que, si l'intéressée était potentiellement en mesure de désigner un mandataire, elle n'est pas capable d'en surveiller l'activité.

Enfin, par ordonnance du 24 janvier 2023, soit moins de trois mois après le prononcé de la curatelle, le TPAE a privé l’intéressée – sur mesures superprovisionnelles, puis sur le fond – de l’accès à ses comptes bancaires, au motif qu’il importait de s'assurer sans délai qu’elle ne mette plus ses intérêts financiers en péril, en particulier en faveur de tiers – qui gravitaient autour d’elle – étant rappelé que d'importantes sommes d'argent avaient déjà disparu de son compte ces dernières années.

Il ressort de ce qui précède qu’à l’instar du TPAE, il faut considérer qu’en 2022, la recourante n’avait pas – physiquement, par la force des choses, compte tenu de son hospitalisation, et psychiquement – les moyens de surveiller les agissements de la personne qu’elle avait mandatée pour gérer ses affaires administratives et à qui elle avait donné l’accès à son e-banking. Les éléments versés au dossier démontrent que les deux derniers prélèvements ont été opérés hors la volonté de la recourante, à son insu, puisqu’elle les a découverts a posteriori.

Eu égard aux circonstances et dans ces conditions, on ne saurait considérer les prélèvements de CHF 50'000.- comme des dessaisissements, que ce soit volontairement ou par négligence.

6.2 Reste la question du prêt de CHF 100'000.- initialement accordé.

Conformément à la jurisprudence rappelée supra, il ne suffit pas d’affirmer que la recourante, en prêtant une part substantielle de sa fortune à une personne rencontrée un an auparavant seulement, qui l’a attendrie en évoquant la situation d’enfants des rues à l’autre bout du monde, a agi de manière non raisonnable.

De même, l’évaluation du Dr E______, établie a posteriori, en décembre 2022, si elle tend à rendre vraisemblable l’existence d’une maladie mentale présente depuis de nombreuses années, ne saurait suffire à renverser la présomption de capacité de discernement de la recourante au moment du prêt initial. Le gériatre indique certes que sa patiente se trouvait dans l’incapacité de réaliser sa gestion administrative et pécuniaire et démontrait, par son attitude de dépenses inconsidérées, observées au niveau de l’EMS, un manque de discernement face à la réalité de ses besoins budgétaires, constituant un risque majeur pour son équilibre financier. Ces observations sont cependant bien postérieures à l’octroi du prêt litigieux.

Dans ces conditions, la Cour considère que la présomption de capacité de discernement de la recourante au moment de l’octroi du prêt initial ne peut être renversée.

Cela étant, il convient de considérer la perte de fortune résultant de ce prêt comme involontaire et non imputable à une action intentionnelle ou à une négligence grave de l’intéressée.

En effet, la recourante a accordé ce prêt bien avant son hospitalisation. Elle ne pouvait donc subodorer les frais médicaux importants qui seraient les siens. Qui plus est, elle n’a pas procédé à une donation, mais bel et bien à un prêt pour lequel un remboursement était prévu dans un délai raisonnable, selon un contrat passé en bonne et due forme et prévoyant des échéances de remboursement. À l’époque, rien ne laissait supposer que l’emprunteur ferait défaut et ne remplirait pas ses obligations. Aucun élément ne vient soutenir la thèse selon laquelle il aurait dû apparaître à la recourante, dès le départ, que ce prêt (ou ce placement) ne lui serait pas remboursé. D’autant moins que les premières échéances ont été respectées. La prétendue conversion ultérieure de ce prêt en donation, alléguée par B______ dans le cadre de la procédure pénale et sur laquelle l’intimée se fonde, n’est nullement étayée – contrairement au prêt. Il convient donc de s’en tenir à la modalité de prêt qui était convenue, qui plus est corroborée par les procédures de poursuites intentées par la recourante.

Il en découle que cette première diminution de fortune ne saurait non plus être prise en compte en tant que dessaisissement.

En conséquence, il appert que le montant de la fortune déterminante est inférieur au seuil de CHF 100'000.- et ce, depuis une date antérieure à la décision sur opposition, de sorte qu’il se justifie de renvoyer le dossier à l’intimé pour qu’il procède à l’examen du droit de la recourante aux prestations complémentaires.

7.             En ce sens, le recours est partiellement admis et la cause renvoyée à l’intimé pour qu’il rende une nouvelle décision relative aux droits de la recourante à des prestations complémentaires en tenant compte de sa fortune, sans dessaisissement.

La recourante obtenant gain de cause sur le principe, une indemnité de CHF 2'000.- lui est accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement au sens des considérants.

3.        Annule la décision du 29 janvier 2025.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour nouvelle décision après examen du droit aux prestations complémentaires de la recourante conformément à l’arrêt.

5.        Alloue à la recourante, à la charge de l’intimé, une indemnité de CHF 2'000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Diana ZIERI

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le