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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3867/2023

ATAS/699/2024 du 17.09.2024 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3867/2023 ATAS/699/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 17 septembre 2024

Chambre 10

 

En la cause

A______
représentée par LIAUDET & Associés – Jurisconsultes, mandataire

 

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______, née le ______ 1966, et Monsieur B______, né le ______ 1963, se sont mariés le 7 septembre 2001 et séparés le 16 novembre 2014.

b. L’épouse (ci-après : la bénéficiaire) perçoit des prestations complémentaires à sa rente d’invalidité et l’époux a été financièrement aidé par l’Hospice général dès le 1er avril 2018.

c. Le 27 février 2023 les conjoints ont repris la vie commune, ce dont le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC) a été informé par courrier de l’Hospice général du 2 mars 2023.

B. a. Le 28 août 2023, le SPC a informé la bénéficiaire qu’il rendrait prochainement une décision couvrant la période du 1er mars au 31 août 2023.

b. Par décision du 29 août 2023, le SPC a mis à jour le dossier de la bénéficiaire et recalculé son droit aux prestations à partir du 1er septembre 2023. Il a notamment retenu des montants de CHF 15'597.90 à titre de revenu hypothétique du conjoint et de CHF 8'400.- à titre de pension alimentaire reçue.

c. Le 25 septembre 2023, la bénéficiaire a formé opposition contre cette décision, constatant une erreur dans le calcul de ses prestations, et plus particulièrement concernant le revenu déterminant. En effet, le SPC avait pris en considération une pension alimentaire malgré la reprise de la vie commune.

d. Par décision du 28 septembre 2023, le SPC a mis à jour le droit aux prestations complémentaires de la bénéficiaire depuis le 1er mars 2023, en application de la réforme de la loi fédérale entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Il a tenu compte d’un revenu hypothétique du conjoint pour un montant de CHF 18'609.50 et d’une pension alimentaire reçue à hauteur de CHF 8'400.-. Les commentaires de bas de page mentionnaient que le revenu hypothétique était fixé à CHF 18'610.- sur la base de l’enquête suisse sur la structure des salaires et réduit pour les conjoints âgés de 55 à 61 ans.

e. Par décision sur opposition du 18 octobre 2023, le SPC a admis l’opposition. Il a indiqué avoir repris ses calculs à partir du 1er mars 2023 « selon la décision du 28 septembre 2023 », puisqu’il avait reçu le montant des avances versées par l’Hospice général en faveur de l’époux. Il ressort des nouveaux plans de calcul annexés que le revenu déterminant ne comprenait plus de contribution d’entretien, mais que le revenu hypothétique du conjoint fixé à CHF 18'609.50 était maintenu.

C. a. Par acte du 20 novembre 2023, la bénéficiaire, représentée par un mandataire, a interjeté recours contre la décision sur opposition du 18 octobre 2023. Elle a conclu, sous suite de frais et dépens, préalablement, à l’octroi d’un délai supplémentaire pour compléter son recours, principalement, à l’annulation de la décision contestée et à ce que tout revenu hypothétique du conjoint soit exclu du calcul du revenu déterminant. Subsidiairement, elle a sollicité la réduction dudit revenu hypothétique. Elle a exposé que son époux était dans sa 61ème année, titulaire d’un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) de mécanicien outilleur obtenu en 1983, et avait perdu son emploi en 2014 après avoir travaillé durant 24 ans pour le même employeur. Depuis lors, il demeurait en incapacité de travail pour raison médicale et avait toujours été dispensé d’effectuer des recherches d’emploi pour ce motif. Il avait bénéficié des prestations de l’Hospice général depuis la fin de son droit au chômage en 2016, et ce jusqu’au
31 octobre 2023. Il était sur le point de finaliser et de déposer une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : l’OAI). Elle contestait donc la prise en compte d’un revenu hypothétique le concernant dans le calcul des prestations complémentaires, lequel lui avait échappé à la lecture de la décision du 29 août 2023. Si un tel montant devait tout de même être retenu, elle ne pouvait pas le contester précisément, le calcul ne figurant pas dans la décision. Toutefois, le salaire mentionné lui paraissait trop important et elle sollicitait qu’il soit corrigé par la chambre de céans, si et seulement si son nouveau calcul aboutissait à un résultat plus favorable.

À l’appui de son recours, la recourante a notamment produit un certificat médical du 13 novembre 2023 du docteur C______, spécialiste FMH en médecine interne générale et spécialiste en médecine de l’addiction, attestant d’une incapacité totale de travail de son mari, et une attestation du 6 novembre 2023 du docteur D______, spécialiste FMH en médecine générale, mentionnant que l’intéressé était soutenu par le service social et en incapacité de travail pour raison médicale de longue date.

b. Dans sa réponse du 8 janvier 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours. Il a invoqué que la recourante prenait des conclusions qui sortaient du cadre des questions qui avaient été traitées dans la procédure d’opposition, dès lors qu’elle n’avait pas contesté la décision du 29 août 2023 s’agissant de la prise en compte du revenu hypothétique. Si ce grief devait toutefois être déclaré recevable, il était relevé que le salaire hypothétique représentait un revenu annuel de CHF 18'609.50 du 1er mars au 31 mai 2023, et de CHF 15'597.90 à partir du 1er juin 2023, soit 30%, respectivement 25% du salaire de référence fondé sur les données statistiques, pour un plein temps, dans le cadre de l’exercice d’une activité simple et répétitive. Les revenus d’activité, effectifs ou potentiels, n’étaient pas intégralement pris en considération dans les calculs, mais l’étaient d’une manière privilégiée, puisque seule une fraction était imputée dans le revenu déterminant après une déduction de CHF 1'500.-. Pour tenir compte des difficultés d’accès au marché de l’emploi et d’un éventuel éloignement du marché du travail, il avait décidé de réduire le montant du revenu hypothétique pour le conjoint non invalide âgé de 55 ans et plus, et de le supprimer lorsque le conjoint avait atteint l’âge de 61 ans.

c. Dans sa réplique du 22 février 2024, la recourante a reproché à l’intimé de faire preuve de formalisme excessif en lui reprochant de n’avoir pas nommément désigné tous les griefs à l’origine de son opposition, ni contesté le détail de chaque calcul, alors qu’elle était psychologiquement diminuée et agissait en personne. Cela étant, elle avait bien contesté le calcul du revenu déterminant dans son opposition. Au fond, elle maintenait qu’on ne pouvait pas exiger de son conjoint qu’il reprenne une quelconque activité professionnelle, de sorte qu’aucun revenu hypothétique ne pouvait être pris en considération. Enfin, l’intimé ne lui avait pas octroyé une période d’adaptation pour fixer la date à partir de laquelle le salaire hypothétique serait retenu.

Elle a joint un courrier de l’OAI du 28 novembre 2023 relatif à la demande de prestations déposée par son époux le 27 novembre 2023.

d. Le 11 mars 2024, la recourante a produit un rapport établi la veille par le Dr C______, attestant que le patient le consultait depuis près de dix ans pour des difficultés psychiques, qu’il recevait un traitement de substitution à la méthadone depuis une vingtaine d’années. Lors du début de sa prise en charge, l’intéressé souffrait d’une asthénie sévère et d’un syndrome anxio-dépressif le rendant inapte au travail. Il avait d’ailleurs perdu son emploi dans ce contexte de dégradation de son état général. L’éloignement d’une place de travail avait eu un effet négatif sur ses possibilités de rétablissement et son état général s’était aggravé et avait été à l’origine d’une hospitalisation au mois d’avril 2021. Le patient avait entrepris courageusement de nombreuses démarches thérapeutiques pour endiguer ses problèmes liés à sa consommation d’alcool. Sa situation psychique et physique s’était beaucoup améliorée depuis trois ans et il avait stoppé toute consommation d’alcool depuis avril 2021. Toutefois, dans ce contexte médical fragile et d’éloignement prolongé du travail depuis presque dix ans, aucune reprise professionnelle digne de ce nom n’était envisageable. Enfin, le patient aurait
61 ans au mois de mai, et cet âge était également un frein majeur à une reprise d’activité.

e. Dans sa duplique du 8 avril 2024, l’intimé a maintenu que le recours devait être rejeté, au motif que la recourante avait pris des conclusions qui sortaient du cadre des questions traitées dans la procédure d’opposition. S’agissant de l’attestation médicale du Dr C______, il a rappelé que le montant très réduit du revenu hypothétique, soit 30%, respectivement 25% du salaire de référence fondé sur les statistiques, tenait déjà compte des difficultés d’accès au marché de l’emploi et d’un éventuel éloignement du marché du travail. En outre, conformément à sa pratique, le revenu hypothétique serait supprimé au 1er juin 2024, soit le mois suivant celui durant lequel l’intéressé aurait atteint l’âge de 61 ans.

f. Copie de cette écriture a été transmise à la recourante le 17 avril 2024.


 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du
6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du
6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134
al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 [LPA - E 5 10] ; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité [LPFC - J 4 20] ; art. 43 LPCC).

2.             Il y a lieu de déterminer l’objet du litige, dans la mesure où l’intimé conclut au rejet du recours, faisant valoir que les conclusions de la recourante sortent du cadre des questions traitées dans la procédure d’opposition et sont irrecevables.

2.1 L'objet du litige, dans la procédure administrative subséquente, est le rapport juridique qui, dans le cadre de l'objet de la contestation déterminé par la décision, constitue, d'après les conclusions du recours, l'objet de la décision effectivement attaqué. D'après cette définition, l'objet de la contestation et l'objet du litige sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble.

En revanche, lorsque le recours ne porte que sur une partie des rapports juridiques déterminés par la décision, les rapports juridiques non contestés sont certes compris dans l'objet de la contestation, mais non pas dans l'objet du litige
(ATF
131 V 164 consid. 2.1 ; 125 V 413 consid. 1b et 2 et les références citées). Les questions qui, bien qu'elles soient visées par la décision administrative et fassent ainsi partie de l'objet de la contestation, ne sont plus litigieuses, d'après les conclusions du recours, et qui ne sont donc pas comprises dans l'objet du litige, ne sont examinées par le juge que s'il existe un rapport de connexité étroit entre les points non contestés et l'objet du litige (ATF 122 V 34 consid. 2a ; 122 V 242 consid. 2a ; 1; 117 V 294 consid. 2a ; 112 V 97 consid. 1a et les références).

2.2 En l’espèce, il est exact que le grief soulevé en procédure d’opposition n’est désormais plus litigieux, dès lors que l’intimé a supprimé la contribution d’entretien du revenu déterminant, rétroactivement au 1er mars 2023, soit dès la reprise de la vie commune, faisant ainsi plus que droit aux conclusions de la recourante, qui requérait cette suppression dès le 1er avril 2023.

Cela étant, bien que les arguments évoqués par la recourante à l’appui de son recours diffèrent de ceux qui l’ont été au stade de l’opposition, l’objet du litige demeure le même. Le rapport juridique visé est en effet dans les deux cas le calcul des prestations dues à la recourante, et plus particulièrement le calcul du revenu déterminant.

Rien ne s’oppose donc à ce que les nouveaux griefs de la recourante à l’encontre dudit calcul soient examinés par la chambre de céans, d’autant que cette dernière dispose d’un plein pouvoir d’examen (cf. ATAS/689/2017 du 21 août 2017 consid. 12b ; ATAS/1330/2014 du 19 décembre 2014 consid. 5c). À toutes fins utiles, il sera encore observé que le droit d’être entendu de l’intimé est respecté, puisque ce dernier a eu l’occasion de s’exprimer sur les griefs de la recourante dans un acte de procédure au moins (cf. ATAS/1240/2013 mais également arrêt du Tribunal fédéral 9C_236/2010 du 10 janvier 2011 consid. 3.1, par exemple).

Le litige porte donc sur le droit de la recourante aux prestations complémentaires à partir du 1er mars 2023, singulièrement sur la prise en compte d’un revenu hypothétique du conjoint.

3.              

3.1 Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

Des modifications législatives et réglementaires sont entrées en vigueur au
1er janvier 2021 dans le cadre de la Réforme des PC (LPC, modification du
22 mars 2019, RO 2020 585, FF 2016 7249 ; OPC-AVS/AI [ordonnance du
15 janvier 1971 sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité ; RS 831.301], modification du 29 janvier 2020,
RO 2020 599).

Conformément à l’al. 1 des dispositions transitoires de la modification du
22 mars 2019, l’ancien droit reste applicable trois ans à compter de l’entrée en vigueur de cette modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des PC entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle.

3.2 En l’occurrence, l’intimé a appliqué, à juste titre, les dispositions en vigueur avant la réforme précitée, dans la mesure où elles étaient plus favorables à la recourante, ce qui n’est au demeurant pas litigieux. Les dispositions applicables seront citées ci-après dans leur ancienne teneur.

4.             Selon l’art. 9 al. 1 LPC, le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants nombre des dépenses reconnues figure le loyer.

Conformément à l’art. 11 al. 1 let. g LPC, les revenus déterminants comprennent notamment les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s'est dessaisi.

S’agissant des prestations complémentaires cantonales, l'art. 5 LPCC prévoit que le revenu déterminant est calculé conformément aux règles fixées dans la loi fédérale et ses dispositions d'exécution, moyennant notamment quelques adaptations (non pertinentes en l’espèce).

4.1 Il y a dessaisissement lorsque le conjoint d'une personne assurée s'abstient de mettre en valeur sa capacité de gain, alors qu'il pourrait se voir obligé d'exercer une activité lucrative en vertu de l'art. 163 du Code civil suisse du
10 décembre 1907 (CC - RS 210). Il appartient à l'administration ou, en cas de recours, au juge d'examiner si l'on peut exiger de l'intéressé qu'il exerce une activité lucrative et, le cas échéant, de fixer le salaire qu'il pourrait en retirer en faisant preuve de bonne volonté. Pour ce faire, il y a lieu d'appliquer à titre préalable les principes du droit de la famille, compte tenu des circonstances du cas d'espèce. Les critères décisifs auront notamment trait à l'âge de la personne, à son état de santé, à ses connaissances linguistiques, à sa formation professionnelle, à l'activité exercée jusqu'ici, au marché de l'emploi, et le cas échéant, au temps plus ou moins long pendant lequel il aura été éloigné de la vie professionnelle
(ATF 134 V 53 consid. 4.1 et les références).

Lors de la fixation du revenu hypothétique du conjoint, il importe de tenir compte du fait que la reprise d'une activité lucrative exige une période d'adaptation et qu'après une longue absence de la vie professionnelle, une pleine intégration sur le marché de l'emploi n'est plus possible à partir d'un certain âge (arrêts du Tribunal fédéral 9C_916/2011 du 3 février 2012 consid. 1.3 et P.28/04 du 30 août 2004 consid. 2.2.).

Concernant le facteur lié à l'âge, la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien droit du divorce - selon laquelle une réinsertion entière et durable dans la vie professionnelle au-delà de la 45e année d'un époux qui avait renoncé à exercer une activité lucrative pendant le mariage n'était en principe pas exigible - a été fortement atténuée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2010 du 26 janvier 2011 consid. 5.3). La limite d’âge tend à augmenter à 50 ans et ne doit pas être considérée comme une règle stricte. Il s'agit d'une présomption qui peut être renversée en fonction d'autres éléments qui plaideraient en faveur de la prise ou de l'augmentation d'une activité lucrative (ATF 137 III 102 consid. 4.2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_101/2018 du 9 août 2018 consid. 3.3 et les références). Pour une appréciation d'ensemble, il convient en outre de tenir compte du fait que, dans le domaine des prestations complémentaires, l'exercice d'une activité lucrative peut être exigé d'une veuve non invalide qui n'a pas d'enfants mineurs jusqu’à
60 ans (art. 14b let. b et c de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 [OPC-AVS/AI - RS 831.301]). La présomption d'exploitabilité de la capacité de travail résiduelle jusqu'à l'âge de 60 ans révolus s'applique également pour les assurés partiellement invalides (art. 14a al. 2 OPC-AVS/AI ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_120/2012 du 2 mars 2012 consid. 4.3).

Lorsque le conjoint du bénéficiaire d'une prestation complémentaire invoque une atteinte à la santé l'empêchant d'exercer une activité lucrative, il incombe aux organes d'exécution en matière de prestations complémentaires d'évaluer ses chances d'insertion ou de réinsertion professionnelle et non pas d'examiner s'il remplit les conditions présidant à l'octroi d'une rente d'invalidité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P.61/03 du 22 mars 2004 consid. 3.1). Ils ne sont pas fondés à se prévaloir d'un manque de connaissances spécialisées pour écarter d'emblée toute mesure d'instruction au sujet de l'état de santé d'une personne (arrêt du Tribunal fédéral 8C_172/2007 du 6 février 2008 consid. 7.2).

L’absence de formation et d’expérience d’une activité lucrative n’est pas un motif empêchant la mise en valeur de la capacité de travail exigible du conjoint de la personne bénéficiaire de prestations complémentaires, conformément à la jurisprudence (arrêts du Tribunal fédéral 9C_357/2023 du 17 août 2023 ; 9C_946/2011 du 16 avril 2012 et 9C_717/2010 du 26 janvier 2011).

En ce qui concerne le critère de la mise en valeur de la capacité de gain sur le marché de l'emploi, le Tribunal fédéral a considéré qu'il importe de savoir si et à quelles conditions l'intéressé est en mesure de trouver un travail. À cet égard, il faut prendre en considération, d'une part, l'offre des emplois vacants appropriés et, d'autre part, le nombre de personnes recherchant un travail et examiner concrètement la situation du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_30/2009 du 6 octobre 2009 consid. 4.2 et la référence).

4.2 En l’absence d’un rapport établissant, de manière probante, l’existence d’une incapacité de travail, il revient au SPC, dans le cadre de son devoir d’instruction (cf. art. 43 al. 1 LPGA), d’informer l'intéressé que les pièces versées au dossier sont dénuées de force probante et l'inviter à requérir un rapport indiquant les différentes affections, en particulier celles qui ont une incidence sur la capacité de travail, et précisant la durée de travail exigible, le pronostic sur l'évolution des affections, ainsi que les facteurs personnels susceptibles d'influencer les possibilités du patient de retrouver un emploi (arrêt du Tribunal fédéral 8C_722/2007 du 17 juillet 2008 consid. 3.3 et la référence). Le cas échéant, il incombe au SPC de s’enquérir de la procédure en cours devant l’assurance-invalidité et de requérir la décision ainsi que les rapports ou expertises y relatifs (ATAS/31/2018 du 17 janvier 2018 consid. 11).

On rappellera qu’une différence entre l'assurance-invalidité et les prestations complémentaires réside dans le fait que l'assurance-invalidité se base sur un marché du travail équilibré pour déterminer le degré d'invalidité - au sens d'un élément de fait objectif - alors que dans le domaine des prestations complémentaires, il faut se baser sur la situation réelle, non seulement de la personne ayant droit aux prestations complémentaires, mais aussi du marché du travail (ATF 140 V 267 consid. 5.3 et les références). Si la preuve est apportée - notamment par des justificatifs de recherches d'emploi infructueuses (qualitativement et quantitativement suffisantes) - que le revenu hypothétique pris en compte ne peut pas être obtenu en raison de la situation personnelle et de la situation du marché du travail, le SPC doit le reconnaître et renoncer à sa prise en compte (ATF 140 V 267 consid. 5.3 et les références).

L'impossibilité de mettre à profit une capacité résiduelle de travail ne peut être admise que si elle est établie avec une vraisemblance prépondérante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_376/2021 du 19 janvier 2022 consid. 2.2.1 et la référence).

Il incombe au demandeur de prestations de prouver qu'il n'y a pas eu de renonciation à un revenu (arrêt du Tribunal fédéral 9C_255/2013 du
12 septembre 2013 consid. 4.1 et la référence). Celui-ci doit étayer les motifs allégués et offrir autant que possible des preuves à cet égard, notamment en apportant la preuve de recherches d'emploi restées infructueuses (ATF 137 V 20 consid. 2.2 et la référence).

4.3 Selon les Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (ci-après : DPC, valables dès le 1er avril 2011, état au 1er janvier 2023), aucun revenu hypothétique n’est pris en compte si le conjoint non invalide peut faire valoir l’une ou l’autre des conditions suivantes (DPC n°3521.03) :

-          malgré tous ses efforts, il ne trouve aucun emploi ; cette hypothèse peut être considérée comme réalisée lorsqu’il s’est adressé à un ORP, qu’il réalise le nombre d’offres exigé par l’ORP et qu’il prouve que ses recherches sont suffisantes qualitativement ;

-          lorsqu’il touche des allocations de chômage ;

-          sans l’aide et les soins qu’il apporte à son conjoint au bénéfice de PC, celui-ci devrait être placé dans un home.

La tenue du ménage en faveur du conjoint ou des enfants ne permet toutefois pas de renoncer à la prise en compte d’un revenu hypothétique.

4.4 Dans leur nouvelle version (valable dès le 1er avril 2011, état au 1er janvier 2024), les DPC prévoient qu’aucun revenu hypothétique n’est pris en compte dans les situations suivantes (DPC n° 3521.14) :

-          Malgré tous leurs efforts, le bénéficiaire de PC ou son conjoint ne trouve aucun emploi ; cette hypothèse est considérée comme réalisée lorsque la personne concernée est adressée à un ORP, qu’elle peut justifier du nombre de candidatures demandé par l’ORP et que ces candidatures respectent les exigences de l’ORP ; les organes PC peuvent déléguer à l’ORP le suivi et le contrôle des recherches d’emploi et sont, dans ce cas, libérés de l’obligation de contrôler ces recherches ;

-          le bénéficiaire de PC ou son conjoint touchent des allocations de chômage ;

-          le conjoint non invalide a atteint l’âge de 60 ans et est arrivé en fin de droit dans l’assurance-chômage ; les exigences relatives aux efforts d’intégration s’appliquent alors à cette personne (nos 2470.01 ss des Directives concernant les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (ci-après : DPtra) ;

-          sans l’assistance et les soins de son conjoint non invalide, le bénéficiaire de PC devrait être placé dans un home ;

-          les veuves et les veufs ont des enfants mineurs qui vivent dans la communauté familiale.

Les DPtra (valables dès le 1er janvier 2021, état au 1er janvier 2024) précisent que les bénéficiaires de prestations transitoires doivent démontrer chaque année qu’ils font des efforts pour s’intégrer sur le marché du travail (DPtra n°2470.01). Les personnes qui ne sont pas en mesure de réaliser des efforts d’intégration pour des raisons de santé et qui disposent d’un certificat médical à cet effet, ne sont pas tenues de fournir la preuve des efforts d’intégration. Si ces personnes ne sont pas encore inscrites à l’AI ou si elles ont reçu une décision négative concernant les prestations de l’AI, elles doivent être invitées à s’annoncer à l’AI (DPtra n°2470.08).

4.5 La chambre de céans a récemment jugé, s’agissant d’une femme âgée de
52 ans au moment de la décision litigieuse, que la présomption qu’elle était employable avait été renversée. En effet, il s’agissait d’un âge relativement avancé qui réduisait les chances de l’intéressée de trouver un emploi dans le marché ordinaire, et ces chances étaient encore plus réduites dès lors qu’elle était totalement incapable de travailler dans son activité habituelle, le ménage, soit le seul domaine dans lequel elle avait de l’expérience, et qu’elle présentait d’importantes limitations fonctionnelles. Par ailleurs, elle ne maîtrisait pas le français, n’avait pas de formation professionnelle et n’avait exercé que très peu de temps une activité professionnelle plusieurs années auparavant (2 heures par jour dans le nettoyage pendant 10 mois en 2010). Au vu de l’ensemble de la situation, il convenait de retenir qu’une activité professionnelle n’était pas exigible de sa part, même à temps partiel (ATAS/99/2024 du 14 février 2024).

Dans une autre affaire, concernant une épouse âgée de plus de 50 ans, présentant des limitations fonctionnelles aux deux membres supérieurs, inapte à travailler dans son activité habituelle de nettoyeuse et devant changer de métier, qui avait été éloignée du marché du travail depuis plus de 23 ans, qui ne disposait d'aucune formation certifiée et maîtrisait mal le français, la chambre de céans a retenu que l’intéressée n’avait aucune chance raisonnable de pouvoir réintégrer le marché du travail, même à temps partiel (ATAS/284/2023 du 25 avril 2024).

La chambre de céans a jugé dans ce sens également concernant l’époux d’une bénéficiaire, âgé de 59 ans, au bénéfice d’une rente d’invalidité et qui disposait d’une capacité résiduelle de travail de 40% dans une activité adaptée, sans formation, qui ne pouvait plus travailler dans l'activité précédemment exercée, présentait de nombreuses atteintes à la santé engendrant des limitations fonctionnelles à plusieurs niveaux, était éloigné du marché de l'emploi depuis neuf ans et dont les connaissances de français étaient limitées. Elle a conclu que l’intéressé n'avait pas renoncé à des ressources en ne cherchant pas un emploi, qu'il n'aurait sans doute pas réussi à trouver, même à temps partiel (ATAS/578/2021 du 8 juin 2021).

5.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; 130 III 321
consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

Dans le domaine des assurances sociales notamment, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références).

6.             En l’espèce, l’intimé a pris en compte un revenu hypothétique pour l’époux de la recourante, sans avoir préalablement interrogé cette dernière sur la situation de l’intéressé.

La chambre de céans rappelle que le mari de la recourante était âgé de 60 ans lors du prononcé de la décision litigieuse, soit un âge avancé correspondant à celui à partir duquel la présomption d’exploitabilité de la capacité résiduelle de travail ne s’applique plus pour les invalides partiels et les veuves sans enfants mineurs.

Il ressort en outre des pièces produites dans le cadre de la présente procédure que les médecins traitants du mari de la recourante ont attesté de son incapacité totale de travail. Le Dr C______ a notamment expliqué que son patient recevait un traitement de substitution à la méthadone depuis une vingtaine d’années et qu’il avait dû faire face il y a une dizaine d’années à une consommation excessive d’alcool et à des difficultés psychiques. Il avait constaté une asthénie sévère et un syndrome anxio-dépressif, rendant l’intéressé inapte au travail. Le patient avait d’ailleurs perdu son dernier emploi dans ce contexte de dégradation de son état général. Il avait été hospitalisé au mois d’avril 2021 et avait par la suite cessé toute consommation d’alcool, mais sa situation demeurait fragile.

Selon les déclarations de la recourante, confortées par le rapport du Dr C______, son époux n’a plus travaillé depuis 2014, de sorte qu’il a été éloigné du marché de l’emploi depuis une dizaine d’années, après avoir travaillé pour le même employeur durant 24 ans. Ces éléments réduisent considérablement les chances de l’intéressé de pouvoir mettre à profit une éventuelle capacité de travail résiduelle.

Aussi, compte tenu de l'âge de l'époux de la recourante au moment déterminant, de ses problèmes de santé qui l’ont conduit à perdre son dernier emploi qu’il exerçait depuis plus de deux décennies, qu’il est arrivé en fin de droit au chômage en 2016 selon les allégations non contestées de la recourante, qu'il est éloigné du marché de l'emploi depuis une dizaine d’années, que ses médecins le considèrent inapte à exercer une quelconque activité professionnelle, la chambre de céans est d'avis que l’intéressé n'a pas renoncé à des ressources en ne cherchant pas un emploi, qu'il n'aurait sans doute pas réussi à trouver, même à temps partiel.

Au vu de la situation générale, la chambre de céans considère qu’aucun gain hypothétique ne peut être retenu pour le mari de la recourante, même aux taux réduits de 30%, puis 25% appliqués par l’intimé.

Enfin, il sera relevé que si on appliquait la version désormais en vigueur des DPC, la recourante ne devrait même plus établir la preuve des efforts d’intégration de son mari, âgé de plus de 60 ans et arrivé en fin de droit au chômage, et qui dispose d’un certificat médical attestant de son incapacité de travail et a déposé une demande de prestations auprès de l’OAI le 27 novembre 2023.

7.             Partant, le recours sera admis, la décision du 18 octobre 2023 annulée et la cause renvoyée à l'intimé pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

8.             La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 1'500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L'admet.

3.      Annule la décision du 18 octobre 2023 et renvoie la cause à l'intimé pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

4.      Condamne l'intimé à verser à la recourante un montant de CHF 1'500.-, à titre de participation à ses frais et dépens.

5.      Dit que la procédure est gratuite.

6.      Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Joanna JODRY

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le