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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3535/2023

ATAS/157/2024 du 08.03.2024 ( CHOMAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 26.04.2024
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3535/2023 ATAS/157/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 mars 2024

Chambre 9

 

En la cause

A______
représenté par Me Patrick SPINEDI, avocat

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le ______ 1981, a été l’administrateur, avec signature collective à deux, de la société B______ (ci-après : la société B______) du 25 juillet 2014 au 10 mai 2023 selon les publications dans la Feuille officielle suisse du commerce (ci-après : FOSC). Son frère, Monsieur C______, en est l'administrateur président avec signature collective à deux depuis le 14 avril 2020. Le but social de cette société est notamment la conception, la fabrication et la commercialisation de produits dans les domaines de l'orthopédie et du paramédical.

Selon le registre des actionnaires établi au 10 septembre 2018, la société B______ est détenue à 100% par la société D______ (ci-après : la société D______).

b. C______ est également administrateur président, avec signature collective à deux, depuis le 28 juin 2018, de la société D______, dont l'assuré a été l'administrateur, avec signature collective à deux, jusqu'au 12 mai 2023.

Selon le registre des actionnaires au 1er mai 2019, la société D______ est détenue à 100% par la société E______ (ci-après : la société E______).

c. C______ et l'assuré ont par ailleurs été administrateur président, respectivement administrateur, tous deux avec signature collective à deux, de la société E______, du 13 mai 2019 au 13 mai 2022, date à compter de laquelle C______ en est le directeur, avec signature collective à deux.

d. Le 22 décembre 2022, l'assuré a été licencié par la société B______ pour le 31 mars 2023.

e. Le 20 mars 2023, l’assuré s'est annoncé à l'office cantonal de l'emploi. Il a sollicité le versement d’indemnités de chômage auprès de la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : la caisse) à compter du 1er avril 2023.

Dans sa demande d'indemnités, reçue par la caisse le 3 avril 2023, il a indiqué que son employeur avait mis un terme aux rapports de travail, au motif qu'il n'avait pas accepté les nouvelles conditions de travail. Il a répondu par l'affirmative à la question de savoir s'il avait une participation financière à l'entreprise de son ancien employeur ou s'il était membre d'un organe supérieur de décision de l'entreprise (par ex. actionnaire, membre du conseil d'administration d'une SA ou associé, gérant d'une Sàrl, etc.).

La société B______ a également fait mention de ces données dans une attestation signée le 31 mars 2023, réceptionnée par la caisse le 3 avril 2023.

f. Dans un courrier du 21 avril 2023 à la caisse, Messieurs F______, administrateur président, et G______, administrateur vice-président, de la société E______, ont expliqué que depuis avril 2019, la société B______ était détenue à 100% par la société D______, qui elle-même était détenue à 100% par la société E______, dont le but social était la prise de participations dans le domaine de l'orthopédie. La société B______ était une entité d'exploitation, et la société D______ avait été créée dans un but de financement. L'assuré n'était administrateur ni de la société E______ ni « d'aucune instance décisionnelle de la gouvernance [des] sociétés d'exploitation ». Aucune des sociétés détenues par E______ n'avait versé de rémunération à l'assuré hormis la société B______ dont ce dernier était salarié. La convention d'actionnaires prévoyait qu'en cas de licenciement d'un associé d'E______, les autres actionnaires avaient le droit d'actionner une option d'achat pour le rachat des actions de l'associé licencié. Ils attestaient que cette option d'achat avait été activée le 23 décembre 2022. Ce rachat devait impérativement intervenir dans un délai de douze mois à compter de la rupture contractuelle. Dans le cas présent, l'échéance arrivait au plus tard le 21 décembre 2023. Les démarches liées à ce rachat étaient en cours, lequel devrait être effectif dans quelques semaines.

g. Dans un « questionnaire en cas de licenciement » complété par la société B______ le 26 avril 2023, reçu par la caisse le 24 mai 2023, l'ancien employeur a mentionné que l'assuré, qui n'avait pas perçu une prime de départ, avait été licencié en raison de la suppression du poste de responsable du secteur podologie.

h. Dans un courrier du 30 mai 2023, l'assuré, à la demande de la caisse, lui a fait savoir que le rachat de ses actions était à l'ordre du jour pour être soumis au vote lors de la prochaine assemblée générale de la société E______ le jeudi 22 juin 2023. En sa qualité d'employé, responsable du secteur podologie, il était subordonné au directeur de la société B______. Son poste de travail, qui lui était si cher, n'aurait pas été supprimé s'il avait été dans l'organe dirigeant. Le pourcentage d'actions qu'il détenait (14,29%) de la société fondée par son père en 1974 était largement insuffisant pour avoir un quelconque impact lors des assemblées générales de ces dernières années sur les décisions prises par le conseil d'administration, même en cas d'alliance avec un ou deux autres actionnaires. Il en voulait pour preuve l'absence d'indemnité de départ en sa faveur. Le processus de rachat de ses actions était long, sur lequel il n'avait aucune emprise.

Il a joint le registre des actionnaires de la société E______, au 1er mai 2019, dont il ressortait que cette dernière était détenue à part égale (14,29%) par sept de ses administrateurs de l'époque, dont les frères H______.

i. Le 5 juin 2023, l'assuré a transmis à la caisse une attestation de I______ datée du 1er juin 2023, par laquelle cette société déclarait avoir été mandatée le 8 février 2023 par la société E______ afin de procéder à la valorisation des actions du groupe. Cette mission s'inscrivait dans le cadre du licenciement de l'assuré (collaborateur-actionnaire) et de l'application de la convention qui régissait les liens entre les actionnaires, notamment en ce qui concernait la méthode d'évaluation des actions du groupe, qui nécessitait l'obtention des comptes audités au 31 décembre 2022 de toutes les sociétés du groupe. La finalisation des travaux était prévue pour la date de l'assemblée générale du groupe le 22 juin 2023.

j. Le 31 août 2023, l'assuré, par l'intermédiaire de son avocat, a mis la caisse en demeure de statuer concernant le versement des indemnités de chômage avec effet au 1er avril 2023. Il a notamment allégué avoir, avant son licenciement, été victime de mobbing ayant conduit à un burn-out en 2021 pour lequel il avait présenté une incapacité de travail totale puis partielle du 24 août 2021 au 30 septembre 2022. Il avait pu reprendre son emploi à plein temps dès le 1er octobre 2022, mais des mesures avaient été prises pour l'évincer, dont la privation de ses responsabilités et une proposition de réduction de CHF 5'000.- de son salaire mensuel brut. S'il avait pu exercer la moindre influence sur une société du groupe, il n'aurait pas supprimé son poste de travail ni fait l'objet d'un congé-modification.

Il a annexé en particulier :

-          un courrier du 8 décembre 2022 de son ancien employeur, par lequel ce dernier proposait à l'assuré un poste de technicien en podologie à un taux d'activité de 100% pour un salaire mensuel brut de CHF 8'000.- à compter du 1er avril 2023 (contre CHF 12'000.- perçu auparavant jusqu'au 31 décembre 2021 puis CHF 13'000.- dès le 1er janvier 2022) ;

-          la « convention d'actionnaires E______ 2021 », annulant et remplaçant la version 2019, signée par les sept actionnaires le 14 juin 2021, dont les frères H______ ;

-          l'organigramme de la société E______, au 1er janvier 2022 ;

-          le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire de la société E______ du 22 juin 2023 dont il ressortait que les associés validaient le rachat de la totalité des 65'000 actions de l'assuré pour un montant de CHF 928'200.- et que les possibilités de financement du rachat des actions devait être étudié afin de respecter les différentes contraintes légales et fiscales ; et

-          un certificat établi le 4 mai 2023 par le docteur J______, spécialiste FMH en médecine interne générale, attestant que l'assuré était pleinement apte au travail dès le 1er octobre 2022. Il a joint une liste des arrêts de travail faisant état d'une incapacité de travail de 100% du 24 août 2021 au 31 janvier 2022, de 80% du 1er au 28 février 2022, de 60% du 1er mars au 8 avril 2022, de 50% du 9 au 19 avril 2022, de 40% du 20 avril au 31 juillet 2022, et de 20% du 15 août au 30 septembre 2022.

B. a. Par décision du 4 septembre 2023, la caisse a nié le droit à l’indemnité de chômage de l'assuré, au motif qu’il réunissait la double qualité d’employeur et d’employé à la date de son inscription le 3 avril 2023. Sa perte de travail était dès lors incontrôlable et ne pouvait être déterminée.

b. Le 8 septembre 2023, l’assuré a formé opposition à cette décision.

c. Interrogé par la caisse, par avis du 9 octobre 2023, le service juridique du Secrétariat d'État à l'économie (ci-après : SECO) a répondu que, jusqu'en mai 2023, dates des radiations au registre du commerce, l'assuré disposait ex lege d'un pouvoir déterminant sur les décisions de l'employeur en sa qualité d'administrateur et n'avait donc pas droit à l'indemnité de chômage. Après cette date, tout risque d'abus ne pouvait pas être écarté. En effet, même s'il avait été décidé le 22 juin 2023 que les actionnaires restants rachèteraient les parts de l'assuré, le frère de l'assuré (C______) occupant des rôles décisionnels dans les sociétés concernées, en particulier, dans la société B______, ce lien familial laissait subsister une possibilité de réactivation des rapports de travail. Ainsi, l'assuré, par l'intermédiaire de son frère, se trouvait en position d'influencer les décisions de son dernier employeur.

d. Par décision sur opposition du 12 octobre 2023, la caisse a maintenu sa position. L’assuré ne pouvait pas prétendre aux indemnités de chômage dès le 3 avril 2023, en raison de sa position d’administrateur au sein de la société B______ jusqu’au 10 mai 2023, puis de son statut d’actionnaire au sein de la société E______, société possédant entre autre la société B______.

C. a. Par acte du 30 octobre 2023, l’assuré a formé recours devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que la caisse soit condamnée à lui verser le montant de CHF 12'019.90 par mois pour les mois d’avril à octobre 2023, ainsi que les indemnités journalières pleines et entières jusqu'à son retour sur le marché de l'emploi. Sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, il a conclu à ce que la caisse soit condamnée à lui verser le montant de CHF 12'019.90 par mois pour les mois d’avril à octobre 2023. Il a également sollicité une indemnité de CHF 25'471.10, subsidiairement de CHF 10'000.-, à titre d'honoraires d'avocat.

Sur le fond, il a fait valoir qu'il remplissait les conditions de droit aux prestations de chômage. Il n’avait plus aucun lien avec son ancien employeur et sa participation sur le point d’être vendue dans la société E______ ne lui donnait aucun pouvoir décisionnel.

b. Par réponse du 14 novembre 2023, l'intimée s'est déterminée sur la requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles.

c. Par arrêt incident du 17 novembre 2023 (ATAS/892/2023), la chambre de céans a rejeté les demandes de mesures provisionnelles et superprovisionnelles.

d. Dans sa réponse sur le fond du 27 novembre 2023, l'intimée a conclu au rejet du recours.

Elle a rappelé qu'à la date à laquelle le recourant avait prétendu aux indemnités de chômage, soit le 3 avril 2023 (le 1er avril étant un samedi, son inscription était reportée au premier jour utile), il était administrateur des sociétés B______ et D______, laquelle était actionnaire à 100% de la première. Il occupait de ce fait une position assimilable à celle de l'employeur. Cette position dirigeante avait de surcroît été déclarée tant dans la demande d'indemnités que dans l'attestation de l'employeur.

Quand bien même le recourant avait été radié en tant qu'administrateur au registre du commerce par publications dans la FOSC des 10 et 12 mai 2023, il avait conservé un pouvoir décisionnel de par sa participation financière dans la société E______, qui détenait 100% du capital-actions de la société D______, elle-même détenant 100% de la société B______. De l'aveu même du recourant, la vente desdites actions n'avait pas été actée. Il détenait 14,29% du capital-actions, à part égale avec les six autres actionnaires, chaque personne disposant du même potentiel d'influence. En conséquence, il jouissait encore à l'heure actuelle d'un pouvoir décisionnel déterminant.

e. Dans sa réplique du 12 décembre 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions sur le fond, tout en requérant que le montant de CHF 12'019.90 qu'il sollicitait dorénavant pour les mois d'avril à décembre 2023 à titre d'indemnités de chômage soit assorti, pour chaque mois, d'intérêts à 5% à compter du premier jour du mois suivant.

Il a allégué, document à l'appui, avoir conclu une convention de vente d'actions avec la société E______ le 6 décembre 2023, et qu'il ne serait plus actionnaire de cette société d'ici le 18 décembre 2023 au plus tard.

Il a exposé qu'une participation financière au sein d'une entité tierce de celle de son employeur ne faisait pas obstacle au droit aux indemnités de chômage. Il en a tiré la conclusion qu'il remplissait les conditions donnant droit auxdites indemnités depuis la date de son inscription, que ses actions dans cette holding soient vendues ou non.

f. Par écriture du 5 février 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions, en faisant remarquer, pièces à l'appui, qu'il participait à des mesures relatives au marché du travail depuis le 3 avril 2023, dont l'octroi était intrinsèquement lié au droit à l'indemnité de chômage.

g. Dans sa duplique du 15 février 2024, l'intimée a indiqué avoir reconnu le droit du recourant à l'indemnité de chômage à compter du 18 décembre 2023 sur la base de l'écriture de celui-ci du 12 décembre 2023 et de la convention de vente d'actions produite. Elle a pour le surplus maintenu sa position pour la période antérieure, en soulignant que l'octroi des mesures relatives au marché du travail aux personnes qui ne remplissaient pas les conditions relatives à la période de cotisation ni n'en étaient libérées n'impliquait pas la reconnaissance du droit à l'indemnité de chômage.

Elle a joint un échange de courriels des 13 et 15 décembre 2023 avec le recourant ainsi que les pièces y relatives.

h. Copie de cette écriture a été transmise au recourant pour information.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 À teneur de l'art. 1 al. 1 LACI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-chômage obligatoire et à l’indemnité en cas d’insolvabilité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

1.3 Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le droit du recourant à l'indemnité de chômage dès le 1er avril 2023, singulièrement sur le point de savoir s'il occupait une position assimilable à celle d'un employeur, lui excluant le droit à l'indemnité. 

3.              

3.1 En vertu de l’art. 8 al. 1 LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il est sans emploi ou partiellement sans emploi (let. a), s’il a subi une perte de travail à prendre en considération (let. b), s’il est domicilié en Suisse (let. c), s’il a achevé sa scolarité obligatoire, s’il n’a pas encore atteint l’âge donnant droit à une rente AVS et ne touche pas de rente de vieillesse de l’AVS (let. d dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023 ici applicable), s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré (let. e), s’il est apte au placement (let. f) et s’il satisfait aux exigences du contrôle (let. g).

3.2 Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 215 consid. 2).

4.              

4.1 D'après la jurisprudence, un travailleur qui jouit d'une situation professionnelle comparable à celle d'un employeur n'a pas droit à l'indemnité de chômage lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l'employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais d'une disposition sur l'indemnité de chômage la réglementation en matière d'indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail, en particulier l'art. 31 al. 3 let. c LACI (arrêt du Tribunal fédéral 8C_108/2021 du 9 juillet 2021 consid. 3).

4.2 Selon cette disposition, n'ont pas droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, notamment, les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent les influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière à l'entreprise.

4.3 Le Tribunal fédéral a identifié un risque de contournement de la clause d'exclusion de l'art. 31 al. 3 let. c LACI lorsque, dans un contexte économique difficile, ces personnes procèdent à leur propre licenciement et revendiquent l'indemnité de chômage tout en conservant leurs liens avec l'entreprise. Dans une telle configuration, en effet, il est toujours possible pour elles de se faire réengager dans l'entreprise ultérieurement et d'en reprendre les activités dans le cadre de son but social. Ce n'est pas l'abus avéré comme tel que la loi et la jurisprudence entendent sanctionner, mais le risque d'abus que représente le versement d'indemnités à un travailleur jouissant d'une situation comparable à celle d'un employeur ; il suffit qu'une continuité des activités soit possible pour que le droit doive être nié en raison d'un risque de contournement de la loi. Lorsqu'il s'agit de déterminer quelle est la possibilité effective d'un dirigeant d'influencer le processus de décision de l'entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant concrètement dans l'entreprise (arrêt 8C_108/2021 précité consid. 3 et les références).

4.4 Il n'est pas nécessaire d'examiner les circonstances concrètes du cas d'espèce lorsque le pouvoir décisionnel du dirigeant ressort de la loi. Tel est le cas des membres du conseil d'administration d'une SA et des associés d'une Sàrl (cf. art. 716 à 716b de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220] et art. 804 ss CO), pour qui le droit aux prestations peut dès lors être exclu sans qu'il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu'ils exercent au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 8C_811/2019 du 12 novembre 2020 consid. 3.1.3 et les références).

4.5 La situation est en revanche différente quand le salarié qui se trouve dans une position assimilable à celle de l'employeur quitte définitivement l'entreprise en raison de la fermeture de celle-ci. Il en va de même lorsque l'entreprise continue d'exister mais que le salarié, par suite de la résiliation de son contrat, rompt définitivement tout lien avec la société. Dans un cas comme dans l'autre, l'intéressé peut en principe prétendre à une indemnité de chômage (arrêt 8C_811/2019 précité consid. 3.1.2).

Pour fixer le moment de la sortie du conseil d'administration d'une société anonyme, il y a lieu de prendre en considération, par analogie avec la jurisprudence concernant l'art. 52 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), non pas la date de la radiation de l'inscription au registre du commerce ou celle de la publication dans la Feuille officielle suisse du commerce, mais le moment de la démission effective du conseil d'administration (arrêt du Tribunal fédéral 8C_140/2010 du 12 octobre 2010 consid. 4.4.2 et la référence).

4.6 Le seul fait de disposer d'une participation au capital social de l'entreprise qui l'employait ne suffit pas, à lui seul, à considérer que l'assuré se trouve dans une position assimilable à celle d'un employeur. Il n'en demeure pas moins que le droit aux prestations de chômage peut lui être nié lorsque la part sociale est importante et lui permet d'influencer les décisions de l'entreprise (arrêt du Tribunal fédéral 8C_574/2017 du 4 septembre 2018 consid. 5.3).

4.6.1 À titre d'exemples, dans un arrêt du 27 janvier 2005 (C.45/04), le Tribunal fédéral a estimé qu'un assuré qui travaillait depuis de nombreuses années en qualité de cimentier pour une société anonyme dont son père était l'administrateur unique ne jouissait pas d'une situation professionnelle comparable à celle d'un employeur, même si, en sa qualité d'actionnaire, il détenait une participation financière de huit sur 50 actions (soit 16%) dont la majorité se trouvait en mains de son père (consid. 3.2).

En revanche, dans un arrêt du 10 avril 2006 (C.61/05), le Tribunal fédéral a considéré qu'en détenant 49.5% du capital-actions d'une société anonyme, un assuré était en mesure d'avoir une influence prépondérante sur les décisions de la société, suffisant à nier son droit à l'indemnité de chômage (consid. 2.2).

Dans un arrêt du 13 février 2009 (8C_1044/2008), le Tribunal fédéral a également jugé qu'un assuré possédant 80 actions sur 200 d'une société anonyme, soit 40% du capital social, les deux autres associés détenant chacun 60 actions, soit 30% du capital-actions, demeurait l'actionnaire le plus influent. L'assemblée générale de la société pouvait valablement délibérer en tout cas si le 70% de l'actionnariat était présent ou représenté, chaque action conférant une voix. Cela permettait à l'assuré de s'accorder avec l'un des deux autres actionnaires pour que l'assemblée générale délibère valablement. Celui-ci conservait ainsi une influence déterminante sur les décisions de la société qui justifiait de considérer qu'il demeurait dans une position assimilable à celle d'un employeur malgré sa démission de son poste d'administrateur (consid. 3.2.2).

4.6.2 Dans un arrêt du 20 décembre 2023 (ATAS/1031/2023), la chambre de céans a considéré qu'il était concrètement impossible qu'un assuré possédant 27.3% du capital-actions d'une société anonyme (les autres actionnaires avaient une participation à raison de 29.9%, 24.5% et 16.9%) puisse exercer une influence sur les décisions de la société en s'alliant avec un autre actionnaire, compte tenu des litiges qui l'opposaient au conseil d'administration et aux autres actionnaires. Le droit aux indemnités de chômage ne pouvait donc pas lui être nié en raison de sa participation à l'actionnariat (consid. 12).

5.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

6.              

6.1 En l'espèce, les trois sociétés B______, D______, et E______ sont étroitement liées. Il ressort en effet de la « convention d'actionnaires E______ 2021 » que les sept actionnaires de cette dernière société ont pour but commun de développer au travers de cette société l'activité de quatre autres entreprises actives dans le domaine de l'orthopédie, dont celle de la société B______, détenue à 100% par la société D______, elle-même détenue à 100% par la société E______. Le « Groupe », qui comprend la société E______ et toutes les participations qu'elle détient, vise notamment à devenir un acteur majeur de la technique orthopédique en Suisse, par le biais du développement des sociétés existantes et la prise de participations dans d'autres sociétés orthopédiques, afin d'être capable de négocier au niveau national avec les assurances ou d'autres grands prestataires de services dans le domaine médical. L'objectif des actionnaires est in fine de faire croître les activités du Groupe et de réaliser une valorisation optimale de leur participation dans la société E______ (p. 1-2). Dans un courrier du 21 avril 2023, MM. F______, administrateur président, et G______, administrateur vice-président, de la société E______, indiquent que le but de cette dernière est la prise de participation dans le domaine de l'orthopédie et que la société D______ a été créée dans un but de financement de la société B______. Dans une attestation du 1er juin 2023, I______ mentionne que la valorisation des actions du Groupe nécessite que les comptes de toutes les sociétés du Groupe soient audités (au 31 décembre 2022). C'est dire qu'il existe une étroite interdépendance financière de ces sociétés.

D'après les extraits du registre du commerce, les activités des sociétés B______ et D______ se déploient à la même adresse, à Carouge. Le recourant, en sa qualité d'administrateur de la société D______ jusqu'au 9 mai 2023, et de la société B______ jusqu'au 5 mai 2023, selon inscriptions au journal du registre du commerce, disposait d'un droit de regard sur la conduite des deux sociétés. En sa qualité d'actionnaire de la société E______, lui conférant le droit de participer aux assemblées générales (art. 698 CO), il a par ailleurs accès aux résultats et comptes des différentes entités du Groupe.

Dans la mesure où le recourant figurait encore comme administrateur de la société B______, de laquelle il était salarié et d'où il a été licencié, au moment où le délai-cadre d'indemnisation a commencé à courir le 3 avril 2023 selon le décompte du mois d'avril 2023, il disposait ex lege au sein de cette société d'un pouvoir déterminant au sens de l'art. 31 al. 3 let. c LACI, de telle sorte à exclure son droit aux prestations de chômage sans qu'il soit nécessaire de déterminer concrètement les responsabilités qu'il y exerçait.

Ceci étant, la situation a par la suite évolué, le recourant ayant obtenu la radiation de son nom. En l'absence de tout élément concret susceptible d'établir la communication d'une démission effective du conseil d'administration auparavant, celle-ci a eu lieu au plus tôt le 5 mai 2023 s'agissant de la société B______ et le 9 mai 2023 pour ce qui concerne la société D______, comme relevé supra. Vu l'interdépendance des sociétés B______ et D______ sur le plan organisationnel et financier, ainsi qu'exposé ci-dessus, il convient de considérer que, au plus tard, le 9 mai 2023, le recourant ne pouvait plus formellement influencer les décisions, en particulier, de la société B______, son ancien employeur. Ainsi, à partir de ce moment, il pouvait prétendre aux indemnités de chômage, sauf s'il existe un risque de mise à contribution abusive de l'assurance-chômage.

6.2 À ce propos, même si le recourant n'est plus administrateur de la société E______ depuis le 10 mai 2022 selon inscription au journal du registre du commerce, il détenait encore, au moment où l'intimée a rendu la décision litigieuse le 12 octobre 2023, une participation de 14.29% dans cette société, à part égale avec les six autres actionnaires, chaque action donnant droit à un droit de vote selon la convention d'actionnaires précitée (p. 1). Dans la mesure où les actionnaires visent à développer par l'intermédiaire de la société E______ l'activité des autres entreprises actives dans le domaine orthopédique, notamment celle de la société B______, cette participation financière dans la société E______ permettait au recourant d'exercer une influence sur la destinée du Groupe, qui comprend la société B______. La question de savoir si le recourant conservait bien une influence déterminante en s'alliant avec d'autres actionnaires - celui-ci le nie, en prétendant avoir été écarté du Groupe contre son gré -, peut demeurer ouverte, car il y a lieu de rejeter le recours pour un autre motif.

6.2.1 Dans un arrêt du 5 avril 2016 (8C_401/2015), le Tribunal fédéral a considéré que l’intéressé avait, malgré la vente de sa part sociale à sa mère et la mise en liquidation de la société n° 1 (Sàrl), gardé toute son influence dans les prises de décision de cette société, dont il gérait entièrement seul les contrats en cours et s’occupait de la liquidation jusqu’à la radiation définitive. Ces constatations et l’existence d’un lien de parenté étroit entre l’intéressé et sa mère constituaient, selon le Tribunal fédéral, des indices sérieux qui permettaient d’admettre que l’assuré occupait, par le biais de sa mère, une position de fait assimilable à celle d’un employeur au sein de la société n°1 jusqu’à la date de sa radiation au registre du commerce. Par ailleurs, l'assuré n'était certes pas membre du conseil d'administration ni employé de la société n° 2 (SA). Cependant, il existait également un risque d'abus, dans la mesure où la mère en était l'administratrice unique, au bénéfice de la signature individuelle, et où le but social était quasi identique à celui de la société n° 1. L'intéressé conservait ainsi la possibilité éventuelle de reprendre une activité au service de la société n° 2, cela d'autant plus facilement que le domaine d'activité de celle-ci était le même que celui de la société n° 1 et que l'assuré avait précisément acquis une expérience professionnelle dans ce domaine au cours de son activité au service de ladite société (consid. 3.1 et 4.2).

Dans un arrêt du 1er mars 2018 (ATAS/200/2018), la chambre de céans a constaté un risque de contournement de la loi justifiant la négation du droit à l'indemnité de chômage dans le cas d'un assuré, qui, en dépit de la radiation le 15 septembre 2016 de ses pouvoirs formels de la société d'où il avait été licencié (ancien employeur), pouvait, par le biais de son frère, qui en avait repris toutes les parts et en était devenu l'associé-gérant avec signature individuelle à cette dernière date, influencer de façon déterminante les décisions de cette société. Par ailleurs, l'assuré conservait la possibilité d'exercer une activité du même type dans deux autres entités qu'il contrôlait, dont les buts et activités étaient proches, voire complémentaires de ceux de l'ancien employeur, ces trois entités poursuivaient au demeurant leurs activités à la même adresse. Le fait que le frère de l'assuré ait acquis l'intégralité des parts de l'une de ces deux autres entités et en soit devenu associé-gérant avec signature individuelle ultérieurement ne modifiait pas cette appréciation, puisqu'il existait un risque que le frère le laisse prendre une part active dans l'exploitation directe de cette entité (consid. 10.b).

6.2.2 En l'occurrence, il existe un lien de parenté étroit entre le recourant et son frère, qui est administrateur président de la société B______ depuis avril 2020, muni de la signature collective à deux, et qui, à ce titre, dispose d'une voix prépondérante au sein du conseil d'administration en cas de vote 50/50 (ch. 2.3 de la convention d'actionnaires précitée). Le frère dispose donc dans la société du même pouvoir décisionnel que Monsieur K______, qui est un autre administrateur de cette société depuis juillet 2014, doté également de la signature collective à deux d'après l'extrait du registre du commerce. Dans un courrier du 8 décembre 2022, ces deux administrateurs ont proposé au recourant un poste de technicien en podologie à un taux d'activité de 100% pour un salaire mensuel brut de CHF 8'000.- avec effet au 1er avril 2023. On peut certes comprendre que cette offre - que le recourant a déclinée - était insatisfaisante aux yeux de ce dernier en termes de responsabilité (il était auparavant responsable du secteur podologie, poste qui a été supprimé contre sa volonté) et de rémunération (il gagnait dans cette dernière fonction un salaire mensuel brut de CHF 13'000.-). Toutefois, force est de constater là un risque d'abus, puisque le recourant, quoi qu'il en dise, garde la possibilité d'être réengagé, par le biais de son frère, et d'exercer une activité du même type dans la société B______, qui l'a licencié, étant rappelé que le risque de réengagement dans l'entreprise, même s'il est seulement hypothétique, suffit à ce que le droit à l'indemnité de chômage soit nié.

Dans ces circonstances, c'est à juste titre que l'intimée a refusé au recourant le droit à l'indemnité de chômage, en tout cas, pour la période litigieuse s'étendant jusqu'au 12 octobre 2023, date de la décision dont est recours.

6.3 Enfin, pour autant que le recourant se prévale du principe de la protection de la bonne foi (découlant de l'art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 [Cst. - RS 101]) pour se voir reconnaître le droit aux indemnités de chômage avec effet au mois d'avril 2023, motif pris qu'il participe à des mesures relatives au marché du travail (art. 59 ss LACI) depuis le 3 avril 2023, on ne voit pas quelle disposition concrète il aurait prise (il ne l'allègue au demeurant pas) en se fiant auxdites mesures, sur laquelle il ne pourrait plus revenir sans subir de dommage (cf. sur les contours de ce principe : ATF 131 II 627 consid. 6. 1). Autrement dit, le recourant ne prétend pas que l'octroi de ces mesures par l'intimée l’a induit à un comportement préjudiciable à ses intérêts. Par conséquent, il ne peut pas être mis au bénéfice des indemnités de chômage auxquelles il n'a pas droit durant la période ici litigieuse.

7.             Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

8.             Le recourant, qui succombe, n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA a contrario).

9.             Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le