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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/9/2021

ATAS/746/2023 du 05.10.2023 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/9/2021 ATAS/746/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d'expertise du 5 octobre 2023

Chambre 3

 

 

En la cause

A______
représenté par Me Jacopo OGRABEK, avocat

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en ______ 1975, d’origine roumaine, arrivé en Suisse en 1982, au bénéfice d’une formation d’employé de commerce, a exercé, de 1999 à 2003, la profession de manutentionnaire/ mélangeur de produits auprès de B______, puis de C______. À compter de 2012, il a travaillé dans le domaine du service et de l’entretien comme « travailleur associatif » à 50% au E______, pour l’Association F______ (ci-après : l’association).

b. Le 19 octobre 2018, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI) en indiquant être en arrêt de travail depuis le 19 février 2018.

c. Ont été notamment versés au dossier :

-   un rapport du docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne générale et médecin traitant de l’assuré, du 23 novembre 2018, concluant à une capacité de travail de 0% dans l'activité habituelle et de 30% dans une activité adaptée (permettant d’éviter le port de lourdes charges et d’alterner les positions), en raison d’une fatigabilité et d’un trouble de la concentration liés à une polymédication ; le médecin retenait à titre de diagnostics : des troubles dégénératifs de la colonne cervicale et lombaire (lombosciatalgies, cervicobrachialgies, discopathie C5-C6, discopathie C6-C7), un état dépressif chronique et une dépendance au cannabis (consommation de 6 à 7 joints par jour) ; étaient également mentionnés, en précisant qu’ils étaient sans incidence sur la capacité de travail : une ancienne dépendance à l’héroïne, à la cocaïne et aux benzodiazépines (patient abstinent depuis 2017), une hépatite C guérie et un status post rhabdomyolyse du membre inférieur gauche (consécutif à une injection de toxiques en 2010), avec atteinte axonale sensitivomotrice dans le territoire distal du nerf sciatique gauche ; malgré une optimisation du traitement médicamenteux, de multiples infiltrations rachidiennes, des séances de physiothérapie en piscine et de l’hypnothérapie, le patient restait symptomatique et limité dans ses activités quotidiennes ; il se plaignait de douleurs cervicales irradiants de type hémicrânies droites, d’une lombosciatique droite survenant au port de charges ou lors de mouvements inhabituels du rachis, ou encore en fin d’effets pharmacologiques de son traitement antalgique, de paresthésies, de picotements et fourmillements des trois premiers doigts de la main droite et de fatigabilité lors d’efforts de concentration prolongée ; l’observance du traitement médicamenteux était excellente, attestée par des dosages plasmatiques ; le médecin, au vu de la complexité du cas et de la prédominance des plaintes subjectives de son patient par rapport aux constatations objectives faites lors de l’examen clinique, préconisait une expertise médicale pluridisciplinaire ; les limitations fonctionnelles étaient liées, d’une part, aux lombosciatalgies et cervicobrachialgies, qui interdisaient le port de charges lourdes, d’autre part, à la polymédication et à l’état dépressif, qui occasionnaient une grande fatigue, ainsi que des troubles de l’attention et de la concentration rendant une activité dans le secteur tertiaire impossible ; selon le médecin, la capacité de travail était de deux heures par jour dans une activité adaptée ;

-   un rapport de la docteure G______, spécialiste FMH en neurologie, du 19 mars 2019, relatant que le patient se plaignait de céphalées chroniques temporales et occipitales prédominants à droite, de douleurs chroniques diffuses aux membres inférieurs et de lombalgies au repos, notamment nocturnes, mais également d’allure mécanique, s’aggravant à la marche ou lors de la position debout prolongée, de sensations de lâchages dans les genoux et les chevilles, de crampes dans le mollet gauche, d’une légère faiblesse musculaire, suite à une atteinte du nerf sciatique gauche en 2010, d’une légère hypoesthésie de la jambe gauche, d’un engourdissement des trois premiers doigts des mains par intermittence, ainsi que de troubles du sommeil de type endormissement, mais également d’un sommeil superficiel avec plusieurs réveils par nuit ; après un examen neurologique et une électroneuromyographie (ENMG), le médecin concluait à des douleurs chroniques diffuses, notamment sous forme de cervicobrachialgies, lombalgies et douleurs des membres inférieurs dans le contexte d’une uncodiscarthrose, de protrusions discales et de rétrécissements foraminaux multiples ; les douleurs chroniques étaient probablement également liées en partie à une ancienne toxicodépendance ; était également signalée une amyotrophie de la jambe gauche liée à une lésion du nerf sciatique en 2010 (atteinte axonale motrice séquellaire du nerf sciatique gauche et atteinte axonale sévère du nerf sural gauche) ; le patient se plaignait également de troubles de la concentration, de troubles mnésiques et de l’humeur dans le contexte d’un état anxio-dépressif et d’un traitement antalgique lourd ;

-   un rapport de la docteure H______, du Département de santé mentale et de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), du 13 mai 2019, retenant les diagnostics de trouble dépressif récurrent moyen (F 33.1) et troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance (F12.2) ; le patient était connu pour un trouble dépressif récurrent et pour une ancienne polytoxicomanie débutée dès l’âge de 14 ans (héroïne, LSD, cocaïne, amphétamines et cannabis) ; la dernière hospitalisation remontait à 2012 ; les douleurs lombaires et cervicales dont le patient se plaignait depuis août 2017 avaient augmenté en intensité depuis le sevrage de l’héroïne médicale ; le patient se plaignait également de troubles du sommeil et de ruminations anxieuses ; les médecins avaient constaté un ralentissement psychomoteur, une thymie triste, une anhédonie, une aboulie, des idées de dévalorisation et une fatigue importante ; le patient était isolé socialement depuis vingt-cinq ans ; les médecins concluaient à une capacité de travail de 0% depuis février 2017 dans toute activité en raison des troubles de la concentration, d’une anhédonie, d’une aboulie et d’une vulnérabilité au stress importante ; le patient, sous traitement antidépresseur, n’avait pas observé d’amélioration des symptômes ; il rapportait une fatigue importante avec la prise de Lyrica ; il disait être compliant, mais aucun dosage sanguin n’avait été réalisé ; le patient était désormais abstinent de toute consommation de toxiques en dehors du cannabis, à raison de dix joints par jour ; les toxiques avaient entraîné des douleurs généralisées, principalement des céphalées, des cervicalgies, des lombalgies et des douleurs dans les jambes ; qui plus est, l’assuré avait développé un syndrome des loges, dont il avait gardé comme séquelles des crampes aux membres inférieurs, une diminution de la sensibilité et une sensation d’endormissement de la jambe gauche ; le patient décrivait déjà une symptomatologie anxio-dépressive avant le début de la consommation de toxiques ; la consommation actuelle de cannabis participait à l’aggravation des symptômes dépressifs tels que la perte de motivation, la fatigue et les troubles de concentration ;

-   un rapport du centre médical d’expertises I______ de Fribourg, plus particulièrement des docteurs J______, spécialiste en psychiatrie, et K______, spécialiste en rhumatologie, du 2 octobre 2020, retenant les diagnostics de névralgies et cervicobrachiales droites, de lombosciatalgies droites, de séquelles de rhabdomyolyse avec syndrome des loges du mollet gauche, de tunnel carpien bilatéral, de trouble de la personnalité asociale (F 60.2) et de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychotiques multiples et troubles liés à l’utilisation d’autres substances actives, désormais abstinent sauf pour le cannabis (F19.20) ; les limitations fonctionnelles suivantes ont été énumérées : l’obligation de changer de position régulièrement et d’éviter les efforts de soulèvement à partir du sol de charges de plus de 2 kg, les positions en porte-à-faux du buste et du rachis cervical, les rotations répétées du buste et du rachis cervical, le port de charges au-delà de 3 kg, la limitation de la marche, le piétinement, les montées et descentes d’escaliers ; il a été noté que la personnalité asociale avait des conséquences en termes de non-respect des normes et des contraintes de la vie professionnelle, mais pas sur la capacité de travail ; il a été retenu que l’assuré était capable de s’adapter à des règles de routine, de planifier et de structurer ses tâches, qu’il possédait la flexibilité et la capacité dans le changement, qu’il était capable de mobiliser ses compétences et connaissances, qu’il était apte à prendre des décisions, possédait du discernement, était capable d’initiatives et d’activités spontanées, qu’il pouvait s’affirmer, tenir une conversation et établir le contact avec des tiers ; il était apte à vivre en groupe, pouvait lier d’étroites relations, même s’il disait ne fréquenter personne, pouvait prendre soin de lui‑même et subvenir à ses besoins, pouvait se déplacer, même s’il n’avait plus le permis de conduire et aller jusqu’en Roumanie ; ses capacité de résistance et d’endurance étaient intactes, malgré la quantité importante de cannabis journalière (durant les entretiens, il n’y avait pas eu de séquelles de cette consommation) ; pour l’expert rhumatologue, les plaintes étaient cohérentes et plausibles, mais pas pour l’expert psychiatre, qui n’avait pas pu constater ni la tristesse et la dépression alléguées, ni les troubles de la concentration ou de la mémoire ; l’assuré était capable de faire des calculs et de donner des dates très précises ; il pouvait avoir des activités journalières qui contredisaient les limitations avancées, qui pouvaient trouver une explication dans l’importante quantité de cannabis dont il disait consommer ; les experts ont retenu une capacité de travail de 100% tant sur le plan rhumatologique que psychiatrique ; l’expert psychiatre a conclu à une personnalité de type psychopathe asociale induisant l’inexigibilité d’un traitement lege artis ; l’expert psychiatre, après avoir résumé l’évolution personnelle et professionnelle et la situation psychique et sociale de l’assuré, a conclu à une dépendance à la drogue primaire avec personnalité asociale ; il a écarté le diagnostic de trouble dépressif en indiquant n’en voir trouvé aucun signe clinique pendant l’entretien ; il a estimé que l’expertisé possédait des ressources psychologiques et des mécanismes adaptatifs ; les plaintes n’étaient ni cohérentes, ni plausibles, l’assuré ne paraissant ni triste, ni déprimé ; l’expert n’avait pas non plus observé de troubles de la concentration ou de la mémoire ;

-   un avis du Service médical régional de l'OAI (ci-après : SMR) du 7 octobre 2020, se ralliant aux conclusions de l’expertise et concluant à une totale capacité de travail depuis toujours, tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée.

d. Par décision du 3 décembre 2020, l’OAI a nié à l’assuré le droit à toute prestation, faute d’atteinte à la santé invalidante.

B. a. Le 3 janvier 2021, le Dr D______, spécialiste FMH en maladies infectieuses et médecine interne, a interjeté recours auprès de la Cour de céans au nom de l’assuré.

Le médecin argue que le rapport d’expertise du I______ sur lequel se fonde l’OAI comporte des conclusions erronées s’agissant de son patient.

Il reproche à l’expert psychiatre d’avoir conclu à un diagnostic de personnalité asociale (F 60.2) basé sur les antécédents judiciaires du patient et d’avoir réfuté celui d’état dépressif, alors que celui-ci est attesté par la Dre H______, par la Dre G______ et par lui-même, qui a suivi l’intéressé durant trois ans.

Il fait grief à l’expert psychiatre d’avoir retenu un manque de compliance au traitement sur la base du taux plasmatique infra-thérapeutique, dont la modicité s’explique, selon lui, par le faible dosage utilisé chez le patient en raison d’un risque de syndrome sérotoninergique.

Il s’étonne que l’expert psychiatre ait conclu à l’absence d’atteintes cognitives sur la base d’une évaluation sommaire, sans avoir eu recours à un examen neuropsychologique détaillé et ce, en contradiction avec l’évaluation de la Dre G______, qui a confirmé la présence de troubles neuropsychologiques importants en lien avec un état dépressif, une co-médication psychotropes lourde et la dépendance au cannabis.

Enfin, il souligne que si l’expert rhumatologue conclut à une capacité de travail de 100% dans l’activité habituelle, celle-ci consiste en une activité à but d’insertion à 50% à l’association. Il s’agit d’une activité peu lourde sur le plan physique ou intellectuel, qui ne correspond à aucune activité professionnelle que le patient pourrait exercer sur le marché du travail « actuel, exigeant et compétitif ».

b. Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 2 février 2021, a conclu au rejet du recours.

L’intimé rappelle que l’assuré a fait l’objet d’une expertise bi-disciplinaire auprès du I______, dont il estime que le rapport doit se voir reconnaître pleine valeur probante.

L’intimé relève que le Dr D______ n’est pas psychiatre et qu’il ne saurait dès lors remettre en cause des diagnostics émanant d’un spécialiste.

Il rappelle également qu’au regard de la large autonomie dont jouit l’expert dans la manière de conduire son expertise, s’agissant notamment des modalités de l’examen clinique et du choix des examens complémentaires à effectuer, le juge doit faire en général preuve de retenue avant de remettre en cause la méthodologie utilisée, ce d’autant qu’il convient de tenir compte également des difficultés et incertitudes propres à tout examen psychiatrique.

Pour le surplus, l’intimé se réfère à l’avis de son SMR du 11 janvier 2021, joint à son écriture.

Enfin, il argue que le « marché du travail actuel » n’est pas un critère pertinent, seule la notion du marché équilibré du travail, notion théorique et abstraite, faisant foi.

c. Le 11 juin 2021, le recourant a produit :

-   un bref rapport du docteur L______, neurochirurgien, du 26 avril 2021, concluant à la persistance d’une cervico-brachialgie droite et de maux de tête et précisant que la dernière imagerie par résonance magnétique (ci-après : IRM) cervicale pratiquée le 6 avril 2021 montrait un rétrécissement foraminal prédominant en C6-C7 à droite et de moindre mesure en C5-C6 ;

-   une IRM de la colonne lombo-sacrée du 8 avril 2021, montrant une sténose canalaire de grade Schizas B à l'étage L2-L3 en lien avec un débord discal circonférentiel dans le contexte d'une étroitesse canalaire constitutionnelle ;

-   un rapport de la Dre G______ du 30 avril 2021, concluant à un syndrome douloureux chronique diffus avec des céphalées, des cervico-brachialgies, des lombalgies, des douleurs des membres inférieurs ; le médecin évoquait également un tableau de troubles de la concentration, troubles mnésiques et troubles de la thymie, probablement liés à un état anxio-dépressif sous-jacent chronique et aux traitements antalgiques très lourds, avec des effets sédatifs ;

-   un courrier adressé le 4 juin 2021 au Dr D______ par le docteur M______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, comprenant un bref rappel anamnestique, relatant ses constatations lors de l’examen, notant que la récolte des données anamnestiques avait coûté un effort à l’assuré, que les informations n’étaient pas très précises, que l’attention et la concentration étaient légèrement diminuées, qu’il perdait parfois le fil rouge de son discours, qu’il était orienté dans le temps, dans l’espace, que sa vigilance n’était pas altérée, qu’il y avait un léger ralentissement de la pensée, qu’il exprimait une tristesse et une diminution de l’élan de vie, un manque d’entrain et qu’il se plaignait d’un sommeil fragmenté, d’une fatigabilité accrue ; le médecin relatait que l’examen neuropsychologique approfondi effectué par Monsieur N______, neuropsychologue, montrait des résultats dans la norme dans les domaines du langage, des compétences visuo-spatiales, de la mémoire, de la concentration, de la vitesse de traitement et du raisonnement, mais qu’en revanche, dans le domaine des fonctions exécutives, notamment, un trouble dysexécutif important ; le médecin indiquait ne pas avoir trouvé d’élément chez le patient qui permettrait de poser le diagnostic de trouble de la personnalité asociale, étant souligné que sa délinquance passée était entièrement en lien avec la polytoxicomanie et qu’on ne pouvait en déduire un mépris général pour les règles et les normes de la société ; il ne retrouvait pas d’indifférence froide ou de manque d’empathie ; l’assuré était tout à fait capable de reconnaitre ses propres responsabilités ; le médecin retenait pour sa part à titre de diagnostics : un trouble dépressif récurrent (F 33) et des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de dérivés de cannabis, syndrome de dépendance, utilisation continue (F 12.25), ainsi qu’un trouble dysexécutif (F 06.8) ; les limitations fonctionnelles consistaient dans la diminution de la capacité de planification et de structuration, ainsi que la diminution de la flexibilité ; il rappelait que l’activité exercée entre 2012 et 2018 était bénévole, n’excédait pas quatre heures par jour et n’impliquait pas des exigences importantes en termes d’endurance et de performance ; elle ne permettait donc en aucun cas de déduire une capacité de travail entière, mais démontrait en revanche la bonne volonté du patient et sa capacité à s’adapter à un cadre structuré ; les limitations étaient liées à la dépression, à la consommation importante de cannabis et aux troubles cognitifs ; s’y ajoutaient la fatigabilité liée à la symptomatologie douloureuse chronique, la baisse de l’humeur et le manque de vitalité ; selon le médecin, la capacité de travail, d’un point de vue psychiatrique, était de 0% dans toute activité, étant précisé qu’il lui semblait illusoire d’envisager une abstinence au cannabis, la consommation ayant également un but antalgique ; et

-   le rapport d’examen neuropsychologique de M. N______ du 26 mai 2021, concluant à des aptitudes intellectuelles globalement dans la norme et à une absence de déficit de l’attention ; c’était dans le domaine des fonctions exécutives que l’on observait le plus de difficultés ; le psychologue retenait un trouble dysexécutif important, surtout dans les domaines de la régulation comportementale et de la métacognition ;

d. Après avoir soumis ces documents à son SMR, l’intimé, en date du 5 juillet 2021, a persisté dans ses conclusions en rejet du recours.

e. Par écriture du 11 mars 2021, le Dr D______ a convenu que les différents documents produits n’amenaient certes pas d’éléments nouveaux. Il n’en demeurait pas moins qu’ils confirmaient l’existence et la persistance de troubles psychiatriques et somatiques conduisant à une incapacité de travail entière et contredisaient donc les conclusions du SMR.

f. Par écriture du 12 septembre 2022, le recourant, représenté par son avocat, a sollicité une expertise neuropsychologique, ainsi que l'audition de la Dre G______.

g. Une audience d'enquêtes s'est tenue le 22 septembre 2022, au cours de laquelle a été entendu le Dr J______, l'expert psychiatre auprès du I______.

Le témoin a déclaré avoir eu connaissance des rapports du Dr M______ et de M. N______, neuropsychologue, lesquels n'amenaient pas à modifier ses conclusions. Il n'avait pas demandé d'examen neuropsychologique, car ni lui ni son collègue – certes rhumatologue mais rompu aux expertises – n'avaient constaté le moindre signe en faveur de troubles cognitifs.

L'examen de M. N______ lui posait plusieurs problèmes :

-          le neuropsychologue concluait à un trouble dysexécutif « important » sans donner de codes motifs. Or, le diagnostic devait être qualifié de léger, moyen ou sévère ; le témoin ignorait à quoi correspondait le qualificatif utilisé ;

-          le neuropsychologue s'était surtout basé sur un questionnaire d'auto-évaluation rempli par l'assuré et son épouse, lequel n'était donc pas objectivable ;

-          selon son expérience, le syndrome de trouble dysexécutif se retrouvait en cas de maladie du lobe frontal, de Parkinson ou d'Alzheimer ; il était vrai qu'on pouvait le retrouver également en cas de trouble dépressif mais sévère, ce qui n'était pas le cas de l'assuré ;

-          il s'étonnait que le neuropsychologue ne fît pas le lien entre ses constatations et la consommation de cannabis au moment de l'examen ;

-          enfin, il constatait que le neuropsychologue n'avait pas procédé à un test de validation des symptômes qui aurait permis de déterminer la part subjective et, cas échéant, l'existence d'une exagération des symptômes ;

-          le neuropsychologue n'avait pas fait non plus la corrélation entre le diagnostic retenu et les éventuelles limitations fonctionnelles invalidantes.

S'agissant de son rapport d'expertise, le témoin tenait à corriger deux erreurs :

-          en page 8 avant l'anamnèse : l'assuré était resté en Roumanie un mois et non une année ;

-          en page 12 in fine : le témoin parlait de psychopathe asocial ; il suffisait de conclure à une personnalité asociale.

Concernant le rapport du Dr M______, le témoin constatait que celui-ci concluait à un trouble dépressif récurrent, sans se référer aux classifications internationales ni préciser le degré de gravité. Par ailleurs, le Dr M______ se faisait le relais de plaintes subjectives de son patient mais ne décrivait pas de status. Autrement dit, il n'indiquait pas les signes cliniques qu'il avait objectivés.

Les motifs ayant conduit le témoin à retenir une personnalité asociale étaient :

-          l'attitude de l'expertisé, plutôt froide et hautaine ;

-          sa mauvaise collaboration, notamment lorsque le témoin lui avait posé des questions sur son parcours professionnel ;

-          un manque d'empathie (celle-ci étant décrite comme la capacité à se mettre à la place de l'autre) ;

-          l'anamnèse, qui avait mis en évidence cette impossibilité, ainsi qu'une tendance égocentrique et la mise en avant de ses propres intérêts ;

-          une tendance à la projection (consistant à mettre la faute sur les autres plutôt que de prendre ses responsabilités et se remettre en question) ;

-          l'anamnèse toujours en ce qu'elle rappelait que l'assuré avait commis des vols pour se procurer de l'argent ainsi que des trafics et qu'il n'avait pas tenu compte des sanctions attachées à ses actes ;

-          le fait que l'assuré ne se soit pas occupé de son enfant et n'ait notamment pu fournir l'effort nécessaire pour remplir les conditions qui lui avaient été posées pour pouvoir le voir (cf. également page 2 du rapport du neuropsychologue, dont il ressortait que l'assuré avait préféré repousser la rencontre avec son fils dans l'attente de régler ses problèmes).

La personnalité se fixait à la fin de l'adolescence et perdurait ensuite jusqu'à la fin de la vie. Ce n'était pas parce qu'une personne était asociale qu'elle aller persister dans une voie criminelle jusqu'à la fin de son existence. Ce n'était pas parce que l'assuré avait commis des délits que le témoin avait conclu à une personnalité asociale. En l'occurrence, l'assuré ne travaillait pas, non pas en raison d'une maladie psychique mais en raison d'un manque de volonté non médical.

Selon le témoin, ne pas avoir d'empathie comme il l'avait retenu précédemment, ne signifiait pas encore être dépourvu de tout sentiment et être insensible au sort de sa compagne atteinte d'un cancer. Il pouvait y avoir manque d'empathie envers certaines personnes et sympathie pour d'autres, mais c'était très limité chez les personnalités asociales. Une fois encore, le témoin se référait au rapport du neuropsychologue et au refus de l'assuré d'entrer en contact avec son fils, bien que celui-ci le demandât.

L'assuré avait dit avoir pris le matin de l'expertise du Cymbalta et du Trittico. Le témoin en doutait car si tel avait été le cas, l'assuré aurait présenté devant lui des troubles de la vigilance et de l'élocution. D'ailleurs, le dosage plasmatique avait révélé des taux inférieurs à ceux recommandés pour le traitement de la dépression. S'il avait pris du Trittico le matin, le dosage aurait été plus élevé. Le témoin soulignait que le premier médicament, qui devait être pris le matin, avait également une vocation antidouleur. Quant au second, il devait être pris le soir, car il permettait aussi de lutter contre les troubles du sommeil.

Le dosage avait été comparé aux prescriptions faites à l'assuré : Cymbalta 60 mg et Trittico 150 mg.

S'agissant de la mise en évidence de troubles cognitifs, le témoin a expliqué avoir prêté attention à plusieurs éléments :

-          le degré d'attention et de vigilance de l'expertisé, en posant des questions permettant d'évaluer son orientation dans le temps et l'espace ;

-          son degré de compréhension des questions ;

-          sa capacité de concentration, étant rappelé qu'une expertise était une situation de stress ; le témoin examinait ainsi si l'expertisé avait du mal à trouver ses mots ou s'il devait s'interrompre par exemple ;

-          ses capacités mnésiques à long et court termes (avec des questions concernant ses souvenirs du passé, la date exacte des événements importants, mais aussi avec une comparaison entre le début et la fin de l'examen pour mettre en évidence d'éventuels oublis).

De façon générale, en présence d'une dépression moyenne ou sévère, une personne présentait des troubles cognitifs visibles au long de l'entretien, tels qu'un ralentissement psychomoteur.

L'examen clinique, l'élément le plus important d'une expertise, avec l'étude préalable du dossier, permettait à l'expert de déceler les signes cliniques qui, s'il avait le moindre doute, l'amèneraient à objectiver d'éventuels troubles cognitifs par le biais d'un examen neuropsychologique, si possible par un expert certifié SIM.

h. Par écriture du 7 octobre 2022, le recourant a fait part à la Cour de céans des questions qu'il souhaitait voir poser aux Drs M______ et G______, ainsi qu'à M. N______, et réitéré la nécessité de diligenter une expertise neuropsychologique.

i. Par écriture du 31 octobre 2022, l'intimé a indiqué ne pas avoir de question supplémentaire auxdits spécialistes, et estimé qu'une nouvelle expertise ne se justifiait pas.

j. Par courriers du 2 novembre 2022, la Cour de céans a invité les Drs M______ et G______, ainsi que M. N______ à répondre aux questions qui leur étaient posées.

k. Dans son rapport du 25 novembre 2022, le Dr M______ a maintenu ses conclusions exprimées le 4 juin 2021, et indiqué que des examens supplémentaires n'étaient pas nécessaires. Il a ajouté que l'assuré avait bénéficié d'un suivi psychiatrique auprès de lui depuis mars 2022, à raison de dix séances, qui confirmait ses premières observations. Celui-ci ne présentait pas un comportement manipulateur-menteur asocial. Le médecin avait omis de mentionner en juin 2021 le degré de la sévérité de l'état dépressif de l'assuré. Lors de la première consultation, le résultat était de 17 points sur l'échelle de dépression de Hamilton, et de 18 points récemment. Il retenait un état dépressif modéré. Son évaluation se basait tant sur les plaintes du patient que sur ses observations. Un examen clinique d'une heure trente suffisait pour conclure et qualifier des diagnostics. Il excluait le trouble de la personnalité dyssociale. Les délits commis par l'assuré étaient la conséquence de la toxico-dépendance. L'utilisation continuelle de cannabis conduisait à retenir le diagnostic de troubles mentaux et du comportement lié à l'utilisation de dérivés de cannabis : syndrome de dépendance. Le refus de l'assuré de nouer un lien avec son fils ne suggérait aucun diagnostic psychiatrique. L'expert avait employé le terme de « psychopathe asociale », dont le SMR avait tenu compte dans son appréciation, et, ce faisant, l'expert avait porté, volontairement ou non, un jugement moral, discréditant l'expertisé et ses dires. Le fait que le test Brief-A, pour mesurer les fonctions exécutives, était un auto-questionnaire n'enlevait en rien à sa validité. Il incluait d'ailleurs des échelles de négativité, de rareté et d'incohérence qui confirmaient ou non la validité du questionnaire. En l'occurrence, la validité du questionnaire rempli par l'assuré et son épouse avait été confirmée. La cohérence entre les deux évaluations, constatée par le neuropsychologue, était un argument en faveur de l'objectivité du test. Il était regrettable que le neuropsychologue n'ait pas fait de corrélation entre le trouble constaté et les limitations fonctionnelles handicapantes, mais le Dr M______ avait discuté des résultats du Brief-A dans son rapport (de juin 2021).

l. Dans son rapport du 25 novembre 2022, M. N______ a également confirmé son appréciation du 26 mai 2021. Il réfutait toute accusation d'un manquement à des tests de validation des symptômes (réalisés couramment au cabinet dans le cadre d'un mandat officiel). Dans le cas présent, il avait effectué pas moins de six tests neuropsychologiques reconnus évaluant les fonctions exécutives, pour une durée totale de huit heures et cinquante minutes, dont cinq heures trente d'examen clinique. Il avait qualifié et quantifié le diagnostic, en retenant un trouble dysexécutif important, qui n'était ni léger ni moyen, mais sévère. D'autres examens n'étaient pas nécessaires. Les questionnaires d'évaluation par l'assuré et son épouse avaient été proposés en complément aux résultats contrastés des tests neuropsychologiques, dont quatre étaient déficitaires à sévèrement déficitaires, attestant d'une atteinte des fonctions exécutives de l'assuré, en particulier sur les versants de la flexibilité, de la planification et de l'inhibition. Les médicaments (Cymbalta, Trittico) pouvaient être à l'origine de la baisse de la vigilance, que M. N______ n'avait pas observée lors du bilan, tout en rappelant que pour bon nombre de tests du bilan neuropsychologique, l'assuré avait performé tout à fait correctement (hormis les scores faibles aux tâches évaluant les fonctions exécutives).

m. Dans son rapport du 5 décembre 2022, la Dre G______ a indiqué avoir vu l'assuré à trois reprises, la dernière date remontait au 29 avril 2021. Elle retenait un syndrome douloureux chronique (l'appréciation de ce diagnostic était toujours clinique) avec des douleurs au niveau du crâne de type névralgie, ainsi que des douleurs diffuses du rachis, ayant motivé plusieurs infiltrations sous contrôle de scanner. Le patient décrivait également des symptômes sensitifs intermittents au niveau des mains. Les constatations à l'examen neurologique et électroneuromyographique étaient relativement superposables aux examens de 2019 et 2020. L'assuré présentait une atteinte séquellaire sévère du nerf sciatique gauche avec amyotrophie, faiblesse et diminution de la sensibilité de la jambe gauche (perte de l'ordre de 70% des fibres motrices du nerf destiné au pied et de l'ordre de 85% des fibres sensitives du nerf sural gauche). L'assuré présentait également un syndrome du tunnel carpien léger qui se manifestait par des fourmillements dans les deux mains.

Selon elle, le patient présentait des limitations fonctionnelles en raison d'un syndrome douloureux chronique, de séquelles d'atteinte nerveuse périphérique au membre inférieur gauche et de troubles neuropsychologiques. Lors de la consultation d'avril 2021, elle avait constaté que l'assuré était relativement somnolent, d'humeur triste (il avait évoqué la maladie de son épouse), cherchait ses mots par moments, et avait des difficultés à préciser les dates à l'anamnèse. Ces symptômes pouvaient être liés d'une part aux douleurs et d'autre part à la prise de médicaments à visée antidouleur. Il existait des tests neurophysiologiques afin de quantifier la douleur, mais qui ne pouvaient pas être utilisés comme tests de routine. Les tests d'évaluation par rapport aux douleurs étaient souvent basés sur des questionnaires et autres évaluations qui avaient une grande part de subjectivité. À l'examen clinique, elle avait toutefois observé une limitation de la mobilité des articulations de la nuque, liée probablement à une contracture musculaire douloureuse et à une lésion générative du rachis. En général, un examen clinique d'une heure trente était suffisant pour conclure et qualifier des diagnostics.

Elle relevait que les troubles cognitifs, notamment le syndrome dysexécutif, avaient été mis en évidence par M. N______ sur la base de tests psychométriques objectifs (sous réserve d'une bonne collaboration du patient) et pas seulement sur le questionnaire d'auto-évaluation rempli par l'assuré et son épouse.

Sur le plan neurologique, il n'était pas nécessaire d'effectuer d'autres examens : L'IRM lombosacrée et cervicale avaient objectivé un canal lombaire étroit et des discopathies protrusives lombaires responsables de lombosciatalgies, et une discopathie protrusive comprimant le nerf C7 à droite.

Le patient prenait trois médicaments (traitement antidépresseur à base de Cymbalta et Trittico, avec effet sédatif/somnifère, et prise de Pregabalin, non mentionné par le psychiatre, pour les douleurs neurogènes). Ces trois médicaments, et le Palexia (opiacé), traitement antalgique lourd avec sédatif, pouvaient expliquer une partie des plaintes du patient, notamment la fatigabilité, les troubles de concentration, les troubles mnésiques, et sur le plan neuropsychologique, le syndrome dysexécutif (difficultés de programmation, fléchissement mental). La consommation excessive et régulière de cannabis pouvait être responsable de troubles neuropsychologiques.

n. Dans ses observations du 12 janvier 2023, l'intimé s'est rallié à l'avis joint du SMR du même jour.

Il considère que les médecins traitants n'ont pas apporté d'éléments médicaux objectifs qui auraient été ignorés jusqu'au moment déterminant de la décision litigieuse.

o. Dans ses observations du 13 janvier 2023, le recourant a conclu, préalablement, à l'audition des Drs M______, G______, et à celle de M. N______, ainsi qu'à la mise sur pied d'une nouvelle expertise, et principalement, à l'annulation de la décision du 3 décembre 2020 et à l'octroi d'une rente d'invalidité entière.

Il estime que l'audition de ces spécialistes est nécessaire pour qu'ils répondent aux différents points qu'ils ont laissés indéterminés. Par exemple, le Dr M______ a indiqué ne pas comprendre la question 4, libellée comme suit : « [e]st-ce que la prise récente des médicaments tels que le Cymbalta (60 mg) et le Trittico (150 mg) peut avoir des effets directs et détectables lors d'une analyse clinique ? Si oui, lesquels ? ». La réponse de M. N______ à la question de savoir si un examen clinique d'une heure trente suffit pour conclure et qualifier des diagnostics laisse entendre qu'il n'a pas compris que cette durée se rapportait à l'examen effectué par le Dr J______ et non au sien.

Il fait valoir que ces spécialistes ont fait état d'éléments objectivement vérifiables qui ont été ignorés dans le cadre de l'expertise (il se réfère aux pages 3 des rapports de la Dre G______ et de M. N______), et qui sont suffisamment pertinents pour en remettre en cause les conclusions. Il en tire la conséquence que la Cour de céans doit procéder à des investigations supplémentaires.

p. Le 11 août 2023, la Cour de céans a informé les parties qu’elle envisageait d’ordonner une expertise et leur a accordé un délai pour se déterminer sur les questions à poser à l’expert et suggérer un ou plusieurs noms d’experts psychiatres.

q. Le 16 août 2023, l’intimé a suggéré les docteurs O______ ou P______ et quelques questions supplémentaires.

r. Le 12 septembre 2023, le recourant a également suggéré quelques questions supplémentaires. Le 19 septembre 2023, il a ajouté n'avoir aucun motif de récusation à l’encontre des experts suggérés par l’intimé mais sollicité que l’expertise soit complétée par un volet neurologique.

s. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance‑invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours (du 3 janvier 2021) a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée (du 3 décembre 2020) a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

5.             Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

6.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d'invalidité, singulièrement sur sa capacité de travail.

 

7.              

7.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

7.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

7.3 Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

7.4 Selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral I.654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

8.              

8.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral I.786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

8.2 La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, telle la classification internationale des maladies (ci-après : CIM) ou le DSM-IV (Diagnostic and Statiscal Manual) (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

8.3 Le point de départ de l'évaluation prévue pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409), les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418) et les troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (ATF 145 V 215) est l'ensemble des éléments médicaux et constatations y relatives. Les experts doivent motiver le diagnostic psychique de telle manière que l'organe d'application du droit puisse comprendre non seulement si les critères de classification sont remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1), mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d'occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_551/2019 du 24 avril 2020 consid. 4.1 et la référence).

8.4 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui – en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part –, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

8.5 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

8.6 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

8.6.1 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

8.6.2 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 du règlement sur l'assurance-invalidité du 17 janvier 1961 [RAI - RS 831.201] ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve ; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).

8.6.3 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

8.6.4 En cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I.514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

9.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

10.         Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I.751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4).

 

 

11.          

11.1 En l'espèce, l'intimé, en se fondant sur l'avis du SMR du 7 octobre 2020, lui‑même basé sur le rapport d'expertise rhumatologique et psychiatrique du 2 octobre 2020, a nié le droit du recourant à toute prestation, en particulier, à une rente d'invalidité, en l'absence de toute atteinte à la santé invalidante.

11.1.1 Sur le plan somatique, l'expert rhumatologue (le Dr K______), qui a étudié les pièces médicales du dossier, y compris les documents d'imagerie, tenu compte des plaintes du recourant et, procédé à l'examen clinique de celui-ci, a posé les diagnostics, avec effet sur la capacité de travail, de névralgie cervicobrachiale droite secondaire à une discopathie protrusive comprimant le nerf C7 droit, de lombosciatalgie droite secondaire à une discopathie protrusive lombaire, et de séquelles de rhabdomyolyse avec syndrome des loges du mollet gauche, et celui, sans effet sur la capacité de travail, de canal carpien bilatéral électromyographique. Sur cette base, l'expert a énuméré les limitations fonctionnelles à mettre objectivement en lien avec les atteintes constatées, soit le changement de position régulier, l'évitement des efforts de soulèvement à partir du sol de plus de 2 kg, le port de charges près du corps supérieures à 3 kg, le porte‑à‑faux et la rotation répétée du buste et du rachis cervical, et la limitation de la marche, du piétinement et de la montée et descente d'escaliers. Il a considéré que ces atteintes n'empêchent pas le recourant d'exercer toute activité respectant ces restrictions à plein temps, depuis février 2018.

Aucun rapport au dossier ne suscite de doute qui justifierait que l'on se distancie de cette appréciation.

Dans son avis du 5 juillet 2021, le SMR, qui a examiné les pièces produites par le recourant le 11 juin 2021 (rapport du Dr L______, neurochirurgien, du 26 avril 2021, IRM de la colonne cervicale du 6 avril 2021, IRM de la colonne lombo-sacrée du 8 avril 2021, rapport de la Dre G______, neurologue, du 30 avril 2021), a estimé que ces documents ne faisaient pas état d'élément objectivement vérifiable qui aurait été ignoré par l'expert. Dans son écriture du 11 mars 2021, le Dr D______ se rallie à l'avis du SMR, tout en indiquant que la capacité de travail du recourant est nulle (alors que les Drs L______ et G______ ne se sont pas prononcés sur la capacité de travail du recourant). Or, l'appréciation différente de la capacité de travail de l'assuré ne suffit pas à elle seule pour remettre en cause les conclusions de l'expert.

11.1.2 Sur le plan psychiatrique, l'expert (le Dr J______) a retenu, sans répercussion sur la capacité de travail, les diagnostics de trouble de la personnalité asociale (F 60.2), et de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychotiques multiples et troubles liés à l’utilisation d’autres substances actives, désormais abstinent sauf pour le cannabis (F19.20), et exclu celui de trouble dépressif, à défaut de signe clinique pendant l'examen (dossier intimé p. 231-233).

Les conclusions du Dr J______, insuffisamment motivées sur certains points particuliers, et empreintes de contradictions, ne sauraient, à ce stade, être suivies.

En effet, l'expert n'a guère discuté les diagnostics retenus par ses confrères antérieurement. Dans un rapport du 13 mai 2019 (dossier intimé p. 172 ss), le Département de santé mentale et de psychiatrie des HUG avait pourtant diagnostiqué notamment un trouble dépressif récurrent moyen (F 33.1), et conclu à une capacité de travail nulle dans toute activité depuis février 2017 en raison des troubles de la concentration, d'une anhédonie, d'une aboulie et d'une vulnérabilité au stress importante. Or, il était indispensable que l'expert expose de manière circonstanciée les motifs qui justifiaient qu'il s'écarte de l'appréciation des médecins des HUG. D'autant plus qu'il avait pour mission d'évaluer la capacité de travail du recourant de manière rétrospective ‒ depuis février 2018 (dossier intimé p. 224) ‒ sur une période où celui-ci avait été examiné par les médecins des HUG, période au cours de laquelle le recourant pourrait éventuellement prétendre une rente d'invalidité (dès le 1er avril 2019 au plus tôt, la demande de prestations ayant été déposée le 19 octobre 2018 [art. 29 al. 1 et 3 LAI]). C'est le lieu de rappeler que le fait d'écarter l'existence dans le passé de certaines atteintes en dépit des constatations faites à l'époque par les médecins doit être solidement motivée (ATAS/64/2019 du 28 janvier 2019 consid. 6).

Par ailleurs, l'expert mentionne qu'il n'y a pas eu de prise en charge psychiatrique (p. 233), alors que le recourant, qui prenait des antidépresseurs (p. 91, 98, 172, 178), a consulté un psychiatre en décembre 2017 (p. 91). Quant au fait que le recourant ne serait pas entièrement compliant au traitement médicamenteux selon l'expert (p. 230), le Dr D______, médecin traitant généraliste, relève que la faible dose s'explique, d'après lui, en raison d'un risque de syndrome de sérotoninergique (acte de recours).

Ensuite, il paraît contradictoire d'admettre que le recourant ne présentait pas de troubles de la mémoire, au motif qu'il était capable de faire des calculs et de donner des dates précises (dossier intimé p. 230, 232), tout en relevant que celui‑ci avait indiqué lors de l'expertise avoir suivi un traitement par héroïne injectée aux HUG sans qu'il ne puisse cependant donner la date exacte (p. 229).

De même, l'expert ne retient aucune atteinte à la santé incapacitante (p. 233), tout en posant le diagnostic d'un trouble de la personnalité asociale « [ayant] une incidence dans le sens d'un non-respect de normes et de contraintes de la vie professionnelle, mais pas sur la capacité de travail » (p. 225). Or, il est paradoxal de considérer le recourant à la fois entièrement apte au travail, et incapable de respecter les normes et contraintes de la vie professionnelle, soit notamment les règles de l'entreprise qui l'engagerait. On se demande en tous cas quel employeur prendrait le risque d'embaucher une personne présentant ce profil (si tant est que ce diagnostic soit confirmé ; les Drs D______, et M______, psychiatre traitant, le réfutent (cf. acte de recours et rapports des 4 juin 2021 et 25 novembre 2022).

Qui plus est, lors de l'audience du 22 septembre 2022, l'expert a déclaré que la personnalité, qui se fixait à la fin de l'adolescence, perdurait jusqu'à la fin de la vie. Ni dans son rapport d'expertise, ni à l'occasion de cette audience, il n'a expliqué les raisons pour lesquelles il retenait les critères diagnostiques suivants d'un trouble de la personnalité asociale, se contentant d'indiquer qu'il s'était fondé sur l'entretien et l'anamnèse, sans que l'on ne puisse toutefois comprendre, à la lecture du rapport, en quoi ces critères seraient remplis. En effet, il expose que le recourant est incapable à maintenir durablement des relations (p. 231), alors que depuis 2016 il vit avec sa nouvelle épouse et son beau-fils qu'il considère comme son meilleur ami (p. 228). L'expert indique que le recourant est incapable à tirer un enseignement des expériences, notamment des sanctions, alors que le recourant, bien qu'il fût incarcéré un temps, a suivi un traitement thérapeutique pour se sevrer de la drogue (entre autres, cocaïne et héroïne ; p. 242), avec succès ; il est abstinent depuis septembre 2017 (p. 94, 97), sauf pour le cannabis qui a un effet bénéfique sur ses douleurs, ce qui a motivé une prescription à base de CBD à des fins médicales (p. 90).

De surcroît, l'expert rapporte que le recourant, en dehors des périodes d'hospitalisation pour le sevrage, a toujours été capable de travailler (dossier intimé p. 233). Or, du 9 juillet 2012 au 6 juillet 2018, celui-ci a été placé par l'Hospice général dans une activité socio-éducative de 20 heures hebdomadaires au sein d'une association (p. 68, 81) ‒ et non pas à plein temps ‒, et, dans une fiche de bilan – activité de réinsertion du 14 juillet 2015, cette association a répondu par la négative à la question de savoir si le bénéficiaire (le recourant) était en mesure dans l'immédiat d'exercer une activité sur le marché de l'emploi, en invoquant la santé du recourant et la gestion de ses émotions (p. 150). Dans leur rapport précité du 13 mai 2019, les HUG évoquaient également une vulnérabilité au stress importante, et le recourant a été mis en arrêt de travail total depuis le 19 février 2018 (dossier intimé p. 18-21).

Enfin, selon l'expert, une mesure de réadaptation professionnelle serait vouée à l'échec, mais il n'explique pas son point de vue (p. 232).

11.2 Au vu de ces éléments, susceptibles de jeter le doute sur les conclusions de l'expert psychiatre, il se justifie de mettre en œuvre une expertise psychiatrique judiciaire, étant relevé que le Cour de céans ne peut pas s'appuyer sur les rapports des Drs D______ et M______ pour trancher le droit aux prestations, car le premier n'est pas un psychiatre et le second ne s'est pas prononcé sur la capacité de travail du recourant pour la période rétrospective depuis le 19 février 2018.

En revanche, une expertise neurologique n’est pas nécessaire. En effet, sur le plan somatique, les conclusions de l’expert peuvent être suivies (cf. consid. 11.1.1 supra). Le médecin traitant lui-même confirme que les derniers rapports du Dr L______, neurochirurgien, et de la Dre G______, neurologue, ne font pas état d'élément objectivement vérifiable qui aurait été ignoré par l'expert. Le recourant n’a par ailleurs produit aucun autre rapport susceptible de mettre en doute ces conclusions

L'expertise judiciaire sera confiée au Dr P______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à l'endroit duquel les parties ont indiqué n'avoir pas de motif de récusation à faire valoir.

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

I. Ordonne une expertise psychiatrique de Monsieur A______.

Commet à ces fins le docteur P______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie.

Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A.    Prendre connaissance du dossier de la cause.

B.     Si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité la personne expertisée, en particulier les docteurs D______, et M______.

C.     Examiner et entendre la personne expertisée et si nécessaire, ordonner d’autres examens.

D.    Charge l’expert d’établir un rapport détaillé comprenant les éléments suivants :

1.      Anamnèse détaillée (avec la description d’une journée-type)

2.      Plaintes de la personne expertisée

3.      Status clinique et constatations objectives

4.      Diagnostics (selon un système de classification reconnu)

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogénèse).

4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail

4.1.1 Dates d'apparition

4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail

4.2.1 Dates d'apparition

4.3 Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

4.4 L'état de santé de la personne expertisée s'est-il amélioré/détérioré depuis le 19 février 2018 ?

4.5     Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par la personne expertisée).

4.6     Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

4.7     Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

4.8     Quelles conclusions peut-on tirer des dosages sanguins et/ou urinaires des substances psychoactives concernant la consommation / l’abstinence de l’intéressé ?

4.9     L’abstinence des différentes substances psychoactives utilisées est-elle exigible ?

5. Limitations fonctionnelles

5.1. Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic

5.1.1 Dates d'apparition

5.2 Les plaintes sont-elles objectivées ?

6. Cohérence

6.1 Est-ce que le tableau clinique est cohérent, compte tenu du ou des diagnostic(s) retenu(s) ou y a-t-il des atypies ?

6.2 Est-ce que ce qui est connu de l'évolution correspond à ce qui est attendu pour le ou les diagnostic(s) retenu(s) ?

6.3 La compliance de l’assuré est-elle confirmée par un dosage sanguin des psychotropes prescrits ?

6.3 Est-ce qu'il y a des discordances entre les plaintes et le comportement de la personne expertisée, entre les limitations alléguées et ce qui est connu des activités et de la vie quotidienne de la personne expertisée ? En d’autre termes, les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel, personnel) ?

6.4 Quels sont les niveaux d’activité sociale et d’activités de la vie quotidienne (dont les tâches ménagères) et comment ont-ils évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

6.5 Dans l’ensemble, le comportement de la personne expertisée vous semble-t-il cohérent et pourquoi ?

7. Personnalité

7.1 Est-ce que la personne expertisée présente un trouble de la personnalité selon les critères diagnostiques des ouvrages de référence et si oui, lequel ? Quel code ?

7.2 Est-ce que la personne expertisée présente des traits de la personnalité pathologiques et, si oui, lesquels ?

7.3 Le cas échéant, quelle est l'influence de ce trouble de personnalité ou de ces traits de personnalité pathologiques sur les limitations éventuelles et sur l'évolution des troubles de la personne expertisée ?

7.4 La personne expertisée se montre-t-elle authentique ou y a-t-il des signes d'exagération des symptômes ou de simulation ?

8. Ressources

8.1 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur le plan somatique ?

8.2 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur les plans :

a) psychique

b) mental

c) social et familial. En particulier, la personne expertisée peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?

9. Capacité de travail

9.1 Dater la survenance de l’incapacité de travail durable dans l’activité habituelle pour chaque diagnostic, indiquer son taux pour chaque diagnostic et détailler l’évolution de ce taux pour chaque diagnostic.

9.2 La personne expertisée est-elle capable d’exercer son activité lucrative habituelle ?

9.2.1 Si non, ou seulement partiellement, pourquoi ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?

9.2.2 Depuis quelle date sa capacité de travail est-elle réduite/ nulle ?

9.3 La personne expertisée est-elle capable d’exercer une activité lucrative adaptée à ses limitations fonctionnelles ? 

9.3.1 Si non, ou dans une mesure restreinte, pour quels motifs ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?

9.3.2 Si oui, quel est le domaine d’activité lucrative adaptée ? À quel taux ? Depuis quelle date ?

9.3.3 Dire s’il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

9.4 Comment la capacité de travail de la personne expertisée a-t-elle évolué depuis le 19 février 2018 ?

9.5 Des mesures médicales sont-elles nécessaires préalablement à la reprise d’une activité lucrative ? Si oui, lesquelles ?

9.6 Quel est votre pronostic quant à l’exigibilité de la reprise d’une activité lucrative ?

10. Traitement

10.1 Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation.

10.2 Est-ce que la personne expertisée s'est engagée ou s'engage dans les traitements qui sont raisonnablement exigibles et possiblement efficaces dans son cas ou n'a-t-elle que peu ou pas de demande de soins ?

10.3 En cas de refus ou mauvaise acceptation d’une thérapie, cette attitude doit-elle être attribuée à une incapacité de la personne expertisée à reconnaître sa maladie ?

10.4 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée.

11. Appréciation d'avis médicaux du dossier

11.1 Êtes-vous d'accord avec l'avis du Dr D______ du 23 novembre 2018 ? En particulier avec les diagnostics posés (sur le plan psychique), les limitations fonctionnelles constatées et l'estimation de la capacité de travail ? Si non, pourquoi ?

11.2 Êtes-vous d’accord avec l’avis du Département de santé mentale et de psychiatrie des HUG du 13 mai 2019 ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles constatées et l’estimation d’une capacité de travail de 0% ? Si non, pourquoi ?

11.3 Êtes-vous d'accord avec l'avis du docteur J______ du 2 octobre 2020 et celui du 22 septembre 2022 ? En particulier avec les diagnostics posés, et l'estimation de la capacité de travail de 100%? Si non, pourquoi ?

11.4 Êtes-vous d'accord avec l'avis du Dr M______ des 4 juin 2021 et 25 novembre 2022 ? En particulier avec les diagnostics posés, les limitations fonctionnelles constatées et l'estimation de la capacité de travail de 0%? Si non, pourquoi ?

11.5 Êtes-vous d’accord avec l’avis de la Dre G______ du 19 mars 2019 ? En particulier avec les diagnostics posés ? Si non, pourquoi ?

11.6 Êtes-vous d’accord avec ‘avis de M. N______, psychologue FSP, du 26 mai 2021 ? En particulier avec les diagnostics posés ? Si non, pourquoi ?

12. Quel est le pronostic ?

13. Des mesures de réadaptation professionnelle sont-elles envisageables ?

14. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

II. Invite l’expert à déposer, dans les meilleurs délais, son rapport en trois exemplaires auprès de la chambre de céans.

III. Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le