Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1288/2023

ATAS/704/2023 du 20.09.2023 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1288/2023 ATAS/704/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 septembre 2023

Chambre 4

 

En la cause

A______

 

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est marié à Madame B______ (ci-après : l’intéressée), père de trois enfants et au bénéfice des prestations complémentaires à l’AVS/AI.

b. Par décision du 28 novembre 2022, le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) a informé l’assuré qu’il avait recalculé son droit aux prestations complémentaires et que dès le 1er décembre 2022, il avait droit à CHF 2'179.- de prestations complémentaires cantonales, mais pas à des prestations complémentaires fédérales.

Le SPC a pris en compte dans ses calculs un revenu hypothétique pour l’intéressée dès le 1er décembre 2022.

c. L’assuré a formé opposition à la décision précitée, contestant le revenu hypothétique pris en compte pour son épouse, car celle-ci était toujours en arrêt maladie. Elle avait subi deux opérations chirurgicales en mai 2022 et était suivie par une psychiatre. Une demande de prestation d’assurance-invalidité avait été déposée.

d. Le 25 janvier 2023, le SPC a demandé à l’assuré de lui transmettre le curriculum vitae de son épouse ainsi qu’un rapport médical détaillé à son sujet.

e. Le 25 janvier 2023, le SPC a demandé à l’office cantonal de l’assurance invalidité (ci-après : l’OAI) de lui transmettre le dossier de l’intéressée.

Le SPC n’a pas reçu le dossier demandé, dès lors que l’intéressée n’avait pas formé de demande de prestations d’invalidité.

f. Il a également demandé une copie de son dossier à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE).

L’OCE a transmis son dossier au SPC et il en ressort notamment que l’intéressée s’est inscrite auprès de cet office le 5 décembre 2022 pour un placement à 100% dès cette date.

g. Par décision sur opposition du 15 mars 2023, le SPC a considéré qu’il n’avait pas été établi au degré de la vraisemblance prépondérante que l’intéressée était incapable de travailler pour des raisons médicales de manière durable depuis le 1er décembre 2022.

B. a. Le 14 avril 2023, l’assuré a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant à ce qu’un revenu hypothétique ne soit pas pris en compte pour son épouse.

À l’appui de son recours, il a produit un rapport établi le 12 janvier 2023 par la docteure C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, attestant que l’intéressée bénéficiait d’un suivi psychiatrique et psychothérapeutique régulier depuis le 10 août 2021 et qu’elle était depuis lors en arrêt maladie. Elle avait un traitement médicamenteux, en raison d’un trouble anxieux et d’un état dépressif sévère.

b. L’intimé a conclu au rejet du recours.

c. Lors d’une audience du 30 août 2023, la chambre de céans a entendu le recourant et son épouse.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 43 LPCC; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10] et art. 43 LPCC).

Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité [LPFC - J 4 20]; art. 43 LPCC).

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de la prise en compte par l’intimé d’un revenu hypothétique pour l’intéressée dès le 1er décembre 2022.

4.             Dans le cadre de la réforme de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, de nombreuses dispositions ont été modifiées (FF 2016 7249; RO 2020 585).

Dans la mesure où le recours porte sur le droit aux prestations complémentaires dès le 1er décembre 2022, selon la décision du 28 novembre 2022, soit une période postérieure au 1er janvier 2021, le présent litige est soumis au nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur dès le 1er janvier 2021.

5.              

5.1 Selon l’art. 11a LPC, si une personne renonce volontairement à exercer une activité lucrative que l’on pourrait raisonnablement exiger d’elle, le revenu hypothétique correspondant est pris en compte comme revenu déterminant. La prise en compte de ce revenu est réglée par l’art. 11 al. 1 let. a LPC (al. 1).

Hormis la prise en compte, à hauteur de 80%, du revenu hypothétique d’une activité lucrative du conjoint sans droit aux prestations complémentaires (cf. art. 11 al. 1 let. a LPC), l’art. 11a al. 1 LPC reprend sur le fond la pratique actuelle en matière de prise en compte du revenu hypothétique (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC] du 16 septembre 2016, FF 2016 7249 p. 7322).

Il y a dessaisissement lorsque le conjoint d'une personne assurée s'abstient de mettre en valeur sa capacité de gain, alors qu'il pourrait se voir obligé d'exercer une activité lucrative en vertu de l'art. 163 du code civil (CC; RS 210).

Il appartient à l'administration ou, en cas de recours, au juge d'examiner si l'on peut exiger de l'intéressé qu'il exerce une activité lucrative et, le cas échéant, de fixer le salaire qu'il pourrait en retirer en faisant preuve de bonne volonté.

Il convient de tenir compte, conformément au but des prestations complémentaires, non seulement de son état de santé, mais également des autres circonstances susceptibles d’entraver une telle activité, telles que son âge, sa formation professionnelle, ses connaissances linguistiques, son activité antérieure, le marché du travail et la durée plus ou moins longue de son éloignement professionnel (arrêts du Tribunal fédéral des assurances P.17/01 du 16 juillet 2001 consid. 1c ; P 88/01 du 8 octobre 2002 consid. 2.1).

Les organes d'exécution en matière de prestations complémentaires ne disposent pas des connaissances spécialisées pour évaluer l'invalidité, raison pour laquelle ils sont liés par les évaluations de l'invalidité effectuées par les organes de l'assurance-invalidité lorsqu'ils fixent le revenu exigible des assurés partiellement invalides. Pour autant, les organes d’exécution en matière de prestations complémentaires ne sont pas dispensés de se prononcer de manière autonome sur l'état de santé de l'assuré lorsqu'est invoquée une modification intervenue depuis l'entrée en force du prononcé de l'assurance-invalidité. Le SPC ne peut se prévaloir de son manque de connaissances spécialisées pour écarter d'emblée toute mesure d'instruction au sujet de l'état de l’aggravation de l’état de santé invoquée par un bénéficiaire des prestations complémentaires (arrêts du Tribunal fédéral 8C_68/2007 du 14 mars 2008 consid. 5.3 et 8C_172/2007 du 6 février 2008 consid. 7.2 ; ATAS/910/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4). Afin de déterminer si l’exercice d’une activité était exigible du bénéficiaire, il incombe au SPC de s’enquérir de la procédure en cours devant l’assurance-invalidité et de requérir la décision statuant sur sa nouvelle demande ainsi que les rapports ou expertises y relatifs (art. 43 LPGA).

5.2 Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n'existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).

5.3 Le principe inquisitoire, qui régit la procédure dans le domaine de l'assurance sociale (cf. art. 43 al. 1 et 61 let. c LPGA), exclut que la charge de l'apport de la preuve ("Beweisführungslast") incombe aux parties, puisqu'il revient à l'administration, respectivement au juge, de réunir les preuves pour établir les faits pertinents. Dans le procès en matière d'assurances sociales, les parties ne supportent en règle générale le fardeau de la preuve que dans la mesure où la partie qui voulait déduire des droits de faits qui n'ont pas pu être prouvés en supporte l'échec. Cette règle de preuve ne s'applique toutefois que s'il n'est pas possible, dans les limites du principe inquisitoire, d'établir sur la base d'une appréciation des preuves un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 128 V 218 consid. 6; ATF 117 V 261 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 9C_632/2012 du 10 janvier 2013 consid. 6.2.1).

6.              

6.1  

En l’espèce, la chambre de céans constate que l’intimé a reçu des rapports médicaux attestant d’une incapacité de travail de 100% de l’intéressée pour les mois d’octobre 2022 à janvier 2023. Il a toutefois estimé qu’elle pouvait travailler dès le 1er décembre 2022, en tenant compte du fait qu’elle s’était inscrite à l’OCE à 100% le 5 décembre 2022. Il ressort toutefois des déclarations de la recourante à la chambre de céans qu’elle s’était inscrite à l’OCE pour que l’intimé ne tienne plus compte d’un gain hypothétique dans ses calculs du droit aux prestations complémentaires de son époux, sur les conseils qui lui avaient été donnés à la réception de l’intimé. Elle n’avait toutefois pas touché les prestations du chômage, la Dre C______ ayant refusé de lui faire un certificat de reprise d’activité professionnelle, considérant qu’elle n’était pas en état de travailler. Le représentant de l’intimé a confirmé qu’il était possible que l’intéressée se soit réinscrite à l’OCE, alors qu'elle n'était pas en état de travailler, sur les conseils de collaborateurs travaillant à la réception de l’intimé, étant relevé que ceux-ci donnaient des informations générales, sans prendre connaissance du dossier des assurés.

Il en résulte que le fait que l’intéressée se soit inscrite à l’OCE le 5 décembre 2022 ne remet pas sérieusement en cause la teneur des rapports médicaux qui attestaient qu’elle était totalement incapable de travailler.

6.2  

6.2.1 L’intimé a également tenu compte du fait qu’aucune demande de prestations de l’assurance-invalidité n’avait été déposée par l’intéressée, alors que l’incapacité de travail alléguée remontait à août 2021, soit 18 mois auparavant.

L’intéressée a expliqué à la chambre de céans qu’elle avait renoncé à faire une demande de prestations à l’assurance-invalidité, sur la recommandation d’une assistante sociale, car elle craignait que cela ait une incidence négative sur le renouvellement de son permis de séjour. Après 13 ans en Suisse et malgré le fait qu’elle avait un mari suisse, elle était en effet toujours en renouvellement de son permis B. Cela était notamment dû au fait qu’avec son époux, ils avaient touché l'aide de l'Hospice général, en attendant que celui-ci obtienne sa rente d’invalidité.

6.2.2 Les raisons pour lesquelles la recourante n’a pas déposé de demande à l’assurance-invalidité apparaissent crédibles, au vu des circonstances, et l’on ne peut pas en tirer de conclusions sur sa capacité de travailler en décembre 2022. Ce fait ne remet donc pas non plus en cause l’incapacité de travail attestée par son médecin.

6.3  

6.3.1 L’intimé a fait valoir qu’il n’avait pas pour rôle de se substituer à l’assurance-invalidité.

6.3.2 À défaut de demande faite à l’assurance-invalidité, il lui incombait toutefois, à teneur de la jurisprudence, d’instruire le dossier sur le plan médical et de se prononcer de manière autonome sur l'état de santé de l’intéressée.

Dès lors, s’il estimait que les rapports médicaux étaient trop succincts et incomplets, il aurait dû demander des rapports complémentaires aux médecins de l’intéressée et se prononcer sur cette base.

6.4 C’est par conséquent à tort que l’intimé a considéré qu’il n’avait pas été établi au degré de la vraisemblance prépondérante que l’intéressée était incapable de travailler pour des raisons médicales de manière durable depuis le 1er décembre 2022.

7.             Le recours est ainsi partiellement fondé. La décision querellée sera en conséquence annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

La procédure est gratuite.

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 15 mars 2023.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le