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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/321/2022

ATAS/434/2023 du 13.06.2023 ( AVS ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/321/2022 ATAS/434/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 juin 2023

Chambre 2

 

En la cause

A______

représenté par F______ (GENEVE) SA, soit pour elle M. G______, mandataire

recourant

contre

CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FEDERATION DES ENTREPRISES ROMANDES 
FER CIAM 106.1

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. B______ LLP (ci-après : la société) est une étude d’avocats américaine, fondée au Etats-Unis sous la forme d’une limited liability partnership, avec siège à Washington DC.

Pendant les années litigieuses, le responsable du siège était Monsieur C______.

b. En septembre 2005, B______ LLP a ouvert un bureau à Genève.

Monsieur D______ (ci-après : l’associé genevois ou le recourant) en était le responsable (« Partner in charge ») dès son ouverture.

c. Le personnel de la société était affilié auprès de la Caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes – FER-CIAM 106.1 (ci-après : la caisse, la FER ou l’intimée).

d. En mai 2010, suite à la fusion avec E______ LLP, une étude d’avocats britannique, la société a cessé son activité à Genève et y a fermé son bureau.

e. La société a été radiée de la FER avec effet au 1er mai 2010.

B. a. L’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) a résumé le fonctionnement des LLP dans un courrier daté du 31 juillet 2015. En substance, plusieurs études d’avocat étrangères, organisées sous la forme de LLP, s’étaient installées à Genève. Un ou plusieurs associés prenaient domicile dans le canton afin d’assumer la responsabilité de la structure. De manière générale, la part de ces associés au revenu mondial de la société (revenu net) était déterminée au prorata de leur pourcentage de participation dans la LLP. La rémunération était en fonction de l’importance de la part dans la LLP. Le revenu net mondial de l’entreprise était déterminé par la somme des revenus nets de l’ensemble des bureaux dans le monde, le revenu net d’un bureau étant déterminé en déduisant les frais du revenu brut réalisé. Exceptionnellement, les associés pouvaient bénéficier d’une part fixe aux revenus nets de la firme ou d’un paiement garanti, en sus de leur part aux profits. Ce montant était versé indépendamment des performances de la firme.

b. Sur le plan fiscal, l’associé d’une LLP, domicilié en Suisse, était imposé de la manière suivante (courriers de l’AFC des 22 août 2005 et 31 juillet 2015) :

-          Au titre d’une activité indépendante, au lieu de situation de l’établissement stable, sur la part du profit réalisé par et sur une part du capital propre attribuable à l’établissement stable en Suisse ;

-          Au titre d’une activité dépendante, à son domicile, sur le revenu du paiement garanti.

c. En 2009, l’associé genevois a perçu un revenu fixe annuel de CHF 250'000.-, à titre de salaire, et une participation aux revenus de la LLP de USD 1'535'865.-.

d. De janvier à avril 2010, l’associé genevois a perçu un revenu fixe de CHF 83'333.- et une participation aux revenus de la LLP de USD 430'258.-.

e. Seul le salaire fixe de CHF 250'000.- a été déclaré à la FER et à l’AFC.

C. a. Faisant suite à une communication spontanée de l’autorité fiscale cantonale et constatant l’absence d’affiliation à une caisse, la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la CCGC) a, par décision du 3 novembre 2014, confirmée sur opposition le 18 septembre 2015, affilié d’office l’associé genevois en tant que personne indépendante, avec effet rétroactif au 1er janvier 2009 et lui a réclamé des cotisations personnelles pour les années 2009 et 2010.

b. Dans le cadre du recours interjeté, par l’associé genevois, contre la décision sur opposition du 18 septembre 2015, les parties ont trouvé un accord, aux termes duquel les revenus réalisés étaient considérés comme provenant d’une activité dépendante exercée pour le compte de la société. Suite à cet accord, le recours a été retiré (procédure A/3696/2015 – ATAS/647/2018 du 17 juillet 2018).

c. Le 25 juillet 2018, la CCGC a expliqué à la FER avoir été informée que l’assuré genevois percevait, depuis 2009, des revenus d’une activité indépendante, soit CHF 1'668'018.- pour 2009 et CHF 1'992'184.- pour 2010, qui n’avaient pas été soumis à cotisations. Elle avait donc affilié l’assuré genevois en tant qu’indépendant à partir du 1er janvier 2009 et elle lui avait adressé des décisions de cotisations, lesquelles avaient été confirmées sur opposition. Dans le cadre de la procédure de recours A/3696/2015, l’associé genevois avait admis avoir uniquement déclaré un salaire de CHF 250'000.- par an. Le solde (CHF 1'418'018.- pour 2009 et CHF 1'742'184.- pour 2010) était considéré comme un revenu indépendant, suite à un accord conclu avec l’administration fiscale genevoise, et n’avait jamais été soumis aux cotisations sociales en Suisse ni aux Etats-Unis d’ailleurs. Dans un souci de simplification administrative, de cohérence et de pragmatisme, la CCGC avait accepté de considérer l’entier des revenus de l’assuré genevois comme du salaire.

La société étant notamment affiliée auprès de la FER, la CCGC demandait à cette dernière de bien vouloir reprendre, soit sous la forme d’une réparation de dommage, soit par des décisions de reconsidération, les montants des salaires non déclarés par le responsable du bureau genevois dès 2009.

d. Par décision du 4 décembre 2019, confirmée sur opposition le 17 décembre 2021, la FER a réclamé à l’assuré genevois le paiement de CHF 335'012.50.-, représentant les cotisations paritaires dues et exigibles pour 2009 et la période de janvier à avril 2010, étant précisé qu’elle avait subi un dommage du fait que les cotisations afférentes à l’activité pour la société étaient prescrites. En sa qualité d’organe, l’associé genevois était responsable du dommage, dans la mesure où ledit bureau avait cessé son activité à Genève.

D. a. Le 28 janvier 2022, agissant sous la plume de son conseil, l’associé genevois a interjeté recours, concluant, sous suite de frais et dépens, principalement, à la constatation que l’action en réparation du dommage, concrétisée par la décision en réparation du dommage du 4 décembre 2020, était prescrite, subsidiairement qu’elle était infondée. Cela fait, le recourant concluait à l’annulation de la décision sur opposition du 17 décembre 2021 et de la décision de réparation du 4 décembre 2019 qu’elle confirmait.

A l’appui de ses conclusions, le recourant a notamment invoqué le fait que l’action en question était prescrite, considérant que le délai de cinq ans avait commencé à courir avec la survenance du dommage, en mai 2010, avec la fermeture du bureau genevois. En tout état, il ne pouvait être considéré comme le représentant de la société et, partant, comme un organe de celle-ci. Enfin, aucune négligence grave ne pouvait lui être reprochée et le lien de causalité faisait également défaut.

b. La FER a répondu en date du 24 mars 2022 et a conclu au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision sur opposition du 17 décembre 2021. Pour elle, le dommage était survenu avec la péremption des cotisations sociales et le recourant, en sa fonction de Managing Partner du bureau de Genève, en était le responsable. Par ailleurs, il avait le pouvoir d’engager la société vis-à-vis de tiers puisqu’il avait notamment signé différents documents adressés à la FER en lien avec les salaires versés. Il savait ainsi parfaitement que la part variable de ses revenus n’avait pas été déclarée en Suisse et qu’aucune contribution sociale n’avait été payée aux Etats-Unis. Enfin, s’agissant de la qualification de la rémunération perçue, au regard du droit de l’AVS, il y avait eu un accord avec la CCGC et le recourant ne pouvait raisonnablement soutenir, dans une procédure antérieure, pour un même revenu, qu’il s’agissait d’un salaire déterminant et affirmer le contraire dans la présente procédure pour éviter de devoir payer le dommage.

c. Le recourant et l’intimée ont persisté dans leurs conclusions par écritures des 6 mai et 4 août 2022, respectivement 12 juillet et 6 septembre 2022.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie

1.2  

1.2.1 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

1.2.2 La société disposait de bureaux à Genève ou, en d’autres termes, d’un établissement stable au sens de la LAVS. Elle doit donc être considérée comme ayant été domiciliée dans le canton de Genève, de sorte que la Chambre de céans est également compétente ratione loci.

2.              

2.1 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent aux art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n'y déroge expressément.

2.2 Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

3.              

3.1 Les dispositions de la novelle du 17 mars 2011 modifiant la LAVS sont entrées en vigueur le 1er janvier 2012. Elles n'ont pas amené de changements en matière de responsabilité subsidiaire des organes fondée sur l'art. 52 LAVS. En effet, outre quelques retouches de forme, le nouvel art. 52 al. 2 LAVS concrétise les principes établis par la jurisprudence constante du Tribunal fédéral (cf. Message relatif à la modification de la LAVS du 3 décembre 2010, FF 2011 519, p. 536 à 538). Sur le plan matériel, sont en principe applicables les règles de droit en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 1 consid. 1; ATF 127 V 467 consid. 1 et les références).

3.2 En l’espèce, les montants litigieux concernent la période allant du 1er janvier 2009 au 30 avril 2010, de sorte que l’art. 52 al. 1 LAVS est applicable dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011, selon laquelle l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation. Du point de vue matériel, cette disposition ne diffère cependant pas de celle en vigueur depuis le 1er janvier 2012 qui l'a remplacée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_80/2017 du 31 mai 2017 consid. 3.2).

 

4.              

4.1  

4.1.1 Selon l'art. 52 al. 1 LPGA, les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues, à l'exception des décisions d'ordonnancement de la procédure. L'opposition est un moyen de droit permettant au destinataire d'une décision d'en obtenir le réexamen par l'autorité administrative, avant qu'un juge ne soit éventuellement saisi (cf. ATF 119 V 350 consid. 1b et les références).

La décision sur opposition remplace la décision initiale et devient, en cas de recours à un juge, l'objet de la contestation de la procédure judiciaire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_777/2013 du 13 février 2014 consid. 5.2.1).

4.1.2 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

4.2 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c LPA), le recours est recevable en tant qu’il porte sur l’annulation de la décision sur opposition du 17 décembre 2021.

Il est toutefois irrecevable en tant qu’il conclut également à l’annulation de la décision du 4 décembre 2019, celle-ci ayant en réalité été remplacée par la décision sur opposition précitée.

5.             Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales (AVS-AI-APG et AC ainsi qu’AMat et AF) entre le 1er janvier 2009 et le 30 avril 2010, singulièrement sur la prescription de la prétention de la caisse.

6.              

6.1 Aux termes de l’art. 12 al. 2 LAVS, l’employeur ayant un établissement stable en Suisse est tenu de payer des cotisations.

Sont considérées comme des établissements stables au sens de l’AVS toutes les installations permanentes, tels les bâtiments d’une fabrique, les locaux commerciaux et les bureaux, dans lesquelles travaillent les salariés du ou de la titulaire de l’établissement. La notion d’établissement stable dans l’AVS est plus large que celle du droit fiscal. Il n’est pas nécessaire qu’une partie qualitativement ou quantitativement importante de l’activité commerciale soit exercée dans les installations de l’employeur (n° 1018et 1019 [ex n°1021 et 1022] des Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG [DP]).

6.2 L'art. 14 al. 1er LAVS en corrélation avec les art. 34 ss du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101), prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 137 V 51 consid. 3.2 et les références).

6.3 A teneur de l’art. 15 LAVS, les cotisations non versées après sommation sont perçues sans délai par voie de poursuite, à moins qu’elles ne puissent être compensées avec des rentes échues (al. 1). Les cotisations seront, en règle générale, recouvrées par voie de saisie également contre un débiteur soumis à la poursuite par voie de faillite (art. 43 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1) (al. 2).

Cette disposition prévoit le principe selon lequel l’administration doit recouvrer ses créances par la voie de la poursuite pour dettes et faillite (Michel VALTERIO, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et de l’assurance-invalidité (AI), 2011, n° 698 p. 206).

A noter que selon l’art. 50 al. 2 LP, le débiteur domicilié à l’étranger qui possède un établissement en Suisse peut y être poursuivi pour les dettes de celui-ci.

7.              

7.1 Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011, l’art. 52 LAVS prévoyait que :

1 L’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l’assurance, est tenu à réparation.

2 La caisse de compensation compétente fait valoir sa créance en réparation du dommage par décision.

3 Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L’employeur peut renoncer à invoquer la prescription.

4 Lorsque le droit à réparation du dommage découle d’un acte punissable soumis par le droit pénal à un délai de prescription plus long, ce délai est applicable.

5 En dérogation à l’art. 58, al. 1, LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours.

6 La responsabilité au sens de l’art. 78 LPGA est exclue.

7.2 Du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019, l’art. 52 LAVS stipulait que

1 L'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation.

2 Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

3 Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L'employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable

4 La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision.

La nouvelle teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, codifie en réalité la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATAS/610/2013 du 18 juin 2013 consid. 4a).

7.3 Le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations – RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS (RO 2018 5343 ; FF 2014 221), lequel prévoit désormais que

l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites.

Selon l’art. 60 CO, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2020,

1 L’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.

2 Si le fait dommageable résulte d’un acte punissable de la personne tenue à réparation, elle se prescrit au plus tôt à l’échéance du délai de prescription de l’action pénale, nonobstant les alinéas précédents. Si la prescription de l’action pénale ne court plus parce qu’un jugement de première instance a été rendu, l’action civile se prescrit au plus tôt par trois ans à compter de la notification du jugement.

8.             À titre liminaire, il convient d’examiner si la prétention de la caisse est prescrite.

8.1  

8.1.1 Jusqu’au 31 décembre 2019, l’art. 52 al. 3 aLAVS prévoyait que le droit à la réparation se prescrivait deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. En renvoyant désormais aux dispositions du CO sur la prescription des actions introduites en cas d’acte illicite, le délai de prescription relatif se trouve porté de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. De plus, la prescription plus longue de l’action pénale visée à l’art. 60 al. 2 CO est applicable. Le délai de prescription ne commence plus à courir à la survenance du dommage mais le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé. Les autres aspects de la prescription, notamment les motifs d’empêchement ou de suspension et les actes interruptifs, sont régis par les art. 130 ss CO (Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription] du 29 novembre 2013, FF 2014 221, p. 260).

L’art. 49 Titre final du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) règle de manière générale les questions de droit transitoire en matière de prescription et a été réécrit lors de la révision du droit de la prescription (Message précité, FF 2014 221, pp. 230 et 231). Depuis le 1er janvier 2020, cet article dispose notamment que lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3). Au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).

Le principe est que le nouveau droit s’applique dès lors qu’il prévoit un délai plus long que l’ancien droit, mais uniquement à la condition que la prescription ne soit pas déjà acquise. En d’autres termes, les délais de prescription en cours sont allongés par le nouveau droit. A contrario, une créance déjà prescrite demeure prescrite (Message précité, FF 2014 221, p. 231). Par ailleurs, même si la prétention bénéficie d’un nouveau délai plus long de prescription, cela n’influence pas le point de départ de la prescription, c’est-à-dire que le délai ne recommence pas à courir au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. Pour les questions de droit de la prescription autres que celles du début et de la longueur du délai, par exemple les (nouveaux) motifs de suspension et d’interruption, la renonciation à la prescription ou le droit transitoire, seul le nouveau droit est applicable dès son entrée en vigueur pour la période suivant celle-ci et non rétroactivement. Ainsi, les déclarations de renonciation à la prescription valablement faites sous l’ancien droit restent valables sous l’empire du nouveau droit (Message précité, FF 2014 221, p. 254).

8.1.2 Les délais prévus par les art. 52 al. 3 aLAVS et 60 al. 1 CO sont des délais de prescription, de sorte qu'ils ne sont pas sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition (ATF 135 V 74 consid. 4.2).  

8.2  

8.2.1 Le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2; ATF 126 V 443 consid. 3a).

Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l'art. 52 LAVS, pour un motif juridique, lorsque l'employeur ne déclare pas à l'AVS tout ou partie des salaires qu'il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l'art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l'avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6 ; cf. aussi Marco REICHMUTH, Die Haftung des Arbeitgebers und seiner Organe nach Art. 52 AHVG, 2008, n° 334 p. 82). Ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai absolu (ATF 129 V 193 consid. 2.2; ATF 123 V 12 consid. 5c).

Plus fréquemment, le dommage est réputé survenir pour des motifs de fait (Marco REICHMUTH, op. cit., n° 341 p. 84). C'est notamment le cas lorsque, en raison de l'insolvabilité de l'employeur, les cotisations ne peuvent plus être prélevées selon la procédure ordinaire prévue aux art. 14 ss. LAVS (ATF 123 V 16 consid. 5b, ATF 123 V 170 consid. 2a, ATF 121 III 384 consid. 3bb, ATF 113 V 256, ATF 112 V 157 consid. 2, avec renvois), par exemple lorsque la caisse de compensation reçoit un acte de défaut de biens définitif dans le cadre d'une poursuite par voie de saisie. Le dommage peut également survenir pour d’autres motifs que l'insolvabilité de l'employeur, notamment lorsque l’exécution forcée des cotisations en souffrance ne peut se faire en Suisse faute de for. Certes, d'un point de vue purement juridique, la perception des cotisations auprès du siège principal de la société à l’étranger serait possible. Outre le fait que l'issue d'un tel procès serait très incertaine, un tel procédé ne relèverait pas de la procédure ordinaire des art. 14 ss. LAVS. Dans un tel cas, le dommage survient également pour des raisons de fait (arrêt du Tribunal fédéral H 37/02 du 3 septembre 2003 consid. 3 et Marco REICHMUTH op. cit., n° 363 p. 89).

8.2.2 Il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1).

8.3 S’agissant des actes interruptifs de prescription, il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS les éléments qui suivent.

Les délais de prescription sont interrompus par les actes énumérés à l’art. 135 CO (applicable par analogie) ainsi que par tous les actes adéquats par lesquels la créance en dommages-intérêts est invoquée de manière appropriée à l’encontre du débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 9C_641/2020 du 30 mars 2021 consid. 5.3 et la référence; arrêt du Tribunal fédéral 9C_400/2020 du 19 octobre 2020 consid. 3.2.1 et la référence). Tant la décision que l’opposition interrompent les délais de prescription (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

La prescription est notamment interrompue par une action ou une exception devant un tribunal (art. 135 ch. 2 CO par analogie) et recommence à courir lorsque le litige devant l'instance saisie est clos (art. 138 al. 1 CO; ATF 147 III 419 consid. 5.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 9C_906/2017 du 21 juin 2018 consid. 1.2; sur l'application par analogie des dispositions générales selon les art. 135 ss CO, cf. ATF 141 V 487 consid. 2.3 et les références; ATF 135 V 74 consid. 4.2.1 et les références).

9.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

10.         En l’espèce, le recourant était responsable du bureau genevois de B______ LLP, une étude d’avocats américaine. La limited liability partnership ou LLP est un genre de « general partnership », forme juridique qui correspond à une société de personnes du droit européen continental, mais qui constitue une personne (morale) distincte de ses associés en vertu du Uniform Partnership Act de 1997 (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_433/2013 du 6 décembre 2013 consid. 5.2.1). Le bureau genevois ne disposait, quant à lui, pas de la personnalité juridique ; il n’était pas inscrit au registre du commerce et constituait un établissement stable au sens du droit des assurances sociales ou du droit fiscal.

Jusqu’en mai 2010, la créance de cotisations pouvait être réclamée à la LLP, par le biais de la procédure de poursuite et faillite ordinaire, à Genève, conformément à l’art. 50 al. 1 LP. Le bureau a toutefois fermé ses portes en mai 2010. Ainsi, à partir de juin 2010, il n’y avait plus aucun for en Suisse et les éventuels créanciers devaient procéder aux Etats-Unis pour recouvrer leurs créances.

Or, comme le Tribunal fédéral l’a considéré, dans son arrêt H 37/02 du 3 septembre 2003, le fait de devoir poursuivre un débiteur à son domicile ou siège à l’étranger ne relève pas de la procédure ordinaire des art. 14 et ss LAVS, de sorte que le dommage survient dès ce moment-là.

Dans le cas d’espèce, le dommage est donc né avec la fermeture du bureau, fin mai 2010, dès lors que c’est à partir de cette date que les cotisations ne pouvaient plus être recouvrées en Suisse, par la voie ordinaire de la poursuite pour dettes et faillites. Ainsi, conformément à l’art. 52 aLAVS, une éventuelle décision en réparation du dommage devait être notifiée au recourant dans un délai de cinq ans à compter de ce moment, soit avant le mois de juin 2015.

Tel n’a pas été le cas, puisque la première décision en réparation a été notifiée au recourant le 4 décembre 2019, de sorte que la prescription de cinq an était déjà acquise à ce moment-là.

Certes, on se trouve dans le cas – rare – dans lequel la prescription absolue a été atteinte avant même que le créancier – soit l’intimée en l’espèce – ne soit au courant de son dommage et que le délai de deux ans ne puisse commencer à courir. Cela ne constitue toutefois pas un motif pour modifier le point de départ du délai absolu et le faire partir de la péremption des cotisations. Ce cas ne concerne en effet que les situations dans lesquelles il était encore possible, pour la caisse, de recouvrer les cotisations par la voie ordinaire mais qu’en raison de l’ignorance de la caisse de l’existence de telles cotisations, cela n’a pas été fait (cf. consid. 8.2.1. ci-dessus).

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision sur opposition du 17 décembre 2021 sera annulée.

Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 1'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).

 

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable en tant qu’il concerne la décision sur opposition du 17 décembre 2021.

2.        Le déclare irrecevable pour le surplus.

Au fond :

3.        L’admet.

4.        Annule la décision sur opposition du 17 décembre 2021.

5.        Condamne l'intimé à verser au recourant une indemnité de CHF 1'000.- valant participation à ses frais de défense.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Diana ZIERI

 

Le président

 

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le