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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1837/2021

ATAS/605/2022 du 30.06.2022 ( APG ) , RATIONE MATERIAE

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1837/2021 ATAS/605/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juin 2022

5ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à GLAND, représenté par CAP Compagnie d'assurance de protection juridique SA

recourant

 

contre

CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FÉDÉRATION DES ENTREPRISES ROMANDES FER-CIAM 106.1, sise rue de St-Jean 98, GENÈVE

intimée

 


 

EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est un résident suisse, domicilié à Gland, dans le canton de Vaud.

b. L’assuré est actionnaire unique de la société B______ (IDE : 1______), sise avenue D______ à Genève. À teneur des indications du registre du commerce, celle-ci exploite un atelier de reliure industrielle. Elle a été fondée le 10 août 2020 par la transformation en société anonyme de l’entreprise en raison individuelle « C______» (IDE : 2______) avec reprise du patrimoine et des dettes.

c. Suite à la première vague de la pandémie de coronavirus, l’assuré a perçu des indemnités perte de gain COVID-19 d’un montant brut de CHF 19'381.50 pour la période allant du 17 mars au 16 septembre 2020 inclus.

d. À partir du mois d’octobre 2020, la Suisse a été frappée par une seconde vague de COVID-19 ; celle-ci a affecté l’activité économique de B______.

e. Par déclaration de salaires reçue par la caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes FER-CIAM 106.1 (ci-après : la caisse ou l’intimée) le 13 janvier 2021, l’assuré a déclaré qu’il avait reçu de B______ une rémunération d’un montant de CHF 25'000.- pour la période allant du 1er août 2020 au 31 décembre 2020 inclus.

B. a. Par requête du 17 novembre 2020, l’assuré a requis le versement d’indemnités perte de gain COVID-19 pour la période allant du 17 septembre au 31 octobre 2020 inclus.

b. En date du 19 janvier 2021, l’assuré a déposé deux requêtes de versement d’indemnités perte de gain COVID-19 pour les mois de novembre et décembre 2020.

c. Par trois décisions datées du 18 février 2021, la caisse a refusé de mettre l’assuré au bénéfice d’une indemnité perte de gain COVID-19 pour la période du 17 septembre au 31 décembre 2020.

d. L’assuré a fait opposition à ces décisions par courrier daté du 3 mars 2021.

e. Par décision sur opposition, datée du 3 mai 2021, la caisse a confirmé son refus initial. En résumé, elle a considéré qu’il ne fallait pas tenir compte de l’existence de l’entreprise individuelle jusqu’au 10 août 2020, mais uniquement de l’activité de la seule société anonyme B______. La condition de perte de chiffre d’affaires d’au moins 55 % sur au moins trois mois selon l’art. 2 al. 3ter de l’Ordonnance sur les mesures en cas de pertes de gain en lien avec le coronavirus (COVID-19) (Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 - RS 830.31), en lien avec l’art. 2 al. 3bis let. a de la même ordonnance, n’était donc pas remplie. Elle a en outre considéré que l’assuré n’avait pas subi de perte de salaire au sens de l’art. 2 al. 3bis let. b de l'Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, puisqu’il avait déclaré avoir perçu une rémunération de la société s’élevant à CHF 25'000.- sur la période d’août à décembre 2020, alors qu’il avait perçu une rémunération de CHF 50'000.- pour l’ensemble de l’année 2019.

C. a. Par mémoire de recours du 27 mai 2021, l’assuré a recouru contre la décision sur opposition du 3 mars 2021 par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) en concluant au versement d’allocations perte de gain COVID-19 en sa faveur. Il a invoqué, notamment, la violation du principe de la légalité et du principe d’égalité.

b. Par courrier de réponse du 13 juillet 2021, l’intimée a conclu au rejet du recours. Elle a, en substance, maintenu la position développée dans sa décision sur opposition.

c. Le recourant a répliqué par courrier du 29 juillet 2021. Il a notamment précisé qu’il avait déclaré, à tort, avoir perçu un revenu soumis à cotisations AVS de CHF 25'000.- pour la période allant d’août à décembre 2020 dans le but, selon lui, d’éviter des lacunes de cotisations. Il n’avait, en réalité, perçu aucune rémunération de la société B______ sur cette période. Il a produit des pièces complémentaires visant à établir cette absence.

d. L’intimée a dupliqué par courrier du 13 septembre 2021 en maintenant sa position. Elle a notamment précisé qu’aucune demande de rectification de la déclaration des salaires annuelle déposée par B______ pour l’année 2020 ne lui était parvenue jusqu’alors.

e. Par observations complémentaires du 29 septembre 2021, le recourant a persisté.

f. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Les dispositions de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA - RS 830.1) s’appliquent aux allocations perte de gain en lien avec le coronavirus, sous réserve de dérogations expresses (art. 1 Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19). Dans un arrêt de principe (ATAS/1208/2020 du 10 décembre 2020 consid. 1), la chambre de céans s’est considérée comme matériellement compétente pour trancher les litiges relatifs aux allocations perte de gain COVID. Elle a itérativement répété cette position depuis lors (parmi d’autres : ATAS/496/2022 du 30 mai 2022 consid. 1 ; ATAS/438/2022 du 17 mai 2022 consid. 1 ; ATAS/436/2022 du 17 mai 2022 consid. 1 ; ATAS/320/2022 du 6 avril 2022 consid. 1).

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce à raison de la matière est ainsi établie.

2.             La question de la compétence du tribunal social compétent à raison du lieu pour trancher la présente cause nécessite un examen plus détaillé.

2.1  

2.1.1 Selon l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances compétent à raison du lieu est celui du canton de domicile de l’assuré ou du tiers recourant (« der Beschwerde führende Dritte ») au moment du dépôt du recours.

Selon l’art. 24 al. 1 de la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité du 25 septembre 1952 (loi sur les allocations pour perte de gain, LAPG - RS 834.1), les décisions et les décisions sur opposition prises par les caisses cantonales de compensation peuvent faire l’objet d’un recours au tribunal des assurances du canton où la caisse de compensation a son siège, cette règle dérogeant à l’art. 58 al. 1 LPGA.

Dans un arrêt 9C_738/2020 du 7 juin 2021, le Tribunal fédéral a retenu que l’art. 24 al. 1 LAPG devait trouver application par analogie à l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 dès lors qu’il existait une vraie lacune de la loi (arrêt du Tribunal fédéral 9C_738/2020 du 7 juin 2021 consid. 3.2 et 3.3). Dans un arrêt ATF 147 V 423 rendu le 15 septembre 2021, le Tribunal fédéral a cependant précisé que l’art. 24 al. 1 LAPG ne concernait que les caisses de compensations cantonales, et pas les caisses de compensation professionnelles, pour lesquelles la règle générale de l’art. 58 al. 1 LPGA trouvait application, et ce également dans le cadre de l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 (ATF 147 V 423 consid. 1).

Depuis le 1er janvier 2022, l’art. 15 al. 5 de la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 (Loi COVID-19 – RS 818.102) permet au Conseil fédéral de déroger à l’art. 58 al. 1 LPGA s’agissant de déterminer quel tribunal cantonal des assurances est compétent à raison du lieu pour trancher un litige relatif à une prétention prétendument fondée sur l’Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19. À la même date, la jurisprudence 9C_738/2020 susmentionnée a été codifiée à l’art. 10a Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, qui précise qu’en dérogation à l'art. 58 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition rendues par les caisses cantonales de compensation peuvent faire l’objet d’un recours au tribunal des assurances du canton où la caisse de compensation a son siège.

Il aurait été loisible au Conseil fédéral de prévoir une règle différente de celle de l’art. 24 al. 1 LAPG dans le cadre de l’Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19. Cependant, selon la lettre claire de l’art. 10a Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, celui-ci a expressément adopté une règle spéciale uniquement pour les recours portés contre les décisions des caisses de compensation. Il faut en conclure que le Conseil fédéral a volontairement choisi de maintenir la jurisprudence issue de l’ATF 147 V 423 consid. 1 pour les litiges relatifs à l’Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19.

2.1.2 L’Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 est fondée sur l’art. 15 Loi COVID-19. L’alinéa 1 première phrase de cette norme mentionne que le Conseil fédéral peut prévoir le versement d’allocations pour perte de gain aux personnes qui doivent interrompre ou limiter de manière significative leur activité lucrative à cause de mesures prises pour surmonter l’épidémie de COVID-19. L’alinéa 2 de la même disposition précise que les indépendants et les salariés qui occupent une position assimilable à celle d’un employeur ont également droit aux allocations mises en place par le Conseil fédéral.

Selon l’art. 2 al. 3 et 3bis Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 (dans sa version applicable notamment du 17 septembre au 31 décembre 2020), les conditions d’une allocation perte de gain, pour les indépendants et les salariés qui occupent une position assimilable à celle d’un employeur, sont les suivantes :

« 3 Les personnes qui exercent une activité lucrative indépendante au sens de l’art. 12 LPGA et les personnes visées à l’art. 31, al. 3, let. b et c, de la loi du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage (LACI), pour autant qu’elles remplissent la condition prévue à l’al. 1bis, let. c, , ont droit à l’allocation :

a. si elles doivent interrompre leur activité lucrative en raison de mesures de lutte contre l’épidémie de COVID-19 ordonnées par une autorité, et

b. si elles subissent une perte de gain ou une perte de salaire.

3bis Les personnes qui exercent une activité lucrative indépendante au sens de l’art. 12 LPGA et les personnes visées à l’art. 31, al. 3, let. b et c, LACI, pour autant qu’elles ne soient pas concernées par l’al. 3 et qu’elles remplissent la condition prévue à l’al. 1bis, let. c, ont droit à l’allocation :

a. si leur activité lucrative est significativement limitée en raison de mesures de lutte contre l’épidémie de COVID-19 ordonnées par une autorité;

b. si elles subissent une perte de gain ou une perte de salaire, et

c. si elles ont touché pour cette activité au moins 10 000 francs à titre de revenu soumis aux cotisations AVS en 2019 ; cette condition s’applique par analogie si l’activité a débuté après 2019 ; si celle-ci n’a pas été exercée pendant une année complète, cette condition s’applique proportionnellement à sa durée ».

À la lecture de ces dispositions et de l’art. 15 al. 1 et 2 Loi COVID-19, il ne fait aucun doute que les personnes assurées contre la perte de gain par l’Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 sont des personnes physiques, et non les sociétés pour lesquelles elles exercent éventuellement leur activité lucrative. Le soutien aux entreprises est, quant à lui, prévu notamment par les art. 12 et suivants Loi COVID-19 et par les droits cantonaux. Dans un arrêt 9C_356/2021 du 10 mai 2022, le Tribunal fédéral a d’ailleurs précisé qu’en ce qui concernait les salariés qui occupent une position assimilable à celle d’un employeur, il était nécessaire de distinguer la perte de revenu de l’assuré, de la perte de chiffre d’affaires de la société qui l’emploie, dès lors qu’il est possible qu’une société connaisse une baisse significative de son chiffre d’affaires, mais que le « salaire » d’un tel assuré soit maintenu (arrêt du Tribunal fédéral 9C_356/2021 du 10 mai 2022 [destiné à la publication aux ATF] consid. 5.3.5) ; cela démontre que la personne de l’assuré doit être le cas échéant clairement distinguée de celle de la société pour laquelle il travaille (arrêt du Tribunal fédéral 9C_356/2021 du 10 mai 2022 [destiné à la publication aux ATF] consid. 5.3.4.3 et 5.3.4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_448/2021 du 10 mai 2022 consid. 4.2.1).

2.2 En l’espèce, l’intimée est une caisse de compensation professionnelle, le tribunal des assurances compétent à raison du lieu est donc celui du domicile de l’assuré au jour du dépôt du recours.

Bien que tant la décision sur opposition de l’intimée que le mémoire de recours de l’assuré fassent référence à l’adresse avenue D______ à Genève, il ne s’agit pas là de l’adresse du recourant lui-même, mais de celle de la société B______. Contrairement à cette société, le recourant ne réside pas dans le canton de Genève, mais dans le canton de Vaud, comme cela ressort de ses demandes d’allocations perte de gain et des décisions initiales de l’intimée datées du 18 février 2021.

En conséquence, la chambre de céans est incompétente à raison du lieu pour juger du présent litige. Cette compétence revient au tribunal social compétent pour le canton de Vaud, à savoir la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal (art. 93 de la loi sur la procédure administrative du 28 octobre 2008 [LPA-VD - RSVD 173.36]).

Partant, le recours de l’assuré est irrecevable.

3.             Selon l’art. 58 al. 3 LPGA, le tribunal social qui décline sa compétence transmet sans délai le recours au tribunal compétent.

En l’occurrence, il convient donc de transmettre la cause à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois afin qu’elle tranche, en particulier, les deux questions débattues entre les parties, à savoir d’une part la violation du principe d’égalité de l’art. 8 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) du fait du refus de la prise en compte par l’intimée de l’existence de l’entreprise individuelle jusqu’au 10 août 2020, et, d’autre part, du caractère déterminant de la déclaration de salaire adressée à l’intimée par le recourant pour juger de l’existence d’une perte de salaire au sens de l’art. 2 al. 3bis let. b Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19.

4.             Pour le surplus, en l’absence de loi spéciale prévoyant des frais judiciaires, la procédure est gratuite (art. 61 let fbis LPGA et art. 89H al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10] par renvoi de l’art. 1 Ordonnance sur les pertes de gain COVID-19).

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours irrecevable.

Au fond :

2.        Transmet la cause à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud comme objet de sa compétence.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 – LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le