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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1825/2019

ATAS/558/2022 du 09.06.2022 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

République et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1825/2019 ATAS/558/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 9 juin 2022

3ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à GENÈVE, représenté par l’Association suisse des assurés (ASSUAS)

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


 

 

EN FAIT

 

1.        Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en ______ 1970, de nationalité espagnole, a travaillé dès 2003 en qualité de magasinier pour B______ (devenue depuis C______).

2.        En septembre 2007, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) en invoquant une douleur au thorax persistante, ainsi que des crises de panique et des angoisses.

L’OAI a notamment recueilli les pièces suivantes :

-          un rapport du docteur D______, spécialiste FMH en psychiatrie, du 29 septembre 2006, concluant à un trouble panique évoluant vers un probable trouble de nature somatoforme, une agoraphobie avec trouble panique, un trouble hypochondriaque et une personnalité évitante ;

-          un rapport du docteur E______, spécialiste FMH en médecine interne, du 11 octobre 2007, concluant à un état dépressivo-anxieux avec crises de panique et somatisation depuis mai 2006, mentionnant des symptômes douloureux atypiques avec crises de panique massives et consultations régulières en catastrophe dans tous les services d’urgences ; l’assuré ne pouvait travailler qu’à 50 % ; le médecin préconisait de poursuivre la thérapie médicamenteuse et comportementale et suggérait un travail « léger avec des gens compréhensifs », description à laquelle correspondait l’activité habituelle ; les limitations fonctionnelles n’étaient pas physiques ;

-          un courrier adressé le 12 février 2008 à l’OAI par le Dr D______, expliquant que l’assuré l’avait consulté d’abord pour un trouble panique avec agoraphobie, problématique anxieuse associée depuis le début à une tendance à la somatisation, désormais prédominante, se rapprochant d’un trouble hypochondriaque, voire d’un syndrome somatoforme douloureux, à l’origine d’arrêts de travail fréquents, mais ne justifiant à son avis ni une incapacité de gain, ni une réadaptation professionnelle ;

-          un avis du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) du 18 juillet 2008 indiquant que si l’assuré souffrait d’un trouble hypochondriaque assimilable à un syndrome somatoforme douloureux, celui-ci ne pouvait être reconnu comme invalidant puisque le psychiatre traitant ne le reconnaissait pas comme tel, d’une part, et qu’il n’était pas accompagné d’une comorbidité psychiatrique invalidante en elle-même, d’autre part.

3.        Par décision 15 septembre 2008, l’OAI a nié à l’assuré le droit à toute prestation, faute d’atteinte à la santé invalidante.

4.        Une seconde demande de prestations a été déposée en janvier 2012, sur laquelle l’OAI a refusé d’entrer en matière par décision du 19 juin 2012, vu l’absence d’éléments permettant de conclure à une aggravation de l’état de santé de l’assuré.

5.        L’assuré a déposé une troisième demande de prestations auprès de l’OAI le 29 septembre 2016.

Ont alors notamment été versés au dossier:

-          un rapport du 22 septembre 2016 du docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie plastique reconstructive et esthétique ainsi qu’en chirurgie des nerfs périphériques, indiquant que l’assuré se plaignait de douleurs intercostales gauches ; une neurolyse et une résection des 3ème et 4ème nerfs intercostaux avaient été pratiquées ; la première intervention avait soulagé l’assuré durant six mois avant une recrudescence des douleurs ayant conduit à une deuxième intervention en 2014, sans aucune amélioration significative ; un « bloc diagnostic sous ultrasons » avait été pratiqué en septembre 2016, qui avait amené à une résolution des douleurs au niveau intercostal 3 et 4 ;

-          un rapport d’IRM dorsale du 26 septembre 2016 concluant à une très légère discopathie D10-D11 sans conflit disco-radiculaire, et à une discrète arthrose costo-vertébrale prédominant en D3 et D4 à gauche ;

-          un rapport du 10 octobre 2016 du docteur G______, spécialiste FMH en anesthésiologie, expliquant que l’assuré présentait une névralgie intercostale gauche apparue une dizaine d’années plus tôt ; il avait bénéficié d’une neurolyse en 2012 suivie en 2014 d’une reprise des douleurs sans amélioration significative ; des blocs des 2ème, 3ème et 4ème nerfs intercostaux avaient finalement été réalisés ; le Dr G______ envisageait une rhizotomie par thermo-coagulation des 3ème et 4ème ganglions rachidiens dorsaux ;

-          un rapport du 28 février 2017 de la doctoresse H______, spécialiste FMH en médecine générale, posant les diagnostics de vertiges importants, de douleurs costales et de hernie inguinale droite opérée le 30 mai 2016.

6.        Par décision du 15 mai 2017, l’OAI a nié tout droit aux prestations à l’assuré au motif que s’il y avait effectivement eu plusieurs incapacités de travail de courte durée, il n’y avait en revanche pas d’incapacité durable, et une mesure d’intervention précoce avait permis le maintien au poste de travail.

7.        L’assuré a déposé une quatrième demande de prestations en février 2018.

L’OAI a notamment recueilli les documents suivants:

-          un courrier du Dr G______ du 13 avril 2017 indiquant que l’assuré était suivi depuis 2012 pour une névralgie intercostale Th3-Th4 gauche ; en décembre 2016, une neurolyse des ganglions Th3 et Th4 gauche avait été réalisée, sans amélioration notable, puis répétée le 28 mars 2017 ;

-          un courrier du 3 novembre 2017 du professeur I______, spécialiste FMH en anesthésiologie, expliquant que l’assuré décrivait depuis l’âge de 25 ans des symptômes compatibles avec une névralgie intercostale, sans cause claire ; il avait consulté de nombreux médecins et un territoire hypoesthésique correspondant aux nerfs intercostaux brachiaux à gauche et autour de l’incision thoracique avait été observé ; une stimulation médullaire avait été discutée et l’implantation d’un stimulateur avait été réalisée le 27 octobre 2017 ;

-          un rapport de l’employeur reçu par l’OAI le 1er mars 2018, selon lequel l’assuré avait été absent 2013 jours en raison de maladie depuis le 1er mai 2013 ;

-          un courrier du Pr I______ du 9 avril 2018 indiquant avoir branché une nouvelle sonde de stimulation le 5 avril 2018, ce qui avait permis le redémarrage de la stimulation et une bonne couverture de la zone douloureuse ;

-          un rapport du 27 mai 2018 du docteur J______, spécialiste FMH en médecine interne, indiquant n’avoir pas trouvé d’anomalie ostéo-articulaire aux niveaux des épaules et poignets, ni d’évidence d’une maladie rhumatismale inflammatoire chez l’assuré ;

-          un rapport du Dr G______ du 13 août 2018 faisant état d’une aggravation de l’état de l’assuré en raison de douleurs aux poignets, et d’une incapacité de travail totale en tant que magasinier ;

-          un rapport du 22 mai 2018 du docteur K______, spécialiste FMH en neurologie, indiquant que l’électroneuromyographie (ENMG) montrait des signes en faveur d’une très discrète neuropathie bilatérale des nerfs médians dans le canal carpien ne correspondant pas à une aggravation de l’atteinte ;

-          une expertise du 31 août 2018 du docteur L______, spécialiste FMH en neurologie, réalisée à la demande de l’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, expliquant que la douleur de l’assuré avait été considérée de nature neuropathique, raison pour laquelle des interventions chirurgicales avaient été pratiquées ; les plaintes étaient caractérisées par un syndrome douloureux décrit comme extrêmement sévère, constant, non modulable, concernant la région thoracique antérieure gauche, le membre supérieur gauche, la nuque, et, depuis l’intervention de 2014, les mains ; l’assuré était décrit comme adéquat, non revendicateur, collaborant, sans comportement douloureux exagéré, et convaincant lorsqu’il exprimait son désarroi ; l’examen neurologique mettait en évidence une altération de la sensibilité correspondant au territoire Th3-Th4 et une discrète atteinte de la sensibilité de l’hémitronc et du membre inférieur gauches, non explicables par une atteinte somatique ; le status était normal pour le surplus, sans argument en faveur d’une éventuelle pathologie myélo-radiculaire à l’origine des douleurs thoraciques ; l’expert concluait à l’absence d’éléments objectifs somatiques expliquant les plaintes de l’assuré ; le diagnostic de névralgie intercostale était écarté au vu de l’étendue du symptôme douloureux, dépassant de très loin le territoire d’un ou deux nerfs intercostaux ; de plus, les douleurs n’avaient pas les caractéristiques d’une douleur neuropathique ; il n’y avait pas de véritable incohérence, mais l’assuré paraissait objectivement peu souffrant, plutôt détendu et en bon état général, malgré l’importance du syndrome douloureux allégué ; il s’agissait dès lors essentiellement d’un tableau subjectif douloureux, sans substrat organique documenté malgré de très nombreux bilans ; il n’y avait donc pas de diagnostic organique, ni de limitations fonctionnelles. L’expert préconisait un avis psychiatrique, bien que l’assuré n’ait apparemment aucune plainte de cet ordre et semble euthymique ; en définitive, le Dr L______ concluait à un syndrome douloureux chronique thoracique, cervicobrachial gauche, intéressant également les deux mains, d’origine indéterminée ; la capacité de travail était de 100 % dans toute activité, sous réserve des résultats de l’appréciation psychiatrique ;

-          un rapport du 14 décembre 2018 de la doctoresse M______, spécialiste FMH en psychiatrie, concluant à un trouble de l’adaptation avec réaction mixte à la suite de névralgies intercostales ayant conduit à cinq interventions chirurgicales et à une décompensation anxio-dépressive ; l’assuré présentait des troubles du sommeil, une angoisse, une tristesse et des signes anxieux neuro-végétatifs fluctuants ; selon ce médecin, l’assuré ne pouvait plus fonctionner sur le plan des activités quotidiennes, avec une répercussion massive sur les activités de ménage, les loisirs et les activités sociales ; il était soutenu par sa famille et disposait d’une bonne aptitude à la communication, et la compliance ainsi que la motivation à aller mieux étaient bonnes ; il s’agissait en premier lieu d’un problème somatique ; l’assuré pourrait recouvrer une capacité de travail en cas d’amélioration de ses douleurs et la répercussion psychologique était secondaire aux douleurs ; l’incapacité n’était pas en lien direct avec le problème psychologique ; il n’y avait pas d’incapacité sur ce plan.

8.        Le contrat de travail de l’assuré a été résilié au 31 décembre 2018.

9.        Par décision du 28 mars 2019, l’OAI a nié à l’assuré le droit à toute prestation, faute d’atteinte à la santé invalidante.

10.    L’assuré a interjeté recours auprès de la Cour de céans en date du 13 mai 2019, en concluant, sous suite de dépens, à l’octroi d’une rente d’invalidité.

Il produit notamment :

-          un rapport d’entretien de service avec la direction des ressources humaines de C______ du 17 juillet 2018, dont il ressort que le recourant, engagé à 100% en mai 2003, a cumulé 2'629 jours d’absence en 15 ans (soit une moyenne de 175 jours par an et un total de 7.2 ans sur la durée de l’engagement) et qu’il disait ne plus se sentir capable de reprendre une activité professionnelle ;

-          un certificat rédigé le 4 février 2019 par le Dr G______, relatant que les douleurs du recourant persistaient au niveau du thorax et des mains, ce qui rendait impossible la reprise de son activité de magasinier ; la capacité de travail était nulle, et les symptômes s’étaient aggravés au cours de la dernière année.

11.    L’intimé, dans sa réponse du 3 juin 2019, a conclu au rejet du recours. Il se réfère à l’expertise du Dr L______, excluant un substrat somatique, et rappelle que la Dresse M______ a conclu à l’absence d’atteinte psychiatrique incapacitante.

12.    Dans sa réplique du 19 août 2019, le recourant a persisté dans ses conclusions.

13.    Dans sa duplique du 20 septembre 2019, l’intimé a fait de même.

14.    Le 4 mai 2021, la Cour de céans a informé les parties de son intention de confier une expertise psychiatrique au docteur N______, spécialiste FMH en psychiatrie.

15.    Le 1er juin 2021, le recourant a indiqué n’avoir ni motif de récusation à l’encontre de l’expert pressenti, ni question complémentaire à formuler.

16.    Le 2 juin 2021, l’intimé a émis l’avis qu’une expertise psychiatrique était inutile, mais que si elle devait être ordonnée, il conviendrait de demander un dosage sanguin des traitements psychotropes.

17.    Par ordonnance du 7 juin 2021 (ATAS/570/2021), la Cour de céans a mandaté le Dr N______.

La Cour a considéré que l’expertise du Dr L______ devait se voir reconnaître valeur probante et que c’était ainsi à juste titre que l’intimé avait conclu à l’absence d’atteinte physique invalidante. Cela étant, bien que le Dr L______ ait suggéré une expertise psychiatrique, l’intimé s’était contenté d’interpeller la psychiatre traitante, qui avait implicitement évoqué un trouble somatoforme douloureux, sans poser formellement ce diagnostic, ni le discuter. Dès lors, des investigations supplémentaires sur ce plan étaient indispensables pour infirmer ou confirmer ce diagnostic et, dans la seconde hypothèse, en évaluer le caractère potentiellement invalidant à la lumière des indicateurs développés par la jurisprudence. Le Dr N______ était en outre invité à procéder à une appréciation consensuelle avec le Dr L______.

18.    Le Dr N______ a rendu son rapport le 9 décembre 2021, contenant un résumé du dossier et une anamnèse.

Le recourant se plaignait avant tout de douleurs de l’hémi-thorax gauche, sources d’angoisse et d’inquiétude. Il disait son moral « complètement à plat » depuis qu’il avait arrêté de travailler, deux ans et demi auparavant. Le seul plaisir conservé était la pêche, mais elle entraînait une exacerbation des douleurs. Il se disait fatigué d’avoir mal.

Après avoir décrit ses constatations cliniques et le résultat du dosage sanguin, le Dr N______ a livré un compte-rendu de ses entretiens avec les Drs D______, M______ et L______. Il a ensuite relevé que l’anamnèse était typique du développement d'un trouble panique, avec des douleurs thoraciques faisant craindre une attaque cardiaque et motivant des consultations répétées dans des services d'urgences. L'association du trouble panique avec l’agoraphobie mentionnée par le Dr D______ était une complication habituelle du trouble panique. Un traitement adéquat avait été mis en place avec l'intervention du Dr D______ en 2006 et le trouble panique initial avait laissé la place à des plaintes de douleurs thoraciques dorénavant au premier plan, autonomisées par rapport aux symptômes de l'attaque de panique. L'orientation des plaintes vers la douleur s'était traduite par des consultations chez des spécialistes de la douleur et des interventions thérapeutiques lourdes, qui n’avaient pas eu d'effet durable. Le Dr L______ n’avait pas trouvé de substrat organique aux plaintes douloureuses en 2018 et avait confirmé ce point de vue lors de son entretien avec le Dr N______.

Ce dernier a discuté les diagnostics différentiels, notamment l’hypochondrie et le syndrome de Münchhausen, exposant les motifs qui le conduisaient à les écarter. Le dernier diagnostic à discuter pour rendre compte des douleurs sans substrat était celui de syndrome douloureux somatoforme persistant.

En l'absence, chez le recourant, de manifestations douloureuses objectives, on pouvait s'interroger sur le degré du sentiment de détresse exigé par la CIM-10 pour ce diagnostic. Néanmoins, le recourant avait multiplié les examens médicaux depuis plus de 25 ans en raison de ses douleurs, et les médecins consultés avaient été sensibles à ses plaintes, puisqu'ils y avaient répondu par de nombreux traitements, y compris les plus invasifs. Pour ce qui était du conflit émotionnel sous-jacent aux douleurs psychogènes selon la CIM-10, il consistait dans le contexte traumatique et perturbé de la vie du recourant jusqu'au début de l'âge adulte. Il était vraisemblable que le trouble panique initial survenu à l'âge de 25 ans avait été ressenti par le recourant comme une menace sur sa capacité d'auto-contrôle et d'équilibre. Avec le temps, la douleur était devenue le mode privilégié d'expression de la détresse, probablement parce que considérée comme plus « honorable » et plus facile à circonscrire que l'anxiété. Partant, le Dr N______ considérait que le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant (F 45.4) rendait le mieux compte du tableau douloureux aigu et chronique.

Le recourant déclarait se laver les mains près de 25 fois par jour, sans motif rationnel. Le diagnostic de trouble obsessionnel-compulsif (TOC) n’était toutefois pas retenu en l'absence de souffrance ou de gêne en relation avec ce comportement ritualisé.

Du point de vue de la personnalité, des traits anankastiques, tels que besoin d'auto-contrôle, manie de l'ordre et de la propreté, rituels de lavage, étaient relevés. Ces traits étaient probablement accentués et constituaient sans doute un facteur de fragilité de la personnalité. Ils n'atteignaient toutefois pas le degré d'un véritable trouble de la personnalité. Le code Z 73.1, accentuation de traits de la personnalité, était ainsi retenu, sans répercussion sur la capacité de travail.

Les traits évitants mentionnés par le Dr D______ n’étaient pas retrouvés.

Le trouble de l'adaptation en réaction à la présence continue de douleurs d'origine somatique, retenu par la Dresse M______ ne se justifiait pas en l'absence de cause somatique aux plaintes douloureuses.

Le Dr N______ a évalué l'influence des troubles sur la capacité de travail en se basant sur l'absentéisme professionnel. De 2003 à 2018, le taux d'absentéisme avait été d'environ 50%. Ainsi, il évaluait le taux d'incapacité de travail durable à 50% dès janvier 2019, soit à la fin du contrat de travail du recourant, date qui correspondait à la stabilisation de la situation. Auparavant, le recourant avait eu des arrêts de travail multiples, mais considérés comme provisoires.

Sur le plan médicamenteux, le traitement en cours était probablement insuffisamment suivi au vu des résultats sanguins, mais il était peu probable qu'une amélioration de la compliance atténue les douleurs, en l'absence d’autre pathologie psychiatrique. Le traitement des douleurs somatoformes reposait surtout sur la psycho-éducation et l'acceptation au sens large des douleurs dans le cadre du traitement psychothérapeutique. Il n'y avait pas d'indication à des mesures de réadaptation. Le recourant était apte à exercer à temps partiel toute activité adaptée à ses compétences. Le pronostic était toutefois peu favorable quant à une reprise d'activité, même à un taux partiel, au vu de la durée des périodes d'inactivité et de l'ancrage profond de la pathologie douloureuse. Cela ne pouvait toutefois être imputé à la pathologie psychiatrique, qui ne pouvait pas être considérée comme sévère.

Le Dr N______ s’est prononcé sur les différents indicateurs développés par la jurisprudence pour apprécier l’incidence de troubles psychiques sur la capacité de travail, relevant l’absence d’effet durable des traitements somatiques et des psychotropes prescrits. Le traitement psychothérapeutique en cours était ciblé sur les facteurs ayant prédisposé au trouble douloureux.

Au sujet des comorbidités, il existait une certaine fragilité de la personnalité.

Parmi les ressources dont disposait le recourant, on pouvait mentionner sa capacité d'adaptation et de résilience, puisqu'il avait réussi à éviter un chemin de vie sociopathique sur lequel le poussaient un contexte familial violent et une adolescence chaotique. De plus, malgré une scolarité décousue et l'absence de diplôme, il avait pu se former sur le tas à plusieurs activités. Il était bien entouré par sa famille.

La capacité de travail de 50% admise par l’expert suggérait que le recourant surestimait ses limitations, puisqu'il se considérait inapte à toute activité et qu'il était très limité dans ses activités personnelles.

Au sujet du poids des souffrances, l’expert a répété que le recourant avait multiplié les consultations en raison de ses douleurs. Le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant, d’un degré moyen, avec répercussion sur la capacité de travail, était probablement présent depuis une quinzaine d'années. L’état du recourant était cependant figé depuis janvier 2019, lorsqu’il avait perdu son emploi et renoncé à revenir sur le marché du travail. Les atteintes diagnostiquées limitaient partiellement le recourant, les activités étant repoussées ou prenant plus de temps à cause des douleurs.

Au sujet d’une éventuelle exagération, le Dr N______ a retenu que les limitations induites par les douleurs étaient uniformes dans tous les domaines. Le recourant se contentait d’aider un peu son épouse dans les tâches ménagères et à sortir de temps en temps, notamment pour aller à la pêche. Il disait avoir considérablement diminué son activité sociale et personnelle depuis le début des troubles. Ce comportement était cohérent avec le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant. Les traits de personnalité constatés avaient probablement contribué à ce que le recourant supporte très mal le trouble panique initial et que celui-ci évolue vers un syndrome douloureux somatoforme. Le recourant était apparu authentique.

19.    L’intimé s’est déterminé sur l’expertise du Dr N______ le 20 janvier 2022. Il s’est rallié à l’avis du SMR du 18 janvier précédent, selon lequel cette expertise avait valeur probante. Il convenait d’en suivre les conclusions et de retenir une incapacité de travail totale de 50% dans toute activité dès janvier 2019. L’intimé a dès lors modifié ses conclusions et proposé l’octroi d’une demi-rente d'invalidité dès janvier 2020.

20.    Le 1er février 2022, le recourant a rappelé que sa demande remontait à février 2018. Il avait été en arrêt maladie dès le 29 mars 2017, même si son contrat de travail avait pris fin le 31 décembre 2018. La date retenue par le Dr N______ pour fixer le début de l'incapacité de travail durable était critiquable en tant qu’elle coïncidait avec la fin des rapports de travail, car son contrat comportait une part sociale supportée par un employeur bienveillant. Au surplus, si la Cour devait se rallier aux conclusions de l’expert, le début du droit à la rente devrait naître six mois après le début de l’incapacité de travail, soit le 1er juillet 2019, conformément à la loi.

21.    Par écriture du 16 février 2022, l’intimé a persisté dans ses conclusions du 20 janvier 2022, alléguant que les différents certificats d'arrêt de travail établis n’étaient pas probants et que l’expert judiciaire n’avait pas considéré qu’ils justifiaient une incapacité de travail durable avant janvier 2019.

 

EN DROIT

 

1.        La Cour de céans a déjà admis sa compétence et la recevabilité du recours dans son ordonnance du 7 juin 2021, à laquelle il suffit de renvoyer sur ces points.

2.        On précisera encore que la modification du 21 juin 2019 de la LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Dans la mesure où le recours déjà pendant à cette date, il reste cependant soumis à l’ancien droit (art. 82a LPGA a contrario).

Quant aux modifications de la LAI du 19 juin 2020, entrées en vigueur le 1er janvier 2022, elles ne sont pas applicables. En effet, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable est en principe celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1).

3.        Le litige porte sur la question de savoir si l'état de santé de l'assuré s'est aggravé depuis la décision du 15 mai 2017 dans une mesure lui ouvrant le droit à une rente.

4.        En vertu de l’art. 28 LAI dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, l’assuré a droit à une rente d’invalidité aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b); au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins (let. c) (al. 1). L’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70 % au moins, à trois quarts de rente s’il est invalide à 60 % au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50 % au moins ou à un quart de rente s’il est invalide à 40 % au moins (al. 2).

5.        Selon l’art. 17 al. 1 LPGA, si le taux d'invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d'office ou sur demande, révisée pour l'avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d'invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l'art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l'état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 130 V 343 consid. 3.5). Le point de savoir si un tel changement s'est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la dernière décision entrée en force reposant sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit, et les circonstances régnant à l'époque de la décision litigieuse (arrêts du Tribunal fédéral 9C_89/2013 du 12 août 2013 consid. 4.1 et 9C_431/2009 du 3 novembre 2009 consid. 2.1). Une modification sensible de l'état de santé ne saurait être admise que si le nouveau diagnostic est corroboré par un changement clairement objectivé de la situation clinique et par l'amélioration, voire la disparition des limitations fonctionnelles précédemment décrites (arrêt du Tribunal fédéral 9C_860/2015 du 1er juin 2016 consid. 4.3). De nouvelles constatations médicales ne sont déterminantes que pour autant qu’elles entraînent des modifications de l’état de santé. C’est également le cas lorsqu’un diagnostic ne s’est pas modifié, mais que l’intensité de l’atteinte ou ses répercussions sur la capacité de travail se sont modifiées (arrêt du Tribunal fédéral 9C_261/2009 du 11 mai 2009 consid. 1.2). Une simple appréciation différente d'un état de fait, qui, pour l'essentiel, est demeuré inchangé n'appelle en revanche pas à une révision au sens de l'art. 17 LPGA (ATF 112 V 371 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_818/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.2). Les conditions de la révision au sens de l’art.17LPGA s’appliquent également par analogie dans le cas où la personne assurée présente une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité après qu’une demande antérieure a été rejetée (Margit MOSER-SZELESS in Commentaire romand LPGA, 2018, n. 10 ad art. 17 LPGA).

6.        a. Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration ou l'instance de recours a besoin de documents que le médecin ou d'autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4; ATF 115 V 133 consid. 2). Ces données médicales permettent généralement une appréciation objective du cas. Elles l’emportent sur les constatations qui peuvent être faites à l’occasion d’un stage d’observation professionnelle, lesquelles sont susceptibles d’être influencées par des éléments subjectifs liés au comportement de l’assuré pendant le stage (arrêt du Tribunal fédéral 8C_713/2019 du 12 août 2020 consid. 5.2).

b. Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3; ATF 122 V 157 consid. 1c). Une expertise médicale établie sur la base d’un dossier peut avoir valeur probante pour autant que celui-ci contienne suffisamment d’appréciations médicales qui, elles, se fondent sur un examen personnel de l’assuré (RAMA 2001 n° U 438 p. 346 consid. 3d).

c. Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Ainsi, lorsqu'au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

d. S'agissant de la valeur probante des rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier. Ainsi, la jurisprudence accorde plus de poids aux constatations faites par un spécialiste qu'à l'appréciation de l'incapacité de travail par le médecin de famille (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc et les références). Au surplus, on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou un juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_405/2008 du 29 septembre 2008 consid. 3.2).

7.        Dans un arrêt relativement récent concernant les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), le Tribunal fédéral a retenu que la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d’une part et les ressources de compensation de la personne d’autre part. Il y a désormais lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (consid. 3.6). Ces indicateurs concernent deux catégories, à savoir celle du degré de gravité fonctionnelle et celle de la cohérence.

I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »

Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l’instrument de base de l’analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

A. Axe « atteinte à la santé »

1. Expression des éléments pertinents pour le diagnostic et des symptômes

Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Par exemple, sur le plan étiologique, la caractéristique du syndrome somatoforme douloureux persistant est, selon la CIM-10 (F 45.5), qu’il survient dans un contexte de conflits émotionnels ou de problèmes psycho-sociaux. En revanche, la notion de bénéfice primaire de la maladie ne doit plus être utilisée (consid. 4.3.1.1).

2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers

Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L’échec définitif d’un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d’espèce, on ne peut rien en déduire s’agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d’une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation. Si des mesures de réadaptation entrent en considération après une évaluation médicale, l’attitude de l’assuré est déterminante pour juger du caractère invalidant ou non de l’atteinte à la santé. Le refus de l'assuré d'y participer est un indice sérieux d'une atteinte non invalidante. A l’inverse, une réadaptation qui se conclut par un échec en dépit d’une coopération optimale de la personne assurée peut être significative dans le cadre d’un examen global tenant compte des circonstances du cas particulier (consid. 4.3.1.2).

3. Comorbidités

La comorbidité psychique ne joue plus un rôle prépondérant de manière générale, mais ne doit être prise en considération qu’en fonction de son importance concrète dans le cas d’espèce, par exemple pour juger si elle prive l’assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble somatoforme douloureux avec l’ensemble des pathologies concomitantes (consid. 4.3.1.3). Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2) n’est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du 6 juin 2011 consid. 3.4.2.1), mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d’affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l’approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).

B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)

Il s’agit d’accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l’assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d’autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées (consid. 4.3.2).

C. Axe « contexte social »

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie (consid. 4.3.3).

II. Catégorie « cohérence »

Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l’assuré. (consid. 4.4).

A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie

Il s’agit ici de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple ses loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu’ici doit désormais être interprété de telle sorte qu’il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé (consid. 4.4.1).

B. Poids de la souffrance révélé par l’anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation

La prise en compte d’options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d’évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons que l'atteinte à la santé assurée (consid. 4.4.2).

Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective (ATF 137 V 64 consid. 1.2 in fine).

8.        Dans un arrêt de 2017, le Tribunal fédéral a étendu la jurisprudence précitée à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5).

Ainsi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (arrêt du Tribunal fédéral 9C_115/2018 du 5 juillet 2018 consid. 4.1).

Il convient encore de préciser que même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais elle peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

9.        En l’espèce, la Cour de céans a déjà écarté l’existence d’une atteinte physique invalidante, au vu de l’expertise du Dr L______ à laquelle elle a reconnu valeur probante. Il n’existe pas de motif de revenir sur cette appréciation. Le certificat du Dr G______ du 4 février 2019 n’y suffit en particulier pas, dès lors qu’aucun nouveau diagnostic n’y est mentionné et qu’il n’est guère motivé.

On rappellera au sujet des douleurs mentionnées par le Dr G______ que, dans le but d'assurer une égalité de traitement entre les assurés et compte tenu des difficultés, en matière de preuve, à établir l'existence de douleurs, le droit à des prestations de l'assurance sociale suppose que l'allégation de douleurs soit corrélée à des observations médicales concluantes (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 4.4).

Sur le plan psychique, le Dr N______ a établi une expertise qui contient tous les éléments nécessaires selon la jurisprudence, puisqu’elle repose sur l’étude du dossier, complétée par des entretiens avec les psychiatres traitants, une anamnèse fouillée et un examen clinique. Les plaintes du recourant ont été prises en considération et les diagnostics retenus sont soigneusement motivés. De plus, le Dr N______ a analysé l’incidence du trouble somatoforme douloureux à l’aune des indicateurs dégagés par la jurisprudence et rappelés ci-dessus. Il s’est en effet prononcé sur le degré de gravité du trouble, l’absence de succès des traitements somatiques, la personnalité du recourant – en particulier les traits anankastiques – et son contexte social. Tout en admettant que le recourant surestimait ses limitations, il a exclu un défaut de cohérence dès lors que lesdites limitations se manifestaient avec la même intensité dans les différents domaines de la vie.

Force est ainsi de reconnaître une pleine valeur probante à cette expertise, à laquelle l’intimé s’est également rallié, à l’instar du SMR.

La Cour de céans n’a ainsi aucun motif de s’écarter des conclusions du Dr N______, selon lesquelles le recourant présente, depuis la fin des rapports de travail, le 1er janvier 2019, une incapacité de travail durable de 50% dans une activité adaptée à ses compétences.

Le recourant ne peut être suivi lorsqu’il affirme que son incapacité de travail remonte à mars 2017. En effet, les arrêts de travail étaient alors attestés par le Dr G______ pour des motifs somatiques, alors même qu’une atteinte de cet ordre a été exclue de manière probante par le Dr L______, comme on l’a vu. Ces arrêts de travail ne sont d’ailleurs pas motivés. De plus, à cette époque, la Dresse M______ admettait que l’atteinte psychique n’entravait pas directement la capacité de gain du recourant. La date retenue par le Dr N______ est du reste motivée, l’expert l’expliquant par la fin du contrat de travail, en ce sens que le recourant se considérait dès cette date comme inapte à la reprise d’une activité lucrative, alors que les incapacités de travail attestées jusque-là n’étaient pas définitives. Son anamnèse a également révélé que le recourant avait connu une très importante baisse de moral à la cessation de son activité. Ces deux éléments apparaissent pertinents du point de vue de l’analyse des indicateurs applicables, de sorte que la conclusion de l’expert psychiatre quant à la date de survenance d’une incapacité de travail durable est convaincante et ne prête pas flanc à la critique.

Compte tenu de cette incapacité de travail survenue le 1er janvier 2019, le délai de carence d’une année prévu à l’art. 28 LAI dans la teneur applicable au présent litige s’est achevé le 31 décembre 2019.

Le droit à la rente naît ainsi le 1er janvier 2020.

S’agissant du degré d’invalidité, il se confond avec le taux d’incapacité de travail, dès lors que le recourant conserve une capacité de travail résiduelle de 50% dans son activité habituelle (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_692/2017 du 12 mars 2018 consid. 5).

Le recourant a ainsi droit à une demi-rente d’invalidité dès le 1er janvier 2020.

10.    Le recours est partiellement admis.

Le recourant a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 2'500.- (art. 61 let. g LPGA).

La procédure en matière de contestations portant sur des prestations de l’assurance-invalidité n’étant pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), l’intimé supporte l’émolument de procédure de CHF 200.-


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimé du 28 mars 2019.

4.        Dit que le recourant a droit à une demi-rente d’invalidité dès le 1er janvier 2020.

5.        Renvoie la cause à l’intimé pour calcul des prestations dues.

6.        Condamne l’intimé à verser au recourant une indemnité de dépens de CHF 2'500.-

7.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

 

La greffière

 

 

 

 

Marie-Catherine SECHAUD

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le