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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1663/2021

ATAS/121/2022 du 15.02.2022 ( AVS ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1663/2021 ATAS/121/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 février 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à VILA NOVA DE GAIA, Portugal, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Pierre GABUS

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, GENÈVE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. La société B______Sàrl (ci-après : la société) qui avait pour but, selon l'inscription au registre du commerce (ci-après : RC) de Genève, l'exploitation d'une entreprise générale fournissant des services dans le domaine du nettoyage et du bâtiment, a été créée en 2014 par Monsieur A______(ci-après : l’assuré ou le recourant), alors associé gérant avec signature individuelle. Ce dernier a cessé d'être associé gérant le 27 septembre 2019 au profit de Monsieur C______, auquel il a cédé 200 parts sociales de CHF 100.- le 2 octobre 2017 pour le prix réduit à CHF 100'000.-.

b. À teneur de l'extrait du RC, par jugement du Tribunal de première instance (ci-après : TPI) du 14 février 2019, la faillite de la société a été prononcée et la société a été dissoute par suite de faillite. La procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs par jugement du 18 mars 2019 et la société a été radiée d'office le 19 septembre 2019.

c. La société était affiliée en qualité d'employeur à la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée) du 1er février 2015 au 28 février 2019.

d. Selon l’extrait de compte des cotisations sociales de la société concernant la période du 1er février 2015 au 17 septembre 2017, la société n'a payé qu'une partie des charges sociales dues pour ces trois années, soit CHF 49'223.55 en 2015 sur les salaires versés (CHF 347'691.-), laissant un montant de CHF 4'917.90 en souffrance, CHF 24'513.15 en 2016 sur les salaires versés (CHF 429'048.95), laissant un montant de CHF 48'787.30 en souffrance et rien en 2017 sur les salaires versés (CHF 277'363.60), laissant un montant de CHF 49'114.05 en souffrance. Des frais de sommations, des intérêts moratoires et des frais de poursuites se sont ajoutés à la dette de cotisations de ces années à hauteur de CHF 1'148.45 en 2015, de CHF 7'888.40 en 2016 et de CHF 7'091.70 en 2017. En fin de compte, la société était débitrice pour ces deux années d'un montant total de CHF 102'819.25, intérêts moratoires, frais de sommations et de poursuites inclus en faveur de la caisse.

B. a. Par décision du 23 février 2021, la caisse a sollicité de l'assuré le paiement de CHF 102'819.25 intérêts moratoires, frais de sommations et de poursuites inclus, en précisant qu'il était solidairement responsable de cette dette avec M. C______.

b. Par courrier du 24 mars 2021, l'assuré a formé opposition contre cette décision, au motif qu'il n'était pas responsable du dommage subi par la caisse dans la mesure où il avait cédé l'intégralité des actions de sa société à M. C______ par contrat de vente du 27 septembre 2017 et que ce dernier avait repris à son compte toutes les dettes de la société. Dans un contrat de « vente et d'achat d'actions » signé par les précités, l'assuré a cédé à M. C______ l'intégralité du capital-actions de la société qui s'élevait à CHF 20'000.-, entièrement libéré, et divisé en 200 actions de CHF 100.- au porteur. L'acheteur s'engageait « à payer un prix de CHF 100'000.- comme valeur de vente mais à honorer toutes les créances dues par la société ». L'acheteur s'engageait « à payer au fur et à mesure quand la liquidité le permet[trait] dans la société - les factures en souffrance ». Le contrat portait la mention suivante : « la société n'est pas l'objet de procédure de faillite ou de procédures similaires ou de décision de dissolution, il n'existe pas à la date de la signature des poursuites et comminations de faillite - ces dernières étant en suspens et au bénéfice de plans de paiements ».

c. Par décision sur opposition du 12 avril 2021, la caisse a confirmé sa décision en exposant qu'en sa qualité d'administrateur, durant la période litigieuse, l'assuré a violé ses obligations de payer les cotisations sociales des employés de l'entreprise, en rappelant que le contrat conclu entre l'assuré et le repreneur ne lui était pas opposable.

C. a. Par acte du 12 mai 2021, l'assuré a recouru contre cette décision devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu'il soit libéré de toute responsabilité à l'égard de la caisse pour le paiement des cotisations sociales. Compte tenu du contrat de vente et d'achat d'actions du 25 septembre 2017, il ne s'estimait plus responsable des dettes de la société, ni solidairement responsable au-delà du 27 septembre 2020 (date de l'inscription du nouvel associé gérant au RC). Par ailleurs, il n'avait pas commis de négligence dans la gestion de la société, mais au contraire, avait cherché des arrangements de paiements des dettes sociales et ne pouvait pas répondre des actes du repreneur. Le recourant conteste, pour le surplus, le dommage de la caisse, celle-ci pouvant encore faire des démarches pour recouvrer le montant dû auprès de M. C______.

b. Par réponse du 11 juin 2021, la caisse a conclu au rejet du recours en réitérant les arguments exposés dans sa décision. Pendant la période d'affiliation, du 1er février 2015 au 17 septembre 2017, le recourant était le seul administrateur de la société, laquelle avait accumulé plus de CHF 100'000.- de cotisations paritaires impayées. Le recourant n'avait pas pris contact avec la caisse afin de trouver une solution et rembourser la dette. Le fait de vendre ses parts de la société et de prévoir une reprise des dettes en septembre 2017 n'ôtait rien à sa responsabilité pour ses dettes de droit public découlant de la LAVS. En outre, lors d'un contrôle de l'employeur, la caisse avait découvert des salaires non annoncés et avait dû procéder à une reprise des cotisations dues pour 2015 à 2017. La gestion de la société par le recourant avait été particulièrement chaotique et ce dernier s'était totalement désintéressé des arriérés de cotisations cumulés depuis l'affiliation de la société à caisse. Le contrat de vente par lequel le recourant entendait s'exonérer de sa responsabilité n'était pas opposable à la caisse. Le recourant n'avait rien mis de concret ou d’objectif à l'interne pour payer les arriérés de cotisations et était resté passif à l'égard de cette situation, ce qui impliquait sa responsabilité au sens de l'art. 52 LAVS. Il n'y avait pas de motif objectif susceptible de justifier le défaut de paiement.

c. Par acte du 2 juillet 2021, le recourant a répliqué en exposant que le contrat du 25 septembre 2017 devait être qualifié de cession de patrimoine au sens de l'art. 181 CO, le repreneur ayant repris toutes les dettes de la société et le recourant n'étant resté responsable solidairement que durant trois ans, soit jusqu'au 27 septembre 2020 (date du changement au RC). Le recourant n'avait en outre pas violé ses obligations de diligence en tant qu'administrateur et gérant de la société car il avait toujours fourni les efforts possibles pour s'acquitter des cotisations sociales et trouvé des arrangements de paiement. Il s'était acquitté de CHF 49'223.55 en 2015 et de CHF 24'513.15 en 2016. Quand la société ne parvenait pas à payer les cotisations, elle faisait néanmoins tout pour payer une partie de celles-ci. La caisse ne s'était plainte qu'en 2021 du fait que les cotisations n'avaient pas été payées. En outre, la caisse n'avait pas subi de dommage dans la mesure où elle pouvait toujours percevoir les cotisations impayées jusqu'à présent en s'adressant à M. C______.

d. L'intimée a dupliqué le 6 août 2021 en ajoutant que les conditions de l'art. 181 CO n'étaient pas remplies. Il incombait à la société de payer les cotisations paritaires, le contrat n'ayant pas eu pour effet de changer de débiteur. Le contrat réglait les relations entre des personnes physiques gravitant autour de la société. Il réglait ainsi des obligations internes entre cocontractants et non envers la caisse qui n'avait pas été informée d'une cession-acquisition, laquelle n'avait pas été publiée conformément à la loi. Le recourant confondait les cotisations paritaires sur la base desquelles était chiffré le dommage et l'action en responsabilité contre l'administrateur fondée sur l'art. 41 CO, la créance ne pouvant plus être encaissée par la caisse, compte tenu de la disparition de la personne morale.

e. Les parties ont été informées que la cause serait gardée à juger dès le 31 août 2021.

f. Par pli du 23 août 2021, l'intimée a fait parvenir des observations à la chambre de céans en l'informant du fait que le recourant faisait l'objet de deux procédures de réparation du dommage subi par la caisse, pour deux de ses sociétés tombées en faillite (D______SA et B______Sàrl). Une première décision de réparation du dommage était en force et en procédure d'encaissement, le recourant refusant cependant de collaborer. Les acheteurs des deux sociétés précitées avaient déclaré que le recourant leur avait caché la réelle situation financière des sociétés. L'intimée produisait un procès-verbal de Monsieur C______ pour démontrer que l'assuré avait caché à cet homme la situation de sa société B______Sàrl (en faillite le 14 février 2019) et un courrier de M. E______au sujet d’D______SA. L'intimée informait en outre la CJCAS qu'elle engageait désormais des démarches pour dénoncer les agissements pénalement répréhensibles du recourant. Par ailleurs, l'intimée relevait que l'art. 181 al. 4 CO renvoyait à la loi fédérale sur les fusions et acquisitions en cas de reprise des actifs et passifs d'une société inscrite au RC et, en particulier à son art. 26, qui rappelle que la limitation de responsabilité personnelle ne s'applique pas aux associés qui assument une responsabilité personnelle pour les dettes de la société reprenante. Aussi, même en cas d'application de l'art. 181 CO, le recourant serait responsable.

g. Le 26 août 2021, le recourant a adressé des observations à la CJCAS en soutenant que le contrat de reprise de dettes devait être considéré comme une cession de patrimoine au sens de l'art. 181 CO, de sorte que le repreneur était seul responsable des dettes de la société. Il n'était, pour sa part, resté solidairement responsable que jusqu'au 27 septembre 2020. La cession avait été valablement communiquée aux créanciers, dont la caisse, par l'inscription du repreneur dans le RC.

h. Le 1er octobre 2021, le recourant a conclu à l'irrecevabilité de la dernière écriture reçue par la CJCAS le 16 septembre 2021, soit après que la cause avait été gardée à juger le 31 août 2021.

i. La CJCAS a admis la recevabilité des observations envoyées par l’intimée le 15 septembre 2021 et a accordé un délai au recourant pour d'éventuelles observations, lequel a adressé un courrier à la CJCAS le 22 octobre 2021. Selon lui, aucune décision en réparation du dommage était en force. Il affirmait n'avoir pas caché la situation de sa société lors de sa vente. Il fallait écarter du dossier les pièces produites par la caisse ou entendre M. E______ et M. C______. Sa société n'avait pas fusionné, seul l'art. 181 CO s'appliquait. Le recourant était entièrement libéré des dettes de la société dès le 27 septembre 2020.

j. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger le 25 octobre 2021.

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce, quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société étant domiciliée dans le canton de Genève jusqu'au moment de sa faillite, la chambre de céans est compétente ratione materiae et loci pour juger du cas d’espèce.

1.3 La LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'AVS, notamment en ce qui concerne l'art. 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l'employeur y est réglée de manière plus détaillée qu'auparavant et les art. 81 et 82 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101) ont été abrogés.

Il faut toutefois préciser que le nouveau droit n'a fait que reprendre textuellement, à l'art. 52 al. 1 LAVS, le principe de la responsabilité de l'employeur figurant à l'art. 52 aLAVS, la seule différence portant sur la désignation de la caisse de compensation, désormais appelée assurance. Les principes dégagés par la jurisprudence sur les conditions de droit matériel de la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 aLAVS (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2002) restent par ailleurs valables sous l'empire des modifications introduites par la LPGA (ATF 129 V 11, consid. 3.5 et 3.6).

Il convient de rappeler que, sur le plan matériel, sont en principe applicables les règles de droit en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 1 consid. 1 ; ATF 127 V 467 consid. 1 et les références).

Ainsi, dès lors que les périodes de cotisations pertinentes et la décision litigieuse sont postérieures au 1er janvier 2003, le cas d'espèce est régi par le nouveau droit. Interjeté dans les formes et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 38 et 56 à 61 LPGA).

2.             Le litige porte sur la responsabilité du recourant pour le défaut de paiement des cotisations sociales (à l'assurance-vieillesse et survivants [ci-après : AVS], l'assurance-invalidité [ci-après : AI], les allocations pour perte de gain [ci-après : APG], l'assurance chômage [ci-après : AC], l'assurance-maternité [ci-après : AMat] et les allocations familiales [ci-après : AF]) entre le 1er février 2015 et le 17 septembre 2017.

3.              

3.1 L'art. 14 al. 1 LAVS en corrélation avec les art. 34 et suivants RAVS prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur, qui ne s'acquitte pas de cette tâche, commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 118 V 193 consid. 2a).

3.2 À teneur de l'art. 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). L’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du Code des obligations sur les actes illicites (al. 3 nouvelle teneur depuis le 1er janvier 2020). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

La nouvelle teneur de l'art. 52 al. 2 LAVS codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATAS/610/2013 du 18 juin 2013, consid. 4a).

3.3 À titre liminaire, il convient d'examiner si la prétention de l'intimée est prescrite.

3.4 Avec l'entrée en vigueur de la LPGA au 1er janvier 2003, l'art. 82 RAVS a été abrogé. Depuis lors et jusqu'au 31 décembre 2019, un art. 52 LAVS (introduit par le chiffre 7 de l'annexe à la LPGA) prévoyait à son al. 3 que le droit à réparation était prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais pouvaient être interrompus et l'employeur pouvait renoncer à s'en prévaloir. Il s'agissait de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressortait du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (cf. SVR 2005 AHV n° 15, p. 49, consid. 5.1.2 ; FF 1994 V 964 ss, 1999, p. 4422).

L'art. 52 al. 3 LAVS a été modifié et prévoit que l’action en réparation du dommage se prescrit désormais conformément aux dispositions du Code des obligations sur les actes illicites (nouvelle teneur selon l’annexe chiffre 21 de la LF du 15 juin 2018 [Révision du droit de la prescription], en vigueur depuis le 1er janvier 2020 [RO 2018 5343 ; FF 2014 221]). Ainsi, le délai de prescription relatif a été porté de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. De plus, la prescription plus longue de l’action pénale visée à l’art. 60 al. 2 est applicable.

3.5 Lorsque le précédent art. 52 al. 3 LAVS est entré en vigueur, le Tribunal fédéral avait relevé que la LPGA ne contenait pas de disposition transitoire relative aux délais de péremption et de prescription prévus par l'ancien art. 82 RAVS et l'art. 52 al. 3 LAVS et rappelant que dans un arrêt du 27 septembre 2005 (ATF 131 V 425 confirmé dans l'ATF 134 V 353), le Tribunal fédéral des assurances avait jugé que les prétentions en dommages-intérêts qui n'étaient pas encore périmées au 1er janvier 2003 étaient assujetties aux règles de prescription de l'art. 52 al. 3 LAVS qui étaient entrées en vigueur à ce moment-là (ATF 131 V 425 consid. 5.1 et 5.2), confirmant ainsi le bien-fondé de la pratique administrative (ch. 7057.1 des directives de l'Office fédéral des assurances sociales [ci-après : OFAS] sur la perception des cotisations ; ATF 134 V 353 consid. 4).

3.6 En l'occurrence, en se fondant sur ce qui précède et faute de disposition transitoire en matière de prescription, le nouvel art. 52 al. 3 LAVS est applicable aux prétentions en dommages-intérêts qui ne sont pas encore périmées au 1er janvier 2020, ce qui est le cas en l'espèce.

Les délais prévus par le Code des obligations sont des délais de prescription. Le délai de prescription de trois ans commence à courir dès le jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage, ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.

3.7 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et employés ou ouvriers) dues par l'employeur, les contributions aux frais d'administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations - DP, ch. 8017).

Le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; ATF 126 V 443 consid. 3a ; ATF 121 III 382 consid. 3bb ; ATF 121 III 386 consid. 3a). Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l'art. 52 LAVS lorsque l'employeur ne déclare pas à l'AVS tout ou partie des salaires qu'il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l'art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l'avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6).

Un dommage se produit également en cas de faillite, en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite (ATF 129 V 193 consid. 2.2).

3.8 S'agissant des actes interruptifs de prescription, il sied de retenir ce qui suit.

Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). Cette notion d'acte judiciaire des parties doit être interprétée largement tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l'inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d'une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l'instance (ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l'opposition interrompent le délai de prescription de deux ans (respectivement de trois ans selon le droit en vigueur dès le 1er janvier 2020) et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

3.9 En l'espèce, lors de l'entrée en vigueur de l'actuel al. 3 de l'art. 52 LAVS le 1er janvier 2020, les prétentions en dommages-intérêts de la caisse n'étaient pas encore périmées. En effet, le dies a quo du délai de prescription (dès la connaissance du dommage) avait commencé à courir, au plus tôt, au moment où la procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs par jugement du 18 mars 2019, l'intimée ayant eu connaissance de l’ampleur définitive de son dommage à cette dernière date, soit moins d'un an avant l'entrée en vigueur de l'actuel art. 52 al. 3 LAVS. Aussi dès l'entrée en vigueur de cette disposition, les délais de prescription relatif et absolu de trois et dix ans s'appliquaient au cas d'espèce. La créance en réparation du dommage se rapportant aux cotisations paritaires impayées pour la période litigieuse du 1er février 2015 au 17 septembre 2017 ne pas pouvait pas se prescrire avant le 18 mars 2022. La prescription n'était donc pas acquise le 23 février 2021, date de la décision en réparation du dommage.

L'action en réparation du dommage n'étant pas prescrite, il convient à présent d'examiner si les autres conditions de la responsabilité de l'art. 52 LAVS sont réalisées, à savoir si le recourant, dont la qualité d'employeur tenu de verser des cotisations sociales n'est pas contestée, a commis une faute ou une négligence grave, s'il existe un lien de causalité adéquate entre son comportement et le dommage causé à l'intimée et s'il peut être tenu pour responsable de la dette malgré le contrat qu'il a signé le 25 septembre 2017, au vu des griefs qu'il fait valoir à ce sujet.

 

4.              

4.1 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

4.2 La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

4.3 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations - DP, no 8016 et 8017). Les éventuelles amendes prononcées par la caisse de compensation ne font pas partie du dommage et doivent, le cas échéant, être déduites (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 142/03 du 19 août 2003 consid. 5.5).

4.4 Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave, l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189).

4.5 La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

4.6 La responsabilité instituée par l'art. 52 LAVS est le corollaire des obligations que l'employeur - c'est-à-dire celui qui verse à des personnes obligatoirement assurées une rémunération au sens de l'art. 5 al. 2 LAVS (cf. art. 12 al. 1 LAVS) - assume, notamment en matière de perception des cotisations et de versement des prestations. En matière de cotisations, l'employeur responsable ne peut donc être que la personne (physique ou morale) qui était chargée, en tant qu'organe d'exécution de la loi, de la perception des cotisations et du règlement des comptes, conformément à l'article 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les articles 34 ss RAVS. Dans ces conditions, la société qui reprend une entreprise avec actifs et passifs, n'encourt aucune responsabilité, au sens de l'article 52 LAVS, pour le dommage résultant du non-paiement d'une dette de cotisations sociales de cette entreprise. L'obligation légale de perception des cotisations et de règlement des comptes, ainsi que la responsabilité qui en découle, incombent exclusivement à l'ancien employeur. Si cet employeur est une société et entre en liquidation, ses organes peuvent être recherchés en responsabilité, à titre subsidiaire (ATF 119 V 389 ; ATF 112 V 152, cités dans l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 87/04 du 22 juin 2005 consid. 4.2.2 ; cf. également l'ATF 136 V 268 consid. 2.6).

4.7 La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

5.             En l'espèce, en sa qualité d'administrateur et gérant de la société à responsabilité limitée jusqu'au 27 septembre 2017, le recourant était le seul employeur au regard de l'assurance-vieillesse et survivants tenu de verser l'intégralité des cotisations sociales. Il n'a payé qu'une partie desdites cotisations et a endetté sa société à hauteur de CHF 102'819.25 pour la période litigieuse. Le recourant avait le devoir de veiller à ce que la société règle, sans délai, la totalité des cotisations sociales dues en lien avec les salaires qu'il versait chaque mois à ses employés, ce qu'il n'a pas fait, laissant s'ajouter à la dette, des frais de sommation, de poursuites et des intérêts moratoires. Force est de constater que le recourant a soustrait la société, en partie, à son obligation de cotiser, cette dernière ayant versé des salaires sur lesquels ses ressources financières ne permettaient pas de prélever les cotisations paritaires. En laissant les cotisations du 1er février 2015 au 17 septembre 2017 en souffrance, le recourant a agi avec négligence. Le fait qu'il ait partiellement payé les cotisations et sollicité, comme il l'allègue, des délais de paiement n'était pas suffisant puisque le solde des arriérés de cotisations s'élevait encore à CHF 102'819.25 au moment de son départ de la société. Le recourant n'avait pas de raisons sérieuses et objectives de penser qu'il pourrait s'acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable, alors qu'il était encore en charge de sa société. Il n'a pas fait de démarches propres à conduire à l'assainissement de la société, mais a, au contraire, fait le choix de vendre les actions de sa société endettée, sans espoir pour cette dernière de retour à meilleure fortune.

Lorsque le recourant a cédé les parts sociales de sa société à un tiers, contre reprise des dettes de celle-ci, la dette envers l'intimée existait déjà. Le fait de céder cette dette notamment ou son patrimoine, comme le recourant l'allègue, ne constituait pas un acte de diligence. Ce faisant, le recourant a gravement violé ses obligations puisqu'il a conclu un contrat qui ne garantissait même pas que le repreneur solderait les dettes à la conclusion du contrat, mais uniquement qu'il s'acquitterait des factures en souffrance au gré des moyens de la société. Le recourant savait que la société n'était pas capable de payer ses dettes. À cet égard, le recourant a lui-même indiqué dans le contrat que la faillite était en suspens. Le recourant ne peut dès lors pas être suivi lorsqu'il soutient qu'il n'a pas été négligent dans la gestion de la société.

La conclusion du contrat de vente de parts sociales, soit la reprise de dettes telle qu'elle a été convenue ou le transfert des actifs et passifs de la société, ne pouvait au demeurant pas permettre au recourant de s'exonérer de sa responsabilité d'administrateur et d'employeur au sens de l'art. 52 LAVS et de sa propre dette fondée sur du droit public, compte tenu de la loi et de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

Le recourant a fait supporter le risque inhérent au financement d'une entreprise par l'assurance sociale et commis de la sorte une négligence grave au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS (cf. ATF 108 V 189, consid. 4, p. 196).

Par son comportement, le recourant a causé un dommage à l'intimée, dont il est responsable sur la base de l'art. 52 LAVS. Sa faute est la cause primaire de la perte des cotisations. La créance de cette dernière n'était plus recouvrable dès le prononcé de la faillite de la société. Le recourant ne peut dès lors pas contester l'existence du dommage. La quotité du dommage de CHF 102'819.25 (comprenant, à juste titre, les cotisations, frais de poursuite et intérêts moratoires), est corroborée par les pièces au dossier. La créance en dommages-intérêts de l'intimée n'est née qu'avec l'ouverture de la faillite de la société, de sorte que c'est à raison que l'intimée a recherché le recourant en lui notifiant une décision le 23 février 2021.

Le recourant ne saurait davantage être suivi quand il prétend qu'il ne répondait plus solidairement des dettes de la société au-delà du 27 septembre 2020, la responsabilité fondée sur l'art. 52 LAVS prévoyant une action en responsabilité contre l'employeur responsable du paiement des cotisations sociales et des délais de prescription propres, lesquels ont été respectés, comme exposé ci-avant.

Le recourant est tenu à réparation du dommage qu'il a causé à l'assurance et ne saurait se prévaloir d'un contrat par lequel il a cédé les dettes de la société à M. C______ pour s'exonérer de sa responsabilité, lequel ne pouvait le soustraire à son obligation légale de perception des cotisations et de règlement des comptes, et encore moins à la responsabilité qui en découle, lesquelles incombent à l'employeur.

L'on ajoutera qu'il n'y a pas lieu de retrancher du dossier les pièces produites spontanément par l'intimée, au vu du devoir d'instruction d'office de la chambre de céans, laquelle a donné l'occasion au recourant de se prononcer sur lesdites pièces avant de rendre son jugement. Il a été renoncé à entendre MM. C______ et E______, auxquels le recourant a cédé ses actions et ses dettes, par une appréciation anticipée des preuves, dans la mesure où ces auditions n'apporteraient pas d'éléments pertinents susceptibles de modifier l'opinion de la chambre de céans sur la responsabilité du recourant pour les dettes de droit public portant sur la période litigieuse où il était seul administrateur de ses sociétés.

Si la responsabilité du recourant au sens de l'art. 52 LAVS doit être confirmée pour la période litigeuse, soit du 1er février 2015 au 17 septembre 2017, comme exposé ci-dessus, il n'existe toutefois pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou leurs organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la LAMat (cf. consid. 8b ci-dessus ; ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020 consid. 14).

Partant, il y a lieu de déduire du dommage de l'intimée les cotisations impayées découlant de la LAMat.

Eu égard à ce qui précède, le recours sera très partiellement admis, la décision litigieuse du 12 avril 2021 annulée et la cause renvoyée à l'intimée pour nouveau calcul du dommage, en excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision.

Le recourant, représenté par un conseil, n'obtenant gain de cause, ni sur le principe de sa responsabilité, ni sur la majeure partie du dommage dont il est responsable, l'indemnité sera fixée à CHF 200.-. (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

6.             Pour le surplus, la procédure est gratuite.

* * * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet très partiellement, dans le sens des considérants.

3.        Renvoie la cause à l'intimée pour nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision.

4.        Rejette le recours pour le surplus et confirme donc la responsabilité du recourant du 1er février 2015 au 17 septembre 2017.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 200.- à titre de dépens, à la charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie NIERMARÉCHAL

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le