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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4211/2020

ATAS/820/2021 du 18.08.2021 ( AVS ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4211/2020 ATAS/820/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 18 août 2021

4ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître David MINDER

 

 

recourante

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, GENÈVE

 

 

intimée

 


EN FAIT

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1965, mariée, a exploité dès 2008, en qualité d’indépendante, une boutique de chaussures à Genève. À ce titre, elle a été affiliée à la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse) en qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante.

b. Par pli du 12 mars 2019, l’assurée a indiqué à la caisse que sa boutique avait été fermée pendant 3 ans par le propriétaire en raison de travaux et qu’elle avait perdu son activité subitement le 21 février. L’office des poursuites avait été informé de la fermeture de son arcade à cette date. Son beau-père avait été très malade pendant une année et était décédé en début d’année, ce qui avait constitué une épreuve « insoutenable » et expliquait qu’elle n’avait rien envoyé à la caisse depuis 2017. Elle invitait la caisse à « annuler son affiliation » à fin février 2018 et à annuler les poursuites en cours depuis mars 2018, soit depuis qu’elle avait été sans activité.

c. L’entreprise individuelle « B______» – qui exploitait la boutique de chaussures susvisée, sise à la rue C______ – a été radiée du registre du commerce le 22 mai 2019, par suite de cessation d’exploitation.

d. Par pli du 29 mai 2019, faisant suite à un précédent courrier transmis le 21 mars 2019, la caisse a invité l’assurée à lui retourner un « formulaire de cessation » afin qu’elle puisse clôturer son compte.

e. Le 21 octobre 2019, l’assurée a retourné à la caisse le formulaire de cessation requis. Elle y a indiqué qu’elle avait cessé définitivement son activité indépendante en janvier 2018 et qu’elle était désormais sans activité lucrative. Quant à son époux, il travaillait à 100% en tant que courtier en publicité.

f. Par pli du 6 novembre 2019, la caisse, relevant que plusieurs dates de cessation d’activité lui avaient été communiquées, a invité l’assurée à transmettre, jusqu’au 6 novembre 2019, une copie du jugement d’évacuation ou « tout autre document officiel permettant d’arrêter une date de fin d’activité ».

B. a. Le 2 décembre 2019, la caisse a rendu une décision par laquelle elle a fixé à CHF 8'791.25 le montant dû par l’assurée, pour l’année 2018, à titre des cotisations personnelles pour personne exerçant une activité lucrative indépendante, sur la base d’un revenu déterminant de CHF 70'800.-. Cette décision était fondée sur une « communication fiscale » transmise par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) le 11 novembre 2019, dont il ressortait un revenu d’activité indépendante de CHF 70'800.- résultant d’une taxation d’office.

b. L’assurée a formé opposition par pli du 10 mai 2020, arguant qu’elle avait dû « abandonner » son activité indépendante à la fin de l’année 2017 et non à la fin de l’année 2018, dans la mesure où le Tribunal des baux et loyers avait condamné son mari et elle-même à évacuer l’arcade qu’ils occupaient à la rue C______, à Genève. L’assurée a joint à son opposition copie du dispositif du jugement du Tribunal des baux et loyers du 31 mars 2017 (JTBL/348/2017), lequel condamnait son époux et elle-même à « évacuer immédiatement [ ] l'arcade de 29 m² sise au rez-de-chaussée, le dépôt au 3ème sous-sol et le dépôt au 4ème sous-sol de l'immeuble sis rue C______ à Genève (ch. 1 du dispositif) et autorisait [la bailleresse] à requérir l'exécution forcée de toute évacuation par la force publique, en lui donnant acte de son engagement à ne solliciter celle-ci qu'après les fêtes de Pâques 2017 (ch. 2) ».

c. Il y a lieu de préciser que la chambre des baux et loyers de la Cour de justice, saisie par l’assurée et son époux d’un recours contre le jugement précité, l’a rejeté par arrêt du 20 novembre 2017 (ACJC/1479/2017). Par ordonnance du 19 février 2018 (4A_21/2018), le Tribunal fédéral a pris acte du retrait du recours déposé par les époux A______ contre l’arrêt de la Cour de justice.

d. Invité par la caisse à « confirmer la taxation d’office de CHF 70'800.- pour l’année 2018 », dans la mesure où l’assurée indiquait avoir abandonné son activité à la fin de l’année 2017, suite au jugement du Tribunal des baux et loyers, l’AFC a répondu, les 2 et 8 septembre 2020, que la taxation d’office 2018 était entrée en force, aucune réclamation n’ayant été déposée. En 2017 et 2018, le couple avait été taxé d’office « sous la civilité de Monsieur ». Le commerce de chaussures ayant été déclaré en tant que raison individuelle au nom de l’assurée, une seule personne devait déclarer cette activité. Or, en 2014, la raison individuelle avait été déclarée comme SNC « moitié Monsieur, moitié Madame ». En 2015 et 2016, l’activité indépendante avait été déclarée sous Madame, et en 2017 et 2018, elle l’avait été sous Monsieur. Si la civilité avait été correcte pour 2017 et 2018 (Madame au lieu de Monsieur), le montant de la taxation d’office pour l’activité indépendante aurait été de CHF 66'700.- et non de CHF 63'500.-, mais comme les communications étaient partiellement automatiques, elles n’avaient pas pu être corrigées. Répondant ensuite à la question de savoir pourquoi l’AFC évoquait une taxation d’office de CHF 63'500.-, alors que l’assurée avait été taxée sur CHF 70'800.-, l’AFC a répondu, le 21 septembre 2020, que « pour l’année 2017, [l’assurée] a été taxée avec un revenu TO de 63'500.-, l’activité ayant été déclarée sous Monsieur et non Madame, de ce fait, le montant de CHF 63'500.- correspond au revenu IFD du couple et pas au revenu IFD de l’activité indépendante, qui était de CHF 66'700.-. Pour 2018, c’est le même cas de figure, si la TO activité indépendante avait été notifiée sous Madame, le montant aurait été de CHF 73’370- et non pas de CHF 70'800.- ».

d. Par décision sur opposition du 3 novembre 2020, la caisse a confirmé sa décision du 2 décembre 2019. Selon la jurisprudence, le juge des assurances sociales ne pouvait s’écarter de décisions de taxation entrées en force que lorsque celles-ci contenaient des erreurs manifestes et dûment prouvées, qu’il était possible de rectifier d’emblée, ou s’il s’imposait de tenir compte d’éléments de fait déterminants sur le plan des assurances sociales. De simples doutes sur l’exactitude d’une taxation fiscale ne suffisaient pas. Par ailleurs, selon les directives de l’administration, la communication fiscale avait force contraignante, même si la taxation aurait probablement été corrigée si elle avait été attaquée par les voies de recours du droit fiscal. En l’occurrence, même si l’assurée avait dû quitter son arcade à fin décembre 2017, cela ne prouvait pas encore qu’elle avait totalement cessé son activité indépendante. En effet, il était possible que cette activité ait perduré encore une année, notamment pour liquider les stocks accumulés. Par ailleurs, le compte d’indépendant du conjoint de l’assurée avait été clôturé à fin 2015. La décision de cotisations personnelles de la caisse reposait sur les chiffres indiqués par l’AFC et l’on ne trouvait dans les communications de l’AFC – confirmées par cette dernière – aucune erreur manifeste, de sorte que la décision était fondée.

C. a. Le 11 décembre 2020, l’assurée a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS) d’un recours contre la décision sur opposition précitée, réaffirmant qu’elle ne disposait pas de son arcade en 2018 et n’avait pas vendu le moindre stock de marchandise. La seule personne qui travaillait était son mari, en tant que salarié. La perte de sa boutique l’avait plongée dans un grand désespoir et elle n’avait pu travailler depuis lors.

b. Dans sa réponse du 18 janvier 2021, l’intimée a conclu au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision sur opposition et réaffirmant que la décision de taxation – entrée en force – ne contenait aucune erreur manifeste qu’elle aurait pu rectifier d’emblée.

c. Dans sa réplique du 12 avril 2021, la recourante a conclu à l’annulation de la décision sur opposition du 3 novembre 2020, « aucune cotisation personnelle pour indépendante n’étant due [ ] pour l’année 2018 ». Elle avait cessé son activité indépendante à la fin de l’année 2017, son fonds de commerce ayant été entreposé au dépôt de l’État dès le mois de mars 2018, en vue de sa vente aux enchères. En 2018, les revenus du couple étaient constitués du seul salaire de son époux (CHF 56'402.60.- net). Les explications que l’AFC avait données à cet égard étaient très peu claires et auraient mérité d’être investiguées davantage par l’intimée. En effet, elle avait omis d’indiquer qu’avant les exercices taxés d’office en 2017 et 2018, son époux était déjà au bénéfice de revenus tirés d’une activité dépendante et que la taxation d’office n’était donc pas fondée seulement sur les revenus issus de l’activité indépendante de la recourante. Même si elle avait continué son activité indépendante en 2018, le montant des cotisations aurait dû être bien inférieur, puisqu’il aurait dû être basé uniquement sur ses propres revenus et non sur la totalité des revenus du couple. En tout état de cause, puisqu’elle avait cessé son activité indépendante à la fin de l’année 2017, les revenus du couple en 2018 ne correspondaient en réalité qu’aux revenus de son époux, de sorte qu’aucune cotisation au titre de son activité indépendante n’aurait dû lui être facturée pour cette année-là. La recourante a joint à sa réplique diverses pièces, notamment :

-          un courrier daté du 28 juin 2018, émanant du service des évacuations de la police genevoise, à teneur duquel l’huissier judiciaire avait fait entreposer au dépôt de l’État divers effets et meubles le 8 mars 2018, suite à l’exécution du jugement d’évacuation concernant l’arcade de la rue C______. Une demande d’autorisation de vente aux enchères serait prochainement déposée ;

-          un certificat de salaire, dont il ressort que le mari de la recourante a perçu en 2018 un salaire net de CHF 56'402.60 pour son activité exercée auprès de D______ SA ;

-          un certificat de travail daté du 31 janvier 2019, attestant que le mari de la recourante travaille auprès de D______ SA en tant que délégué commercial depuis le 1er décembre 2016 ;

-          un bordereau de taxation d’office daté du 30 septembre 2019, dont il ressort un revenu imposable pour la recourante et son mari de CHF 70'800.- pour l’impôt fédéral direct en 2018 ;

-          un courriel du 8 mars 2021, par lequel la recourante a invité la police genevoise à la renseigner sur la date à laquelle aurait lieu la vente aux enchères, suite à l’évacuation, en mars 2018, des meubles qu’elle avait entreposés dans ses anciens locaux, à la rue C______ ;

-          un courriel du 10 mars 2021, par lequel la police genevoise lui a répondu que la vente aux enchères aurait lieu les 24 et 25 mars 2021.

d. Dans sa duplique du 21 avril 2021, l’intimée a maintenu ses conclusions tendant au rejet du recours, réaffirmant que la communication fiscale fondée sur une taxation d’office liait aussi bien l’organe d’exécution de l’AVS que le juge et que, selon le registre du commerce, l’inscription avait été radiée le 22 mai 2019 suite à la cessation de l’exploitation, soit après l’année litigieuse.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Aux termes de l'art. 60 LPGA, le recours doit être déposé dans les trente jours suivant la notification de la décision sujette à recours (al. 1). Les art. 38 à 41 sont applicables par analogie (al. 2). Si le délai, compté par jours ou par mois, doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication (art. 38 al. 1 LPGA).

En l'occurrence, la décision attaquée a été adressée à l’assurée sous pli recommandé le 3 novembre 2020, ce dont la Poste l'a avisée le lendemain. L’assurée n'a toutefois pas retiré le pli, de sorte que la notification est réputée avoir eu lieu sept jours après (délai de garde), soit en l'occurrence le 11 novembre 2020, dernier jour du délai de garde (ATF 123 III 493 ; ATF 119 II 149 consid. 2 ; ATF 119 V 94 consid. 4b/aa et les références). Expédié le 11 décembre 2020, le recours a été interjeté en temps utile. Par ailleurs, au vu des conclusions et du complément de motivation fournis par la recourante au stade de la réplique, le recours satisfaisait aux exigences de forme et de contenu prescrites par l'art. 61 let. b LPGA (cf. aussi art. 89B loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]), de sorte qu'il est recevable

3.        Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de cotisations rendue par l’intimée pour 2018, sur la base d’un revenu déterminant de CHF 70'800.- tiré d’une activité indépendante.

4.        a. Selon l’art. 3 al. 1 LAVS, les assurés sont tenus de payer des cotisations tant qu’ils exercent une activité lucrative. Les personnes sans activité lucrative sont tenues de payer des cotisations à compter du 1er janvier de l’année qui suit la date à laquelle elles ont eu 20 ans; cette obligation cesse à la fin du mois où les femmes atteignent l’âge de 64 ans, les hommes l’âge de 65 ans.

Une cotisation de 8.1 % est perçue sur le revenu provenant d’une activité indépendante (art. 8 al. 1 LAVS). S’agissant des assurés n’exerçant aucune activité lucrative, ils paient une cotisation selon leur condition sociale. La cotisation minimale est de 413 francs et la cotisation maximale correspond à 50 fois la cotisation minimale (art. 10 al. 1 LAVS).

b. L'obligation de verser les cotisations aux assurances sociales imposée aux personnes exerçant une activité lucrative se détermine selon la qualification (revenu de l'activité indépendante ou salaire) à donner au revenu acquis par ces personnes durant la période en cause (RCC 1974 p. 441). L'obligation des personnes exerçant une activité indépendante commence avec le début effectif de l'exercice de l'activité en question et prend fin notamment par la cessation effective de l'activité lucrative, soit en cas de décès ou d'aliénation de la raison individuelle ou de personnes, de sortie d'une société de personnes ou de transformation en société de capitaux (ATF 115 V 161; Gustavo Scartazzini, in Greber/Duc/Scartazzini, Commentaire des art. 1 à 16 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants [LAVS]: champ d'application personnel et cotisations, Bâle 1997, n. 31 et 32 ad art. 8 LAVS).

c. Selon l’art. 22 RAVS, les cotisations sont fixées pour chaque année de cotisation. L’année de cotisation correspond à l’année civile (al. 1). Les cotisations se calculent sur la base du revenu découlant du résultat de l’exercice commercial clos au cours de l’année de cotisation et du capital propre investi dans l’entreprise à la fin de l’exercice commercial (al. 2). L’art. 22 al. 1 RAVS stipule ainsi le calcul post-numerando (d’après le revenu acquis pendant l’année de cotisation) conformément au système de l’impôt fédéral direct. En d'autres termes, la période de cotisation coïncide avec la période de calcul (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 177/06 du 28 septembre 2007 consid. 3.2).

5.        a. Selon l’art. 9 al. 1 LAVS, le revenu provenant d'une activité indépendante comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante. Pour déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante, sont notamment déduits du revenu brut les frais généraux nécessaires à l’acquisition du revenu brut (art. 9 al. 2 let. a LAVS).

b. Selon l’art. 9 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), les revenus des époux qui vivent en ménage commun sont additionnés, quel que soit le régime matrimonial.

c. L’art. 9 al. 3 LAVS prévoit que le revenu provenant d'une activité indépendante et le capital propre engagé dans l'entreprise sont déterminés par les autorités fiscales cantonales et communiqués aux caisses de compensation. Les caisses de compensation et le juge sont en principe liés par les données des autorités fiscales cantonales (art. 23 al. 4 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 - RAVS - RS 831.101). Ils le sont en principe également par les communications fiscales fondées sur des taxations d’office passées en force, bien que celles-ci soient moins précises que des taxations établies selon la procédure ordinaire, c’est-à-dire par rapport à des données concrètes (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 17/00 du 5 décembre 2000 consid. 2 ; RCC 1988 p. 321 et les références ; ATAS/775/2014 du 25 juin 2014 consid. 6).

Le Tribunal fédéral a jugé à plusieurs reprises, concernant la détermination du revenu et du capital propre engagé dans une entreprise au regard des taxations fiscales passées en force selon l’art. 23 RAVS, que les données fiscales lient les caisses de compensation, mais que le caractère obligatoire des données fiscales que prévoit l’art. 23 al. 4 RAVS ne concerne que la fixation desdits revenu et capital propre et n’englobe pas la question de savoir si et dans quelle mesure ceux-ci sont soumis à cotisation, question qu’il incombe aux caisses de compensation d’examiner au regard du droit de l’AVS sans être liées par les communications fiscales, étant toutefois précisé qu’elles doivent en général se fier à ces dernières et ne procéder à leurs propres investigations que lorsqu’il y a des doutes sérieux quant à l’exactitude des données dont l’autorité fiscale fait état (arrêt du Tribunal fédéral 9C_162/2014 du 31 juillet 2014 consid. 3.1 ; ATF 134 V 250 consid. 3.3 ; 121 V 80 consid. 2c ; 114 V 72 consid. 2 ; 111 V 289 consid. 3 ; 102 V 27 consid. 3b). De plus, sur les questions liant en principe les caisses de compensation, ces dernières doivent néanmoins s’écarter des données résultant de la taxation fiscale lorsque celles-ci contiennent des erreurs manifestes susceptibles d’être corrigées aisément ou lorsqu’il s’agit d’apprécier des faits non pertinents d’un point de vue fiscal mais décisifs au regard du droit des assurances sociales (ATF 111 V 289 consid. 3 ; 110 V 369 consid. 2a ; 102 V 27 consid. 3a ; ATAS/903/2015 du 24 novembre 2015 consid. 8b). Un examen autonome des facteurs d’imposition sur lesquels se fonde la décision de cotisations reste exceptionnellement possible lorsque le montant de l’impôt fixé dans la décision de taxation est peu élevé et que l’absence d’une valeur litigieuse suffisante enlève tout motif d’entamer une procédure fiscale, a fortiori lorsqu’aucun impôt n’est dû (arrêt du Tribunal fédéral 9C_441/2015 du 19 février 2016 consid. 7 et la jurisprudence citée).

d. Selon les directives de l’office fédéral des assurances sociales sur les cotisations des travailleurs indépendants et des personnes sans activité lucrative dans l’AVS, AI et APG (ci-après : DIN), les caisses de compensation ne sont pas liées, entre autres, par les communications indiquant des éléments de revenu qui, en vertu de la LAVS, ne font pas partie du revenu provenant d’une activité indépendante. Elles ne sont pas davantage liées par les indications concernant la date à partir de laquelle l’activité indépendante a commencé dans la période de calcul ni quant à savoir si l’assuré est ou non une personne exerçant une activité lucrative ou un non actif (ch. 1236 des DIN). Par ailleurs, la caisse de compensation doit estimer elle-même le revenu et l’intérêt du capital propre investi dans l’entreprise, notamment, lorsque la communication de l’autorité fiscale est inutilisable, en raison du fait que le revenu communiqué comprend également un salaire ou qu’il s’agit d’un revenu acquis en commun par deux époux ou partenaires enregistrés (ATF 98 V 243 consid. 3). Ainsi, lorsque, par exemple, deux conjoints exercent une activité indépendante et qu’en dépit d’une demande explicite de la caisse, l’autorité fiscale n’est pas en mesure d’indiquer séparément leurs revenus respectifs, la caisse de compensation doit, en principe, répartir le revenu global net sur la base des indications de l’assuré (ch. 1257 des DIN).

6.        En l’occurrence, dans la décision litigieuse, l’intimée a retenu un revenu déterminant tiré d’une activité indépendante de CHF 70’800.-, fondé sur la taxation d’office de l'AFC pour l’année 2018.

De son côté, la recourante soutient ne devoir aucune cotisation personnelle pour indépendante pour l’année 2018, dans la mesure où elle avait alors déjà cessé son activité indépendante, suite à son expulsion. Selon elle, l’AFC a omis d’indiquer qu’avant les exercices taxés d’office en 2017 et 2018, son époux était déjà au bénéfice de revenus tirés d’une activité dépendante, de sorte que la taxation d’office n’était pas fondée seulement sur les revenus issus de l’activité indépendante de la recourante. Même si elle avait continué son activité indépendante en 2018, le montant des cotisations aurait dû être bien inférieur, puisqu’il aurait dû être basé uniquement sur ses propres revenus et non sur la totalité des revenus du couple. En tout état de cause, puisqu’elle avait cessé son activité indépendante à la fin de l’année 2017, les revenus du couple en 2018 ne correspondaient en réalité qu’aux revenus de son époux – exerçant une activité dépendante auprès de D______ SA –, de sorte qu’aucune cotisation au titre d’une activité indépendante n’aurait dû lui être facturée.

7.        a. En premier lieu, la chambre de céans rappelle que, dans le cadre de la procédure administrative, l’assurée a initialement demandé à l’intimée « d’annuler son affiliation » dès la fin du mois de février 2018 et d’annuler les poursuites depuis mars 2018, dans la mesure où elle avait « subitement » perdu son activité le 21 février et où elle n’avait subséquemment plus exercé d’activité lucrative. Au stade de l’opposition, la recourante a ensuite fait valoir qu’elle avait cessé son activité indépendante à la fin de l’année 2017, dès lors que son mari et elle-même avaient été condamnés à évacuer l’arcade qu’ils occupaient à la rue C______, en joignant à l’appui de ses dires copie du dispositif du jugement d’expulsion rendu par le Tribunal des baux et loyers le 31 mars 2017 (JTBL/348/2017).

b. Au regard des pièces versées au dossier, on doit tenir pour établi que l’activité indépendante exercée par la recourante (en relation avec l’exploitation d’un commerce) a pris fin, au plus tard, à la fin du mois de février 2018. En effet, la recourante a initialement indiqué que son activité indépendante avait « subitement » pris fin le 21 février 2018 et qu’elle était sans activité depuis lors (cf. courrier du 12 mars 2019) ; sa première déclaration à cet égard est en principe déterminante, conformément au principe dit des « déclarations de la première heure » (ATF 121 V 45 consid. 2a). En outre, il convient de relever que l’allégation initiale de la recourante situant la fin de son activité indépendante en février 2018 est corroborée par le fait que le jugement d’expulsion rendu par le Tribunal des baux et loyers est entré en force le 19 février 2018 (date à laquelle le Tribunal fédéral a pris acte du retrait du recours interjeté contre l’arrêt cantonal confirmant l’expulsion). Enfin, il ressort des pièces produites par la recourante et notamment du courrier qui lui a été adressé par le service des évacuations de la police qu’ensuite de son expulsion, le mobilier et les effets qui garnissaient son commerce ont été placés au dépôt de l’État le 8 mars 2018 en vue de leur vente aux enchères (laquelle est finalement intervenue en mars 2021). On peut en déduire que le jugement d’évacuation a été exécuté rapidement après son entrée en force et situer ainsi la fin de l’activité indépendante à la fin du mois de février 2018, ce qui coïncide au demeurant avec les premières déclarations de la recourante. À cet égard, on relèvera que l’allégation de l’intimée selon laquelle il « est possible que l’activité [indépendante] ait perduré une année encore, notamment pour liquider les stocks accumulés » repose sur une simple hypothèse qui ne trouve aucune assise dans le dossier.

c. Contrairement à ce que soutient l’intimée, le revenu d’indépendant de CHF 70'800.- retenu dans la décision attaquée sur la base de la communication fiscale ne saurait être entériné par la chambre de céans. S’il est exact que, comme le souligne la caisse, l’organe d’exécution de l’AVS et le juge sont en principe liés par les données des autorités fiscales cantonales en ce qui concerne la fixation du revenu déterminant, il n’en demeure pas moins que le caractère obligatoire des données fiscales n’englobe pas la question de savoir si et dans quelle mesure celui-ci est soumis à cotisations. C’est ainsi aux caisses de compensation, voire au juge, de décider notamment à qui il incombe de payer des cotisations sur un revenu indiqué par l’autorité fiscale (Michel VALTÉRIO, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants et de l’assurance-invalidité, Commentaire thématique, 2011, pp. 144s). Le principe de la force contraignante des données fiscales ne dispense pas non plus les caisses de compensation de procéder à leurs propres investigations en cas de doutes sérieux quant à l’exactitude des données communiquées par l’autorité fiscale. En outre, il incombe aux caisses de compensation d’estimer elles-mêmes le revenu et l’intérêt du capital propre investi dans l’entreprise, notamment, lorsque la communication de l’autorité fiscale est inutilisable, en raison du fait que le revenu communiqué comprend également un salaire ou qu’il s’agit d’un revenu acquis en commun par deux époux (cf. supra consid. 5 ; ATF 98 V 243 consid. 3).

En l’occurrence, il résulte du dossier qu’en raison de son expulsion, à la fin du mois de février 2018, la recourante a dû mettre fin à l’exploitation de son commerce, de sorte que l’on peine à concevoir comment cette dernière aurait pu tirer un revenu excédant CHF 70'000.- d’une activité indépendante exercée tout au plus pendant deux mois en 2018. Il paraît bien plus vraisemblable que, comme le fait valoir la recourante, le revenu de CHF 70'800.- communiqué par l’autorité fiscale pour 2018 englobait en fait le salaire de son mari, travaillant à 100% en tant que courtier en publicité, comme en atteste le certificat de salaire annexé à la réplique. On précisera d’ailleurs que le montant de CHF 70'800.- correspond au revenu imposable du couple, selon la taxation d’office produite par la recourante. L’information complémentaire – absconse – que l’AFC a fournie à l’intimée par courriels en septembre 2020 ne permet pas de clarifier exactement à quels revenus (ceux du mari, ceux de la recourante ou un cumul des deux) correspond le montant de CHF 70'800.- mentionné dans la communication fiscale. Il résulte néanmoins des réponses de l’AFC que le revenu de CHF 70'800.- pour l’année 2018 a été déclaré par les époux A______ « sous Monsieur » (contrairement aux années 2015 et 2016, où des revenus tirés d’une activité indépendante avaient été déclarés « sous Madame ») et que le couple a été « taxé d’office sous la civilité de Monsieur », alors que le mari de la recourante n’exerce plus d’activité indépendante, mais seulement une activité salariée. Cela tend à confirmer l’argument de la recourante selon laquelle le montant de CHF 70'800.- comprendrait le salaire de son mari. Au regard des pièces versées au dossier, on doit ainsi constater que la communication fiscale est très vraisemblablement inutilisable, dans la mesure où elle ne permet pas de distinguer le salaire du mari d’éventuels revenus perçus par la recourante en lien avec l’exploitation de son commerce jusqu’en février 2018. Or, du point de vue de l'AVS, il importe de distinguer ces revenus, en raison de la différence des régimes de perception des cotisations institués par la loi.

d. À ce stade, les pièces du dossier ne permettent pas de fixer le montant du revenu de l'activité lucrative indépendante de l'assurée en 2018. Il convient donc de renvoyer l'affaire à la caisse de compensation, pour qu'elle procède à une estimation aussi correcte que possible du revenu 2018 provenant de l'exploitation du commerce de l'assurée – à supposer qu’un tel revenu ait été perçu –, en obtenant au besoin les comptes commerciaux (comptes de pertes et profits et bilan) et la déclaration fiscale des époux A______ pour 2018.

8.        Le recours sera donc partiellement admis, la décision attaquée annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour qu’elle complète l’instruction dans le sens qui précède, puis rende une nouvelle décision.

9.        La recourante étant représentée, une indemnité de CHF 1'500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l'intimée (art. 61 let. g LPGA et art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA ; RS E 5 10.03).

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement et annule la décision sur opposition du 3 novembre 2020.

3.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision, dans le sens des considérants.

4.        Condamne l’intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 1'500.- à titre de dépens.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le