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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/754/2020

ATAS/618/2021 du 15.06.2021 ( AVS ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/754/2020 ATAS/618/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 juin 2021

2ème chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié ______, à CHÊNE-BOUGERIES, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître François MEMBREZ

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, Service juridique, sise Rue des Gares 12, GENÈVE

 

intimée

 


EN FAIT

1.        Le 12 mai 2000 a été inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) la société à responsabilité limitée qui a pris le 13 février 2007 la raison sociale B______Sàrl (ci-après : la société), sise dans le canton de Genève, qui était active dans les installations sanitaires et dont Monsieur A______ a été associé-gérant (ci-après : l’associé-gérant, l’intéressé ou le recourant) dès 2003.

Par jugement du Tribunal de première instance (TPI) du 29 octobre 2018, elle a été dissoute par suite de faillite avec effet à partir du même jour.

2.        Le 26 janvier 2016, la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée) a adressé à l’intéressé la facture finale pour les cotisations salariales de 2015, le 6 février 2017 pour celles de 2016, le 6 février 2018 pour celles de 2017.

3.        a. Par décision du 4 novembre 2019, la caisse a exigé de l’associé-gérant le versement dans les trente jours de la somme de CHF 95'533.75 représentant les cotisations salariales paritaire de la société selon le décompte annexé, y compris les frais et les intérêts moratoires, due en réparation du dommage correspondant à la créance de la caisse qui ne serait pas couverte dans le cadre de la faillite, étant précisé que la consultation de l’état de collocation, publié le 26 mars 2019, avait révélé un dividende prévisible de 0 %.

b. Ledit décompte portait sur les cotisations salariales paritaires, plus précisément celles de l’assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS)/assurance-invalidité (ci-après : AI)/allocations de perte de gain (ci-après : APG), des allocations familiales (ci-après : AF), de l’assurance-chômage obligatoire et indemnité en cas d’insolvabilité (ci-après : AC) et de l’assurance-maternité cantonale (ci-après : AMat).

Il est précisé que les montants des frais administratifs énoncés ci-après représentent 2,621 % des cotisations AVS/AI/APG et les cotisations AMat entre 2015 et 2017 0,082 % et en 2018 0,092 % des salaires.

En 2015, les cotisations, frais et intérêts moratoires se montaient à CHF 64'336.05 au total, y compris CHF 38'026.- de cotisations AVS/AI/APG, CHF 8'122.05 de cotisations AC, CHF 8'860.45 de contributions AF et CHF 302.75 de cotisations AMat, CHF 996.65 de frais administratifs, CHF 2'700.- de frais de sommations et CHF 4'521.85 d’intérêts moratoires, dont à déduire notamment un versement de CHF 55'061.60, soit à payer CHF 8'954.70.

En 2016, la somme totale des cotisations, frais et intérêts moratoires s’élevait à CHF 52'870.85, y compris CHF 30'502.75 de cotisations AVS/AI/APG, CHF 6'546.95 de cotisations AC, CHF 7'290.90 de contributions AF et CHF 244.- de cotisations AMat, CHF 799.50 de frais administratifs, CHF 1’850.- de frais de sommations et CHF 4'618.55 d’intérêts moratoires, dont à déduire notamment un versement de CHF 21'942.55, soit à payer CHF 30'579.10.

En 2017, les cotisations, frais et intérêts moratoires se chiffraient à CHF 44'112.95 au total, y compris CHF 26'330.60 de cotisations AVS/AI/APG, CHF 5'651.45 de cotisations AC, CHF 6'293.65 de contributions AF et CHF 210.65 de cotisations AMat, CHF 690.15 de frais administratifs, CHF 1’800.- de frais de sommations et CHF 1'344.60 d’intérêts moratoires, dont à déduire aucun versement mais seulement une redistribution de la taxe CO2, soit à payer CHF 43'812.45.

En 2018, le montant total des cotisations, frais et intérêts moratoires s’élevait à CHF 12'623.15, y compris CHF 7'263.25 de cotisations AVS/AI/APG, CHF 1'558.95 de cotisations AC, CHF 1'736.10 de contributions AF et CHF 65.20 de cotisations AMat, CHF 190.35 de frais administratifs, CHF 1'000.- de frais de sommations et CHF 254.85 d’intérêts moratoires, dont à déduire aucun versement mais seulement une redistribution de la taxe CO2, soit à payer CHF 12'187.50.

Il en résultait la somme totale due de CHF 95'533.75.

4.        Par écrit du 4 décembre 2019, l’intéressé a formé opposition contre cette décision.

Selon lui, il n’avait pas commis de faute dans la gestion de la société, avait fait de son mieux pour payer tous les salaires et les frais qui étaient importants alors que le chiffre d’affaires progressait difficilement, voire reculait à charges constantes, et avait souhaité sauver la société petit à petit sans toutefois y parvenir. Dans ces circonstances, il ne pouvait pas être mis à sa charge les cotisations sociales, dont il contestait par ailleurs le montant réclamé.

5.        Par décision sur opposition rendue le 28 janvier 2020, notifiée le 31 janvier suivant, la caisse a rejeté cette opposition.

D’après elle, notamment, on ne voyait pas de motif objectif susceptible de justifier le défaut de paiement des cotisations. L’associé-gérant n’avait ainsi pas fait le nécessaire en vue de veiller à l’exécution des obligations d’employeur de la société.

6.        Par acte déposé le 2 mars 2020 par un avocat au greffe de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans), l’intéressé a interjeté recours contre cette décision sur opposition, concluant à son annulation et, principalement, à la constatation qu’il ne devait pas à la caisse les cotisations paritaires AVS/AI/APG, AMat et cotisations dues au régime des AF pour les employés, de la société, subsidiairement, au renvoi de la cause à l’intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Selon lui, la caisse n’avait pas prouvé avoir produit sa créance dans la faillite de la société et elle avait ainsi contribué à aggraver le dommage, de sorte qu’elle était déchue de son droit à demander réparation.

Faute de base juridique particulière, ni les intérêts moratoires ni les frais administratifs ne pouvaient être réclamés.

Conformément à la jurisprudence de la chambre des assurances sociales, il ne pouvait pas être recherché pour le non-paiement des cotisations AMat.

7.        Dans sa réponse du 10 juin 2020, l’intimée a contesté les griefs du recourant et a conclu au rejet du recours.

Il ressort entre autres de son dossier produit qu’elle avait, le 12 février 2019, adressé à l’office des poursuites une « production définitive AVS/AI/APG/assurance-chômage - AF-assurance-maternité » portant sur des créances privilégiées en 2ème classe de CHF 89'889.92 et à colloquer en 3ème classe de CHF 7'810.30, et que, le 12 juin 2019, elle s’était vu notifier des actes de défaut de biens après faillite pour ces deux montants.

8.        Dans sa réplique du 24 août 2020, l’associé-gérant a nié avoir fait preuve de négligence relativement au paiement des cotisations sociales dues et a, « en résumé », contesté devoir les postes suivants issus du décompte de la caisse susmentionné : les intérêts moratoires, non justifiés et couverts par un accord tacite de délai de paiement, les cotisations AMat et les frais de sommation.

9.        Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément aux art. 134 al. 1 let. a ch. 1, 2, 7 et 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) et 20 de la loi instituant une assurance en cas de maternité et d'adoption du 21 avril 2005 (LAMat - J 5 07), la chambre des assurances sociales connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - 831.20), à la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité du 25 septembre 1952 (loi sur les allocations pour perte de gain, LAPG - RS 834.1), à la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (loi sur les allocations familiales, LAFam - RS 836.2), à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (loi sur
l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0), ainsi qu’à la LAMat.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        a. Interjeté dans le délai et la forme requise, le recours est recevable (art. 38 al. 3 et 60 LPGA et 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA – E 5 10]).

b. Le recourant a pris, à titre principal, une conclusion constatatoire tendant à nier sa dette en matière de cotisations envers l’intimée.

Or, les conclusions tendant à l’annulation des décisions englobent de telles conclusions constatatoires, qui sont dès lors irrecevables puisqu’elles n'ont qu'un caractère préparatoire. En effet, des conclusions constatatoires ne sont admissibles que s'il existe un intérêt juridique ou de fait digne de protection à ce qu'elles soient accordées qui ne peut être pleinement sauvegardé par une conclusion formatrice (arrêt du Tribunal fédéral 9C_105/2016 du 5 avril 2016 consid. 1.1 ; ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020 consid.2).

3.        L'objet du litige porte sur la responsabilité du recourant pour le dommage subi par l’intimée du fait du défaut de paiement des cotisations sociales par la société.

4.        a. L'art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 et suivants du règlement du 31 octobre 1947 sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS - RS 831.101), prescrit que l'employeur doit déduire, lors de chaque paie, la cotisation du salarié et verser celle-ci à la caisse de compensation en même temps que sa propre cotisation. Les employeurs doivent remettre périodiquement aux caisses les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs employés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de l'employeur de percevoir les cotisations et de régler les comptes est une tâche de droit public prescrite par la loi (ATF 118 V 193 consid. 2a et les références).

b. L’al. 3 de l’art. 52 LAVS régissant la responsabilité de l’employeur a été modifié le 1er janvier 2020. Eu égard au principe de droit intertemporel selon lequel les dispositions légales applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 445 consid. 1), c’est la teneur de cette disposition en vigueur jusqu’au 31 décembre 2019 qui est applicable au cas d’espèce, et la loi sera citée dans son ancienne version.

En vertu de l'art. 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à la caisse de compensation est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L'employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable (al. 3). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

5.        a. À titre liminaire, il convient d’examiner si tout ou partie des prétentions de la caisse seraient éventuellement prescrites.

b. Les délais prévus par l’art. a52 al. 3 LAVS doivent être qualifiés de délais de prescription et non de péremption comme cela ressort du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (SVR 2005 AHV n° 15 p. 49 consid. 5.1.2 ;
FF 1994 V 964 ; FF 1999 p. 4422). Alors que le délai de prescription de deux ans commence à courir dès la connaissance du dommage, celui de cinq ans débute dès la survenance du dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.2).

Cela signifie qu’ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d’opposition ou la procédure de recours qui s’ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

Le dommage survient dès que l’on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; ATF 126 V 443 consid. 3a). Un dommage se produit notamment en cas de faillite, en raison de l’impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite (ATF 129 V 193 consid. 2.2). En cas de faillite, le moment de la connaissance du dommage correspond en règle générale à celui du dépôt de l’état de collocation ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d’actifs (ATF 129 V 193 consid. 2.3).

Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). Cette notion d’acte judiciaire des parties doit être interprétée largement tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l’inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d’une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l’instance (ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l’opposition interrompent le délai de prescription de deux ans et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

c. En l’espèce, le dommage s’est produit le 29 octobre 2018, soit au moment de la dissolution de la société par voie de faillite. En adressant au recourant le 4 novembre 2019 une décision en réparation du dommage, l’intimée a agi dans le délai de prescription de deux ans. Elle l’a ainsi valablement interrompu à ce moment-là, ainsi qu’ultérieurement, au sens des dispositions précitées. Quant au délai de prescription de cinq ans, il n’est pas non plus échu.

6.        Cela étant, tout d’abord, dans son recours, le recourant fait valoir que la caisse n’aurait pas prouvé avoir produit sa créance dans la faillite de la société et qu’elle aurait ainsi contribué à aggraver le dommage, de sorte qu’elle serait déchue de son droit à demander réparation.

Certes, comme invoqué par l’associé-gérant, selon les art. 4 de la loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires du 14 mars 1958 (loi sur la responsabilité, LRCF - RS 170.32) et 44 al. 1 CO, applicables par analogie, l’obligation de l’employeur de réparer le dommage peut être réduite, si et dans la mesure où la survenance du dommage, ou son aggravation, est en relation de causalité adéquate avec une violation grave, par l’administration, des obligations qui lui incombent (ATF 122 V 185). Cela est notamment le cas lorsque la caisse de compensation ne respecte pas les règles élémentaires sur la taxation d’office et la perception des cotisations (Office fédéral des assurances sociales [OFAS], Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG [DP], état au 1er janvier 2021, ch. 8040).

En l’occurrence, indépendamment de la pertinence du grief du recourant – qui peut demeurer indécise –, l’intimée a en tout état de cause, contrairement à ce qu’il prétend, produit ses créances dans la faillite de la société et a même obtenu des actes de défaut de biens pour celles-ci, de sorte que ce grief du recourant est dénué de tout fondement.

7.        a. Apparemment dans le cadre du grief précédent, l’intéressé conteste, dans sa réplique, avoir fait preuve de négligence par rapport à ses obligations en matière de cotisations sociales.

b. L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l’AVS (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687 ; ATAS/356/2020 du 7 mai 2020 consid. 12). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

La survenance d’un dommage ne suffit pas à conclure à une faute qualifiée au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS. Toutefois, la caisse de compensation qui subit un dommage du fait d’une violation des prescriptions peut partir du principe que l’employeur ou ses organes ont transgressé ces prescriptions de manière intentionnelle ou par négligence grave, lorsqu’il n’existe pas d’indication plaidant en faveur de la licéité de leur comportement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_228/2008 du 5 février 2009 consid. 4.2.1). Ainsi, il existe une présomption d’une faute qualifiée de l’employeur ou de ses organes, ce qui implique un devoir de collaborer accru de la personne recherchée sur ce point. L’employeur et ses organes doivent ainsi procéder aux offres de preuve nécessaires pour exclure une intention ou une négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2010 du 10 décembre 2010 consid. 4.1).

Il n'y a pas obligation de réparer le dommage lorsqu’il existe une circonstance justifiant le comportement fautif de l'employeur ou excluant l'intention et la négligence grave. À cet égard, on peut envisager qu'un employeur cause un dommage à la caisse de compensation en violant intentionnellement les prescriptions en matière d'AVS, sans que cela entraîne pour autant une obligation de réparer le préjudice. Tel est le cas lorsque l'inobservation des prescriptions en question apparaît, au vu des circonstances, comme légitime ou non fautive (ATF 108 V 189 consid. 2b). Ainsi, il peut arriver qu'en retardant le paiement de cotisations, l'employeur parvienne à maintenir son entreprise en vie, par exemple lors d'une passe délicate dans la trésorerie. Pour qu'un tel comportement ne tombe pas ultérieurement sous le coup de l'art. 52 LAVS, il faut que l'on puisse admettre que l'employeur avait, au moment où il a pris sa décision, des raisons sérieuses et objectives de penser qu'il pourrait s'acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). La seule expectative que la société retrouve un équilibre financier ne suffit pas ; il faut des éléments concrets et objectifs selon lesquels on peut admettre que la situation économique de la société se stabilisera dans un laps de temps déterminé et que celle-ci recouvrera sa capacité financière (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 163/06 du 11 juin 2007 consid. 4.4). Lorsque l’employeur ne dispose pas des liquidités suffisantes pour s’acquitter des salaires bruts et des cotisations sociales dues, il doit réduire la masse salariale dans une mesure lui permettant de verser les cotisations paritaires sur ces montants (arrêts du Tribunal fédéral des assurances H 69/05 du 15 mars 2006 consid. 5.3.3 et H 21/04 du 29 septembre 2004 consid. 5.2). Un manque de liquidités n’est pas un motif d’exculpation (Ueli KIESER, Rechtsprechung zur AHV, 3ème éd., n. 51 ad art. 52).

c. Or, dans le cas présent, l’associé-gérant, qui était de manière incontestée – et incontestable – un organe formel de la société (à ce sujet notamment ATAS/79/2020 précité consid. 7) durant la période sur laquelle porte le
non-paiement des cotisations en cause, soit de 2015 à 2018, n’a pas invoqué une circonstance susceptible le cas échéant de justifier la violation de cette obligation légale par l'employeur – ou par son organe, ici lui-même – ou excluant l'intention ou la négligence grave, se contentant de relever, de manière générale, les contraintes qui pèsent sur les patrons de petites et moyennes entreprises (PME) dans un contexte fort concurrentiel où ils tentent de maintenir l’emploi.

Le simple fait que le recourant ait réglé des montants de cotisations, en particulier des acomptes sur arriérés, montre certes un respect de ses obligations au sujet de l’acquittement d’une partie des cotisations sociales, mais n’exclut aucunement sa responsabilité relativement au solde non payé des cotisations dues par la société.

L’intention ou la négligence grave de la part de l’intéressé au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS est donc établie.

8.        a. Le dommage comprend les cotisations dues en vertu de la LAVS (art. 52), de la LAI (art. 66 2ème phrase), de la LAPG (art. 21 al. 2, 2ème phrase), de la loi fédérale du 20 juin 1952 sur les allocations familiales dans l'agriculture (LFA - RS 836.1 ; art. 25 al. 3), de la LAFam (art. 25 let. c) et de la LACI (art. 6 ; Mélanie FRETZ, La responsabilité selon l’art. 52 LAVS : une comparaison avec les art. 78 LPGA et 52 LPP, in REAS 2009 p. 238 ss, 240).

En revanche, s’agissant des cotisations AMat, la chambre de céans a récemment constaté, dans l’arrêt ATAS/79/2020 précité, que la LAMat ne reprenait pas la responsabilité prévue à l’art. 52 LAVS, ni ne prévoyait l’application de cette loi par analogie, mais renvoyait uniquement à la LAPG et plus précisément – mais certes non exclusivement – à des dispositions sans lien avec la responsabilité de l’employeur. Ce renvoi en chaîne, qui n’évoque ni la responsabilité de l’employeur, ni même les dispositions matérielles de la LAVS, ne satisfait pas aux exigences découlant du principe de la légalité, notamment en matière de précision et de prévisibilité, dont le respect doit être apprécié avec rigueur. En d’autres termes, il n’existe pas de base légale à la responsabilité des organes d’une société pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la LAMat (ATAS/79/2020 précité consid. 14 ; ATAS/769/2020 du 11 septembre 2020 consid. 14).

b. En conséquence, et quand bien même l’intimée conteste le bien-fondé de cette jurisprudence de la chambre de céans, les cotisations AMat devront être déduites du montant du dommage.

9.        a. Le recourant conteste ensuite devoir des intérêts moratoires, des frais administratifs et des frais de sommation.

b. Si la créance en réparation du dommage au sens de l’art. 52 LAVS ne porte pas intérêt (ATF 119 V 78 consid. 5 ; OFAS, DP, ch. 8064), le dommage lui-même inclut les intérêts prévus par l’art. 26 LPGA en cas de retard dans le paiement des cotisations (ATAS/79/2020 précité consid. 14), en lien avec l’art. 41bis RAVS, jusqu'à la délivrance d'un acte de défaut de biens en cas de poursuite par voie de saisie (art. 149 al. 4 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 [LP - RS 281.1]) ou jusqu'à l'ouverture de la faillite (art. 209 LP ; ATAS/386/2020 du 14 mai 2020 consid. 9b ; Mélanie FRETZ, op. cit., p. 240).

Font aussi partie du dommage au sens de l’art. 52 LAVS les frais administratifs – ou contributions aux frais d’administration –, prévus à l’art. 69 al. 1 LAVS, qui prévoit en substance que les caisses de compensation perçoivent des contributions de leurs affiliés pour couvrir ces frais (ATAS/386/2020 précité consid. 9b ; ATAS/79/2020 précité consid. 14 ; Mélanie FRETZ, op. cit., p. 240).

Il en va de même des frais de sommation, prévus par l’art. 34a RAVS, à teneur de l’al. 1 duquel les personnes tenues de payer des cotisations qui ne les versent pas ou ne remettent pas le décompte relatif aux cotisations paritaires dans les délais prescrits recevront immédiatement une sommation écrite de la caisse de compensation (ATAS/386/2020 précité consid. 9b ; ATAS/79/2020 précité consid. 14 ; Mélanie FRETZ, op. cit., p. 240).

c. Partant, contrairement à ce que soutient l’associé-gérant, la perception par la caisse d’intérêts moratoires, de frais administratifs et de frais de sommation repose sur une base légale. En outre, la perception d’intérêts moratoires ne nécessitait pas qu’ils aient été ou n’aient pas été couverts par un « accord tacite de délai de paiement » (réplique p. 2).

d. Par ailleurs, l’intéressé ne remet pas en cause le calcul en tant que tel des intérêts moratoires arrêtés par la caisse, étant précisé qu’en vertu de l’art. 42 al. 2 RAVS, le taux des intérêts moratoires et rémunératoires s’élève à 5 % par année.

Concernant les frais administratifs, il ressort de l’art. 1 de l’ordonnance du Département fédéral de l’intérieur (DFI) sur le taux maximum des contributions aux frais d’administration dans l’AVS du 19 octobre 2011 (RS 831.143.41), édictée sur délégation de l’art. 157 RAVS, que les contributions aux frais d’administration perçues par la caisse conformément à l’art. 69 al. 1 LAVS ne devaient pas dépasser 5 % de la somme des cotisations que devait verser la société, employeur. Dans le cas présent, une vérification effectuée d’office permet d’exclure un tel dépassement. Pour le reste, rien ne permet de supposer que les frais administratifs n’auraient pas été fixés de manière correcte par l’intimée.

Pour ce qui est des frais de sommation, l’intimée a indiqué, dans sa réponse, que la société, qui était censée payer des acomptes mensuels, s’était vue adresser
trente-six factures, rappels, sommations et commandements de payer « pour les trois périodes en cause », précisant ne produire, par économie de procédure, que les factures annuelles définitives ainsi que les actes de défaut de biens pertinents. Le recourant n’a pas contesté cette allégation, qui peut dès lors être considérée comme établie. Or, conformément à l’art. 34a RAVS, la sommation est assortie d’une taxe de CHF 20.- à CHF 200.-. Dans ces circonstances, au regard notamment des très nombreuses sommations, c’est sans fondement que le recourant fait valoir, dans sa réplique, que, s’élevant à plusieurs milliers de CHF, les frais de sommation étaient disproportionnés.

e. En définitive, les griefs du recourant afférents aux intérêts moratoires, frais administratifs et frais de sommation n’apparaissent pas fondés.

Néanmoins, les intérêts moratoires devront être recalculés vu l’absence de prise en compte, pour le dommage, des cotisations AMat. Ceci ne sera pas nécessaire pour les frais administratifs, dont le montant ne dépendait pas desdites cotisations, ni pour les frais de sommation, au regard notamment de la modicité des cotisations AMat (qui sont désormais exclues du dommage) par rapport à l’ensemble des cotisations non payées.

10.    Vu ce qui précède, le recours sera très partiellement admis, dans cette seule mesure, et rejeté pour le surplus.

11.    Vu l'issue du litige et l’admission très partielle du recours, une indemnité réduite de CHF 300.- sera allouée au recourant (art. 61 let. g LPGA).

12.    Pour le reste, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA, applicable ratione temporis vu l’art. 83 LPGA).

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare irrecevable la conclusion constatatoire formulée par le recourant.

2.        Déclare le recours recevable pour le surplus.

Au fond :

3.        Admet très partiellement le recours.

4.        Réforme la décision sur opposition rendue le 28 janvier 2020 par l’intimée en ce sens seulement que doivent être déduites du montant réclamé au recourant, au titre du dommage, les cotisations non payées en matière d’assurance-maternité cantonale ainsi que les parts des intérêts moratoires afférents à ces cotisations.

5.        Renvoie la cause à l’intimée pour de nouveaux calculs et une nouvelle décision dans ce sens.

6.        Alloue une indemnité de dépens de CHF 300.- au recourant, à la charge de l’intimée.

7.        Dit que la procédure est gratuite.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

Le président

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le