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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/501/2025

ATA/777/2025 du 18.07.2025 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : AIDE FINANCIÈRE;LOI COVID-19;CAS DE RIGUEUR;RESTITUTION(EN GÉNÉRAL);COMPTABILITÉ;BILAN(EN GÉNÉRAL);LÉGALITÉ;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT;PRINCIPE DE LA BONNE FOI
Normes : LCOVID-19.12.al1quater.letb; LCOVID-19.12.al1septies; OMCR.8ème; OMCR.22a.al2
Résumé : Les aides financières perçues pour cas de rigueur dans le cadre de l’épidémie du COVID-19 doivent être restituées en cas de réalisation d’un bénéfice durant l’exercice concerné. Pour une telle restitution sous forme de participation au bénéfice, c’est le bénéfice annuel imposable de 2021 avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 LIFD, sous déduction de perte subie au cours de l’exercice 2020, qui est déterminant et non le résultat d’exploitation. Le bénéfice comptable déterminant tient compte d’éventuels abandons de créances, qui doivent être comptabilisés comme des produits imposables.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/501/2025-EXPLOI ATA/777/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juillet 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______recourante
représentée par Me Jacques ROULET, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DE L’EMPLOI intimé
représenté par Me David HOFMANN, avocat



EN FAIT

A. a. A______ (anciennement B______, ci‑après : B______), avec siège à Grand-Lancy, est active dans le domaine de la boulangerie, l’alimentation et la restauration. Son chiffre d’affaires est supérieur à CHF 5'000'000.-.

b. Le 3 février 2021, B______ a déposé une demande d’aide pour cas de rigueur dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Le même jour, B______ a signé avec l’État de Genève, soit pour lui le département du développement économique, devenu le département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : DEE), une « Convention d’octroi de contribution à fonds perdu » portant sur l’octroi d’une aide financière à fonds perdu destinée à atténuer le poids des coûts fixes non couverts par l’entreprise.

c. Par décision du 5 mars 2021, le DEE a octroyé à B______ une aide financière de CHF 248'082.-, fondée sur la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid‑19 du 25 septembre 2020 (ci-après : loi Covid-19 - RS 818.102), l’ordonnance fédérale concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de COVID-19 du 25 novembre 2020 (ci-après : ordonnance Covid-19), la loi genevoise relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021 du 29 janvier 2021 (ci-après : loi 12863) et le règlement d’application de cette dernière. Le DEE annonçait un prochain versement complémentaire et évoquait la possibilité d’une restitution en cas d’aide perçue à tort.

d. Le 19 mars 2021, le DEE a octroyé une aide complémentaire de CHF 501'918.-, portant l’aide totale perçue par B______ à CHF 750’000.-, soit le maximum alors en vigueur. Il précisait que, le montant maximum étant atteint, B______ était potentiellement éligible à une aide complémentaire au sens de l’art. 8 al. 2bis de la loi Covid-19. Un document explicatif précisait la démarche à effectuer et les « conditions selon l’ordonnance Covid-19 », qui indiquait en particulier que l’aide total pour cas de rigueur pouvait monter à CHF 1'500'000.- à condition, notamment, que les propriétaires et les bailleurs de fonds apportent une contribution supplémentaire équivalant à l’aide complémentaire, par exemple par une augmentation de fonds propres et des abandons de créances.

e. Le DEE et B______ ont signé, respectivement les 31 mars et 4 mai 2021, une deuxième convention d’octroi de contribution à fonds perdu, similaire à la précédente, qui indiquait également que les bases légales et réglementaires applicables au travers de la convention étaient la loi Covid-19, l’ordonnance Covid‑19, la loi 12863 et son règlement d’application.

f. Le 26 mai 2021, B______ a déposé une nouvelle demande d’aide pour cas de rigueur, accompagnée de la convention précitée.

g. Par décision du 27 juillet 2021, le DEE a octroyé à B______ une aide financière de CHF 1'102'059.10 à titre d’indemnisation d’une entreprise ayant un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.-, ce qui portait l’aide totale perçue par la recourante à CHF 1'852'509.10. La décision se référait à la loi 12938 du 30 avril 2021 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021 (ci‑après : loi 12938) et son règlement d’application du 5 mai 2021 ainsi qu’aux plafonds instaurés par le législateur fédéral que le canton se devait d’appliquer. Elle mentionnait la possibilité de contrôles a posteriori et de la restitution d’une aide perçue indûment en application de l’art. 17 de la loi 12938.

h. Le 20 octobre 2021, B______ a obtenu de la Banque C______ un abandon partiel de créance à hauteur de CHF 1'150'000.-, qui visait à assurer une continuité à B______ selon les projections financières remises à la banque.

i. Par actes non datés intitulés « Avenant à la Convention de postposition », D______, administrateur de B______, et E______, titulaire d’une signature collective à deux, ont chacun consenti à abandonner CHF 100'000.- en réduction de prêts postposés envers B______ du 4 juillet 2018.

j. Le 24 juin 2022, B______ a signé une troisième convention d’octroi de contribution à fonds perdu avec l’État de Genève, couvrant la période du 1er janvier au 31 mars 2022. Selon le chiffre 5.4 de cette convention, « Conformément aux articles 12 al.1septies de la loi Covid-19 et l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur en 2022, les entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 5 millions de francs et réalisant un bénéfice durant l’année où une aide à fonds perdu leur est octroyée, imposable au sens des articles 58 à 67 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct, s’engagent à le transférer à l’État de Genève, ce toutefois au maximum à concurrence du montant de l’aide perçue ».

k. Les comptes annuels 2021 de B______, audités le 27 juin 2022, font état de résultats d’exploitation négatifs, mais d’un résultat final positif de CHF 1'500'592. ‑, compte tenu des abandons de créance précités, comptabilisés comme « produits hors exploitation » pour un total de CHF 1'350'000.-.

l. L’avis de taxation définitif concernant l’impôt fédéral direct pour 2020 retient une perte de l’exercice de CHF 598'675.-. Pour 2021, l’avis de taxation définitif retient un résultat imposable de CHF 1'300'592.-, soit le résultat précité de CHF 1'500'592.- moins une déduction admise de CHF 200'000.-.

m. Le 15 juillet 2022, le DEE a indiqué que B______ pourrait être tenue à restitution, en se référant à l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et au chiffre 5.4 de la convention signée par B______.

n. Le 7 juin 2023, le DEE a réclamé un montant de CHF 701'917.- à titre de participation au bénéfice de l’exercice 2021, en se fondant sur la loi Covid‑19, l’ordonnance Covid-19 et la loi 12938, plus particulièrement les art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid-19, en vigueur lors du dépôt de la demande en date du 26 mai 2021. Selon le tableau contenu dans cette décision, le montant réclamé correspondait au bénéfice de CHF 1’300’592.- sous déduction de la perte de CHF 598'675.- réalisée en 2020.

B. a. Le 7 juillet 2023, B______ a formé réclamation. Il n’y avait aucune base légale pour la restitution. Elle n’avait pas été informée de la nouvelle règle sur la participation aux bénéfices et le DEE l’avait, alors que ce n’était plus nécessaire et de manière contraire à la bonne foi, incitée à obtenir de sa banque un abandon de créance, qui avait conduit à un bénéfice purement comptable alors qu’elle n’avait réalisé aucun bénéfice d’exploitation.

b. Par décision du 7 janvier 2025, le DEE, soit pour lui l’office cantonal de l’économie et de l’innovation, a rejeté la réclamation. Le montant concerné devait être restitué en application des règles fédérales sur l’aide aux entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- qui, bien qu’abrogées ultérieurement, demeuraient applicables aux faits. La restitution d’indemnisations indûment perçues selon l’art. 17 de la loi 12938 ne concernait pas que l’utilisation à d’autres fins que la couverture des coûts fixes, mais aussi l’aide perçue alors que les conditions n’étaient pas réalisées.

C. a. Par acte déposé le 11 mars 2025, B______ a recouru auprès de la chambre administrative de la cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision du 7 janvier 2025, concluant, principalement, à son annulation et à ce qu’il soit dit et constaté que B______ n’était pas débitrice de l’État de Genève de la somme de CHF 701’917.- à titre de participation au bénéfice de l’exercice 2021. Elle sollicitait préalablement la suspension de la procédure jusqu’à détermination du Conseil d’État sur la motion 3038 « Pour que les aides COVID ne se retournent pas contre les entreprises qui en ont bénéficié » et l’audition de F______, président de G______, association des professionnels de la restauration et de l’hôtellerie vaudoise, ainsi que l’audition « d’autres témoins selon le témoignage de F______ ».

L’aide octroyée « à fonds perdu » était non remboursable. Les dispositions fédérales sur la rétrocession des bénéfices n’étaient pas directement applicables et une telle restitution n’était, hormis les cas d’abus, prévue ni par le droit cantonal ni par la convention qu’elle avait signée avec l’État de Genève. C’était le bénéfice d’exploitation qui était déterminant, et non un bénéfice purement comptable, la pratique genevoise différant à cet égard de la pratique vaudoise, ce qui constituait une inégalité de traitement. De manière contraire à la bonne foi, l’autorité avait fait croire non seulement que l’aide pour cas de rigueur n’était pas remboursable, mais aussi que celle-ci était subordonnée à l’obtention d’un abandon de créance alors que cela n’était plus le cas. C’était à cause de l’abandon de créance obtenu de sa banque qu’on lui réclamait une participation au bénéfice. Vu la situation financière de B______, le recouvrement de la créance serait voué à l’échec et condamnerait la société, ce qui était contraire à l’esprit et aux objectifs de la loi.

b. Le DEE a conclu au rejet du recours.

Opposé à la suspension de la procédure et à l’audition de témoins, il arguait qu’une aide « à fonds perdu » n’était pas pour autant inconditionnelle, sans aucune possibilité d’en demander la restitution. L’aide n’était accordée que pour autant que les conditions légales soient remplies et, a contrario, devait être restituée si elles ne l’étaient pas. La participation au bénéfice se justifiait par le but d’indemnisation, soit la couverture des frais fixes non couverts et non la réalisation d’un bénéfice. Pour une entreprise avec un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5’000’000.-, seul le droit fédéral, auquel renvoyait la loi cantonale, était applicable sur le plan matériel et celui-ci imposait la participation au bénéfice, indépendamment du contenu des conventions bilatérales conclue avec la recourante. Le bénéfice déterminant était celui qui résultait des art. 58 à 67 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), qui incluait les abandons de créance consentis par des tiers. La Banque C______ avait abandonné une partie de sa créance le 20 octobre 2021, postérieurement à l’octroi de l’aide le 27 juillet 2021, qu’elle ne mentionnait pas. Cet accord n’était pas en relation avec le document d’information générale communiqué à B______ le 19 mars 2021. Ce dernier concernait l’ordonnance Covid-19 en sa teneur en vigueur jusqu’au 31 mars 2021, alors que la demande de B______ du 6 mai 2021 était régie par la réglementation en vigueur dès le 1er avril 2021. Le DEE n’avait donné aucune assurance à B______ que le nouveau droit n’était pas applicable à sa demande.

c. B______ a répliqué qu’elle avait utilisé l’aide perçue conformément au but visé, soit pour couvrir les coûts fixes non couverts, sans toutefois y parvenir, son activité ayant été déficitaire notamment entre janvier et juin 2021. Le droit cantonal applicable ne prévoyait pas la restitution d’un éventuel bénéfice comptable. Le DEE lui avait fait croire à tort que par la convention du 31 mars 2021, elle s’engageait selon les modalités figurant dans le document d’information annexé au courrier du DEE du 19 mars 2021, dont il faisait partie intégrante, alors que le cadre légal avait changé.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la restitution d’un montant de CHF 701'917.- réclamé à la recourante dans le cadre des aides COVID perçues par celle-ci.

3.             La recourante sollicite préalablement la suspension de la procédure jusqu’à détermination du Conseil d’État sur la motion 3038.

3.1 Lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions (art. 14 al. 1 LPA). Selon l’art. 78 LPA, l’instruction du recours est suspendue par : la requête simultanée de toutes les parties (let. a) ; le décès d’une partie (let. b) ; la faillite d’une partie (let. c) ; sa mise sous curatelle de portée générale (let. d) ; la cessation des fonctions en vertu desquelles l’une des parties agissait (let. e) ou le décès, la démission, la suspension ou la destitution de l’avocat ou du mandataire qualifié constitué (let. f).

3.2 En l’espèce, le motif de suspension invoqué par la recourante ne réalise aucune des conditions permettant la suspension. Le Conseil d’État a par ailleurs déposé son rapport sur la motion 3038 en date du 5 février 2025. Partant, il n’y a pas lieu de suspendre la présente procédure.

4.             La recourante sollicite l’audition de F______, président de G______, au sujet de la pratique dans le canton de Vaud relative à la détermination du bénéfice au sens de la loi Covid-19.

4.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1). Le droit d’être entendu n’implique pas une audition personnelle de l’intéressé (ATF 140 I 68 consid. 9.6). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

4.2 En l’espèce, l’audition de F______ n’est pas de nature à influer sur l’issue de la procédure. Les faits pertinents ressortent du dossier et l’élément que l’audition vise à établir, soit la pratique des autorités vaudoises en matière de restitution des aides pour cas de rigueur, n’est pas pertinent. Comme il sera exposé plus en détail ci-après, les conditions de la participation au bénéfice découlent de la réglementation fédérale, reprise en droit genevois, dont l’interprétation par les autorités d’autres cantons n’est pas déterminante. Il en va de même de la pratique alléguée qui se fonderait sur des règles de droit vaudois, qui ne sont pas applicables en l’espèce. Il peut donc être renoncé à l’audition sollicitée. Il n’y a pas non plus lieu de procéder à l’audition d’autres témoins dont la recourante n’a, au demeurant, pas précisé le nom.

5.             La recourante se plaint d’une violation du principe de la légalité. Les dispositions fédérales prévoyant la restitution de l’aide en cas de bénéfice n’étaient pas directement applicables. Une telle restitution n’était prévue ni dans le droit cantonal ni dans la convention d’aide qu’elle avait conclue avec l’État de Genève.

5.1 Le principe de la légalité, consacré à l’art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige que les autorités n’agissent que dans le cadre fixé par la loi. L’exigence de la base légale signifie que les actes étatiques doivent trouver leur fondement dans une loi au sens matériel, qui soit suffisamment précise et déterminée et qui émane de l’autorité constitutionnellement compétente (ATF 141 II 169 consid. 3.1 ; 131 II 13 consid. 6.5.1 ; 128 I 113 consid. 3c). Conformément aux principes généraux du droit intertemporel, lorsqu’un changement de droit intervient au cours d’une procédure administrative contentieuse ou non contentieuse et s’il s’agit de tirer les conséquences juridiques d’un événement passé constituant le fondement de la naissance d’un droit ou d’une obligation, le droit applicable est, en l’absence de dispositions transitoires, celui en vigueur au moment dudit événement. Dès lors, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1 ; ATA/1220/2024 du 15 octobre 2024 consid. 3.2 ; ATA/918/2018 du 11 septembre 2018 consid. 3b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 403 ss).

5.2 Selon l’art. 12 de la loi Covid-19 en sa teneur en vigueur du 19 décembre 2020 au 31 décembre 2021, la Confédération pouvait, à la demande d’un ou plusieurs cantons, soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse, créées ou ayant commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020 et ayant leur siège dans le canton à cette date, qui étaient particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituaient un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1).

La Confédération versait en particulier aux cantons une participation financière à hauteur de 100% des mesures pour les cas de rigueur qu’ils destinaient aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de CHF 5'000'000.- (al. 1quater let. b) ; le Conseil fédéral édictait les dispositions particulières (al. 1quinquies). Ce soutien était accordé à condition que les exigences minimales de la Confédération soient respectées, les conditions d’éligibilité prévues par le droit fédéral devant être respectées de manière inchangée dans tous les cantons, sous réserve des mesures cantonales supplémentaires pour les cas de rigueur qu’un canton finançait entièrement lui-même (al. 1sexies).

5.3 L’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19, qui était en vigueur du 20 mars 2021 au 31 décembre 2022, prévoyait que les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de CHF 5'000'000.- qui, durant l’année où une contribution non remboursable leur était octroyée, réalisaient un bénéfice annuel imposable au sens des art. 58 à 67 LIFD, le transféraient au canton compétent, ce toutefois au maximum à concurrence du montant de la contribution perçue, et que le canton transférait 95% des fonds reçus à la Confédération ; le Conseil fédéral réglait les modalités, notamment la prise en compte des pertes de l’année précédente et le mode d’inscription comptable.

Selon le message du Conseil fédéral, la Confédération assumait les coûts des mesures cantonales en faveur des grandes entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de CHF 5'000'000.- dans le but de compenser leurs coûts non couverts, la responsabilité de la procédure revenant au canton dans lequel l’entreprise avait son siège le 1er octobre 2020. Comme la Confédération finançait intégralement lesdites contributions, elle pouvait imposer aux cantons des règlements concernant les conditions d’éligibilité et le calcul des aides correspondantes aux fins d’éviter toute inégalité de traitement entre les entreprises (Message relatif à une modification de la loi Covid-19 [cas de rigueur, assurance-chômage, accueil extra-familial pour enfants et acteurs culturels], à un arrêté fédéral concernant le financement des mesures pour les cas de rigueur prévues par la loi Covid-19 et à une modification de la loi sur l’assurance-chômage du 17 février 2021 - FF 2021 285, p. 20). Il était également important de s’assurer que les entreprises concernées ne reçoivent pas de contributions excessives qui pourraient, par exemple, les amener à atteindre de meilleurs résultats l’année du coronavirus que les années antérieures. Le fait que la Confédération et les cantons accordent des contributions à fonds perdu pour les entreprises pouvait susciter des prétentions, soulever d’innombrables questions de délimitation et laisser, dans une certaine mesure, des entreprises insatisfaites. Dans la mise en œuvre, il fallait éviter autant que possible les inégalités de traitement manifestes entre entreprises comparables. Concernant les grandes entreprises pour lesquelles la Confédération prenait en charge l’intégralité des contributions, le Conseil fédéral édicterait une réglementation stricte afin d’éviter toute surindemnisation (FF 2021 285, p. 22).

5.4 Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance Covid-19, qui a été modifiée à plusieurs reprises. Selon l’art. 8e de cette ordonnance, intitulé « base déterminante pour la participation conditionnelle aux bénéfices pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions de francs », le bénéfice annuel imposable de 2021 avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 LIFD était déterminant pour calculer la participation conditionnelle aux bénéfices visée à l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 du 25 septembre 2020 et seule la perte subie au cours de l’exercice 2020 déterminante sur le plan fiscal pouvait être déduite. Cet article était applicable aux entreprises qui s’étaient vu octroyer des aides pour les cas de rigueur à compter du 1er avril 2021 (art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid-19). Selon l’art. 11 al. 1ter de ’ordonnance Covid-19, si un canton renonçait en tout ou en partie à faire valoir ses droits à l’égard de l’entreprise, la Confédération ne participait aux coûts et aux pertes subis par le canton que si le recouvrement de la créance paraissait voué à l’échec ou que les coûts et les efforts administratifs étaient disproportionnés par rapport au montant de la créance.

Il ressort des commentaires de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur, état au 11 mars 2022 (ci-après : commentaire), que pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépassait CHF 5'000'000.-, l’ordonnance Covid-19 comportait toute une série de prescriptions contraignantes concernant les conditions d’éligibilité, le calcul des contributions, les plafonds applicables à ces dernières, les prestations propres, la participation aux bénéfices, les justificatifs et le traitement des prêts, cautionnements et garanties. Les cantons devaient reprendre les prescriptions figurant dans la loi et l’ordonnance sans y déroger. Comme les grandes entreprises exerçaient souvent leurs activités dans différents cantons et que la Confédération finançait intégralement les mesures correspondantes, il fallait qu’une réglementation uniforme s’applique à ces entreprises dans l’ensemble du pays (commentaire Grandes lignes de la réglementation, p. 3). Même si l’art. 12 de la loi Covid-19 cessait d’être en vigueur à fin de 2022, l’exécution des dispositions restait régie après 2022 par le droit fondant l’allocation des aides, en particulier s’agissant de la participation aux bénéfices (commentaire ad art. 23, p. 27).

5.5 Le législateur genevois a adopté la loi d’urgence 12863, applicable du 1er janvier au 30 avril 2021 et remplacée par la loi d’urgence 12938. Ces lois visaient à limiter les conséquences économiques de la lutte contre l’épidémie de coronavirus pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi Covid‑19 et l’ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1 de la loi 12938).

5.5.1 Les aides financières extraordinaires, qui visaient à atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités avaient été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (al. 2), consistaient en une participation à fonds perdu en application de l’ordonnance Covid-19 (art. 3 al. 1 de la loi 12938). Pour les entreprises avec un chiffre d’affaires moyen 2018-2019 supérieur à CHF 5’000’000.-, l’indemnisation consistait en une participation à fonds perdu de l’État de Genève, entièrement compensée par la Confédération, aux coûts fixes non couverts en raison du recul du chiffre d’affaires durant l’exercice 2020, le cas échéant 2021 pour les mois de janvier à juin, conformément aux dispositions de l’ordonnance Covid-19 (art. 12 al. 1 de la loi 12938), calculée sur la base de parts de coûts fixes forfaitaires conformément aux modalités prévues à l’art. 8b al. 2 de l’ordonnance Covid-19 (al. 2). L’art. 17 de la loi 12938 prévoyait, comme le faisait l’art. 16 de la loi 12863, la restitution des participations financières indûment perçues, à savoir celles utilisées à d’autres fins que la couverture des coûts fixes.

La participation « entièrement compensée par la Confédération » octroyée par la loi 12938 était celle prévue à l’art. 12 de la loi Covid-19, qui fixait le principe du soutien fédéral et les conditions minimales auxquelles devait répondre la mesure cantonale pour être prise en charge par la Confédération. L’aide aux entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- devait en effet être octroyée aux mêmes conditions dans tous les cantons (art. 12 al. 1sexies de la loi Covid‑19). À Genève, la loi 12938 ne prévoyait pas de conditions différentes ou supplémentaires par rapport aux dispositions fédérales auxquelles elle renvoyait. Comme souligné par le Tribunal fédéral, le législateur genevois considérait que l’indemnisation des entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- était totalement réglée par la Confédération, sans marge de manœuvre des cantons, et il souhaitait se calquer sur les critères fixés par la Confédération (arrêt du Tribunal fédéral 2C_356/2023 du 28 mars 2024 consid. 1.6.6 et les références citées).

Le Tribunal fédéral a précisé que les aides allouées en vertu de la loi 12938 aux entreprises genevoises ayant un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- restaient de droit cantonal, même si cette loi renvoyait au droit fédéral, notamment s’agissant des dispositions portant sur le remboursement du bénéfice, à savoir l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, l’art.12 al. 1septies de la loi Covid-19 qu’il concrétisait et la disposition transitoire de l’art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid-19 dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 ; ces dispositions de droit fédéral, incorporées dans le droit genevois, s’appliquaient en tant que droit cantonal supplétif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_605/2024 du 11 avril 2025 consid. 4 et les références citées).

5.5.2 En l’espèce, la convention signée les 31 mars et 4 mai 2021 et la décision du 27 juillet 2021 mentionnent comme bases légales la loi Covid-19, l’ordonnance Covid-19 et les lois cantonales 12863 et 12938 et la recourante ne conteste pas que son chiffre d’affaires était supérieur à CHF 5'000'000.-. L’indemnisation dont elle pouvait bénéficier correspondait donc à la participation à fonds perdu entièrement prise en charge par la Confédération (art. 12 de la loi 12938), ce qui supposait le respect des conditions fixées à l’art. 12 de la loi Covid‑19. En l’absence de toute dérogation, exception ou limitation, la demande d’aide de la recourante était dès lors soumise au régime de la participation au bénéfice prévue dans la réglementation à laquelle tant la loi 12938 que la convention conclue avec le DEE renvoyaient sans réserve. Il n’était en particulier pas nécessaire que cette convention reproduise expressément la teneur de l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid‑19, qui faisait partie des prescriptions minimales contraignantes auxquelles était subordonnée la prise en charge des mesures cantonales par la Confédération. C’est le lieu de rappeler l’art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid-19 et le principe selon lequel la législation applicable est celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui a des conséquences juridiques, dont il résulte que le fait que l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19, abrogé au 31 décembre 2022, et l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, abrogé au 31 décembre 2021, n’étaient plus en vigueur au moment de la demande de participation au bénéfice est sans pertinence.

Le principe d’une participation au bénéfice repose dès lors sur une base légale suffisante.

6.             La recourante conteste l’existence d’un bénéfice au sens de l’art. 12 al.1septies de la loi Covid-19. Selon une interprétation téléologique, l’objet de la restitution n’était pas le bénéfice comptable, mais le résultat d’exploitation, le sien étant nul en 2021.

6.1 Les modalités de calcul de la participation au bénéfice ressortent expressément des art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 (ATA/1233/2024 du 21 octobre 2024 consid. 3.7, confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt 2C_605/2024 du 11 avril 2025). C’est donc le bénéfice annuel imposable 2021 avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 LIFD, qui est pertinent, sous déduction de la perte subie au cours de l’exercice 2020.

6.1.1 L’impôt sur le bénéfice des personnes morales a pour objet le bénéfice net (art. 57 LIFD). Aux termes de l’art. 58 al. 1 LIFD, le bénéfice net imposable comprend notamment le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent (let. a) et tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial (let. b).

Un abandon de créances consenti par des tiers représente un avantage économique et doit, au regard de l’art. 58 al. 1 let. a LIFD, être considéré comme un produit imposable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_576/2020 du 17 août 2020 consid. 2.3.1 ; Robert DANON in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand - Impôt fédéral direct, 2017, n. 8 ad art. 60). Le Tribunal fédéral a en particulier confirmé que l'abandon d'une créance bancaire en faveur d'un client débiteur est fiscalement considéré comme un revenu (ATF 142 II 197 consid. 5.1 et les références). Un abandon de créance par des actionnaires doit en principe être traité comme un abandon de tiers, de sorte qu’il constitue pour la société un accroissement de patrimoine avec incidence fiscale sur le résultat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_634/2012 du 20 octobre 2014 consid. 3.1 ; ATF 115 Ib 269 = RDAF 1991 466).

6.1.2 Ces principes sont applicables dans le cadre de la loi Covid-19. Dans un cas de restitution d’aide par une société qui avait pu couvrir ses frais et faire un bénéfice grâce à un abandon de créance de l’actionnaire, et qui n’était donc pas éligible à une aide financière, la chambre administrative a confirmé que le bénéfice déterminant était celui qui ressrotait du compte de résultat, dans lequel la société avait reporté l’abandon de créance, et qui avait fait l’objet de taxations non contestées (ATA/1073/2023 du 28 septembre 2023 consid. 2.4).

Le Conseil fédéral partage cet avis dans sa réponse du 14 février 2024 à la motion 23.4423 déposée au Conseil national, qui proposait de ne pas tenir compte des bénéfices dus à des revenus non monétaires, notamment du fait d’abandons de créance. Selon le Conseil fédéral, le bénéfice à prendre en considération dans le cadre de l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 est celui qui est défini par les art. 58 à 67 LIFD et un traitement différencié des bénéfices dus à des raisons comptables ne répond pas aux bases légales. La motion 23.4423 a été rejetée le 13 juin 2024. Le Conseil d’État genevois a adopté la même position à propos de la motion 3038 évoquée par la recourante, qui portait sur une proposition similaire. Dans son rapport au Grand Conseil du 5 février 2025, il déclare qu’aucune interprétation ou exception ne permet d’exclure les produits non monétaires comme les abandons de créances, le canton n’ayant aucune marge de manœuvre pour interpréter et prévoir des exceptions aux dispositions fédérales. Il a ajouté qu’une telle exception poserait la question de l’exclusion des charges non monétaires, comme les amortissements et les provisions, susceptible d’avoir une influence notable – en défaveur de l’entreprise – sur le bénéfice pris en compte.

6.2 En l’espèce, selon la lettre claire de l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, c’est le bénéfice annuel imposable 2021 de la recourante avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 LIFD qui est déterminant. Ce bénéfice, de CHF 1'300'592.-, est basé sur les comptes annuels établis par la recourante, qui ont comptabilisé les abandons de créance comme produit, conformément aux principes susmentionnés. En déduisant la perte de CHF 598'675.- en 2020, l’autorité intimée pouvait ainsi fixer le montant de la participation au bénéfice à CHF 701'917.-.

La recourante ne saurait être suivie quand elle propose de considérer l’année 2020 et les six premiers mois de l’année 2021 comme une seule et unique période fiscale, au motif qu’elle n’a reçu aucune aide pour les six derniers mois de 2021 et qu’une restitution fondée sur un bénéfice fiscal réalisé postérieurement aux versement des aides contreviendrait au principe même d’une aide à fonds perdu et au principe de l’égalité de traitement avec les sociétés qui bouclent leurs comptes au 30 juin. Il résulte de ce qui précède que l’autorité intimée était fondée à se baser sur le bénéfice résultant des comptes annuels et des taxations de la recourante et il n’y a aucun fondement légal pour modifier a posteriori un exercice comptable et une période fiscale ayant fait l’objet de comptes audités et de bordereaux de taxation en force.

Le grief est écarté.

7.             La recourante se plaint d’une inégalité de traitement par rapport aux entreprises vaudoises.

7.1 Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ‑ RS 101) lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; 145 I 73 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_449/2022 du 3 février 2023 consid. 2.2.1 ; 1C_695/2021 du 4 novembre 2022 consid. 3.1.2).

7.2 Le présent litige est régi par la loi 12938 applicable aux entreprises sises dans le canton de Genève, laquelle renvoie aux dispositions fédérales précitées. Cette réglementation doit être interprétée et appliquée conformément aux principes exposés ci-dessus. La recourante ne produit aucune pièce et ne cite aucune jurisprudence démontrant que la pratique des autorités vaudoises dérogerait à ces principes. Une telle pratique ne lierait en toute hypothèse pas la chambre administrative. Il en va de même dans l’hypothèse où les entreprises vaudoises bénéficieraient de conditions particulières découlant du droit cantonal, la recourante ne pouvant prétendre à un traitement identique alors que sa situation est différente du fait de son siège et du droit appliqué en conséquence.

La participation au bénéfice à concurrence de CHF 701'917.- étant fondée au regard des art. 12 al.1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid-19, il n’est pas nécessaire d’examiner si une restitution est également exigible en vertu de l’art. 17 de la loi 12938.

8.             La recourante se plaint de la violation du principe de la bonne foi.

8.1 Ancré à l’art. 9 Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi confère au citoyen, à certaines conditions, le droit d’exiger des autorités qu’elles se conforment aux promesses ou assurances précises qu’elles ont faites à l’intéressé sans réserve et qu’elles ne trompent ainsi pas la confiance qu’il a légitimement placée en elles (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; 141 V 530 consid. 6.2 ; 137 II 182 consid. 3.6.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2022 du 30 septembre 2022 consid. 4.1). Le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence simplement d’un comportement de l’administration, pour autant que celui-ci soit susceptible d’éveiller chez l’administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1 ; 129 I 161 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2022 du 30 septembre 2022 consid. 4.1). La précision que l’attente ou l’espérance doit être « légitime » est une autre façon de dire que l’administré doit avoir eu des raisons sérieuses d’interpréter comme il l’a fait le comportement de l’administration et d’en tirer les conséquences qu’il en a tirées (ATF 134 I 199 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2022 du 30 septembre 2022 consid. 4.1). Plus largement, le principe de la bonne foi s’applique lorsque l’administration crée une apparence de droit, sur laquelle l’administré se fonde pour adopter un comportement qu’il considère dès lors comme conforme au droit. Ce principe, qui ne peut avoir qu’une influence limitée dans les matières dominées par le principe de la légalité lorsqu’il entre en conflit avec ce dernier, suppose notamment que celui qui s’en prévaut ait, en se fondant sur les assurances ou le comportement de l’administration, pris des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_659/2013 du 4 novembre 2013 consid. 3.1).

8.2 La recourante reproche à l’État de Genève de lui avoir fait croire que les aides perçues, octroyées à fonds perdu, étaient non remboursables.

8.2.1 Le qualificatif « à fonds perdu » n’implique pas que les aides financières pour cas de rigueur sont acquises de manière inconditionnelle et définitive. Le principe d’une possibilité de restitution ressortait de la loi, en particulier de l’art. 16 de la loi 12863 et l’art. 17 de la loi 12938. Selon la jurisprudence, une restitution peut aussi être fondée, sans base légale expresse, sur d’autres raisons, en particulier lorsqu’il apparaît que la société requérante a perçu un montant plus important que ce à quoi elle pouvait en réalité prétendre en vertu de la loi, après une analyse définitive de sa situation financière (ATA/575/2025 du 18 mai 2025 consid. 3.2 ; ATA/429/2024 du 26 mars 2024 consid. 9.3). Le Tribunal fédéral a relevé que les décisions d’octroi d’indemnités comportent une condition résolutoire, voulant que l’aide était accordée à la condition que les contrôles ultérieurs ne révèlent pas qu’elle avait été octroyée à tort (arrêt du Tribunal fédéral 2C_226/2024 du 15 novembre 2024 consid. 6.7). En l’espèce, la recourante ne conteste pas qu’elle était consciente que les aides pour cas de rigueur étaient susceptibles de restitution, notamment en vertu des art. 16 de la loi 12863 et 17 de la loi 12938, possibilité qui était rappelée dans les décisions la concernant. Elle n’avait ainsi pas de raisons sérieuses d’interpréter, par principe, le terme d’aide « à fonds perdu » comme une prestation acquise définitivement et sans aucune réserve.

8.2.2 Concernant plus particulièrement la participation au bénéfice, celle-ci était mentionnée dans la convention d’octroi de contribution à fonds perdu du 24 juin 2022, portant sur l’année 2022 qui ne fait pas l’objet du présent litige, mais pas dans les deux conventions portant sur 2021. La participation au bénéfice n’était pas encore prévue à l’époque de la convention du 3 février 2021, l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 étant entré en vigueur le 20 mars 2021. L’absence de mention dans la convention signée par l’État de Genève le 31 mars 2021 et par la recourante le 4 mai 2021 peut paraître regrettable, mais, comme relevé par la chambre administrative (ATA/1233/2024 précité consid. 5.2, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_605/2024 du 11 avril 2025), elle n’emporte aucune conséquence, parce que la participation au bénéfice était désormais prévue par la loi et l’ordonnance Covid-19, qui seules faisaient foi en vertu du principe de la légalité.

Les rapports entre les administrés et l’administration sont régis notamment par le principe fondamental selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi ». La convention conclue avec B______ désignait les bases légales fédérales et cantonales applicables au travers de la convention, en particulier la loi Covid-19, qui consacrait le principe de la participation au bénéfice, et l’ordonnance Covid-19 qui la concrétisait. Contrairement à ce que semble suggérer la recourante, l’autorité n’était pas tenue d’indiquer, en plus des bases légales sur lesquelles elle fondait sa décision, les dispositions et conditions qui n’étaient pas ou plus d’actualité au moment de la demande de prestation. Il n’existe par ailleurs pas d’obligation générale d’attirer l’attention des sociétés sur les conditions applicables en matière de mesures pour cas de rigueur. Par conséquent, la recourante ne pouvait tirer avantage de sa propre ignorance du droit et devait, ou à tout le moins pouvait, connaître le principe de la participation au bénéfice, qui était en vigueur depuis un mois et demi au moment où elle a signé la convention et depuis plus de deux mois quand elle a déposé sa demande.

Il ne ressort du dossier aucune promesse à la recourante de la part du DEE ou de l’État de Genève de déroger à la participation au bénéfice prévue par la loi. Il est rappelé que selon l’art. 11 al. 1ter de l’ordonnance Covid-19, la renonciation par les autorités cantonales à faire valoir leurs droits à l’égard de l’entreprise pouvait entraîner la perte de la prise en charge complète par la Confédération, alors que selon la loi genevoise, l’indemnisation en faveur des entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- correspondait précisément à la participation à fonds perdu entièrement compensée par la Confédération.

Il ne ressort pas de ces éléments que l’État de Genève aurait contrevenu au principe de la bonne foi en suscitant, puis en trompant, une attente légitime auprès de la recourante selon laquelle elle était exemptée de la participation au bénéfice qui était en vigueur au moment de sa demande d’une aide pour cas de rigueur.

8.3 La recourante reproche à l’État de Genève d’avoir fait croire qu’elle était tenue d’obtenir des abandons de créances auprès de ses créanciers, comme indiqué dans le document d’information qui lui a été remis le 19 mars 2021.

8.3.1 La condition relative aux abandons de créance pour percevoir l’aide supplémentaire résultait de l’art. 8 de l’ordonnance Covid-19 en sa teneur applicable jusqu’au 31 mars 2021. Selon l’al. 2 de cette disposition, les contributions non remboursables s’élevaient au maximum à 20% du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 et au maximum à CHF 750'000.- par entreprise. En vertu de l’al. 2bis les cantons pouvaient toutefois déroger à ce plafond et augmenter exceptionnellement la contribution par entreprise à CHF 1’500'000.- au maximum si les propriétaires apportaient de nouveaux fonds propres ou si les bailleurs de fonds renonçaient à leurs créances pour un montant total correspondant au moins à la contribution supplémentaire accordée par le canton. Dès le 1er avril 2021, le plafond pour les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- était porté de CHF 1'500'000.- à CHF 5'000'000.-, sans condition relative à des apports de fonds propres ou des abandons de créances.

8.3.2 En l’espèce, l’art. 8 al. 2bis précité, qui était encore reflété dans le document d’information transmis le 19 mars 2021, n’était plus en vigueur depuis plus d’un mois quand la recourante a signé la deuxième convention, le 4 mai 2021, et déposé sa demande le 26 mai 2021. Le fait que la réglementation avait changé depuis le 19 mars 2021 ressortait clairement de la décision du 27 juillet 2021. Celle-ci mentionnait l’adoption de la loi 12938 le 30 avril 2021 et de son règlement d’application le 5 mai 2021, octroyait une aide supplémentaire de CHF 1'102'059.10 alors qu’il n’y avait eu ni apport de fonds propres ni abandon de créances et portait l’aide totale perçue par l’intéressée à CHF 1'852'509.10, en se référant, comme plafond instauré par le législateur fédéral que le canton se devait d’appliquer, au montant de CHF 5'000'000.- alors que le plafond énoncé au mois de mars 2021 était de CHF 1'500'000.-.

À la lecture de la décision, la recourante pouvait donc se rendre compte immédiatement que l’aide supplémentaire lui était octroyée à des conditions différentes que celles ressortant du document qu’elle avait reçu le 19 mars 2021, en particulier concernant les règles sur les plafonds admissibles. Il ne ressort pas du dossier que la recourante aurait remis en question ce nouveau régime, qui lui était plus favorable, et qu’à cette occasion l’État de Genève lui aurait assuré que certaines conditions figurant dans le document transmis le 19 mars 2021, qui ne la visait pas spécifiquement, restaient néanmoins applicables. La recourante ne démontre pas non plus que les autorités lui auraient d’une manière générale garanti l’invariabilité du cadre légal, qui était au contraire une législation d’urgence régulièrement adaptée, aussi bien au niveau cantonal que fédéral. Il n’apparaît ainsi pas que la recourante a conclu l’accord d’abandon de créance avec la Banque C______ le 20 octobre 2021 en se fondant sur la croyance légitime que toutes les conditions figurant dans le document d’information qui lui avait été communiqué sept mois auparavant, antérieurement à la décision qui appliquait des conditions différentes, étaient toujours applicables. Il ne ressort pas non plus du dossier que, comme l’allègue la recourante, cet abandon de créance était compris par tous comme une condition de l’aide à fonds perdu octroyée par l’État de Genève. L’avenant de la Banque C______ ne contient d’ailleurs aucune référence à la décision du 27 juillet 2021 ou à la réglementation relative à l’épidémie du coronavirus en général.

Il résulte de ce qui précède que l’État de Genève n’a pas induit la recourante en erreur au sujet des conditions applicables à sa demande d’aide complémentaire du 6 mai 2021 ou de la situation juridique en vigueur au moment où elle a négocié et obtenu un abandon partiel de créance de sa banque.

Le grief est écarté.

9.             S’agissant enfin des conséquences financières de la participation au bénéfice réclamée à B______, rien ne s’oppose à ce que la recourante approche l’autorité intimée afin de convenir de modalités de remboursement, qui tiennent compte de sa situation financière et soient acceptables pour le département.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

10.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 février 2025 par A______ contre la décision du Département de l’économie et de l’emploi du 7 janvier 2025 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques ROULET, avocat de la recourante, ainsi qu’à Me David HOFMANN, avocat de l’intimé.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

le greffier :