Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/619/2025 du 03.06.2025 sur JTAPI/954/2024 ( PE ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1214/2024-PE ATA/619/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 3 juin 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 septembre 2024 (JTAPI/954/2024)
A. a. A______, né le ______ 1988, est ressortissant du Gabon. Selon ses déclarations, il serait arrivé pour la première fois en Suisse en 2011.
b. Le 4 décembre 2011, il a déposé une demande d'asile en Suisse et a été attribué au canton de Genève.
c. Le 17 février 2012, il a fait l’objet d’une décision fédérale de non-entrée en matière et a été renvoyé en Espagne le 10 mai 2012. À une date inconnue, il est revenu en Suisse.
d. Par ordonnance pénale du 9 juin 2015, le Ministère public du canton de Genève l’a condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 30.- le jour, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, pour infractions à l’art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), ainsi qu'à une amende de CHF 100.- pour contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).
e. Le 9 octobre 2015, il a fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse, valable jusqu’au 8 octobre 2018.
f. Par ordonnances pénales des 19 mars et 7 juin 2018, le Ministère public du canton de Genève l’a condamné respectivement à une peine pécuniaire de 60 jours‑amende à CHF 30.- le jour et à une peine privative de liberté de 60 jours, pour infractions à la LEI.
g. Le 9 octobre 2018, il a à nouveau fait l’objet d’une interdiction d'entrée en Suisse, valable jusqu’au 8 octobre 2021.
h. Par ordonnance pénale du 31 janvier 2019, le Ministère public du Jura bernois-Seeland à Moutier l’a condamné à une peine privative de liberté de 40 jours pour infraction à la LEI.
i. Le 12 octobre 2023, appréhendé et entendu par l'administration fédérale des douanes (ci-après : AFD), il a notamment déclaré :
- être le père de deux filles, âgées de 14 et 15 ans, qui vivaient au Cameroun ;
- être arrivé en Suisse pour chercher « du travail manuel » et « gagner de l’argent » afin de pouvoir aider sa famille restée en Afrique ;
- être sans domicile fixe et sans emploi ;
- gagner sa vie (à Genève) « en aidant des connaissances » qui lui donnaient
« en échange entre 30-50 CHF », mais que ce n’était pas le cas « tous les jours » ;
- que sa « femme » et ses deux filles vivaient au Cameroun, tandis que sa mère et sa sœur habitaient le Gabon ;
- avoir « trop de problèmes » en Afrique et que « des gens » au Gabon voulaient sa mort.
j. Par ordonnance pénale du 13 octobre 2023, le Ministère public du canton de Genève l’a condamné à une peine pécuniaire de 70 jours-amende à CHF 70.- le jour, pour infraction à la LEI.
B. a. Le 4 décembre 2023, A______ a saisi l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) d’une demande d’autorisation de « séjour B à titre humanitaire, en raison d’un très long séjour à Genève ».
Sa requête d’asile ayant été rejetée, il avait décidé de rester à Genève, « en faisant l’effort de devenir transparent, soit d’éviter à tout prix tout contact avec les autorités, en attendant de trouver une solution légale et pérenne », afin de pouvoir y résider et « faire [sa] vie ». Il avait passé pas moins de douze ans à Genève, sans « susciter le moindre problème ». Pour y survivre, il avait effectué « divers travaux, à gauche et à droite » pour des personnes qui voulaient bien l’employer, ce qui lui avait permis de gagner suffisamment d’argent pour se nourrir et se loger. Il voulait éviter « la facilité » de recourir à l’aide sociale, sa conscience l’empêchant d’être à charge de la société et des institutions genevoises.
Il avait noué de nombreux « contacts » à Genève, ce qu’il étayait par la production d’une lettre de soutien de B______, confirmant leur relation d’amitié longue de six ans, et d’une formule préétablie signée par huit autres personnes, témoignant de sa bonne intégration à la vie sociale genevoise, de ses qualités personnelles et de sa « très grande envie de travailler ».
Depuis 2012, il avait acheté « quasi-systématiquement » des abonnements mensuels auprès des transports publics genevois (ci-après : TPG), afin d’éviter de payer des amendes. En 2021, il s’était fait soigner auprès des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), après être « tombé sur [s]on épaule droite, avec une contusion au niveau du rein droit ». Pour des « raisons évidentes », il ne pouvait indiquer les identités des personnes qui l’avaient hébergé ou logé parce qu’elles risquaient des sanctions.
Il a notamment joint le formulaire M, sans y mentionner son adresse, et une lettre de motivation, indiquant son domicile élu auprès de C______.
b. Le 19 janvier 2024, l'OCPM a informé A______ de son intention de refuser sa demande et de prononcer son renvoi et l’a invité à déposer ses observations dans un délai de 30 jours. Il n’y a pas donné suite.
c. Par décision du 11 mars 2024, l'OCPM a rejeté sa demande et prononcé son renvoi du territoire suisse.
Les critères légaux et jurisprudentiels d’un cas individuel d’extrême gravité n’étaient pas remplis. A______ n’avait pas apporté la preuve de son identité, en l’absence de tout passeport national valable. Il n’avait démontré ni une intégration socioculturelle remarquable, ni avoir créé avec la Suisse des attaches à ce point profondes et durables qu'il ne pourrait plus raisonnablement envisager un retour dans son pays d'origine. Il n’avait pas non plus acquis des connaissances professionnelles ou des qualifications spécifiques telles qu'il ne pourrait plus les mettre en pratique en cas de retour au Gabon. Il n’avait pas démontré que sa réintégration au Gabon aurait de graves conséquences sur sa situation personnelle, indépendamment des circonstances générales (économiques, sociales, sanitaires ou scolaires) affectant l'ensemble de la population restée sur place. Enfin, il n’avait pas invoqué l’existence d’obstacles à son renvoi.
Un délai au 11 juin 2024 lui était imparti pour quitter la Suisse.
C. a. Le 11 avril 2024, il a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur.
Reprenant les termes de sa lettre de motivation précédente, il a notamment ajouté avoir pu vivre « paisiblement » à Genève, notamment grâce à l’aide de la communauté africaine, des institutions religieuses et des personnes « de bonne volonté », d’origine suisse et européenne, lui ayant offert du travail et un logis. Son revenu mensuel s’élevait à environ CHF 1'000.-. Il n’avait pas pu cotiser à l’AVS, faute de contrat d’emploi et de volonté de ses employeurs successifs de le déclarer à cette assurance, en raison de leurs craintes de l’avoir employé en tant que « clandestin ». Il souhaitait ardemment régulariser sa situation en Suisse, d’autant qu’une « entreprise d’électricité » lui avait tout récemment offert un emploi, sous condition d’obtenir une autorisation de séjour. Compte tenu de la longue durée de son séjour en Suisse (treize ans), sans avoir « attiré l’attention des autorités de police », excepté ses « rares » condamnations pénales, il sollicitait une autorisation de séjour à titre humanitaire, car la misère dans son pays faisait que ses nombreux compatriotes le quittaient au péril de leur vie, comme c’était le cas de toute l’Afrique. Ainsi, son retour au Gabon, dont il n’avait plus les documents d’identité, le replongerait dans cette même pauvreté, sans perspectives d’avenir. Il n’y disposait plus d’aucun réseau pouvant lui permettre de trouver une activité lucrative.
N’ayant pas pu entreprendre des études ou un apprentissage « spécifique » depuis qu’il séjournait en Suisse, et en l’absence d’une formation professionnelle spécialisée, son intégration socioprofessionnelle dans son pays serait impossible. En revanche, pendant son séjour en Suisse, il avait pu perfectionner ses connaissances et compétences dans les domaines de l’électricité – métier qu’il avait exercé pendant trois ans au moins –, du montage de meubles, de la plomberie, de la plâtrerie et du « bricolage ». Ses connaissances professionnelles étaient régulièrement sollicitées sur le marché de l’emploi de la Suisse romande. Ne disposant pas de documents d’identité nationaux, il n’était pas en mesure de quitter la Suisse par ses propres moyens, même s’il souhaitait se soumettre à la décision de refus de l'OCPM, d’autant que le Gabon et les pays voisins « adoptent une politique de contrôle rigoureux ». Dans ces conditions, un retour en Afrique était « illusoire ». Sans être exceptionnelle, son intégration socioprofessionnelle n’était pas négligeable, puisqu’il se comportait d’une façon exemplaire, « par son travail et ses relations avec son entourage », en particulier à Genève. Il lui était impossible de prouver son intégration particulièrement remarquable, en ce qui concernait notamment ses emplois depuis treize ans, ses ex-employeurs ne pouvant pas en attester en raison des répercussions légales qu’ils risquaient.
b. Par réplique du 8 juillet 2024, reprenant son argumentation précédente, le recourant a notamment ajouté n’avoir plus de famille au Gabon.
c. Par jugement du 25 septembre 2024, le TAPI a rejeté le recours.
S’agissant de la durée de son séjour, même si l’on retenait qu’il avait séjourné en Suisse de manière continue depuis 2011, ce qui n’était pas le cas, il ne pouvait pour autant s’en prévaloir, étant donné que ledit séjour avait été effectué dans l'illégalité ou en étant au bénéfice d’une simple tolérance des autorités.
A______ ne pouvait pas se prévaloir d’une intégration socioprofessionnelle exceptionnelle. Les emplois qu’il disait avoir exercés ne témoignaient pas d’une ascension professionnelle remarquable, et il n’avait pas acquis des qualifications spécifiques susceptibles de justifier l'admission d'un cas de rigueur. Son intégration pouvait être qualifiée de bonne, mais demeurait ordinaire et ne correspondait pas au caractère exceptionnel demandé par la jurisprudence. En outre, son activité professionnelle exercée en Suisse se rapportait principalement au domaine du bâtiment et n'était donc pas spécifiquement liée à la Suisse. Il ne pouvait pas non plus se prévaloir d’un comportement irréprochable compte tenu de ses cinq condamnations pénales et des deux interdictions d’entrée en Suisse qu’il s’était obstiné à ne pas respecter.
Il n'avait pas noué de liens très forts avec la Suisse. Il avait passé au Gabon non seulement toute son enfance, mais aussi son adolescence et le début de sa vie d’adulte. Il se contentait d’alléguer désormais ne plus avoir de famille dans son pays, sans expliquer ce qu'étaient devenues sa mère et sa sœur. Il n'apparaissait enfin pas que l'exécution de son renvoi serait impossible ou illicite, ou encore qu'elle ne pourrait être raisonnablement exigée.
D. a. Par acte posté le 4 novembre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur.
En raison de sa situation précaire en matière de travail et de logement, il avait fait une décompensation nerveuse et avait dû être hospitalisé aux HUG du 9 au 17 septembre 2024. Un certificat médical serait prochainement établi. Il avait pu trouver à se loger grâce au « Collectif D______ ». Un employeur était prêt à conclure un contrat de travail avec lui pour peu qu'il puisse régulariser son séjour.
Il séjournait en Suisse depuis très longtemps, à savoir treize ans, ce qui représentait plus du tiers de son existence. S'il devait retourner au Gabon, dont il n'avait plus de documents d'identité, il replongerait dans la misère ambiante, alors qu'il avait accumulé en Suisse une expérience professionnelle recherchées par les entrepreneurs et artisans du bâtiment. Il avait perdu tout contact avec sa mère et sa sœur depuis dix ans.
Son intégration était excellente, et exiger un niveau d'intégration « exceptionnel » comme le faisait le TAPI excluait de facto la possibilité de remplir les conditions d'un cas de rigueur. Ses condamnations pénales concernaient exclusivement son séjour en Suisse.
b. Le 26 novembre 2024, l'OCPM a conclu au rejet du recours. Les arguments soulevés dans celui-ci, en en l'absence de nouveaux éléments probants, n'étaient pas de nature à modifier sa position.
c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 17 janvier 2025 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.
d. Dans ce délai, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.
e. Le 17 janvier 2025, le recourant a persisté dans les termes de son recours.
Il joignait une attestation de la docteure E______du 15 janvier 2025, selon laquelle il bénéficiait d'une prise en charge et d'un suivi psychiatriques à l'unité de médecine et soins dans la communauté (ci-après : UMSCOM) en raison d'une symptomatologie anxio-dépressive dans un contexte de vie difficile.
f. Le 21 janvier 2025, il a encore communiqué à la chambre administrative un certificat médical du 15 octobre 2024 au sujet de son séjour du 9 au 21 septembre au service de psychiatrie de liaison et d'intervention de crise (ci-après : SPLIC), selon lequel le recourant avait eu un épisode dépressif sévère en lien avec sa précarité et son statut en Suisse, ainsi qu'un certificat du docteur F______, du département de médecine de premier recours et des urgences des HUG daté du 17 janvier 2025.
g. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recours porte sur la conformité au droit de la décision de l'OCPM de refuser de transmettre au SEM le dossier du recourant avec un préavis favorable, et de prononcer son renvoi de Suisse.
2.1 Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, la chambre administrative ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario).
2.2 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit.
2.3 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.
L’art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l’existence d’un cas individuel d’extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l’intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l’État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d’autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse. Si le séjour illégal a été implicitement toléré jusque-là par les autorités chargées de l’application des prescriptions sur les étrangers et de l’exécution (communes ou cantons), cet aspect pèsera en faveur de l’étranger (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 2013 [ci‑après : directives LEI] - état au 1er janvier 2025, ch. 5.6.10).
Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d’une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l’obtention d’une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L’autorité doit néanmoins procéder à l’examen de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce pour déterminer l’existence d’un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).
2.4 La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).
La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée (Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. 2, 2017, p. 269 et les références citées). Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de sept à huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral
[ci-après : TAF] C-7330/2010 du 19 mars 2012 consid. 5.3 ; Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 269). Après un séjour régulier et légal de dix ans, il faut en principe présumer que les relations sociales entretenues en Suisse par la personne concernée sont devenues si étroites que des raisons particulières sont nécessaires pour mettre fin à son séjour dans ce pays (ATF 144 I 266 consid. 3.8). La durée d'un séjour illégal, ainsi qu'un séjour précaire, ne doivent normalement pas être pris en considération ou alors seulement dans une mesure très restreinte (ATF 130 II 39 consid. 3 ; ATAF 2007/45 consid. 4.4 et 6.3 ; 2007/44 consid. 5.2).
Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2). De manière plus générale, le simple fait pour un étranger de séjourner en Suisse pendant de longues années ne permet pas d'admettre un cas personnel d'une extrême gravité (arrêt du TAF F-3784/2022 du 5 octobre 2023 consid. 7.1).
2.5 L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1 ; 2A.255/1994 du 9 décembre 1994 consid. 3). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/969/2024 du 20 août 2024 consid. 2.3).
2.6 Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.
La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).
2.7 Selon la jurisprudence, des motifs médicaux peuvent, selon les circonstances, conduire à la reconnaissance d’un cas de rigueur lorsque la personne concernée démontre souffrir d’une sérieuse atteinte à la santé qui nécessite, pendant une longue période, des soins permanents ou des mesures médicales ponctuelles d’urgence, indisponibles dans le pays d’origine, de sorte qu’un départ de Suisse serait susceptible d’entraîner de graves conséquences pour sa santé.
Le seul fait d’obtenir en Suisse des prestations médicales supérieures à celles offertes dans le pays d’origine ne suffit pas à justifier une exception aux mesures de limitation (ATA/766/2024 du 25 juin 2024 consid. 2.8). La personne étrangère qui entre pour la première fois en Suisse en souffrant déjà d'une sérieuse atteinte à la santé ne saurait se fonder uniquement sur ce motif médical pour réclamer une telle exemption (ATF 128 II 200 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_861/2015 du 11 février 2016 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-6860/2016 du 6 juillet 2018 consid. 5.2.2 ; ATA/1474/2024 du 17 décembre 2024 consid. 3.8 ; ATA/766/2024 précité consid. 2.8).
En l’absence de liens d’une certaine intensité avec la Suisse, l’aspect médical et les éventuelles difficultés de réintégration de la personne concernée dans le pays d’origine ne sauraient justifier, à eux seuls, l’octroi d’un permis humanitaire pour cas de rigueur. Le cas échéant, ces critères ne peuvent en effet être pris en considération que dans le cadre de l’examen de la licéité et de l’exigibilité de l’exécution du renvoi (arrêt du Tribunal administratif fédéral F‑4125/2016 du 26 juillet 2017 consid. 5.4.1 ; ATA/506/2023 du 16 mai 2023 consid. 7.7 ; ATA/41/2022 du 18 janvier 2022 consid. 9).
2.8 Selon la jurisprudence, l'on ne saurait, de manière générale, prolonger indéfiniment le séjour d'une personne au seul motif que la perspective d'un retour exacerbe un état psychologique perturbé, et ni une tentative de suicide ni des tendances suicidaires (« suicidalité ») ne s'opposent en soi un obstacle à l'exécution du renvoi, y compris au niveau de son exigibilité, seule une mise en danger présentant des formes concrètes devant être prise en considération (arrêt du TAF E‑3188/2022 du 6 octobre 2022 et les arrêts cités ; ATA/1475/2024 du 17 décembre 2024 consid. 4.12 ; ATA/766/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.3).
2.9 En l'espèce, même à retenir un séjour continu en Suisse du recourant depuis 2011, cette longue durée devrait être fortement relativisée pour tenir compte du fait que l'intégralité du séjour a eu lieu dans l'illégalité – ou, depuis le dépôt de la demande auprès de l'OCPM, au bénéfice d'une tolérance des autorités de migration.
Il n'apparaît en outre pas que le recourant se soit créé des attaches particulièrement étroites avec la Suisse au point de rendre étranger son pays d'origine. En effet, il est arrivé en Suisse à l'âge de 23 ans, et a donc vécu toute son enfance, son adolescence et les premières années de sa vie d'adulte au Gabon, de sorte que la chambre de céans ne saurait admettre que les années passées en Suisse soient déterminantes pour la formation de sa personnalité et, partant, pour son intégration socioculturelle.
Sur le plan professionnel et économique, il faut reconnaître que le recourant est apparemment indépendant sur le plan financier depuis son arrivée en Suisse, quand bien même il semblerait avoir été par moments proche de la précarité, et qu'il n'a jamais demandé à bénéficier de l'aide sociale. Cela étant, l'indépendance économique est une qualité qui est en principe attendue de tout étranger désireux de s'établir durablement en Suisse et ne constitue donc pas un élément extraordinaire en faveur du recourant, mais relève du comportement que l’on est en droit d’attendre de toute personne séjournant dans le pays (arrêts du Tribunal fédéral 2C_779/2016 du 13 septembre 2016 consid. 4.2 ; 2C_789/2014 du 20 février 2015 consid. 2.2.2). Par ailleurs, les activités du recourant, qui a œuvré dans le secteur du bâtiment, à des postes ne nécessitant pas de qualifications particulières, ne sont pas constitutives d'une ascension professionnelle remarquable et ne l'ont pas conduit à acquérir des connaissances professionnelles spécifiques à la Suisse qu'il ne pourrait mettre à profit dans un autre pays, en particulier son pays d'origine. L'activité professionnelle exercée par l'intéressé en Suisse ne lui permet donc pas de se prévaloir d'une intégration professionnelle exceptionnelle au sens de la jurisprudence. Il ne prétend pas davantage s'être investi dans la vie associative ou la culture genevoises.
S'agissant de ses possibilités de réintégration dans son pays d'origine, comme déjà vu, le recourant est arrivé en Suisse à l'âge de 23 ans et en a aujourd'hui 37. Il dit ne plus avoir de liens avec sa mère et sa sœur demeurées au Gabon, sans que l'on puisse vérifier cette information, mais ne dit rien de ses deux filles qui vivraient au Cameroun, pays voisin du Gabon. Il se plaint de ce qu'un retour au Gabon le replongerait « dans la misère ambiante », sans indiquer en quoi sa situation serait moins favorable que celle de tout Gabonais de retour au pays. Il n'apparaît dès lors pas que les difficultés auxquelles le recourant devrait faire face en cas de retour au Gabon seraient pour lui plus graves que pour la moyenne des ressortissants de ce pays.
Enfin, dans ses dernières écritures, le recourant se réfère à son hospitalisation en psychiatrie en septembre 2024 et à son suivi depuis lors, sans toutefois en tirer de grief précis. Il convient néanmoins de rappeler la jurisprudence précitée, selon laquelle un état anxio-dépressif lié au statut administratif précaire ne constitue pas en soi un motif de renoncer à l'exécution du renvoi ni, à plus forte raison, d'accorder une autorisation de séjour.
Le recourant ne présente ainsi pas une situation de détresse personnelle au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, ce quand bien même il ne peut être nié qu'un retour dans son pays d'origine pourra engendrer pour lui certaines difficultés de réadaptation. Il ne se justifie en conséquence pas de déroger aux conditions d'admission en Suisse en faveur du recourant, au vu de la jurisprudence très stricte en la matière. Enfin, il sera rappelé que l’autorité intimée bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre de céans ne revoit qu’en cas d’abus ou d’excès, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
L'autorité intimée était en conséquence fondée à refuser de donner une suite positive à la demande d'autorisation de séjour déposée par le recourant, et l'instance précédente à confirmer ledit refus.
3. Reste à examiner le bien-fondé du renvoi du recourant, qu'il ne remet pas spécifiquement en cause.
3.1 Aux termes de l’art. 64 al. 1 let. c LEI, tout étranger dont l’autorisation est refusée, révoquée ou n’est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyé. La décision de renvoi est assortie d’un délai de départ raisonnable (art. 64d
al. 1 LEI).
3.2 Le renvoi d’un étranger ne peut toutefois être ordonné que si l’exécution de cette mesure est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83
al. 1 LEI).
3.3 En l'espèce, le recourant n'allègue comme circonstances qui rendraient le retour dans son pays d’origine impossible, illicite ou inexigible au regard de l’art. 83 LEI, que son statut psychiatrique, ce qui, comme déjà examiné et au vu de la nature et de l'intensité des affections présentées par le recourant et démontrées par pièces, apparaît insuffisant pour renoncer à prononcer son renvoi.
Dans ces circonstances, la décision de l'autorité intimée est conforme au droit et le recours contre le jugement du TAPI, entièrement mal fondé, sera rejeté.
4. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 4 novembre 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 septembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;
dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;
dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. MARMY
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html
Recours en matière de droit public | Recours constitutionnel subsidiaire |
Art. 82 Principe Le Tribunal fédéral connaît des recours : a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ; … Art. 83 Exceptions Le recours est irrecevable contre : … c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent : 1. l’entrée en Suisse, 2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit, 3. l’admission provisoire, 4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi, 5. les dérogations aux conditions d’admission, 6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ; d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues : 1. par le Tribunal administratif fédéral, 2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ; … Art. 89 Qualité pour recourir 1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque : a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ; b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification. … Art. 95 Droit suisse Le recours peut être formé pour violation : a. du droit fédéral ; b. du droit international ; c. de droits constitutionnels cantonaux ; d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ; e. du droit intercantonal. Art. 100 Recours contre une décision1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. ______________________________________________ | Art. 113 Principe Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89. Art. 115 Qualité pour recourir A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque : a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée. Art. 116 Motifs de recours Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels. Art. 100 Recours contre une décision 1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. ___________________________________________
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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)
1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.
3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.