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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3644/2024

ATA/530/2025 du 13.05.2025 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : LICENCIEMENT ADMINISTRATIF;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;RÉSILIATION;ABSENCE;INCAPACITÉ DE TRAVAIL;PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE
Normes : Cst; LPAC.2B; RPPers.1; RPPers.4; RPPers.5; RPPers.12.leta; LPAC.21.al3; RPAC.46A; cst; LPAC.26.al3; LPAC.22.letb
Résumé : Recours contre une décision de résiliation des rapports de service pour motif fondé. La recourante, diagnostiquée de trouble anxieux et dépressif et phobies sociales, n'a pas été en mesure de travailler pour cause de maladie pendant plus de 730 jours durant trois ans, si bien que ses absences ne lui permettaient plus de remplir les exigences de son poste. Elle se plaint de harcèlement psychologique de la part d'un collègue, mais n'a jamais saisi le groupe de confiance, étant précisé qu'elle était accompagnée par le syndicat des services publics de la région de Genève. Par ailleurs, l'intimé a entrepris tout ce qui était raisonnablement exigible pour reclasser la recourante, malgré l'échec de la procédure. Enfin, la capacité de travail résiduelle de l'intéressée à un poste sans contact fréquent avec du public fait échec à l'application de l'art. 26 LPAC. Recours rejeté.
En fait
En droit

Frépublique et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3644/2024-FPUBL ATA/530/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 mai 2025

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Steve ALDER, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, née le ______1994, a été engagée le 30 octobre 2017 en qualité de secrétaire 1 sous statut d'auxiliaire, puis le 1er janvier 2019 en qualité de téléphoniste-réceptionniste au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP), au sein de la B______ (ci-après : B______).

b. Elle a été nommée fonctionnaire le 1er novembre 2019.

B. a. Dès le mois de mai 2019, A______ a manifesté des crises d'angoisse sur son lieu de travail lors de séances de groupe, la contraignant à quitter ces séances.

b. Une demande d'évaluation a été transmise au service de santé du personnel de l'État (ci-après : SPE) le 29 août 2019, afin d'estimer son aptitude à travailler et « le besoin d'une mise en place d'un suivi psychologique pour l'aider ».

c. Lors de son entretien d'évaluation et de développement du personnel du 11 septembre 2019, l'intéressée a indiqué « entret[enir] de très bonnes relations avec ses collègues ». Elle trouvait que « [l]a hiérarchie [était] disponible en cas de besoin ».

d. A______ a été en incapacité de travail totale à partir du 28 octobre 2019.

e. Ses entretiens avec C______, psychologue au SPE, ainsi que les évaluations psychiatriques et autres avis médicaux la concernant ont mis en exergue un passé familial compliqué, avec des traumatismes remontant à l'enfance.

f. L'intéressée a été absente pendant 66 jours en 2019, 264 jours en 2020, 8.5 jours en 2021, puis 15 jours en 2022.

g. Le 28 janvier 2022, elle a contacté son responsable hiérarchique pour lui relater un incident survenu la veille avec son collègue de la réception. Elle a expliqué s'être sentie « humiliée, non respectée et comme si [elle] ne valai[t] rien ». Celui-ci lui a répondu le 31 janvier 2022 et l'a reçue le jour même pour s'entretenir avec elle de la situation.

h. A______ a été en incapacité de travail totale à partir du 30 mars 2022.

i. Le 4 avril 2022, une nouvelle demande a été transmise au SPE afin d'évaluer l'adéquation de son poste de travail au regard de ses problèmes de santé, l'intéressée ayant été absente pour maladie plus de 366 jours durant les trois années précédentes.

j. Par courrier du 15 juin 2022, le syndicat des services publics de la région de Genève (ci-après : SSP), mandaté par l'employée, a exposé à la B______ les difficultés que celle-ci rencontrait sur son lieu de travail. L'ambiance y était décrite comme délétère en raison de remarques négatives répétées de la part de sa directrice. Ces dernières avaient provoqué « une anxiété et une détresse telles qu'elle se trouv[ait] [...] en arrêt maladie ». Il était demandé que son dossier soit référé à la cellule retour au travail (ci-après : CRT) d'une part, et qu'elle soit assistée dans ses démarches de postulations par le biais de recommandations d'autre part.

k. La B______ a répondu au SSP qu'il convenait d'attendre le préavis médical, l'activation de la CRT « se fai[sant] par le médecin du travail après analyse approfondie de la situation de santé [au] regard du poste de travail ». Elle a par ailleurs confirmé son soutien continu aux diverses recherches d'emploi de l'intéressée.

l. Le 1er septembre 2022, le CHUV a rendu un premier rapport médical, retenant un diagnostic de trouble anxieux et dépressif et phobies sociales.

Le CHUV a rendu un second rapport le 13 février 2023, dont il ressortait que le poste d'A______ « sollicit[ait] des capacités et aptitudes d'interaction, de communication et d'échange qui [étaient] défaillantes chez [elle] du fait de ses pathologies ». Il était précisé qu'elle « pourrait évoluer plus favorablement à un poste en « back office » (elle serait ainsi affranchie de l'exposition au public – facteur pourvoyeur de stress) ».

m. L'avis médical du SPE du 14 février 2023 constatait qu'« un retour sur son poste habituel ne p[ouvait] pas être attendu à moyen et long terme en raison d'une contre‑indication médicale portant sur l'exposition au public » et une faible résistance au stress. Il semblait souhaitable que l'intéressée « puisse bénéficier, dans la mesure du possible, d'une nouvelle affectation professionnelle en privilégiant une activité limitant le contact direct avec le public, afin de mieux préserver la capacité fonctionnelle résiduelle ».

n. Compte tenu de ces limitations fonctionnelles, la B______ a informé l'intéressée qu'elle n'avait pas d'autre poste à lui proposer au sein du service.

o. A______ a été convoquée à un entretien de non-retour au poste de travail le 28 mars 2023. L'employeur envisageait de transférer son dossier à la CRT, cette dernière procédure valant reclassement. En cas d'impossibilité de la reclasser, le dossier retournerait au service, qui pourrait envisager de procéder à la résiliation des rapports de service.

Elle a signé une annexe au compte rendu de l'entretien indiquant que la CRT ne garantissait en aucun cas qu'un stage serait trouvé, ni que celui-ci pourrait être transformé en un poste permanent. L'intéressée avait droit à son traitement tant qu'elle n'avait pas atteint 730 jours d'absence.

p. Un premier stage a été mis en place du 6 novembre 2023 au 30 avril 2024 au département de la santé et des mobilités (ci-après : DSM), au sein de l'office cantonal de la santé.

q. Des bilans intermédiaires ont été effectués les 30 janvier, 14 mars et 23 avril 2024. Lors du deuxième bilan intermédiaire, des lacunes de l'intéressée en matière de prise de procès-verbaux ont été évoquées, de même que la charge importante pour le service que représentait le fait de l'accompagner sur le long terme. En raison de ce constat, il n'était pas possible de pérenniser son poste au sein du service.

r. À la suite de l'entretien, A______ a exprimé sa surprise et apporté des commentaires complémentaires. Elle a réaffirmé sa volonté de poursuivre son stage jusqu'à la fin prévue dans ces conditions.

s. La CRT a procédé à des recherches dès le mois de mars 2024 pour trouver un autre stage à l'intéressée, notamment auprès de la direction de l'office de protection de l'adulte et de la direction générale de l'administration fiscale cantonale. Ces démarches se sont toutefois révélées infructueuses.

t. Un deuxième stage a été mis en place au sein du même service du 1er mai au 31 juillet 2024, lequel devait permettre de diversifier les activités « avec un accent sur une aide plus intense sur le volet administratif, une formation sur le volet financier en lien avec les activités du contrôleur de gestion, un soutien pour la mise à jour du site internet et la contribution à l'établissement de procédures diverses ».

Ce dernier stage a été interrompu le 30 juin 2024, en raison de l'arrêt maladie de l'intéressée dès le 11 juin 2024.

u. A______ a été informée de la clôture du processus de reclassement CRT ainsi que de la fin de son droit à un plein traitement le 4 juillet 2024. Le DIP reprenait la gestion de son dossier.

v. Elle a produit un certificat médical de reprise à 100% à compter du 1er août 2024.

w. Un entretien de service s'est tenu le 26 août 2024, dont l'objectif était de l'entendre par rapport à sa situation au regard de son inaptitude à remplir les exigences du poste et de l'échec de la procédure de reclassement effectuée par la CRT, situation qui était susceptible de conduire à la résiliation des rapports de service pour motif fondé.

L'intéressée a rapporté des propos déplacés de la part de sa directrice, notamment sur son physique, ainsi que des pressions et humiliations de la part de son collègue direct de la réception. Elle a reconnu son erreur de n'avoir rien dit jusqu'à un stade où elle avait des anxiétés sociales. Elle « d[evait] améliorer sa communication au lieu de tout garder pour elle ».

x. A______ a transmis des observations écrites sur le procès‑verbal de l'entretien de service et s'est étonnée que son certificat de reprise n'ait pas été pris en compte.

y. La responsable des ressources humaines lui a répondu que malgré celui-ci, son droit au traitement s'était éteint le 4 juillet 2024 en raison de ses absences, de sorte que son traitement ne serait plus versé.

z. Le 27 septembre 2024, le DIP a résilié les rapports de service pour le 31 décembre 2024 pour motif fondé. Il constatait que l'intéressée n'était plus apte à remplir les exigences de son poste pour des raisons de santé. Celle-ci était immédiatement libérée de son obligation de travailler. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

C. a. Par acte du 31 octobre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant principalement à son annulation et à ce qu'il soit ordonné au DIP de la réintégrer dans son poste de téléphoniste-réceptionniste à la B______ ou, subsidiairement, de lui verser une indemnité de 24 mois de son dernier traitement brut, avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 2024. Elle concluait préalablement à la comparution personnelle des parties et à l'audition de C______.

b. Le DIP a conclu au rejet du recours.

c. La recourante a persisté dans ses conclusions.

d. Une audience de comparution personnelle s'est tenue le 10 mars 2025.

La recourante a produit un projet de décision de l'office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud lui refusant la rente d'invalidité. Elle a précisé son intention de contester ce projet, notamment parce qu'il ne retenait aucune limitation fonctionnelle.

Elle est revenue sur ses crises d'angoisse et a expliqué ses relations difficiles avec son collègue de la réception, qui se mêlait des réponses qu'elle donnait aux parents d'élèves. Parfois, après avoir entendu une question posée, il allait se renseigner dans les étages et revenait donner la réponse. Contrairement à lui, son poste ne l'autorisait pas à quitter la réception, de sorte qu'elle devait suggérer aux parents qu'ils téléphonent afin que leur appel puisse être transféré aux collègues à l'étage. Il la faisait ainsi passer pour une personne qui ne souhaitait pas fournir les renseignements demandés. Lors d'un autre épisode, il lui avait arraché des mains le curriculum vitae d'une collègue venue la consulter à ce sujet, pensant tout savoir mieux qu'elle.

Son anxiété sociale se manifestait dès qu'il y avait beaucoup de monde. Elle devait alors sortir de la salle, ce qui arrivait environ deux fois par mois à la réception.

Elle a indiqué ne plus se sentir handicapée par son anxiété, car elle savait désormais la gérer. Elle pensait aussi que l'amélioration constatée était liée au fait qu'elle ne subissait plus de pressions au travail.

e. À l'issue de l'audience, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger, y compris sur les demandes d'auditions.

f. Le contenu des pièces et les arguments des parties seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante sollicite la comparution personnelle des parties ainsi que l'audition de la psychologue du SPE qui l'a suivie durant ses arrêts de travail en 2019 et en 2022.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_467/2020 du 14 juin 2021 consid. 4.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_467/2020 précité consid. 4.1). Le droit d'être entendu n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, la recourante a été entendue par la chambre de céans. Il a donc été fait droit à ce chef de conclusion.

L'audition de la psychologue du SPE n'est pas de nature à influer sur l'issue du litige. Ce dernier ne porte notamment pas sur l'environnement de travail à la réception de la B______, conformément aux considérants qui suivent. Dans ces circonstances, l'audition précitée n'apparaît pas nécessaire pour statuer sur la conformité au droit de la résiliation des rapports.

Pour le surplus, la chambre de céans considère que le dossier contient tous les éléments utiles pour statuer sur les griefs formulés par la recourante, sans qu'il soit nécessaire de procéder à d’autres actes d’instruction.

3.             La recourante se plaint d'une violation des dispositions en matière de protection de sa personnalité, qui aurait causé la dégradation de son état de santé ayant conduit à son licenciement.

3.1 Aux termes de l’art. 2B de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), il est veillé à la protection de la personnalité des membres du personnel, notamment en matière de harcèlement psychologique et de harcèlement sexuel (al. 1). Des mesures sont prises pour prévenir, constater et faire cesser toute atteinte à la personnalité (al. 2). Les modalités sont fixées par règlement (al. 3).

L’art. 1 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l'État de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers - B 5 05.10) prévoit que le Conseil d’État veille à la protection de la personnalité de tous les membres du personnel dans le cadre de leur activité professionnelle (al. 1). Il prend les mesures nécessaires à la prévention, à la constatation, à la cessation et à la sanction de toute atteinte à la personnalité d’un membre du personnel, en particulier en cas de harcèlement sexuel ou psychologique (al. 2).

À cet effet, le Conseil d’État a instauré un groupe de confiance (ci-après : GdC), chargé de la mise en œuvre et de la bonne application du dispositif de protection de la personnalité (art. 4 et 5 RPPers). Peut s’adresser librement au GdC tout membre du personnel qui, dans sa relation de travail avec d’autres personnes, estime rencontrer d’importantes difficultés qui pourraient notamment constituer du harcèlement psychologique ou sexuel (art. 12 let. a RPPers).

3.2 La notion de protection de la personnalité de l'agent public et l'obligation qui en découle pour l'employeur est typiquement un concept dont la portée et la valeur matérielle sont identiques en droit public et en droit privé (Valérie DÉFAGO GAUDIN, Conflits et fonctions publiques : Instruments, in Jean-Philippe DUNAND/Pascal MAHON [éd.], Conflits au travail. Prévention, gestion, sanctions, 2015, p. 156). Il incombe à l'employeur public, comme à l'employeur privé (art. 328 CO), de protéger et respecter la personnalité du travailleur. L'employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO). Cette obligation comprend notamment le devoir de l'employeur d'agir dans certains cas pour calmer une situation conflictuelle et de ne pas rester inactif (ATF 137 I 58 consid. 4.2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_340/2009 du 24 août 2009 consid. 4.3.2 ; 1C_245/2008 du 2 mars 2009 consid. 4.2). En particulier, il ne doit pas stigmatiser, de manière inutilement vexatoire et au-delà du cercle des intéressés, le comportement d'un travailleur (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 130 III 699 consid. 5.2).

Le harcèlement psychologique, appelé aussi mobbing, dont la définition jurisprudentielle vaut pour les relations de travail fondées tant sur le droit privé que sur le droit public (arrêt du Tribunal fédéral 1C_156/2007 du 30 août 2007 consid. 4.2 ; Rémy WYLER, La responsabilité civile de l'employeur, y compris en ce qui concerne les actes de ses organes et auxiliaires, in DTA 2011 249, p. 252), se définit comme un enchaînement de propos et/ou d'agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. La victime est souvent placée dans une situation où chaque acte pris individuellement, auquel un témoin a pu assister, peut éventuellement être considéré comme supportable alors que l'ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu'à l'élimination professionnelle de la personne visée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_156/2007 précité consid. 4.2).

Le mobbing s'inscrit dans un élément de durée, de répétition, de finalité et ne saurait être admis en présence d'atteintes isolées à la personnalité (Rémy WYLER/Boris HEINZER, Droit du travail, 4e éd., 2019, p. 349 ; Jean Philippe DUNAND/Pascal MAHON, Commentaire du contrat de travail, 2013, p. 283 n. 34 ad art. 328 CO). S'agissant de la répétition des actes de mobbing, ceux-ci doivent être répétés fréquemment, soit généralement au moins une fois par semaine (Philippe CARRUZZO, Contrat individuel du travail, commentaire des art. 319 à 341 du Code des obligations, 2009, p. 281). Pour ce qui est de la durée, les atteintes doivent se dérouler sur une période d'au moins six mois (Philippe CARRUZZO, op. cit., p. 281 ; Henz LEYMANN, Mobbing : La persécution au travail, 1996, p. 27). La majorité des cas de harcèlement s'étend sur une période supérieure à une année (Marie-France HIRIGOYEN, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle : Démêler le vrai du faux, 2001, p. 36 et pp. 142-143).

3.3 Selon la jurisprudence, une absence de harcèlement psychologique est présumée lorsqu'un employé s'en plaint dans une procédure de licenciement sans avoir saisi le GdC, alors même que ladite institution était à sa disposition et spécialisée dans la problématique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_148/2023 du 18 octobre 2023 consid. 7 ; ATA/1043/2024 du 3 septembre 2024 consid. 4.6).

3.4 En l'occurrence, la recourante se réfère aux rapports médicaux la concernant. Il en ressort qu'elle a montré des signes « inquiétants de mal-être au travail, des crises d'angoiss[e], sembl[ait] nerveusement à bout et [dans] un fort état de stress ». Si sa phobie sociale était évoquée, il était en revanche mentionné qu'elle « ador[ait] son travail de réceptionniste à la B______ » et qu'elle « a[vait] de bons contacts avec ses collègues ». Jusqu'au 12 octobre 2020, « cela se pass[ait] très bien », au point que la psychologue du SPE avait annoncé la clôture du dossier.

Ce n'est qu'en mai 2022 que le dossier a été rouvert auprès du SPE, à la suite d'un nouvel arrêt de travail de la recourante. D'après des notes internes, cette dernière a alors décrit être victime de mobbing par son collègue direct et ne pas être soutenue par son responsable hiérarchique. Il était également rappelé qu'elle « souffr[ait] depuis plusieurs années d'anxiété sociale importante ». L'intéressée a informé le SPE avoir fait appel au SSP en raison du mobbing qu'elle subissait. Or, même si elle a expliqué que la situation ne s'était pas améliorée après qu'elle avait rencontré sa hiérarchie pour en discuter, elle n'a cependant pas contacté le GdC.

Compte tenu de ce qui précède, il ne peut être retenu que la recourante aurait « été capable d'effectuer son travail durant des années [malgré sa phobie sociale] avant de craquer, en raison de son environnement de travail » à la réception de la B______. Le caractère pénible pour elle du contact avec le public est illustré par ses premières crises d'angoisse dès mai 2019, lors de formations et séances de groupe qu'elle a dû quitter. Ses premiers arrêts de travail la même année datent, par ailleurs, d'avant la période où elle estime l'ambiance de travail délétère. Aussi, son dernier arrêt de travail en juin 2024, survenu au sein d'un environnement de travail différent, n'a pas pu être provoqué par le comportement allégué de son collègue de la réception. Pour le surplus, les nombreux rapports médicaux au dossier soulignent l'influence sur son état de santé de son histoire personnelle difficile.

La recourante n'ayant jamais saisi le GdC – étant rappelé qu'elle était accompagnée par le SSP – une présomption d'absence de harcèlement psychologique en découle, qui n'est renversée par aucun élément rendu vraisemblable. Le grief lié au harcèlement moral invoqué est donc irrecevable, la chambre de céans n’étant pas compétente pour l'examiner, faute de se prononcer sur une décision faisant suite à l’intervention du GdC (ATA/909/2024 du 6 août 2024 consid. 14.3).

4.             La recourante reproche à l'intimé d'avoir manqué à ses obligations en matière de reclassement et, partant, d'avoir violé l'art. 21 al. 3 LPAC.

4.1 L'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Elle motive sa décision. Elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé. Les modalités sont fixées par règlement (art. 21 al. 3 LPAC).

4.2 À teneur de l'art. 46A du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), lorsque les éléments constitutifs d'un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d'entretiens de service, un reclassement selon l'art. 21 al 3 LPAC est proposé pour autant qu'un poste soit disponible au sein de l'administration et que l'intéressé au bénéfice d'une nomination dispose des capacités nécessaires pour l'occuper (al. 1). Des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (al. 2).

4.3 L’État a l’obligation préalable d’aider l’employé et de tenter un reclassement, avant de prononcer la résiliation des rapports de service : il s’agit tout d’abord de proposer des mesures dont l’objectif est d’aider l’intéressé à retrouver ou maintenir son « employabilité », soit sa capacité à conserver ou obtenir un emploi, dans sa fonction ou dans une autre fonction, à son niveau hiérarchique ou à un autre niveau. Avant qu’une résiliation ne puisse intervenir, différentes mesures peuvent être envisagées et prendre de multiples formes, comme le certificat de travail intermédiaire, un bilan de compétences, un stage d’évaluation, des conseils en orientation, des mesures de formation et d’évolution professionnelles, un accompagnement personnalisé, voire un « outplacement » (ATA/108/2025 du 28 janvier 2025 consid. 5.3).

4.4 Il n’existe pas d’obligation pour l’État d’appliquer dans chaque cas l’intégralité des mesures possibles et imaginables, l’autorité disposant d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer et choisir les mesures qui lui semblaient les plus appropriées afin d’atteindre l’objectif de reclassement. L’intéressé peut faire des suggestions mais n’a pas de droit quant au choix des mesures entreprises (arrêts du Tribunal fédéral 1C_609/2023 du 24 mai 2024 consid. 4.1 ; 8C_381/2021 du 17 décembre 2021 consid. 6.2).

4.5 Le principe du reclassement, applicable aux seuls fonctionnaires, est une expression du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) et impose à l’État de s’assurer, avant qu’un licenciement ne soit prononcé, qu’aucune mesure moins préjudiciable pour l’administré ne puisse être prise (arrêt du Tribunal fédéral 1C_309/2008 du 28 janvier 2009 consid. 2.2). La loi n’impose toutefois pas à l’État une obligation de résultat, mais celle de mettre en œuvre tout ce qui peut être raisonnablement exigé de lui (ATA/239/2025 du 11 mars 2025 consid. 10.3).

4.6 En l'espèce, un certificat de travail intermédiaire en faveur de l'intéressée a été établi le jour de l'entretien de non-retour au poste de travail. Celle-ci savait également, dès cet entretien, que la CRT ne garantissait en aucun cas qu'elle trouverait un stage, ni que ce dernier serait transformé en un poste permanent.

La recourante a néanmoins pu effectuer deux stages. L'intimé a en outre démontré avoir entrepris des efforts, avant la fin du premier stage, pour lui trouver une deuxième place de stage dans un autre département, même s'il n'a essuyé que des réponses négatives.

Contrairement à ce que l'intéressée affirme, le deuxième stage à partir du 1er mai 2024 n'était pas une prolongation du premier – indépendamment des dénominations variables employées – au regard des missions différentes qui lui ont été confiées. Il n'est pas non plus crédible que l'autorité intimée aurait seulement prolongé le stage « pour patienter jusqu'à pouvoir constater l'échec du reclassement », dès lors que celle‑ci ne pouvait pas imaginer que la recourante serait absente à son nouveau poste à partir du 11 juin 2024.

Par ailleurs, cette dernière reproche à l'intimé d'avoir retenu qu'elle était en incapacité totale de travail dès le 11 juin 2024 « sans perspective de reprise connue ». Or, force est de constater que son arrêt de travail, initialement prévu jusqu'au 12 juin 2024, a été prolongé une première fois jusqu'au 24 juin 2024, une deuxième fois jusqu'au 10 juillet 2024, puis une troisième fois jusqu'au 31 juillet 2024. Dans ces circonstances, le constat le 17 juillet 2024, lors de la convocation à un entretien de service, qu'aucune date de reprise effective n'était connue ne prête pas le flanc à la critique.

La recourante se plaint de surcroît de ce qu'aucun nouvel avis médical n'avait été sollicité du SPE en 2024 avant la clôture du processus de reclassement. Outre qu'une telle obligation n'existe pas, l'état du dossier ne permet pas de constater l'évolution favorable de son état de santé « entre 2023 et 2024 » qu'elle invoque. Elle reconnaît, au contraire, une « nouvelle rechute » dès juin 2024, après avoir vécu « comme une trahison » la décision du DSM de « tout de même prolonger son stage sans poste à la clé ». Au vu de cette circonstance, l’intimé pouvait considérer l'avis médical du 14 février 2023 comme toujours pertinent à la clôture du processus de reclassement et renoncer à en solliciter un nouveau.

En conclusion, l'intimé a entrepris tout ce qui était raisonnablement exigible pour reclasser la recourante.

5.             La recourante invoque une violation de l'art. 26 al. 3 LPAC. Elle conteste en particulier le motif de résiliation des rapports de service de l'art. 22 let. b LPAC allégué par le DIP, qui fait échec à l'application de l'art. 26 LPAC.

5.1 Selon l'art. 22 LPAC, il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de l'insuffisance des prestations (let. a), de l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b) ou de la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c).

Il ne s'agit pas de démontrer que la poursuite des rapports de service est rendue difficile ou impossible, mais qu'elle n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration. L'intérêt public au bon fonctionnement de l'administration cantonale, déterminant en la matière, sert de base à la notion de motif fondé, lequel est un élément objectif indépendant de la faute du membre du personnel. La résiliation pour motif fondé est une mesure administrative qui ne vise pas à punir, mais à adapter la composition de la fonction publique dans un service déterminé aux exigences relatives à son bon fonctionnement (ATA/295/2025 du 25 mars 2025 consid. 5.4).

5.2 Aux termes de l'art. 26 LPAC, le Conseil d'État, la commission de gestion du pouvoir judiciaire ou le conseil d'administration peut mettre fin aux rapports de service lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure, pour des raisons de santé ou d'invalidité, de remplir les devoirs de sa fonction (al. 1). Il ne peut être mis fin aux rapports de service que s'il s'est avéré impossible de reclasser l'intéressé dans l'administration, au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire ou dans l'établissement (al. 2). L'incapacité de remplir les devoirs de service, à moins qu'elle ne soit reconnue d'un commun accord par le Conseil d'État, la commission de gestion du pouvoir judiciaire ou le conseil d'administration, la caisse de prévoyance et l'intéressé, doit être constatée à la suite d'un examen médical approfondi pratiqué par le médecin‑conseil de l'État, du pouvoir judiciaire ou de l'établissement en collaboration avec le médecin de la caisse de prévoyance et le ou le médecins traitants (al. 3).

La ratio legis de l'art. 26 al. 3 LPAC est d’assurer un lien entre la perte du salaire due à une atteinte à la santé du fonctionnaire et les prestations de la caisse de pension, afin d'assurer, le plus tôt possible, un traitement global, cohérent et juste de la situation médicale du fonctionnaire concerné dont les droits, que ce soit à l'égard de l'employeur ou de la caisse de prévoyance, sont ainsi, sous réserve d'une évolution de son état de santé, préservés (ATA/295/2025 précité consid. 5.5).

5.3 L’application de l'art. 26 LPAC implique un état de santé durablement affecté (ATA/212/2023 du 7 mars 2023 consid. 5.4).

5.4 En l'occurrence, la décision querellée constate que la recourante « n'[était] plus apte à remplir les exigences de [son] poste pour des raisons de santé », au sens de l'art. 22 let. b LPAC. La question à trancher est celle de savoir si c’est à raison que l’autorité intimée a considéré qu'elle était inapte à remplir les exigences du poste, et par conséquent que l’art. 26 LPAC ne trouvait pas à s'appliquer.

L'intéressée a présenté des absences fréquentes et régulières depuis 2019 et de façon ininterrompue depuis le 11 juin 2024. Dans ces circonstances, les pièces produites tendant à prouver la qualité de son travail ne sont pas déterminantes pour l'issue du litige. Quoi qu'en dise la recourante, ses « nombreuses absences perlées » étaient objectivement de nature à mettre à mal le bon fonctionnement du service. Elle n’a pas été en mesure de travailler pour cause de maladie pendant plus de 730 jours durant trois ans, si bien que ses absences ne lui permettaient plus de remplir les exigences du poste.

Outre que l'argument de la recourante – estimant son état de santé durablement affecté – contredit formellement le certificat de reprise sans limitation produit après la clôture du processus de reclassement, tant les avis médicaux la concernant que le projet de décision de l'assurance-invalidité retiennent sa capacité à occuper un poste sans contact fréquent avec du public. Cette capacité de travail résiduelle permet d'exclure que le motif fondé ne consiste en la disparition durable d’un motif d’engagement (art. 22 let. c LPAC). Or, en l'absence d'un état de santé durablement affecté, l'autorité a fait usage à bon droit du motif de résiliation de l'art. 22 let. b LPAC. Il en résulte que l'art. 26 LPAC ne s'applique pas à la situation de l'intéressée.

Partant, le grief portant sur la violation de l'art. 26 al. 3 LPAC doit être rejeté.

Au vu de ce qui précède, la résiliation des rapports de service repose sur un motif fondé et est conforme au droit. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la réintégration de la recourante ou le versement d'une indemnité.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             La recourante plaidant au bénéfice de l'assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à sa charge. Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 octobre 2024 par A______ contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 27 septembre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Steve ALDER, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :