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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2069/2023

ATA/399/2025 du 08.04.2025 sur JTAPI/121/2024 ( LCI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 26.05.2025, 1C_293/2025, D 323221/1
Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;CONSTRUCTION ET INSTALLATION;PERMIS DE CONSTRUIRE;EXCEPTION(DÉROGATION)
Normes : LRoutes.11; LCI.3
Résumé : Admission d’un recours contre un jugement du TAPI annulant une autorisation de construire au motif que la dérogation à la distance entre l’axe de la route et la construction projetée n’avait pas été octroyée. Il ressort des plans figurant au dossier que cette distance des de 8 m. Il ne fait aucun doute au vu de l’implantation du projet et de la teneur des préavis de la commune et de l’office de l’urbanisme que la question de cette dérogation a été examinée et approuvée. Examen des conditions de la dérogation, remplies en l’espèce.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2069/2023-LCI ATA/399/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 avril 2025

3ème section

 

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
et
A______ et B______ recourants
représentées par Me François BELLANGER, avocat

contre

C______, D______ et E______
représentés par Me Pierre-Damien EGGLY, avocat intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 février 2024 (JTAPI/121/2024)


EN FAIT

A. a. A______ était propriétaire de la parcelle no 4'078 de la commune de F______, d’une surface de 2'277 m2, à l’adresse ______, chemin G______ sur les rives du lac, sur laquelle sont édifiés un bâtiment d’habitation à un logement d’une surface au sol de 149 m2 ainsi qu’un autre bâtiment de 34 m2.

La parcelle a été vendue le 15 décembre 2023 à B______.

b. C______, D______ et E______ sont copropriétaires de la parcelle no 4'332, d’une surface de 3'571 m2, sur laquelle est édifiée une habitation à un logement d’une surface de 296 m2 au sol ainsi qu’un garage de 29 m2.

Cette parcelle se trouve à 108 m de la parcelle no 4'078, à l’adresse ______, route H______.

B. a. Le 31 octobre 2022, A______ a déposé auprès du département du territoire (ci‑après : le département) une requête en autorisation de démolir une habitation, une dépendance et un couvert sur sa parcelle (M 1______).

b. Le 1er novembre 2022, A______ a déposé une requête en autorisation de construire portant sur l’édification d’une maison individuelle (22% HPE) avec garage, reconstruction d’un pool house, sondes géothermiques et piscine chauffée (DD 2______).

c. Lors de l’instruction de la requête en autorisation de construire, les préavis suivants ont notamment été recueillis :

-          office de l’urbanisme (ci-après : OU) : préavis favorable sans observations du 4 novembre 2022 ;

-          office cantonal des transports (ci-après : OCT) : préavis favorable sous conditions et avec souhaits du 10 novembre 2022 ; sous remarques : l’accès au garage sera contraint lorsque la place de stationnement visiteurs prévue dans la cour sera occupée par un véhicule ; l’OCT constate que le débouché de l’accès privé dans le chemin G______ n’est pas modifié dans le cadre du projet ;

-          commune : préavis favorable du 6 décembre 2022 sous diverses conditions, en lien avec le déroulement du chantier, le maintien de l’accès aux rives du lac ; la replantation de la haie devra respecter les lois et réglementations en vigueur concernant les distances et hauteurs de plantations en front de limite avec le DP communal (ch. G______) ; la requérante était également rendue attentive à l’existence d’un projet de réaménagement du quai de F______ en zone de rencontre ou en zone piétonne ;

-          direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) : après une demande d’instruction complémentaire le 4 novembre 2022, elle a rendu un préavis favorable sans observations le 31 janvier 2023 ;

-          office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau) : préavis favorable sous conditions du 17 février 2023 ;

-          commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) : elle a demandé un projet modifié le 28 novembre 2022, se déclarant opposée à l’octroi d’une dérogation selon l’art. 15 de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux-GE - L 2 05) pour l’implantation de la terrasse et des sondes géothermiques dans la surface inconstructible ; elle n’était pas opposée à l’usage de la dérogation de l’art. 7 de la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10) ; cette dérogation était octroyée au vu de la démolition de la maison existante située dans la zone inconstructible de 30 m des rives du lac qui permettait d’assainir la situation existante, la concentration des droits à bâtir sur le haut de la parcelle en dehors de la surface inconstructible et de la limitation de l’emprise de la nouvelle villa permettant de réaliser des économies de terrain et l’amélioration du taux de la surface de pleine terre réalisée avec les nouveaux aménagements qui limitaient les surfaces imperméables ; pour la reconstruction et l’agrandissement mesuré du pool‑house et du bassin de rétention, elle n’était pas opposée à l’usage de l’art. 15 al. 7 LEaux-GE. Elle a rendu un préavis favorable sous conditions, avec dérogations et souhaits le 6 mars 2023 : elle était favorable à l’usage de la dérogation à l’art. 11 LPRLac, à celle à l’art. 7 LPRLac et également celle de l’art. 15 al. 7 LEaux-GE ;

-          commission consultative de la diversité biologique (ci-après : CCDB) : préavis du 24 mars 2023 favorable avec dérogation au sens de l’art. 13 LPRLac ;

-          office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) : après avoir demandé des pièces complémentaires les 23 novembre 2022 et 22 février 2023, il a rendu un préavis favorable avec dérogation selon l’art. 13 LPRLac et sous conditions concernant notamment les précautions à prendre afin de conserver valablement les arbres hors forêt et le cadre végétal, le 30 mars 2023 ; il a également demandé qu’une arboriste-conseil soit mandatée pour suivre les travaux à proximité des arbres conservés et pour la mise en place des mesures prophylactiques nécessaires à leur préservation valable ;

-          office cantonal de l’énergie (ci-après : OCEn) préavis favorable sous conditions du 5 mai 2023.

d. Le 15 mai 2023, le département a délivré à A______ l’autorisation de démolir M 1______.

e. Le 16 mai 2023, le département a délivré à A______ une décision globale d’autorisation de construire portant sur la construction d’une habitation individuelle (HPE 22%) avec garage, reconstruction d’un pool-house, sondes géothermiques et piscine chauffée sur sa parcelle n° 4'078 (DD 2______).

f. Le 15 juin 2023, C______, D______ et E______ ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre l’autorisation de construire, concluant à son annulation.

Copropriétaires d’une parcelle située non loin de la parcelle sur laquelle le projet était prévu et également bénéficiaires d’une servitude de passage sur une parcelle directement adjacente, ils bénéficiaient depuis leur parcelle d’une vue sur le lac, la rive droite et le Jura. Le projet litigieux, de plus de 10 m de haut, les priverait considérablement de cette vue.

Ils développaient plusieurs griefs à l’appui de leur recours en lien avec le nombre de niveaux et le gabarit de la construction prévue ainsi que sur le nombre et la surface des constructions de peu d’importance.

g. A______ a répondu au recours, concluant à son rejet et relevant que plusieurs griefs ne présentaient aucun lien avec la perte de vue invoquée ou n’avait aucune incidence pratique sur leur situation et devaient être déclarés irrecevables.

h. Le département a conclu au rejet du recours, répondant point par point aux griefs soulevés. La construction allait dans le sens d’une amélioration de la situation existante et le gabarit respectait les 10 m côté lac. Une construction de trois niveaux pour laquelle une dérogation avait été accordée permettait de réduire l’emprise au sol et la démolition de la maison existante qui se trouvait dans une zone inconstructible permettait de réaliser des économies de terrain et d'améliorer le taux de surface de pleine terre.

i. Le 3 octobre 2023, C______, D______ et E______ ont répliqué. Le projet constituerait le seul bâtiment visible sur trois niveaux. L’argument de l’économie de terrain était faux, dans la mesure où il y aurait un accroissement de la surface construite. Ils développaient encore de nombreux nouveaux griefs, dont celui qu’en l’absence d’un plan d’alignement, la distance entre l’axe de la route et la construction aurait dû être de 15 m en application de l’art. 11 al. 2 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10), ce qui n’était pas le cas.

j. Le 8 février 2024, après avoir ordonné un second échange d’écritures, le TAPI a admis le recours et annulé l’autorisation de construire DD 2______.

Vu l’absence de plan d’alignement à l’endroit concerné, le projet ne pouvait être implanté à moins de 15 m de l’axe du chemin G______ conformément à l’art. 11 al. 2 LRoutes. Il ressortait toutefois clairement du plan cadastral établi par un géomètre officiel que le projet ne respectait pas cette exigence de sorte que l’octroi d’une dérogation prévue par l’art. 11 al. 3 LRoutes était nécessaire. Or la commune, dont le préavis était obligatoire pour déroger à la distance des 15 m, ne s’était pas prononcée sur l’octroi ou le refus d’une telle dérogation dans son préavis du 6 décembre 2022. Dans l’autorisation délivrée, il n’était pas fait mention d’une telle dérogation ni dans aucun préavis. En conséquence, l’autorisation devait être annulée. Vu cette issue, il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs.

C. a. Par envoi du 14 mars 2024, le département a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation et à la confirmation de l’autorisation de construire DD 2______ du 16 mai 2023.

Le grief de violation de l’art. 11 LRoutes n’était pas recevable. De plus, vu les préavis favorables, il était clair que la construction, prévue à 7.64 m de l’axe de la route, ne contrecarrait pas un objectif d’aménagement du territoire ou d’environnement. Le TAPI n’exposait d’ailleurs pas que les conditions de la dérogation ne seraient pas remplies et l’absence de publication de la dérogation ne constituait pas un motif d’annulation.

Son droit d’être entendu avait été violé dès lors qu'il n’avait pas été interpelé au sujet de la dérogation. De plus, le grief n’avait été soulevé que dans le cadre de la réplique sur quelques lignes au milieu de nombreux autres griefs.

b. Le 18 mars 2024, A______ et B______, par mémoire commun, ont interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI concluant à son annulation et à la confirmation de l’autorisation de construire.

Elles sollicitaient une substitution de parties, la nouvelle propriétaire ayant acquis également le projet découlant de l’autorisation de construire ; subsidiairement, l'appel en cause de B______ devait être ordonné ; plus subsidiairement encore, celle-ci devait être autorisée à intervenir dans la procédure.

Elles faisaient grief au TAPI d’avoir abusé de son pouvoir d’appréciation et violé leur droit d’être entendues.

Le grief de violation de l’art. 11 LRoutes n’était pas recevable faute d’intérêt digne de protection. Cette irrecevabilité avait été invoquée dans la réplique déposée devant le TAPI, mais celui-ci ne s’était pas prononcé sur la question. En outre, le grief était infondé. La nécessité d’une dérogation ressortait clairement du plan cadastral et tant l’OCT que la commune avaient forcément examiné cette question, admettant implicitement que rien ne s’opposait à une telle dérogation. Les conditions détaillées des préavis permettaient de conclure qu’une analyse circonstanciée du projet avait eu lieu. Dans le doute, le TAPI aurait dû au moins interpeller le département sur cette question et demander des renseignements supplémentaires, en raison de son obligation d’établir les faits d’office.

Le chemin G______ était une route communale secondaire. Compte tenu des constructions existantes le long de cette route, dont la plupart étaient implantées à moins de 10 m, voire à moins de 5 m de son axe, un hypothétique élargissement futur apparaissait exclu.

Les principes de la proportionnalité et de l’économie de procédure avaient été violés.

c. Le 3 juin 2024, C______, D______ et E______ ont conclu au rejet des recours.

Les recours de la requérante et de l’acquéreur étaient irrecevables en l'absence d’intérêt à recourir. Ils s’opposaient à la substitution de parties ou à l’appel en cause, l’acquéreuse n’étant pas titulaire de l’autorisation de construire.

Ils avaient un intérêt pratique à l’éloignement du projet de la voie publique, en raison des nuisances causées sur la vue dont ils bénéficiaient. Les juridictions appliquaient le droit d’office et ils s’étaient plaints d’emblée que le projet était situé trop proche de la voie publique. La jurisprudence n’admettait pas que des dérogations soient valablement accordées lorsque les services compétents ne s’étaient pas spécifiquement déterminés.

d. Les 31 mai et 4 juillet 2024, le département a persisté dans son argumentation et les conclusions de son recours. Les parcelles avoisinantes du chemin G______ présentaient toutes des constructions situées en retrait de 4 à 9 m du chemin afin de libérer au maximum l’espace situé vers le lac ; elles présentaient donc un certain alignement de fait qui justifiait parfaitement l’emplacement du projet.

e. Le 26 juillet 2024, l’ancienne et la nouvelle propriétaires ont répliqué, persistant dans leurs conclusions.

Les intimés ne disposaient d’aucun intérêt digne de protection à s’opposer à la substitution de partie ou à l’appel en cause.

Le TAPI aurait dû préalablement examiner la recevabilité du grief avant de se prononcer sur son bien-fondé et constater l’absence d’intérêt digne de protection tant en raison du but de la disposition que de l’absence de rapport étroit et spécial avec l’objet de la contestation, respectivement d’explication sur l’avantage pratique que les intimés étaient supposés en retirer.

f. Le 16 septembre 2024, les intimés ont dupliqué.

La violation de l’art. 11 al. 2 LRoutes aurait pu être retenue par le TAPI même si elle n’avait pas été invoquée. Le fait qu’un projet ne respectait pas l’art. 11 al. 2 LRoutes ne signifiait pas que les conditions à l’octroi de la dérogation prévue à l’art. 11 al. 3 LRoutes seraient réalisées. Le département alléguait maintenant qu’il existait un alignement de fait. Il apparaissait que la dérogation n’avait jamais été accordée.

g. Le 4 novembre 2024, les intimés ont déposé des écritures spontanées. Le 9 septembre 2024, B______ avait déposé une nouvelle demande d’autorisation de construire portant sur un projet de construction d’une maison individuelle sur la parcelle no 4'078. La commune avait rendu le 18 octobre 2024 un préavis favorable sous conditions, notamment de la constitution d’une servitude de passage à pied de 2 m de large le long du lac à octroyer par la propriétaire pour l’octroi de la dérogation à l’art. 11 al. 2 LRoutes.

Ce préavis contredisait l’argumentation développée par les recourants.

h. La cause a ensuite été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Les recours ont été interjetés en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             S’agissant de la qualité pour recourir des propriétaires de la parcelle concernée, A______, l’une des recourantes, est l’ancienne propriétaire de la parcelle concernée par le projet litigieux. En raison de la vente de la parcelle à B______, elle a demandé une substitution de parties, subsidiairement la nouvelle propriétaire a demandé à être appelée en cause. Les intimés s’opposent à l’une et l’autre requête.

La LPA ne règle pas expressément la question de la substitution de partie, soit celle du remplacement d'une partie par une autre en cours d'instance à la suite d’un transfert des droits ou obligations en cause. Conformément à la jurisprudence de la chambre de céans, la substitution de partie est en principe possible en procédure administrative. La succession à titre universel, qui peut résulter d'une succession pour cause de mort, d'une faillite ou d'une fusion d'entreprises, provoque en vertu du droit fédéral un changement de plein droit de parties sans l'accord des autres parties à la procédure, sous réserve des procédures portant sur les droits strictement personnels et intransmissibles, qui deviennent sans objet (ATA/842/2023 du 9 août 2023 consid. 2.1 et les références citées). En revanche, une succession à titre particulier, comme une aliénation du bien litigieux, n’entraîne en principe pas la substitution automatique des parties à la procédure ; la substitution n’est que facultative et ne s’opère pas de plein droit si l’ayant droit ne la requiert pas ou n’obtient pas l’accord des autres parties (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2e éd., 2015, p.182). Cela étant, il doit être possible de suppléer au refus d’une substitution par l’intervention ou l’appel en cause de l’acquéreur ou du cessionnaire des droits (ibidem, p. 184). En effet, l’autorité peut ordonner, d’office ou sur requête, l’appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure ; la décision leur devient dans ce cas opposable (al. 1). L’appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (art. 71 al. 2 LPA).

La chambre de céans a, en droit des constructions, procédé à la substitution des parties ou ordonné l’appel en cause du nouveau propriétaire, le cas échéant, lorsqu’un projet faisait l’objet d’une contestation par le voisinage ; il a également confirmé la substitution faite par le TAPI (ATA/54/2025 du 14 janvier 2025 consid. 7 ; ATA/518/2024 du 24 avril 2024 ; ATA/842/2023 du 9 août 2023 consid. 2.2 ; ATA/974/2022 du 27 septembre 2022 consid. 3).

2.1 En l’espèce, la propriété de la parcelle no 4'078 a été transférée à B______ et les intimés s’opposent par principe à la substitution de parties. Il se justifie donc d’appeler en cause la nouvelle propriétaire de la parcelle qui bénéficie de l’autorisation de construire litigieuse, sa situation juridique étant susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure. En effet, bien qu’elle ait, entretemps, déposé une autre requête en autorisation de construire, elle a interjeté recours contre le jugement du TAPI annulant l’autorisation délivrée pour le premier projet, confirmant par là son intérêt à voir cette première décision confirmée.

B______ ayant déposé un recours conjoint avec l’ancienne propriétaire, elle a déjà pu exercer ses droits de partie dans la présente procédure, au sens de l’art. 71 al. 2 LPA, son appel en cause sera donc ordonné. L’ancienne propriétaire n’ayant plus d’intérêt actuel au recours, il convient de la mettre hors de cause, ce à quoi elle a conclu.

La qualité pour recourir doit donc être reconnue à B______ et son recours, ainsi que celui du département, seront déclarés recevables.

3.             Les recourants font grief au TAPI d’avoir violé l’art. 11 LRoutes en retenant que la dérogation à la distance fixée dans cette disposition, nécessaire pour approuver le projet, n’aurait pas été examinée par le département, et que le préavis de la commune requis par la LRoutes pour l’octroi d’une dérogation n’aurait pas été sollicité.

3.1 L’art. 3 al. 3 LCI prévoit notamment que les demandes d’autorisation sont soumises, à titre consultatif, au préavis des communes, des départements et des organismes intéressés. L’autorité de décision n’est pas liée par ces préavis.

Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/448/2021 du 27 avril 2021 consid. 6a et les références citées).

Conformément à sa jurisprudence, la chambre administrative a déjà admis que, avant de rendre son jugement, le TAPI exige du département la production d'un préavis faisant défaut au dossier au sujet d’une dérogation à la hauteur de gabarit et au coefficient d’occupation du sol du bâtiment envisagé, et qu’il transmette ledit préavis – favorable dans ce cas – aux parties en donnant à celles-ci la possibilité de se déterminer à son sujet. Dans ce cas, la chambre de céans a estimé qu’il ne ressortait pas de sa jurisprudence que « seuls des compléments relatifs à des préavis déjà émis pourraient être demandés par le TAPI » (ATA/615/2020 du 23 juin 2020 consid. 3b, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_449/2020 du 26 août 2021 consid. 3.2). En annulant l’autorisation litigieuse, alors qu’il disposait d’une mesure apte mais moins incisive que celle prise dans le jugement querellé pour déterminer si une norme était respectée par le projet, le TAPI avait enfreint le principe de la proportionnalité (ATA/927/2021 du 7 septembre 2021 consid. 6g).

3.2 Selon l’art. 11 LRoutes, aucune nouvelle construction ou installation, tant en sous-sol qu’en élévation, ne peut être édifiée entre les voies publiques et les alignements de construction fixés par les plans d’alignement, adoptés conformément aux art. 5 et 6 de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités, du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40) ou par tous autres plans d’affectation du sol au sens des art. 12 ou 13 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30). À défaut de plan d’alignement, cette interdiction s’étend sur une profondeur, mesurée de l’axe de la route, de 25 m pour les routes cantonales et de 15 m pour les routes communales. S’il existe un plan de correction, cette distance se mesure de l’axe rectifié de la voie (al. 2). Le département, après consultation de la commune, peut déroger aux distances prescrites à l’al. 2 si les conditions locales font apparaître que l’interdiction de construire qui en découle ne repose sur aucun motif pertinent d’aménagement du territoire ou d’environnement (al. 3).

3.2.1 Le Tribunal fédéral a précisé que le texte de l’art. 11 al. 3 LRoutes ne se limitait pas l’aspect de l’élargissement éventuel des voies publiques et envisageait plus largement les intérêts dont il convenait de tenir compte pour accorder ou exclure une dérogation, à savoir les motifs pertinents d’aménagement du territoire ou d’environnement. La délivrance d’une dérogation supposait ainsi une pesée des intérêts en présence et la prise en compte des circonstances locales pour laquelle les autorités en charge de l’aménagement du territoire bénéficiaient d’un large pouvoir d’appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_294/2023 du 13 février 2024 consid. 4.2 confirmant l’ATA/486/2023 du 9 mai 2023).

S’agissant de l’octroi d’une dérogation dans le cadre de l’art. 11 al. 3 LRoutes, la chambre de céans a déjà considéré, dans des situations moins favorables, qu’elle avait été valablement octroyée par le département, malgré un préavis négatif de la commune et en l’absence de publication de la dérogation (ATA/498/2020 du 19 mai 2020 consid. 5d ; ATA/255/2016 du 31 mai 2016 consid. 8).

3.3 L’autorité administrative jouit d’un large pouvoir d’appréciation dans l’octroi de dérogations. Cependant, celles-ci ne peuvent être accordées ni refusées d’une manière arbitraire. Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l'équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs (ATA/486/2023 du 9 mai 2023 consid. 6.1.3 ; ATA/193/2023 du 28 février 2023 consid. 7.2 et les références citées). Quant aux autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l’administration accorde ou refuse une dérogation. L’intervention des autorités de recours n’est admissible que dans les cas où le département s’est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle. Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l’octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu’elle est commandée par l’intérêt public ou d’autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu’elle est exigée par le principe de l’égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/193/2023 du 28 février 2023 consid. 7.2 ; ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5e).

3.4 Selon l’art. 3 al. 1 LCI, toutes les demandes d’autorisation de construire sont rendues publiques par une insertion dans la FAO. Il est fait mention, le cas échéant, des dérogations nécessaires. Toutefois, la chambre de céans a déjà jugé que l’absence de publication d’une dérogation ne constitue pas à elle seule un motif d’annulation de l’autorisation de construire. Tout au plus empêche-t-il le délai de recours de courir, pour autant que des tiers aient subi un préjudice, lequel doit être analysé au regard des règles régissant la notification des décisions (arrêts du Tribunal fédéral 1C_112/2007 du 29 août 2007 ; 1C_307/2010 du 7 décembre 2010 ; ATA/452/2008 précité).

3.4.1 En l’espèce, il faut d’abord constater que le défaut de publication de la dérogation n’a pas empêché les intimés de contester le projet et de faire valoir leurs droits. Il en va de même de l’absence de mention de cette dérogation dans les différents préavis et dans l’autorisation de construire.

Le TAPI aurait pu, en cas de doute, instruire la question en interpelant la commune et le département. Au regard de la jurisprudence cantonale précitée, un nouveau préavis de la commune aurait pu être sollicité par le TAPI, soumis à la maxime d’office pour l’établissement des faits pertinents (art. 19 LPA) et habilité à entendre les parties ainsi qu’à en exiger la production de documents pertinents pour l’issue du litige (art. 20 al. 1 et al. 2 let. b, 23 et 24 LPA), ce d’autant plus qu’en matière de construction, le TAPI est composé d’un juge qui préside et de deux juges assesseurs spécialisés en matière de construction, d’urbanisme et d’hygiène publique (art. 143 LCI).

3.4.2 Toutefois, en l’espèce, il ne fait aucun doute au vu de l’implantation du projet que le département a octroyé ladite dérogation, le bâtiment prévu se trouvant à moins de 8 m de l’axe du chemin communal concerné, ce qui apparait clairement sur les différents plans figurant au dossier. Il ne fait pas de doute non plus que la commune a examiné cette question en se prononçant dans son préavis favorable sur le fait que le projet n’était pas susceptible de porter atteinte à ses volontés d’aménagement.

3.5 Quant au bien-fondé de la dérogation octroyée sur la base de l’art. 11 al. 3 LRoutes, le département souligne que les parcelles alentour comportent toutes des constructions situées en retrait de 4 à 9 m du chemin afin de libérer au maximum l’espace situé vers le lac, présentant un certain alignement de fait qui justifiait l’emplacement du projet querellé. En outre, tous les préavis recueillis étaient favorables à l’implantation prévue, notamment celui de la commune et l’OCT qui constate que le débouché de l’accès dans le chemin n’était pas modifié dans le cadre du projet, confirmant par-là, au besoin, avoir examiné le projet en lien avec sa situation sur le chemin G______.

Il faut également relever que les intimés, sur la question du bien-fondé de la dérogation, relèvent uniquement que le projet s’implante dans un secteur qui est « fragile, de grande sensibilité, à tout le moins paysagère puisqu’il est entièrement inscrit dans les périmètres de protection des rives du lac », et qu'il pourrait nuire aux points de vue accessibles au public. Or, l’OU, chargé de la planification et de l’aménagement du territoire, l’OCAN - qui examine les questions de protection de l’environnement - la CMNS, compétente en matière de zone protégée, ou encore la commune, ont tous préavisé favorablement le projet, posant, cas échéant des conditions en lien avec les préoccupations des intimés.

Il appert ainsi que c’est conformément aux critères énoncés à l’art. 11 al. 3 LRoutes, et en se fondant sur ces préavis et sur les spécificités de la situation de la parcelle et du projet, que le département a octroyé la dérogation nécessaire à l’implantation du projet, estimant dans ces circonstances que l’interdiction liée à sa proximité avec le chemin ne reposait sur aucun motif pertinent d’aménagement du territoire ou d’environnement. Aucun motif de ce type n’a d’ailleurs été soulevé par les intimés ni discuté par le TAPI.

En conséquence, c’est à tort que le TAPI a annulé l’autorisation de construire.

Le TAPI n’ayant examiné aucun des autres griefs soulevés par les intimés dans leur recours, il y lieu de lui retourner le dossier, afin de ne pas priver les parties du double degré de juridiction et de permettre à la chambre administrative d’exercer sa fonction de contrôle (art. 69 al. 3 LPA).

Les recours seront admis, le jugement querellé annulé et le dossier renvoyé au TAPI.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des intimés (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée conjointement à A______ et B______ (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme et statuant sur appel en cause et substitution de parties :

ordonne l’appel en cause de B______ ;

met hors de cause A______ ;

déclare recevables les recours interjetés le 14 mars 2024, par le département du territoire - OAC et le 18 mars 2024, par B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 février 2024 ;

au fond :

les admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 février 2024 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour nouveau jugement au sens des considérants ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de C______, D______ et E______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF1’000.- conjointement à A______ et B______, à la charge solidaire de C______, D______ et E______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François BELLANGER, avocat des recourantes, à Me Pierre-Damien EGGLY, avocat de C______, D______ et E______, au département du territoire - OAC, ainsi qu’au au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :