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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1642/2024

ATA/83/2025 du 21.01.2025 sur JTAPI/474/2024 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;CONJOINT;MENACE(EN GÉNÉRAL);INJURE;PLAINTE PÉNALE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;POUVOIR D'APPRÉCIATION;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.60; LVD.2.al1; LVD.8; Cst.29.al2
Résumé : La recourante a fait l'objet d'une mesure d'éloignement de dix jours prononcée par l'officier de police lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son concubin. Elle conserve un intérêt actuel à obtenir l'annulation de cette décision même si la mesure d'éloignement a cessé. Au vu du risque de réitération des actes de violence de la recourante envers son concubin, les parties résidant toujours dans le logement commun, le recours est rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1642/2024-LVD ATA/83/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 janvier 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Christophe ZERMATTEN, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

et

B______ intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 mai 2024 (JTAPI/474/2024)


EN FAIT

A. a. Par décision du 10 mai 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre d'A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de B______, située avenue C______, à Genève, et de le contacter ou de s'approcher de lui.

b. Il était reproché à A______ d’avoir, le 9 mai 2024, insulté et menacé son concubin, B______, avec un couteau de cuisine, d'avoir jeté plusieurs objets par la fenêtre et cassé de nombreux objets dans le logement. De nombreux conflits verbaux avaient eu lieu par le passé, lors desquels A______ avait insulté B______.

La décision était prononcée sous la menace de la sanction prévue à l’art. 292 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

c. Il ressort du rapport de renseignements établi par la police le 10 mai 2024, qu'une dispute avait eu lieu entre A______ et son concubin à leur domicile commun. Ce dernier avait été menacé au moyen d'un couteau et injurié. Du mobilier avait été endommagé et des objets jetés par la fenêtre de l'appartement.

d. Entendu par la police le 10 mai 2024, B______ a expliqué être en couple avec A______ depuis 2007. Elle avait des problèmes d'alcool. Le 9 mai 2024, elle avait bu de l'alcool toute la soirée. Une dispute avait commencé vers 22h15 et il était sorti avec son chien, espérant qu'elle se serait endormie à son retour, ce qui n'avait pas été le cas. Elle était toujours énervée et lui avait adressé des paroles blessantes. Elle avait tenté de le gifler et de lui donner un coup de poing mais il avait esquivé. Elle s'était alors saisie d'un couteau, mais n'avait pas pu faire de geste contre lui, car il avait réussi à lui saisir le bras rapidement et lui avait enlevé le couteau. Puis elle avait saisi un bol qu'elle avait brisé sur le sol de la cuisine. Après, elle avait jeté une enceinte par la fenêtre sur le parking. Il avait alors appelé la police. De telles scènes de violence avaient déjà eu lieu à plusieurs reprises, mais elle n'avait jamais réussi à le blesser, sauf en 2022, où elle lui avait brisé une tasse sur la tête, ce qui avait nécessité trois points de suture. Il n'avait pas déposé plainte, voulant qu'elle se fasse soigner pour ses problèmes d'alcool. Il était dans un état de stress psychique et était dépressif. Il était dans l'attente du renouvellement de son titre de séjour, sans lequel il ne pouvait trouver de nouvel appartement.

e. Également entendue à la même date, A______ a contesté avoir saisi un couteau et en avoir menacé son concubin, précisant « qu'elle croyait en Dieu ». Elle reconnaissait en revanche avoir menacé de le mettre hors de l'appartement, et avoir cassé « pas mal de choses ». Elle ne consommait pas régulièrement de l'alcool, mais elle en avait bu le jour des faits, car elle était désespérée et triste. Elle n'était pas en mesure de préciser la quantité d'alcool bue. L'objet de la dispute concernait leurs désaccords sur la présence de pigeons sur le balcon. Elle avait ajouté : « Sachez que lorsque je vais rentrer chez moi, je vais casser toutes ses affaires avec un marteau ». Elle était titulaire du bail de l'appartement. C'était lui et non pas elle qui devait être éloigné. Elle a par ailleurs contesté lui avoir brisé une tasse sur la tête en 2022 ; en réalité, il s'était fait mordre par un chien.

B. a. A______ a fait opposition à cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le 14 mai 2024.

b. Lors de l'audience du 17 mai 2024 devant le TAPI, A______ a repris les explications déjà données à la police concernant sa rencontre avec B______. Ils s’étaient séparés à plusieurs reprises. Lors des séparations, il avait tout d'abord trouvé, grâce à l'Hospice général, un hébergement avant de le quitter. Il était revenu chez elle en 2014 et elle lui avait alors offert de l'héberger en contrepartie de sa participation à certaines tâches ménagères et du partage des charges d'électricité. Petit à petit les choses avaient commencé à se dégrader. B______ avait pris l'habitude de nourrir des pigeons qui avaient peu à peu colonisé le long balcon. Elle avait sa chambre à coucher juste à côté et ne supportait plus l’odeur et les bruits des pigeons. Elle lui avait plusieurs fois demandé que cela cesse, mais rien n'y faisait. Il occupait également seul la cave. Elle n’avait pas accès à la cuisine ni le droit d'inviter des amis chez elle. Tout cela l’avait amenée à déposer récemment une action en cessation du trouble devant le Tribunal de première instance (ci-après : TPI). Le 9 mai 2024 était un moment triste pour elle, en raison de l'anniversaire de la victoire de l'Union soviétique durant la deuxième guerre. Elle avait bu du vin, ce qu’elle ne faisait pas habituellement. Une dispute avait commencé dans ces circonstances à nouveau autour des pigeons, mais elle pensait que B______ avait choisi d'en faire un motif de plainte auprès de la police en réaction à la demande qu’elle avait déposée auprès du TPI. Sur question au sujet du couteau dont elle aurait menacé B______, elle a expliqué qu’ils étaient à ce moment-là déjà arrivés à la fin de leur dispute, qu’elle avait faim et envie de se préparer quelque chose à manger et qu’elle n'avait aucune intention de lui faire du mal. Celui-ci avait malgré tout saisi son bras comme s'il voulait la bloquer. Elle avait cassé une assiette et ne l'avait alors pas ramassée. Le désordre montré sur la photographie de la pièce à vivre ne résultait pas d'une dispute, mais simplement de l'état dans lequel B______ laissait l'endroit où il vivait. Sa déclaration concernant sa volonté de « casser toutes les affaires » de B______ avec un marteau était une « manière de parler ». En réalité, elle ne s'en prenait pas à ses affaires, alors que de son côté, il avait détruit plusieurs des siennes. Elle lui demandait de quitter son domicile et lorsqu'il le faisait, il revenait au bout de quelque temps et c'était une situation qu’elle ne supportait plus. Elle ne l'avait pas fait en vue de cette audience, mais elle pourrait également produire plusieurs certificats médicaux, certains remontant à plusieurs années, qui auraient attesté des blessures qu'il lui avait occasionnées. Elle n'avait pas les moyens de se payer un hébergement temporaire.

c. Egalement entendu lors de cette audience, B______ a déclaré qu’il connaissait A______ depuis 2007. Il avait constaté au bout de quelques mois sa dépendance à l'alcool. Ils s’étaient séparés à trois reprises et il était revenu chez elle en 2014. Ses problèmes d'alcool subsistaient toujours et elle avait un certain nombre d'amies également dépendantes. Cela expliquait son refus qu'elles viennent à la maison. Cela arrivait malgré tout de temps en temps pendant son absence, et laissait l'appartement en désordre. Ils n'avaient pas du tout la même manière de voir les choses en ce qui concernait les pigeons. S'agissant de sa menace à l'aide d'un couteau, cela arrivait de manière récurrente. B______ a montré au tribunal, sur son téléphone, une vidéo qui datait du 22 septembre 2022, dans laquelle on voyait A______ en train de tenir un couteau dans une autre pièce que la cuisine, couteau qu’il lui avait fait lâcher vers la fin de la vidéo. B______ a également produit des documents concernant l'agression dont il avait été l'objet le 26 décembre 2021. Il s'agissait d'une photographie de son cuir chevelu prise aux HUG montrant une plaie qui avait fait l'objet d'un constat médical du 27 décembre 2021, notant que la blessure avait été occasionnée selon le patient par une tasse à café dont s'était servie sa compagne. Le constat médical faisait également état d’agressions verbales, de coups de pieds, d’étranglement dont il disait avoir encore été victime à cette occasion, ainsi que du fait que sa compagne aurait jeté ses affaires et sa trottinette par le balcon.

B______ a ajouté être à nouveau parti de leur foyer en été 2022 et revenu environ un mois et demi plus tard, parce qu’il avait la crédulité de la croire lorsqu'elle lui disait qu’ils pouvaient se réconcilier.

Il a précisé qu’A______ était revenue dans leur logement le jour même de la mesure d'éloignement et qu'elle y séjournait depuis lors. Sur question du tribunal, cette cohabitation s'était bien passée dans la mesure où deux débuts de dispute avaient rapidement pris fin lorsqu’il avait dit à A______ que si elle ne se calmait pas, il appellerait la police.

A______ a confirmé ces derniers propos et a expliqué que la situation était assez calme car elle devait adopter l'attitude que souhaitait B______ et elle n'avait désormais plus aucun droit dans son propre logement.

C. a. Par jugement du 20 mai 2024, le TAPI a rejeté l’opposition.

L’autorité intimée avait correctement évalué le danger qu’A______ pouvait représenter pour B______. La décision litigieuse apparaissait fondée, et était proportionnée, n’ayant été prononcée que pour dix jours, soit le minimum prévu par la loi. En particulier, nonobstant ses dénégations, il apparaissait vraisemblable qu’A______ avait menacé B______ avec un couteau dans la mesure où la vidéo montrée en audience datée de 2022 la montrait également tenant un couteau à la main lors d’une dispute.

D'autres violences avaient vraisemblablement eu lieu par le passé, comme l'indiquaient les documents relatifs à la blessure subie par B______ le 26 décembre 2021. Ce dernier avait indiqué à cette occasion que la précitée avait jeté certaines de ses affaires par la fenêtre. C’était ce qui s'était (à nouveau) passé le 9 mai 2024. Le TAPI a encore relevé les propos menaçants tenus par A______ lors de son audition par la police, s'agissant du fait qu'elle allait retourner chez elle et casser « au marteau » les affaires de B______. Même en admettant qu'il s'agisse là d'une « manière de parler », comme l'avait expliqué A______, cela démontrait que cette dernière n'était pas en mesure de maîtriser sa violence verbale, même devant des policiers. Enfin, même si A______ considérait devoir se plier aux règles de B______ depuis qu'elle était retournée à leur domicile, il n'en demeurait pas moins que la possibilité pour ce dernier d'évoquer une nouvelle intervention policière semblait avoir suffi jusqu'ici pour empêcher de nouveaux actes de violences, signe que les débordements de ce type provenaient d’A______ plutôt que de B______. In fine, le TAPI a relevé la très grande difficulté à cohabiter des parties depuis déjà de nombreuses années, qui semblait atteindre aujourd'hui un nouveau degré de pénibilité.

D. a. Par acte posté le 19 juin 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et au constat que la mesure d’éloignement prononcée le 10 mai 2024 n’était pas justifiée.

Son droit d’être entendue avait été violé. Le jugement avait retenu à tort le contenu d’une vidéo à son encontre, alors qu’elle n’y avait pas eu accès. Cette vidéo avait été montrée rapidement et de loin en audience le 17 mai 2024, sans être transmise au tribunal. À la distance à laquelle les intervenants se trouvaient, il était impossible d’avoir une vue détaillée de l’enregistrement.

L’action en cessation de trouble intentée auprès du TPI avait été écartée de la procédure sans raison. Elle démontrait pourtant que B______ était à l’origine de leurs problèmes. Elle vivait dans la crainte d’autres mesures d’éloignement et B______ refusait de quitter le logement. Or, elle disposait d’un jugement du TPI du 2 mai 2024 (JTPI/5410/2024) condamnant son concubin à évacuer de sa personne et de ses biens le logement dont elle était titulaire du bail et l’autorisant à faire appel à la force publique en cas d’inexécution. Plusieurs allégations de B______ étaient contestées, notamment celles en lien avec les travaux réalisés dans le logement, leur situation personnelle ou encore sa consommation d’alcool. La mesure d’éloignement avait été faussement accordée à B______. Elle était une victime. Les propos de son concubin représentaient une mesure de rétorsion à son encontre en raison de son action civile en cessation de trouble.

b. Le 29 juillet 2024, le commissaire de police a indiqué s’en remettre à justice. La mesure contestée était échue depuis le 20 mai 2024 et n’avait fait l’objet d’aucune prolongation.

c. Le 13 août 2024, la recourante a indiqué n’avoir aucune remarque complémentaire ni réplique à formuler.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.1 À teneur de l'art. 60 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/1078/2024 du 10 septembre 2024 consid. 2.1 ; ATA/577/2014 du 29 juillet 2014 consid. 5a ; ATA/790/2012 du 20 novembre 2012).

1.2 Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3). Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3 ; 135 I 79 consid. 1). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009) ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_194/2011 du 8 février 2012 consid. 2.2) ou déclaré irrecevable (ATF 118 Ia 46 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3).

Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b). Il faut en particulier un intérêt public – voire privé – justifiant que la question litigieuse soit tranchée, en raison de l'importance de celle-ci (ATF 135 I 79 consid. 1.1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; 127 I 164 consid. 1a).

1.3 En l'espèce, la mesure d'éloignement est entièrement exécutée, étant arrivée à échéance il y a plusieurs mois. Elle n’a pas été prolongée. La question se pose ainsi de savoir si la recourante conserve un intérêt actuel digne de protection à ce que le dispositif du jugement attaqué soit annulé.

Or, les questions litigieuses revêtent dans le présent cas une certaine importance, et il ne peut en l'état pas être exclu qu'une procédure administrative au sens de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 (LVD - F 1 30) soit ultérieurement à nouveau intentée par l'un des concubins, ceux-ci vivant, à teneur du dossier, toujours dans le même logement. Indépendamment du jugement du TPI obtenu le 2 mai 2024, la recourante conserve un intérêt personnel digne de protection à ce que le dispositif du jugement attaqué soit annulé, étant rappelé que la durée d'une mesure d'éloignement administratif ne peut excéder trente jours, si bien qu'un recours à la chambre administrative intervient généralement toujours lorsque la mesure n'est plus en vigueur. Sous cet angle, le recours est donc recevable.

2.             Dans un premier grief, la recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue, reprochant au TAPI d’avoir tenu compte du contenu d’une vidéo présentée par son concubin lors de l’audience du 17 mai 2024, vidéo à laquelle elle n’avait pas eu accès.

2.1 Tel que garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), qui n'a pas de portée différente dans ce contexte, le droit d'être entendu comprend, notamment, le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3 ; 137 I 195 consid. 2.3.1 ; 136 I 265 consid. 3.2 ; 135 II 286 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_123/2013 du 10 juin 2013 consid. 1.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas l'autorité de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_799/2011 du 20 juin 2012 consid. 6.1 ; 4A_108/2012 du 11 juin 2012 consid. 3.2 ; 2D_2/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3).

2.2 En l'espèce, la recourante était présente et assistée par son avocat à l’audience devant le TAPI. À teneur du procès-verbal d’audience, elle n’a donné aucune explication en lien avec l'épisode concerné par cette vidéo, ne s’est aucunement opposée à ce qu'elle soit visionnée par le TAPI, n’a pas demandé à pouvoir elle‑même la visionner à cette occasion et n'a pas requis qu’elle soit produite ou au contraire écartée du dossier, que ce soit lors de l’audience elle-même, lors de la lecture du procès-verbal ou à l’issue de l’audience. En outre, toujours selon le procès-verbal d’audience, le TAPI a expliqué et dicté au procès-verbal le contenu des images visionnées, sans que la recourante ne se manifeste d’une quelconque manière à cet égard.

À cela s'ajoute que la vidéo litigieuse ne constitue que l'un des nombreux éléments de preuve pris en considération par le TAPI dans son analyse de la situation. La mesure contestée ne concernant au demeurant pas l'épisode illustré par cette vidéo, le TAPI n'en a tenu compte qu'au titre d'indice supplémentaire étayant le recours par la recourante d’objets tranchants pour menacer son concubin lors de disputes.

Dans ces conditions, le grief de violation du droit d’être entendue de la recourante sera écarté.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé du jugement du TAPI confirmant la décision du commissaire de police du 10 mai 2024 d'éloigner la recourante pendant dix jours, au sens de l'art. 8 LVD.

3.1 Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limite à la violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ainsi qu'à la constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Elle ne peut ainsi pas revoir l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), ce qui n'est pas le cas de la chambre administrative, contrairement au TAPI (art. 11 al. 3 LVD).

3.2 Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

3.3 La LVD a été adoptée notamment pour régler les situations dans lesquelles une intervention instantanée est nécessaire, avant le prononcé de mesures superprovisionnelles en matière matrimoniale ou protectrices de l'union conjugale, et alors que l'art. 28b du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) n'existait pas encore (MGC 2004-2005/IV A 2128 ss).

La violence domestique peut prendre différentes formes : la violence physique désigne l'atteinte à l'intégrité corporelle qui se manifeste par des actes tels que battre, frapper, empoigner, étouffer, blesser avec un couteau ou une arme, brûler, séquestrer ou mordre. Le fait de tenter de commettre de tels actes entre également dans la définition de la violence physique. La violence sexuelle regroupe les atteintes ou tentatives d'atteintes à l'intégrité sexuelle par l'imposition des désirs sexuels à un tiers. Elle inclut le harcèlement sexuel et l'exploitation sexuelle. La violence psychologique touche à l'estime de soi, la confiance en soi et l'identité personnelle. Elle comprend tant la violence verbale (cris et injures) que des comportements ayant pour fonction de rabaisser la victime tels qu'humiliation et dénigrement, ou de l'intimider, comme les menaces, les contraintes, l'endommagement d'objets ou l'acharnement sur les animaux de compagnie. La violence économique engendre la dépendance économique de la victime. L'auteur s'approprie l'argent de son partenaire, ou ne contribue pas selon ses ressources aux dépenses du ménage, ou encore empêche son partenaire de suivre une activité professionnelle (MGC 2004-2005/IV A 2116 s.).

Les violences domestiques englobent ainsi un ensemble d'actes et de comportements, y compris des omissions, comme l'absence d'intervention envers une personne âgée. Ces actes peuvent être commis une seule fois, se produire selon un schéma répétitif ou être perpétrés de manière croissante ou cyclique sur une période de plusieurs mois ou plusieurs années. Les violences domestiques peuvent changer de forme au fil du temps (MGC 2004-2005/IV A 2117).

3.4 Selon l’art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d’éloignement à l’encontre de l’auteur présumé d’actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes. Selon l’al. 2 de la même disposition, une mesure d’éloignement consiste à interdire à l’auteur présumé de (a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ou (b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes. Selon l’al. 3, la mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus.

3.5 La chambre de céans a déjà admis que la police devait prendre toute mesure pour protéger l’un de l’autre, les époux se trouvant dans un conflit délétère qui avait connu un épisode d’injures, d’enfermement quelques minutes dans la salle de bains, suivi de cris et pouvait attribuer à l’épouse l’appartement commun dont l’époux était le seul titulaire du bail, quand bien même l’épouse avait suspendu sa plainte pénale, dès lors, dès lors qu’il existait, à la date du jugement querellé, des indices sérieux de commission par le recourant d'actes de violence domestique, à tout le moins verbale, psychologique et physique et quand bien même l’épouse semblait tenir sa part de responsabilité dans les disputes du couple (ATA/1127/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8).

La chambre de céans a également confirmé une mesure d’éloignement en présence d’une situation délétère établie par des accusations de violences verbales, physiques ou psychologiques, la reconnaissance par l’auteur de hurlements et d’injures et l’existence d’un antécédent de main courante à la police, ainsi que la prise en compte de la détérioration de l’état de santé psychique du recourant. Au moment du jugement du TAPI, des indices sérieux de commission par le recourant d’actes de violence domestique, à tout le moins verbale et psychologique à l’encontre de son épouse existaient (ATA/619/2020 du 23 juin 2020 consid. 8).

3.6 En l'espèce, les déclarations du concubin tenues devant la police et devant le TAPI au sujet des événements du 10 mai 2024 sont circonstanciées et globalement crédibles. Elles ont du reste pour partie été admises par la recourante, qui a notamment admis devant la police avoir brisé des objets et en avoir jeté d'autres par la fenêtre. Elle a certes contesté devant la police avoir saisi un couteau mais a admis devant le TAPI l'avoir fait à la fin de la dispute, prétendant de manière peu crédible qu'elle aurait subitement éprouvé le besoin de se préparer quelque chose à manger. Le fait, non contesté, qu'elle ait été sous l'effet de la boisson au moment des faits, outre qu'il contribue à expliquer son comportement, conduit par ailleurs à prendre ses dénégations avec une certaine prudence. D'autres violences ont vraisemblablement eu lieu par le passé. Les propos menaçants tenus par la recourante à l'encontre de son concubin devant la police (« casser toutes ses affaires avec un marteau »), démontrent qu'elle ne maîtrisait pas sa violence, à tout le moins verbale. De la même manière, la vidéo concernant un autre épisode de menace daté de septembre 2022, visionnée par le TAPI au cours de l’audience du 17 mai 2024 et résumée au procès-verbal, sans que la recourante ni son conseil ne s'y opposent, ne fait qu'étayer la propension de la recourante à menacer son concubin lors de disputes, notamment au moyen d'objets tranchants, et conserve ainsi une valeur d'indice, quand bien même elle ne reflète pas le déroulement intégral des faits remontant à 2022 (sur lesquels la mesure ne se fonde d'ailleurs pas).

Il existait ainsi, à la date du jugement querellé, des indices sérieux de menaces et d'actes de violence par la recourante à l'encontre de son concubin, étant rappelé que la chambre administrative ne doit se pencher que sur la situation qui prévalait au moment où le TAPI a rendu son jugement. Au vu de ce qui précède, le TAPI était fondé à retenir un risque de réitération d'actes de violence domestique.

Au surplus, même en prenant en compte les déclarations de la recourante, il est indéniable qu'il régnait au sein du couple un climat délétère, empreint de violence, à tout le moins verbale et de menaces et ce quand bien même le concubin, à teneur des auditions, semble aussi porter une part de responsabilité dans les disputes du couple. Cela étant, la recourante n'a de son côté pas produit de pièces rendant davantage vraisemblables ses dénégations et positions (certificats médicaux la concernant par exemple).

Par ailleurs, si certes le dispositif du jugement du TPI du 2 mai 2024, condamnant B______ à évacuer le logement dont la recourante est titulaire du bail, autorise cette dernière à faire appel à la force publique en cas d'inexécution (ch. 3), ce jugement n'est pas pertinent dans le cadre de la présente procédure, qui porte uniquement sur le bien-fondé du jugement du TAPI, confirmant la décision du commissaire d'éloigner la recourante pendant dix jours, au sens de l'art. 8 LVD. Au surplus, la chambre de céans constate qu’à teneur du dossier, la recourante n’a pas fait usage du droit qui est le sien au plan civil.

Enfin, d'après la recourante, le sens et le but de la LVD ont été détournés par son concubin, qui aurait utilisé la procédure d'éloignement à son encontre au titre de mesure de rétorsion en raison du jugement du TPI précité. Ce grief – si tant est qu'il soit pertinent, ce dont on peut douter – tombe à faux. En effet, les mesures sollicitées avaient pour but de protéger son concubin d'actes de violence de la recourante dans l'immédiat et pour un temps limité. Il était justifié, dans les circonstances du cas d’espèce, d’éloigner momentanément un des deux conjoints en proie à des querelles devenues apparemment régulières et susceptibles de trouver une issue dommageable pour chacun d’eux. C’est ainsi à juste titre que le TAPI a confirmé la mesure prononcée par la police et c’est aussi à juste titre que celle-ci avait pour objet le logement alors occupé par le couple, quand bien même le bail est au seul nom de la recourante.

Quant à la proportionnalité de la mesure, on doit retenir qu'aucune autre mesure administrative n'entrait en ligne de compte pour parvenir au même résultat.

C’est ainsi de manière conforme au droit que la mesure d’éloignement a été prononcée par le commissaire de police le 10 mai 2024 et que le TAPI l’a confirmée.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Malgré l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 juin 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 mai 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portés dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christophe ZERMATTEN, avocat de la recourante, au commissaire de police, à B______, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :