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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/588/2023

ATA/1322/2024 du 12.11.2024 sur JTAPI/1118/2023 ( PE ) , REJETE

Recours TF déposé le 07.01.2025, 2C_13/2025
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/588/2023-PE ATA/1322/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 novembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Lida LAVI, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 octobre 2023 (JTAPI/1118/2023)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1991, est ressortissante russe. Avant sa venue en Suisse, elle vivait à Moscou.

b. Le 3 octobre 2019, elle a obtenu un permis de séjour pour études délivré par l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

c. Le 9 août 2021, elle s'est vu délivrer une autorisation de séjour de courte durée, en qualité de stagiaire auprès de B______, en vertu de l'art. 42 al. 3 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), valable jusqu'au 30 juin 2022.

d. Le 29 juin 2022, B______ a déposé une requête auprès de l'OCPM en faveur de A______ en vue de l'exercice d'une activité lucrative salariée.

e. L'office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a rendu une décision préalable négative le 3 août 2022. L'ordre de priorité de l'art. 21 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n'avait pas été respecté. Il n'avait pas été démontré qu'aucun travailleur suisse ou ressortissant d'un pays de l'UE ou de l’AELE n'avait pu être trouvé.

f. Le 26 août 2022, l'intéressée a déposé une demande d'autorisation de séjour provisoire pour une durée de six mois, fondée sur l'art. 21 al. 3 LEI ainsi qu'une demande d'autorisation de séjour pour cas de rigueur au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI.

g. Le 12 octobre 2022, l'OCPM a refusé la demande d'autorisation de séjour provisoire pour une durée de six mois, fondée sur l'art. 21 al. 3 LEI, car l'école CREA n'était pas une haute école suisse.

h. Par courrier du 28 novembre 2022, l'OCPM l’a informée de son intention de refus de donner suite à sa demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur.

i. Se déterminant à cet égard, l'intéressée a notamment expliqué qu'elle ne pouvait plus exercer son métier de journaliste en Russie. Les journalistes opposés, comme elle, à la guerre, y risquaient leur vie. Elle a produit un chargé de pièces dont un courrier rédigé par ses soins faisant état de sa profonde détresse et des difficultés d'exercer le métier de journaliste en Russie ainsi qu'un écrit de ses parents témoignant des difficultés de vie dans leur pays.

j. Par décision du 17 janvier 2023, l'OCPM a refusé l'octroi d'une autorisation de séjour, a prononcé le renvoi de A______ de Suisse et lui a imparti un délai au 19 février 2023 pour quitter le territoire helvétique.

Les conditions d'octroi d'une autorisation de séjour fondées sur les art. 18, 21 al. 3 et 30 al. 1 let. b et 31 OASA n'étaient pas satisfaites. L’intéressée ne pouvait pas se prévaloir d'une intégration si remarquable qu'un renvoi en Russie la mettrait dans une situation de rigueur. Le fait qu'elle ait entamé et achevé avec succès des études en Suisse n'était pas un élément permettant de constater, à lui seul, l'existence d'un cas de rigueur, dans la mesure où elle était déjà titulaire d'une carte de presse pour l'année 2019 en Russie et qu'il était connu depuis longtemps qu'exercer le métier de journaliste en Russie était plus compliqué qu'en Suisse. Elle avait donc choisi sa carrière professionnelle en toute connaissance de cause et exerçait ainsi déjà ce métier dans son pays d'origine, avant sa venue en Suisse. Enfin, l'exécution de son renvoi apparaissait possible, licite et raisonnablement exigible.

B. a. Par acte du 17 février 2023, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a conclu, sur mesures provisionnelles, à être autorisée à demeurer et travailler en Suisse jusqu'à droit connu dans le présent recours et, principalement, à ce qu'il soit constaté qu'elle remplissait les conditions d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur, à ce que l'OCPM se voie enjoint de lui octroyer une telle autorisation et, subsidiairement, d'ordonner à l'OCPM de requérir du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) une admission provisoire en sa faveur. Préalablement, elle a sollicité son audition.

Elle exerçait l'activité de journaliste avant d'arriver en Suisse. Elle ne pouvait plus exercer son métier compte tenu de son engagement politique et de son opposition à la guerre en Ukraine, ce qui constituait un cas de rigueur. Un éventuel retour en Russie mettrait en péril sa vie en tant que journaliste opposée au régime actuellement en place. Son parcours en Suisse était exemplaire. Elle était bien intégrée, avait suivi un cursus universitaire et obtenu un master dans le domaine de la communication, avant d'effectuer un stage auprès de B______. Elle n'avait jamais bénéficié de l'aide sociale, n'avait aucune dette et respectait l'ordre juridique suisse. L'OCPM n'avait pas pris en considération sa grande détresse et les pièces fournies, se contentant d'affirmer qu'il était connu depuis longtemps que l'exercice du métier de journaliste en Russie était plus compliqué qu'en Suisse alors que la situation était particulièrement dangereuse.

b. L'OCPM a conclu au rejet du recours.

La durée du séjour en Suisse de l’intéressée était brève. Elle avait vécu toute sa vie en Russie où elle avait conservé des attaches, notamment familiales. Elle n'avait pas démontré qu'elle serait personnellement visée par des représailles. Si elle craignait d'être exposée à de sérieux préjudices, elle devait faire valoir ses arguments dans le cadre d'une demande d'asile.

c. Dans sa réplique, A______ a rappelé qu'avant sa venue en Suisse en 2019, elle avait quitté son emploi de journaliste, en tant qu'autrice et productrice créative dans une émission scientifique, car le gouvernement utilisait les médias à des fins de propagande. Elle avait des liens très forts avec l'Ukraine, était opposée à la guerre et avait soutenu divers mouvements en ce sens. Elle avait assisté les civils ukrainiens, publié sur les réseaux sociaux des messages contre le gouvernement russe, des déclarations anti-guerre et signé une pétition sur change.org pour mettre fin à la guerre. Une telle position politique entraînait des risques d'être soumis à des poursuites pénales. D'ailleurs, plusieurs journalistes avaient été condamnés à de la prison pour opinion dissidente.

Selon les nouvelles lois en vigueur, elle devait accepter en silence l'annexion de nouveaux territoires par la Russie et soutenir le gouvernement russe. Elle a déposé diverses pièces justificatives prouvant son soutien à l'Ukraine et un courrier soulignant ses difficultés pour trouver un emploi en Russie vu ses opinions politiques. Ses parents avaient été plusieurs fois menacés par des ultra-radicaux patriotes en Russie où les dissidents étaient intimidés, punis et expulsés du pays. Après le début de la guerre, ses proches avaient quitté la Russie, de sorte qu'elle n'y avait plus de liens sociaux. La Russie avait muté vers le conservatisme, la radicalisation et la confrontation avec l'occident. Elle n'avait aucune perspective d'avenir en Russie où elle ne pourrait pas fonder une famille ni travailler dans le domaine acquis en Suisse, soit le marketing et la communication numérique, la structure du secteur des médias ayant changé depuis le début de la guerre. Par ailleurs, les autorités russes avaient ajouté « D______ » sur une liste d'organisations terroristes, ce qui compliquait encore plus ses possibilités de travailler dans le domaine acquis en Suisse.

d. Par jugement du 16 octobre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

La Russie, notamment la région de Moscou où vivait l'intéressée, ne connaissait pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée qui permettrait d'emblée et indépendamment des circonstances du cas d'espèce, de présumer, pour tous les ressortissants du pays, l'existence d'une mise en danger concrète. Les forces russes étaient à l'offensive dans des régions éloignées de la capitale.

Son retour dans son pays d’origine la placerait dans la même situation que ses compatriotes qui devaient faire face à l’insécurité invoquée, soit l'intimidation et la menace d'engagement de poursuites pénales à l'égard des opposants à la guerre en Ukraine. Elle ne faisait valoir aucun élément rendant vraisemblable qu’à son retour en Russie, elle serait concrètement exposée à un danger spécifique pour sa vie ou son intégrité physique ou psychique. Dans la mesure où elle avait quitté son activité de journaliste pour poursuivre des études en Suisse dans un autre domaine, en 2019, soit avant le début de la guerre, il était peu vraisemblable qu'elle subisse les mêmes exactions que ses anciens confrères encore en activité. Elle avait décidé, avant de quitter son pays, de changer d'orientation professionnelle et n'entendait plus pratiquer en qualité de journaliste. Dès lors, ses considérations concernant la persécution et les atteintes à la vie de journalistes en Russie, certes légitimes, étaient dénués de pertinence la concernant. L’intéressée n'avait pas démontré qu'un retour dans son pays la mettrait concrètement en danger.

C. a. Par acte expédié le 19 novembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce jugement, dont elle a demandé l’annulation. Elle a repris ses conclusions de première instance.

Dès lors qu’elle ne pourrait plus exercer son activité de journaliste, sa réintégration sociale et professionnelle était gravement compromise. Vu son soutien au mouvement « X______ », dirigé contre la guerre en Ukraine, elle risquait une répression violente en cas de retour dans son pays d’origine. Elle a repris les arguments déjà exposés au TAPI et rajouté que celui-ci avait violé son droit d’être entendue, en ne prenant pas en considération ses arguments.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, la recourante s’est limitée à persister dans ses conclusions.

d. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 15 février 2024 devant la chambre administrative, la recourante a déclaré qu’elle travaillait toujours pour la société B______ et réalisait un salaire annuel de CHF 70'000.-. Elle disposait de son propre appartement. Elle n'avait pas encore d'assurance-maladie, mais cherchait depuis un certain temps déjà à s’assurer, sa situation administrative compliquant les démarches.

Elle suivait des cours de français deux fois par semaine pendant deux heures. Sur son lieu de travail, tout le monde s'exprimait en anglais. Elle était assistante au département marketing qui s'occupait de la promotion de la société. Elle écrivait du contenu pour des vidéos, des graphiques ou des textes, coordonnait des événements organisés par la société et, s'il y avait des russophones, traduisait en anglais. La société avait beaucoup de clients de l'ex-URSS ainsi que des Ukrainiens. Parlant également ukrainien, elle traduisait de cette langue vers l’anglais pour ses clients. La société était spécialisée dans la cybersécurité ; elle fabriquait des équipements permettant de sécuriser des informations, en recourant à des outils de physique quantique. Avant la guerre d’agression contre l'Ukraine, la société avait un partenaire à Moscou. En raison des sanctions prononcées contre la Russie, elle avait dû mettre un terme à sa collaboration. Les équipements produits auraient pu être considérés comme utiles à des fins militaires.

Après le début de la guerre, plusieurs lois avaient été modifiées en Russie. Du fait qu’elle avait été formée en Suisse, y avait travaillé et vécu, elle serait soupçonnée d'œuvrer pour un État étranger et d'avoir des liens privilégiés avec la Suisse qui pourraient être considérés comme suspects.

Selon la « loi agents étrangers », n'importe quelle influence étrangère sur un citoyen russe qui serait en désaccord avec la politique russe était a priori considéré comme un agent étranger, un peu comme un espion, qui favoriserait la victoire des Ukrainiens. Avec les nouvelles lois en Russie, le simple fait de soutenir l'Ukraine l'exposait à des conséquences pénales. Le seul fait que son employeur travaillait avec des clients ukrainiens pourrait se retourner contre elle. Son désaccord avec la politique russe, notamment son soutien au peuple ukrainien et son lien étroit avec la Suisse étaient susceptibles d'être considérés comme des crimes passibles de peines de prison sévères. Elle avait exprimé dès le début de la guerre son désaccord sur E______. À la suite de cela, son père avait reçu sur C______ un message anonyme lui disant que la position de sa fille était grave, qu'elle devait aller en prison et il a également reçu des insultes pour avoir élevé une traitre.

L'été passé, elle avait établi un tutoriel visant à expliquer le système informatique de la société. Les clients avaient reçu des certificats d'aptitude pour l'utilisation de ce système. Ce certificat indiquait qu’elle les avait formés. Les personnes formées étaient toutes ukrainiennes. Il y avait notamment des scientifiques d'une institution de formation militaire ukrainienne.

Elle n’était rentrée qu’une seule fois en Russie, en février 2020, avant la pandémie.

Elle pratiquait la course à pied, seule ou en groupe, s'intéressait à la culture et à l'art et s’était constitué un cercle d'amis à Genève, notamment des personnes avec qui elle avait étudié à Genève, avec qui elle faisait du sport où qu’elle avait rencontrées lors des cours de français. Son casier judiciaire était vierge, elle n'avait pas de dettes et n’avait jamais recouru à l'aide sociale.

Elle avait une maîtrise en marketing digital et sa spécialisation dans le travail avec les réseaux sociaux avait notamment impliqué l’étude des algorithmes de promotion dans ceux-ci. Au début de la guerre, D______ comme d'autres réseaux sociaux (E______, F______) avaient été considérés comme des organisations terroristes. Ainsi, en qualité de citoyenne russe, elle n'avait pas le droit de promouvoir des services ou des marchandises au travers de ces réseaux sociaux. Le faire revenait à être considérée comme un soutien à un réseau terroriste. Tous ces réseaux étaient bloqués sur le territoire de la fédération de Russie.

Elle était très inquiète et nerveuse. Cette situation durait depuis 18 mois. Les neuf premiers mois, elle n'avait pas pu travailler et était dépourvue de toute ressources. Elle ne savait pas comment elle avait survécu à cela. La situation liée à la guerre l'avait traumatisée. Pour elle, l'Ukraine et la Russie étaient deux pays proches ; elle avait grandi dans les deux. C'était un choc terrible. Ses parents n'avaient pas pu l'aider car le trafic bancaire avait été interrompu. Elle avait eu des soucis de santé liés à son angoisse permanente. Même après avoir commencé à travailler, elle n'avait pas pu accéder à son compte en raison de sa nationalité et de sa situation administrative.

Elle percevait son salaire sur G______ d'où elle ne pouvait toutefois pas payer ses factures avec un QR code. Elle demandait à ses collègues de les régler puis elle les remboursait.

À l’issue de l’audience, la procédure a été suspendue d'un commun accord entre les parties, jusqu’en août 2024.

e. La procédure a été reprise le 23 août 2024.

f. La recourante ne s’est pas manifestée dans le délai imparti au 27 septembre 2024 pour ce faire.

g. L’OCPM a indiqué, dans le délai imparti, ne pas avoir d’observations complémentaires à formuler.

h. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Est litigieux le refus de l’OCPM d’octroyer à la recourante une autorisation de séjour pour cas de rigueur ainsi que son renvoi de Suisse.

2.1 L'art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

2.2 À teneur de l'art. 31 al. 1 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), lors de l'appréciation de l'existence d'un cas d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration de la personne requérante sur la base des critères d'intégration définis à l'art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g).

2.3 L'intégration professionnelle doit être exceptionnelle ; le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ; ou alors son ascension professionnelle est si remarquable qu'elle justifierait une exception aux mesures de limitation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATA/678/2020 du 21 juillet 2020 consid. 5a ; ATA/1694/2019 précité consid. 4b).

2.4 La réintégration sociale dans le pays d'origine doit sembler fortement compromise. La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 précité consid. 5.2).

2.5 La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (ATA/353/2019 du 2 avril 2019 consid. 5d ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 précité consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 précité consid. 4.1).

2.6 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

2.7 Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

2.8 En l’espèce, la recourante est arrivée en Suisse en octobre 2019 pour y suivre une formation en vue de l’obtention d’une maîtrise en marketing numérique. Elle a, après l’obtention de ce diplôme, effectué un stage auprès de la société qui est par la suite devenue son employeur. Durant le stage en question, elle a bénéficié d’une autorisation de séjour de courte durée. Ainsi, la durée de séjour de la recourante en Suisse de cinq ans doit être relativisée au regard du fait que celui-ci était d’emblée censé être uniquement temporaire.

La recourante suit régulièrement des cours de français, n’a pas de dette, ni de condamnation et n’a pas eu recours à l’aide sociale. Elle s’est constitué un cercle d’amis, issus de son activité sportive, de ses études et cours de français. Par ailleurs, elle est financièrement indépendante, réalisant un revenu annuel de CHF 70'000.-. L’ensemble de ces éléments témoignent d’une bonne intégration socio‑professionnelle de la recourante. Son intégration ne peut cependant être qualifiée d’exceptionnelle au sens de la jurisprudence. Par ailleurs, il n’apparaît pas que les compétences acquises en Suisse dans le domaine de la cybersécurité des télécommunications soient si spécifiques qu’elle ne pourrait les utiliser en cas de retour en Russe. La recourante ne soutient, en outre, pas qu’elle aurait tissé à Genève des relations amicales ou affectives d’une intensité telle qu’il ne pourrait être exigé d’elle qu’elle les poursuive, de retour en Russie, par le biais de moyens de télécommunication moderne.

La recourante a vécu en Russie, en tout cas en partie, avant de venir en Suisse. Elle en maîtrise la langue et en connaît les us et coutumes. Ses parents, avec qui elle est restée en contact, y séjournent. Ainsi, la réintégration sociale de la recourante ne devrait pas se heurter à des difficultés particulières. À teneur de son CV, elle a travaillé en Russie dans les médias, comme journaliste et « author/producer » pour la télévision et H______ dans le domaine d’émissions relatives au « healthy lifestyle ». Sa formation complémentaire, son expérience professionnelle et ses connaissances de la langue française acquises en Suisse devraient contribuer à faciliter sa réintégration professionnelle. Ainsi, sa réintégration socio‑professionnelle ne paraît pas compromise.

Au vu de ce qui précède, l’OCPM n’a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que les conditions d’un cas de rigueur ne sont pas remplies en l’espèce.

En tant que la recourante se prévaut d’un risque pour sa sécurité personnelle en cas de retour en Russie, il convient d’examiner ce grief dans le cadre de l’examen de l’exigibilité du renvoi.

3.             Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, toute personne étrangère dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyée. Les autorités cantonales peuvent toutefois proposer au SEM d'admettre provisoirement un étranger si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 et 6 LEI). L'exécution de la décision n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers, est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83 al. 3 LEI).

3.1 L'art. 83 al. 3 LEI vise notamment l'étranger pouvant démontrer qu'il serait exposé à un traitement prohibé par l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ou l'art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (Conv. torture - RS 0.105 ; ATA/801/2018 du 7 août 2018 consid. 10c et l'arrêt cité). L'exécution de la décision ne peut être raisonnablement exigée si le renvoi de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

3.2 Dans un arrêt récent du 22 octobre 2024 (KOBALIYA et autres c. RUSSIE, requête 39446/16), la troisième chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme (CourEDH), saisie par des journalistes et organisations non‑gouvernementales actives, notamment, dans le domaine des médias, a retenu que la loi russe sur les « agents étrangers » était arbitraire et violait les principes de la liberté d'expression, la liberté d'association et de droit au respect de la vie privée et familiale. Les « agents de l'étranger » encouraient le risque d’inspections, d’amendes et des restrictions de leurs activités.

La loi avait élargi la portée des restrictions imposées aux « agents étrangers » en ce qui concernait leur capacité à participer à divers aspects de la vie publique, professionnelle et économique. Tout d'abord, elle avait restreint leur participation politique et civique en leur interdisant d'occuper toute fonction publique, qu'il s'agisse d'un poste élu, nommé ou consultatif, de soutenir tout candidat ou toute campagne et de financer ou d'organiser tout événement public. Deuxièmement, elle imposait des restrictions professionnelles, leur interdisant d'exploiter des infrastructures d'information critiques, d'accéder à des emplois impliquant des secrets d'État, d'enseigner dans des établissements d'enseignement publics et municipaux ou de dispenser un enseignement à des mineurs. Les livres et les publications des « agents étrangers » devaient être vendus dans un emballage opaque portant la mention « 18+ », en raison de l'interdiction de produire des produits d'information pour les mineurs. En plus de l'inéligibilité préexistante au soutien financier de l'État et à d'autres biens, la loi avait exclu les « agents étrangers » de la participation aux marchés publics et introduit une interdiction applicable à toutes les entités relevant de la juridiction russe, tant publiques que privées, de placer de la publicité dans les produits médiatiques créés par des « agents étrangers », tels que leurs chaînes H______.

La législation avait pour but de punir et d'intimider plutôt que de répondre à un besoin allégué de transparence ou à des impératifs légitimes de sécurité nationale. La notion « d'agent étranger », élargie au fil du temps, était floue. Une personne pouvait être désignée comme « agent étranger » en raison d'une « influence étrangère », définie comme toute forme de soutien provenant de l'étranger. Il pouvait s'agir de la tenue d'un compte sur les médias sociaux ou de la contribution à la diffusion d'informations par d'autres personnes. Étant donné que la désignation d'un « agent étranger » n'exigeait pas la preuve d'actions entreprises dans l'intérêt d'entités étrangères, elle ne pouvait pas être considérée comme nécessaire pour atteindre l'objectif déclaré de renforcer la sécurité nationale ou d'accroître la transparence. La désignation d’une personne comme « agent étranger » était trompeuse, car elle donnait l'impression erronée que ces personnes agissaient dans l'intérêt d'une entité étrangère.

3.3 La situation du respect des droits de l’homme en Russie s’est dégradée ces deux dernières années, comme le relève Human Rights Watch, en se référant notamment au rapport établi récemment par la Rapporteure spéciale nommée par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (https://www.hrw.org/news/2024/10/07/un-human-rights-council-should-renew-expert-monitor-russia consulté le 29 octobre 2024).

3.4 En l’espèce, la recourante ne rend pas vraisemblable qu’elle aurait fait l’objet de menaces ou d’actes d’intimidation concrets de la part de son pays d’origine. Elle fonde ses craintes surtout sur les différentes lois adoptées ces dernières années par la Russie, par lesquelles la collaboration d’un citoyen russe avec un État ou une société étrangère est susceptible de l’exposer à des atteintes à sa liberté personnelle ou à un droit fondamental. L’arrêt de la CourEDH précité relève le flou qui entoure la notion d’« agent étranger » dans la loi sur les agents de l’étranger. Toutefois, cette loi vise surtout les journalistes, les médias et les organisations de défense des droits de l'homme et les médias critiques du pouvoir.

Or, la recourante, qui a exercé jusqu’en 2019 des activités dans les médias, ne travaille plus dans ce domaine. À teneur de son CV, elle travaillait, en dernier lieu, dans le domaine du « healthy lifestyle » et non le domaine politique ou des droits de l’Homme. Son activité actuelle visant la cryptosécurité dans la communication ne présente pas non plus de lien avec l’activité politique ou la défense des droits de l’Homme. Faute de disposer d’éléments plus concrets, rendant l’inverse vraisemblable, il ne peut être retenu que la recourante, qui n’allègue pas souhaiter à nouveau exercer une activité journalistique, entrerait dans le champ d’application de la loi sur les « agents étrangers ».

En l’absence d’indices réels et concrets rendant vraisemblable que la recourante pourrait tomber sous le coup de cette loi et en subir des conséquences pour sa liberté ou son intégrité physique, elle ne remplit pas les conditions rendant son renvoi de Suisse inexigible ou illicite.

En conclusion, l’OCPM n’a pas violé non plus la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en ordonnant son renvoi.

4.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 novembre 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lida LAVI, avocate de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.