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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1496/2024

ATA/1309/2024 du 11.11.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : ÉPIDÉMIE;VIRUS(MALADIE);LOI COVID-19;CAS DE RIGUEUR;AIDE FINANCIÈRE;RESTITUTION(EN GÉNÉRAL);CHIFFRE D'AFFAIRES;COMPTABILITÉ;ANNEXE(COMPTE DE PROFITS ET PERTES);BILAN(EN GÉNÉRAL);ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : Cst.29.al2; LPA.61; Covid-19.12; Ordonnance COVID-19.5.al1; Ordonnance COVID-19.8a.al1; Ordonnance COVID-19.8d.al1; Ordonnance COVID-19.3.al3; aLAFE-2021.1.al1; LAFE-2021.1.al1; LAFE-2021.1.al2; LAFE-2021.3; LAFE-2021.4.al1; LAFE-2021.7; LAFE-2021.8; LAFE-2021.9.al1.leta; LAFE-2021.10.al1; LAFE-2021.17.al1; LAFE-2021.17.al2; RAFE-2021.8.al1; RAFE-2021.9.al1; RAFE-2021.10; RAFE-2021.14; RAFE-2021.15; RAFE-2021.24.al1.letb; RAFE-2021.25; RAFE-2021.29.al1; RAFE-2021.29.al3; CO.957a; CO.957A.al1; CO.958.al2; CO.959b; CO.727.al1; Cst.8; aLAFE-2021.23; LAFE-2021.24; LIFD.58.al1.letb; LIFD.58.al1.letC
Résumé : Recours d'une société contre une décision de restitution de l'aide financière qui lui a été octroyée dans le contexte de la pandémie de Covid 19. Dans ses comptes pour l'année 2020, la fiduciaire de la contribuable a indiqué un montant représentant un correctif relatif à l'exercice précédent. Dès lors que la recourante a transmis ses comptes annuels audités, présumés exacts, à l'intimé et aux autorités fiscales, il ne lui est pas loisible, pour des raisons de bonne foi, de sécurité juridique et d'égalité de traitement notamment, de les modifier a posteriori quand bien même elle estime que la méthode choisie par le département pour calculer son chiffre d'affaires ne convient pas. De plus, la prise en consiération de ce montant pour l'année en question tient compte au mieux de la situation financière réelle de l'entreprise. L'autorité était par conséquent fondée à réclamer à la recourante le montant perçu indûment. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1496/2024-EXPLOI ATA/1309/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 novembre 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl recourante

contre

OFFICE CANTONAL DE L’ÉCONOMIE ET DE L’INNOVATION intimé
représenté par Me David HOFMANN, avocat



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______ ou la société), inscrite le 3 décembre 2018 au registre du commerce du canton de Genève (ci-après : RC), a pour but tous les services dans le domaine immobilier, en particulier l’étude, le pilotage, le courtage, l’intermédiation, la gestion, l’administration et la promotion immobilière (achat, vente), en Suisse et à l’étranger, ainsi que toutes activités de conseil financier et apporteur d’affaires.

Jusqu’au 12 octobre 2020, A______ avait comme raison sociale B______ Sàrl.

b. Le 7 septembre 2021, la société a présenté une demande d’aide « pour cas de rigueur » dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

c. Par décision du 22 octobre 2021, la conseillère d’État en charge du département du développement économique, devenu depuis lors le département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : le département), a accordé à la société une aide financière de CHF 28'426.30. Ce montant tenait compte d’un chiffre d’affaires de CHF 201'353.- pour 2019 et, pour l’année 2020, d’un chiffre d’affaires de CHF 76'464.-, de coûts totaux de CHF 209'412.- et de coûts fixes de CHF 42'511.80.

Avec ce versement, A______ avait atteint un des plafonds de l’aide « cas de rigueur » et, de ce fait, ne pouvait prétendre à une aide complémentaire pour la période du 1er janvier au 30 juin 2021.

d. Par décision du 14 avril 2022, le département a accordé à A______ une aide complémentaire d’un montant de CHF 14'085.50 en raison du rehaussement des plafonds maximum d’aide. Avec cette aide financière complémentaire, la société avait épuisé son droit aux mesures d’aide. Elle ne pouvait prétendre à une nouvelle indemnisation pour l’année 2021.

e. Le 18 mai 2022, la société a présenté une demande d’aide « pour cas de rigueur » 2022 dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

f. Par décision du 20 septembre 2022, le département a accordé à A______ une aide financière « cas de rigueur » de CHF 9'176.20. Ce montant tenait compte d’un chiffre d’affaires de CHF 24'750.-, de coûts ayant une incidence sur les liquidités de CHF 34'329.- et de coûts fixes de CHF 9'176.20 sur la période du 1er janvier au 31 mars 2022.

B. a. Par décision du 14 décembre 2023, la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (ci-après : la direction générale) du département a sollicité d’A______ la restitution d’un montant de CHF 42'511.80 (CHF 28'426.30 + CHF 14'085.50).

Sur la base de ses états financiers 2020 définitifs remis à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), son chiffre d’affaires s’élevait à CHF 181'424.69, alors que celui retenu dans la décision du 22 octobre 2021 s’élevait à CHF 76'464.‑. Pour parvenir à ce montant, le département avait retenu les postes « chiffres d’affaires » (CHF 81'218.45), « ./. TVA » (- CHF 4'791.89) et « correction exercice précédent (net TVA) » (CHF 85'509.61). Il en allait de même pour le chiffre d’affaires 2019, qui – sur la base des comptes de 2019 transmis à l’AFC-GE – s’élevait à CHF 0.-, alors que celui retenu dans la décision s’élevait à CHF 80'000.‑.

Le département avait également procédé à des modifications des coûts totaux 2020 qui s’élevaient finalement à CHF 228'863.68, alors que ceux retenus s’élevaient à CHF 209'412.-. Il en allait de même pour les coûts fixes 2020 qui s’élevaient finalement à CHF 39'199.09 (précédemment à hauteur de 42'511.80).

Le département avait également modifié la date de création de la société au 3 décembre 2018, conformément aux informations présentes au RC, alors que la date renseignée était le 16 octobre 2018.

Considérant pour 2019 un chiffre d’affaires revu de CHF 201'352.30 et pour 2020 un chiffre d’affaires revu de CHF 181'424.69, elle ne pouvait pas prétendre à une aide financière pour « perte économique ». En effet, elle n’atteignait pas 25% de recul de chiffres d’affaires (art. 4 al. 1 let. c de la loi 12938 du 30 avril 2021 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 - LAFE-2021 ; art. 14 du règlement d’application de la loi 12938 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021, du 5 mai 2021 - ROLG 2021, p. 283 - RAFE-2021). Le taux calculé aboutissait à un recul du chiffre d’affaires de 1.26% (précédemment à hauteur de 46.20%).

Considérant une période d’activité de 25 mois à compter de la date d’inscription au RC (décembre 2018 à décembre 2020), le chiffre d’affaires de référence et le taux de recul du chiffre d’affaires se calculaient comme suit :

Chiffre d’affaires cumulé de décembre 2018 à décembre 2020 (25 mois) : CHF 201'352.30 + CHF 181'424.69 = CHF 382'776.99 ;

Chiffre d’affaires de référence annualisé : (CHF 382'776.99 : 25 mois) x 12 mois = CHF 183'732.96.

Taux de recul du chiffre d’affaires : (chiffre d’affaires 2020 : chiffre d’affaires de référence annualisé) – 1 : CHF 181'424.69 : CHF 183'732.96 – 1 = - 1.26%.

Ne pouvant plus prétendre à une indemnisation au titre de « cas de rigueur » en raison du recul du chiffre d’affaires insuffisant, les aides financières de CHF 28'426.30 et CHF 14'085.50 devaient être restituées.

b. Le 9 janvier 2024, A______ a formé une réclamation auprès du département.

Le chiffre de CHF 85'509.61 correspondait à un produit 2019, mais il avait été comptabilisé en 2020, sous la rubrique « correction exercice précédent (net TVA) ». Le chiffre d’affaires déclaré pour l’année 2019 à l’AFC-GE n’était pas de CHF 0.- mais de CHF 201'331.40, puisque cette dernière avait retenu le résultat comptable (perte de CHF 17'929.45 due principalement aux salaires versés) tel qu’il figurait dans les comptes 2019 (effectivement montant taxable : CHF 0.-).

Le chiffre d’affaires cumulé de décembre 2018 à décembre 2020 s’élevait à CHF 363'288.47, ce qui donnait un chiffre d’affaires annualisé moyen de CHF 174'378.47. Le taux de recul du chiffre d’affaires était de 43.83%.

c. Par décision du 3 avril 2024, l’office cantonal de l’économie et de l’emploi (ci‑après : l’office) a rejeté la réclamation.

Selon la législation applicable, l’indemnisation pour les cas de rigueur visait à couvrir les coûts fixes que les revenus de l’entreprise n’avaient pas pu couvrir. Vu ce but, la législation genevoise ne faisait aucune différence entre les divers postes des recettes/produits.

Le chiffre d’affaires était défini comme les produits nets des ventes de biens et de prestations de service + les produits hors exploitation + les produits financiers + le cas échéant, les produits exceptionnels, uniques ou hors période.

Les recettes d’une entreprise devaient être prises en compte pour déterminer l’aide financière en cas de rigueur à laquelle cette dernière pouvait prétendre.

Le département était donc fondé à retenir la « correction exercice précédent (net TVA) » au titre du chiffre d’affaires pour l’année 2020, afin de déterminer le droit à une aide financière cas de rigueur, dès lors que ce poste figurait dans le compte de pertes et profits de la société.

La décision de taxation de l’exercice 2020 n’avait fait l’objet d’aucune contestation en vue de la correction liée au résultat fiscal et plus précisément au traitement apporté à la « correction exercice précédent (net TVA) ».

La décision du 14 décembre 2023 comprenait effectivement une erreur dans l’explication du chiffre d’affaires 2019 nouvellement revu. Cette erreur de retranscription n’affectait aucunement les calculs qui y étaient présentés, avec les bons montants.

C. a. Par acte du 3 mai 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée concluant à son annulation, au maintien des aides accordées et à ce que le département soit invité à les recalculer en tenant compte que, sur les CHF 85'509.61 hors taxes d’ajustement de l’exercice précédent, CHF 7'617.92 devaient être réaffectés au chiffre d’affaires 2020.

Après un nouveau contrôle, elle avait identifié deux factures se rapportant économiquement à l’exercice 2020, « abaissant » le poste retenu par le département à CHF 77'891.69 hors taxes (CHF 85'509.61 - CHF 7'617.92).

Il convenait de se fonder sur la réalité économique des transactions et non sur les dates des encaissements reçus. Elle ne comprenait donc pas pour quel motif le poste « ajustement exercice précédent » figurant dans les comptes 2020, correspondant à une correction du chiffre d’affaires 2019, devrait être traité différemment de ce qu’il était réellement, soit un produit hors période n’ayant pas de lien avec le résultat d’exploitation de l’année en cours.

Conformément au Manuel suisse d’audit 2023, le chiffre d’affaires devait être rattaché à l’exercice durant lequel la réalisation de la prestation intervenait.

Enfin, compte tenu de l’esprit de la législation applicable en matière de « cas de rigueur » voulant que les aides aient pour but de permettre aux entreprises de couvrir leurs frais fixes alors qu’elles étaient empêchées de réaliser une activité en raison du contexte sanitaire, les produits hors période d’exploitation 2020 devaient être isolés dans l’appréciation et le calcul des aides octroyées.

Elle avait travaillé sur quatre dossiers avec une régie de la place. Une commission en sa faveur lui était due si ces affaires étaient conclues. Ces quatre opérations avaient bien été initiées et conclues en 2019 mais les règlements étaient intervenus en 2020 en raison du Covid-19.

À ce titre, elle se prévalait de quatre factures.

N’étant pas familiarisée avec la notion de délimitation périodique au moment de l’établissement des comptes 2019, elle n’avait pas pensé à demander l’avancement de ces différents dossiers à la régie. Elle n’avait donc pas fait le lien avec les versements intervenus en 2020 lors de l’établissement des comptes 2019. Ce n’était que lors du bouclement de l’exercice 2020, constatant que le chiffre d’affaires excédait largement les affaires réalisées lors de l’exercice considéré, que l’erreur avait été identifiée.

Demander la restitution des aides sans qu’il y ait abus ou de volonté de « tricher » conduirait la société à sa faillite.

b. Le 7 juin 2024, l’office a conclu au rejet du recours.

Selon la jurisprudence, il était en droit se fier à la comptabilité pour statuer sur les aides Covid-19 cas de rigueur. Il pouvait donc retenir que le montant de CHF 85'509.61 figurant dans la comptabilité 2020 visait effectivement l’exercice comptable 2020. Les factures produites étaient datées de 2020. Elles n’indiquaient pas qu’elles concerneraient des prestations qui auraient été effectuées précédemment. A______ n’avait pas démontré avoir accompli des prestations concrètes en 2019 et qui auraient été comptabilisées dans l’exercice comptable 2019. La société admettait que ce n’était que lors des bouclements des comptes 2020 qu’elle s’était rendue compte des recettes supplémentaires. L’office pouvait donc considérer ce poste comme faisant partie des revenus 2020. Les CHF 85'209.61 étaient effectivement des revenus supplémentaires de 2020 qu’il fallait ajouter au chiffre d’affaires 2020 utilisé pour la comparaison avec le chiffre d’affaires de référence.

Les références au Manuel suisse d’audit 2023 détaillaient les règles comptables mais ne contenaient pas d’obligation de sortir une rubrique de 2020 pour la réattribuer à 2019. Les comptes 2020 de la société présentaient une rubrique correspondant à un produit de CHF 85'509.61, si bien qu'il n’avait aucune raison de s’en écarter.

La chambre administrative avait récemment confirmé sa pratique relative à la détermination du chiffre d’affaires. Elle avait validé l’approche visant, pour les entreprises avec un chiffre d’affaires inférieur à CHF 5'000'000.-, à prendre en compte tous les revenus pour payer les charges. En l’occurrence, le montant de CHF 85'509.61 – le résultat ne serait pas différent si le montant de CHF 77'891.- était pris en considération – représentait des revenus encaissés en 2020 par A______. Il s’agissait en effet de revenus servant à payer les charges, si bien qu’ils devaient être intégrés au chiffre d’affaires. C’était donc à juste titre qu'il avait fixé le chiffre d’affaires 2020 à CHF 181'424.69.

c. Le 1er juillet 2024, A______ a répliqué.

Elle développait ses explications concernant les dossiers qui lui ont valu les commissions de courtage.

Il s’agissait d’une erreur de la fiduciaire, laquelle avait été corrigée, et non d’une fraude.

L’associé de la gérante, sur les mêmes affaires que les siennes, payé aux mêmes dates mais ayant comptabilisé des provisions, n’avait rencontré aucun problème.

Elle a produit de nouvelles pièces.

d. Le 19 août 2024, l’office a dupliqué, persistant dans ses conclusions.

Il ne remettait en cause ni la bonne foi de la gérante d’A______ ni les commissions de courtage perçues. Toutefois, conformément à sa pratique relative à la détermination du chiffre d’affaires, il devait, en application des principes de la légalité et d’égalité de traitement, garantir un traitement identique des demandes « Covid-19 cas de rigueur ». De plus, la nouvelle pièce produite confirmait certes la conclusion des contrats de courtage en 2019 mais ne démontrait pas que les prestations avaient été effectuées en totalité en 2019.

e. Le 10 septembre 2024, A______ s’est spontanément déterminée.

Dans la mesure où l’office contestait que ses prestations avaient été effectuées en totalité en 2019, elle demandait l’audition de son partenaire d’affaires ainsi que de son ancien associé.

Sa seule erreur était de ne pas avoir provisionné les commissions en 2019 mais en 2020 quand sa fiduciaire s’était aperçue de cette erreur. La correction comptable reflétait la situation.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante sollicite l’audition d’un partenaire d’affaires et de son ancien associé.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l’issue du litige (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2 ; 141 III 28 consid. 3.2.4). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, la recourante a pu faire valoir devant la chambre de céans tous ses arguments et produire toute pièce utile. Elle n’explique pas quels éléments supplémentaires qu’elle n’aurait pu apporter par écrit l’audition de ces personnes serait susceptible d’apporter. En outre, comme il sera expliqué, tant la question de savoir quand les prestations ont été effectuées que le traitement du cas concernant son associé ne sont pas pertinents pour l’issue du litige.

Au vu de ces éléments, la chambre de céans considère que le dossier est complet et est en état d’être jugé sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’audition de ces personnes. Il n’y sera donc pas donné suite.

3.             L’objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision sur réclamation du 3 avril 2024 confirmant la décision du 14 décembre 2023 qui demande la restitution de l’indemnisation « cas de rigueur » indûment perçue pour l’année 2020 pour un total de CHF 42'511.80.

4.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l’espèce.

5.             La recourante conteste le chiffre d’affaires pour l’année 2020 pris en compte par l’intimé.

5.1 Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d’appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux de droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_37/2020 du 7 septembre 2020 consid. 5.1).

La chambre de céans revoit librement l’interprétation des notions juridiques indéterminées. Si ces notions font appel à des connaissances spécifiques que l’autorité administrative est mieux à même d’apprécier qu’un tribunal, elle s’impose toutefois une certaine retenue. Lorsqu’il résulte de l’interprétation de la loi que le législateur a voulu, par l’utilisation de notions juridiques indéterminées, conférer à l’autorité de décision une marge de manœuvre, elle limite de même son contrôle à l’excès ou à l’abus de ce pouvoir d’appréciation (ATF 132 II 257 consid. 3.2 ; 131 II 13 consid. 3.4 ; ATA/666/2021 du 29 juin 2021 consid. 5c et les arrêts cités).

5.2 Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102).

L’art. 12 de la loi Covid-19, dans sa teneur au 2 septembre 2021 applicable au cas d’espèce, prévoit les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises. À la demande d’un ou de plusieurs cantons, la Confédération peut soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse (entreprises) qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton le 1er octobre 2020, sont particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1). Il y a cas de rigueur au sens de l’al. 1 si le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60% de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération, ainsi que la part des coûts fixes non couverts (al. 1bis).

Se fondant sur l’art. 12 al. 4 de la loi Covid-19, le Conseil fédéral a édicté l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 du 25 novembre 2020 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur ; RS - 951.262). Dans sa teneur au 19 juin 2021, l’entreprise doit prouver au canton que son chiffre d’affaires 2020 est inférieur à 60% du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 (art. 5 al. 1 ordonnance Covid-19 cas de rigueur). Les contributions non remboursables accordées aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel atteint CHF 5'000'000.- au plus s’élèvent au maximum à 20% du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 et au maximum à CHF 1'000'000.- par entreprise (art. 8a al. 1 ordonnance Covid-19 cas de rigueur). Une entreprise ne peut recevoir lesdites aides que dans les limites du plafond correspondant (art. 8d al. 1 ordonnance Covid‑19 cas de rigueur). Le chiffre d’affaires au sens de ladite ordonnance se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante (art. 3 al. 3 ordonnance Covid-19 cas de rigueur).

5.3 Dans le canton de Genève, le Grand Conseil a adopté, le 29 janvier 2021, la loi 12863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci‑après : aLAFE-2021), complétée par son règlement d’application du 3 février 2021, dont le but était notamment de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l’épidémie pour les entreprises sises dans le canton, conformément à la loi et à l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur (art. 1 al. 1 aLAFE-2021).

Ladite loi a été abrogée par la loi 12938 du 30 avril 2021 (LAFE-2021), ayant pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l’épidémie de Covid‑19 pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi Covid-19 et à l’ordonnance Covid‑19 cas de rigueur (art. 1 al. 1 LAFE-2021). Cette aide financière extraordinaire vise à atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités ont été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (art. 1 al. 2 LAFE-2021).

L’art. 3 LAFE-2021 règle les principes d’indemnisation et prévoit que l’aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l’État de Genève destinée à couvrir les coûts fixes non couverts de l’entreprise en application de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur (al. 1). L’activité réelle de l’entreprise est prise en compte dans la détermination de l’indemnité (al. 3). Aux commentaires par article du projet de loi (PL) 12938, il est précisé que la situation financière découlant de l’activité effective de l’entreprise est examinée pour déterminer l’indemnisation (PL 12938, p. 28 https://ge.ch/grandconseil/data/texte/ PL12938.pdf).

L’art. 4 al. 1 LAFE-2021 a trait aux entreprises bénéficiaires, soit notamment celles qui, en raison des mesures prises par la Confédération ou le canton pour endiguer l’épidémie de Covid-19, doivent cesser totalement ou partiellement leur activité selon les dispositions de l’ordonnance Covid-19 (let. a), dont la baisse du chiffre d’affaires enregistré se situe entre 25% et 40% et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes (indemnisation cantonale ; let. c). Dans les deux cas, l’indemnité maximale par entreprise ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- (art. 7 et 8 LAFE‑2021). Selon l’art. 9 al. 1 let. a LAFE-2021, l’État de Genève peut octroyer sans participation financière de la Confédération des aides en faveur des entreprises dont la baisse de CA enregistrée se situe entre 25% et 40% du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019. Cette indemnité cantonale, par entreprise et pour la période du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021 ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20% du chiffre d’affaires (art. 10 al. 1 LAFE-2021).

La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du département (art. 17 al. 1 LAFE-2021). Est indûment perçue la participation financière utilisée à d’autres fins que la couverture des coûts fixes tels que précisés à l'art. 3 (art. 17 al. 2 LAFE-2021).

5.4 Le RAFE-2021 est entré en vigueur le 5 mai 2021. Il a été modifié le 7 juillet 2021 (ROLG 2021, p. 466). Les dispositions pertinentes à la résolution du cas d’espèce n’ont toutefois pas été substantiellement modifiées à cette occasion. Le cas des entreprises avec un chiffre d’affaires moyen 2018-2019 de CHF 5'000'000.- au plus est réglé au chapitre 1 du Titre II du RAFE-2021. Celles dont l’activité était totalement ou partiellement interdite peuvent prétendre à une aide financière si elles avaient dû cesser totalement ou partiellement leur activité pendant au moins 40 jours entre le 1er novembre 2020 et le 30 juin 2021 (art. 8 al. 1 RAFE-2021). Le montant de l’indemnité correspond aux coûts fixes 2020 admis calculés à compter du 1er janvier 2021 au prorata du nombre de jours pendant lesquels l’activité était totalement ou partiellement interdite (art. 9 al. 1 RAFE-2021). L’indemnité maximale par entreprise pour l’année 2021 ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20% du chiffre d’affaires (art. 10 RAFE-2021).

Les entreprises dont la baisse du chiffre d’affaires, calculée sur une période de douze mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, se situe entre 25% et 40% du chiffre d’affaires moyen déterminé selon les modalités de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur peuvent prétendre à l’aide financière cantonale (art. 14 RAFE-2021). Selon l’art. 15 RAFE‑2021, le montant de l’indemnité pour l’année 2020 correspond à la différence entre les coûts totaux, hors impôts et taxes, et le chiffre d’affaires de l’entreprise en 2020 (al. 1). L’indemnité octroyée est versée à titre d’acompte, le montant définitif étant déterminé sur la base d’un examen a posteriori des états financiers de l’entreprise bénéficiaire au 30 juin 2021 (al. 3). L’entreprise bénéficiaire remet au département les états financiers visés à l’al. 3 au moment du dépôt de la demande, si disponibles, mais au plus tard le 31 octobre 2021 (al. 4). En outre, elle doit notamment produire les bilans et comptes de résultats 2018, 2019 et 2020 (art. 24 al. 1 let. b RAFE‑2021). Elle doit collaborer à l’instruction du dossier et renseigner régulièrement le département afin de lui présenter une image fidèle et transparente de la marche de ses affaires (art. 25 RAFE-2021).

Les entreprises doivent porter sans délai à la connaissance du département tout événement qui rendrait exigible le remboursement de l'aide (art. 29 al. 1 RAFE‑2021). Les montants indûment perçus, conformément à l'art. 17 LAFE‑2021 doivent être restitués (art. 29 al. 3 RAFE-2021).

5.5 La comptabilité commerciale des entreprises est indispensable à l’État pour connaître les bases d’imposition et effectuer les taxations appropriées. Parfois, les règles fiscales, qui reflètent les préoccupations de prélèvements publics, divergeront des règles comptables, qui se concentrent sur la gestion de l’entreprise. Des ajustements seront alors nécessaires en fonction du public visé par les états financiers (Rémy BUCHELER, Abrégé de droit comptable, 2015, p. 5 n. 4).

Selon l’art. 957a al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), la comptabilité constitue la base de l’établissement des comptes. Elle enregistre les transactions et les autres faits nécessaires à la présentation du patrimoine, de la situation financière et des résultats de l’entreprise (situation économique).

Les comptes sont présentés dans le rapport de gestion. Ce dernier contient les comptes annuels individuels (comptes annuels) qui se composent du bilan, du compte de résultat et de l’annexe. Les dispositions applicables aux grandes entreprises et aux groupes sont réservées (art. 958 al. 2 CO).

L’art. 959b CO traite de la structure minimale du compte de résultat. Il y est précisé que le compte de résultat reflète les résultats de l’entreprise durant l’exercice. Il peut être établi selon la méthode de l’affectation des charges par nature ou selon la méthode de l’affectation des charges par fonction (al. 1). Que le compte de résultats soit établi par nature ou par fonction, il doit comporter au moins les postes qui sont énoncés aux al. 2 et 3 de cette disposition. Les postes doivent être indiqués séparément et selon une structure précise. Doivent figurer les produits nets des ventes de biens et de prestations de services (al. 2 ch. 1 ; al. 3 ch. 1) et, séparément, notamment les charges et produits financiers (al. 2 ch. 7 ; al. 3 ch. 4) ; les charges et produits hors exploitation (al. 2 ch. 8 ; al. 3 ch. 5), ainsi que les charges et produits exceptionnels, uniques ou hors période (al. 2 ch. 9 ; al. 3 ch. 6).

Les charges et les produits exceptionnels, visés aux al. 2 ch. 9 et 3 ch. 6, se réfèrent à des événements inhabituels, généralement uniques ou qui ne sont pas directement liés à la marche des affaires (Message concernant la révision du code des obligations du 21 décembre 2007, FF 2008 1407, 1526). Compte tenu de ce critère, ce poste comprend à la fois ce qui ne fait pas partie de l’activité ordinaire de l’entreprise et à la fois ce qui ne se produit généralement qu’une fois, même si cela survient dans la sphère des activités ordinaires de l’entreprise (Henry TORRIONE/Aurélien BARAKAT, in Commentaire romand, CO II, 2017, n. 14 ad art. 959b CO).

5.6 La notion de chiffre d’affaires n’est pas définie explicitement par le droit comptable. Cette même notion est utilisée dans le cadre du droit de la révision sans définition législative explicite. Le comité de la conférence suisse des impôts prend en compte les rabais commerciaux, remises et pertes sur débiteurs ainsi que les annulations. Le chiffre d’affaires s’entend hors TVA. Il ne comprend pas uniquement le chiffre d’affaires résultant des ventes et des prestations de services, notion régulièrement mentionnées dans la loi. En effet, les sources de revenus sont bien plus larges. Selon la chambre fiduciaire, « le chiffre d’affaires englobe en principe tous les revenus du compte de résultat. En font partie tous les produits d’exploitation, produits hors exploitation et produits exceptionnels, notamment les produits d’intérêts, de dividendes et de licences. Dans le cas de produits exceptionnels, il convient le cas échéant de procéder à une différenciation ». Tous les revenus tirés par l’entreprise de ses activités, quelles qu’elles soient, sont ainsi pertinents pour l’appréciation de sa situation économique (Rémy BUCHELER, op. cit., p. 56 et 57).

5.7 Les sociétés énumérées à l’art 727 al. 1 CO sont tenues de soumettre leurs comptes annuels et, le cas échéant, leurs comptes consolidés au contrôle ordinaire d’un organe de révision. Sont notamment concernées les sociétés dites d’une certaine importance économique (art. 727 al. 1 ch. 2 CO). Les critères permettant de les identifier sont le total du bilan, le chiffre d’affaires et la moyenne annuelle des emplois à plein temps. Le chiffre d’affaires équivaut au chiffre d’affaires net, c’est-à-dire le chiffre d’affaires brut, soit la somme de l’ensemble des produits, moins les rabais, escomptes et retours. Il sera tenu compte de tous les produits, aussi bien des produits d’exploitation ou financiers que des produits extraordinaires (Henry PETER/Emmanuel GENEQUAND/Francesca CAVADANI, in Commentaire romand, CO II, 2017, n. 22 et 24a ad art. 727 CO).

5.8 Dans un arrêt récent, la chambre de céans a retenu, au sujet de la notion de chiffre d’affaires et de sa détermination, que, vu l’absence de définition de celui-ci dans les lois et ordonnances applicables en matière de Covid‑19, le fait que les aides pour cas de rigueur n’avaient pas pour but de combler les lacunes résultant de débiteurs insolvables d’avant la pandémie, les bases légales applicables à la comptabilité commerciale et la référence à d’autres lois le définissant, l’autorité pouvait, à juste titre, considérer que le chiffre d’affaires résultait de la somme des ventes de biens ou de services d’une entreprise au cours d’un exercice comptable. Dans le cas tranché, où le chiffre d’affaires moyen 2018-2019 de l’entreprise sollicitant l’aide financière était supérieur à CHF 5'000'000.-, l’autorité s’était valablement tenue à l’addition des encaissements, soit aux produits des ventes réalisées par la recourante, sans prendre en compte la variation de la provision pour débiteurs douteux dans son chiffre d’affaires en 2019 ni la provision pour débiteurs douteux et les pertes sur débiteurs en 2020. Cette manière de faire, en ce qu’elle permettait d’identifier les seules pertes en lien avec les mesures adoptées pour lutter contre l’épidémie, n’était pas choquante et permettait d’appréhender l’activité réelle de l’entreprise dans le respect de l’art. 3 al. 3 LAFE‑2021 (ATA/474/2023 du 24 avril 2023 consid. 9).

Ultérieurement, la chambre de céans a retenu, en se fondant sur l’aLAFE-2021, que l’autorité avait valablement relevé que la loi exigeait que deux conditions cumulatives fussent remplies pour percevoir l’aide « cas de rigueur », soit un certain taux de baisse du chiffre d’affaires et l’absence de couverture des coûts fixes de la société. L’abandon de créance de l’actionnaire, reporté dans les comptes définitifs de résultat de la recourante au 31 décembre 2020, lui permettant de générer un bénéfice, devait être pris en compte dans le chiffre d’affaires. La recourante avait d’ailleurs fait l’objet de taxations fiscales communale, cantonale et fédérale sur ledit bénéfice qu’elle n’avait pas contestées. La jurisprudence fédérale retenait également que les prestations des actionnaires à des fins d’assainissement, en particulier les remises de dette, constituaient un rendement (ATA/1073/2023 du 28 septembre 2023 consid. 2.4).

Récemment, la chambre de céans a retenu qu’une entreprise devait se laisser opposer les choix comptables qu’elle avait opérés et ne pouvait de bonne foi contredire les comptes qu’elle avait régulièrement établis, et prétendre que fût qualifié différemment un produit selon qu’elle le présentât au fisc ou à l’autorité à laquelle elle réclamait une subvention. C’était en effet une unique situation économique qu’elle devait en tout temps présenter de manière transparente au département dans le cadre de sa demande d’aide (art. 24 al. 1 let. b et 25 RAFE‑2021; ATA/1076/2023 du 2 octobre 2023 consid. 2.7).

Plus récemment encore, la chambre administrative a estimé qu’il était acceptable que le département inclue dans le chiffre d’affaires la dissolution des provisions. En effet, dans la mesure où la loi ne définissait pas la notion de chiffre d’affaires, le département disposait d’un pouvoir d’appréciation pour le déterminer. Son approche trouvait à ce titre un ancrage juridique et n’était donc pas sans pertinence, dans la mesure où elle était fondée sur les règles relatives aux art. 727 al. 1 ch. 2 CO et 957 al. 2 ch. 1 CO. Quand bien même ces deux dispositions traitaient de cas particuliers, soit la détermination du type de révision et l’allégement de tenir une comptabilité, la définition « élargie » du chiffre d’affaires telle qu’elle en ressortait et telle qu’adoptée par le département permettait d’apprécier au mieux la situation économique de l’entreprise et donc de tenir compte de son activité réelle (art. 3 al. 3 LAFE‑2021). Une telle approche était nécessaire dans cette situation inédite de crise sanitaire et économique, où il ne s’agissait pas de procurer des revenus supplémentaires aux entreprises, mais bien de leur permettre de continuer leur activité et d’éviter leur faillite (ATA/429/2024 du 26 mars 2024 consid. 7 qui fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral). La prise en compte de la dissolution d’une provision dans le calcul du chiffre d’affaires a été encore confirmée dernièrement (ATA/524/2024 du 29 avril 2024 consid. 4.10 qui fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral).

5.9 Le droit fiscal et le droit comptable suisses poursuivent des objectifs différents. Le premier recherche une présentation qui fasse ressortir au mieux le résultat effectif et la réelle capacité contributive de l’entreprise, tandis que le second est avant tout orienté sur la protection des créanciers et fortement marqué par le principe de prudence (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 consid. 8 et les références citées). Dans ce contexte, les règles correctrices fiscales figurant à l’art. 58 al. 1 let. b et c de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) visent à compenser le fait que le résultat comptable puisse s’éloigner de la réalité économique ; elles assurent une imposition du bénéfice qui tienne compte au mieux de la réelle situation patrimoniale d’une société. Par leur intermédiaire, le droit fiscal cherche à se rapprocher d’un système fondé sur le principe de l’image fidèle (ATA/259/2024 du 27 février 2024 consid. 4.7 et l’arrêt cité ; Pierre‑Marie GLAUSER, Apports et impôt sur le bénéfice, vol. 2, 2005, pp. 96-97).

5.10 Un canton est tenu, lorsqu’il octroie des subventions, de se conformer aux principes généraux régissant toute activité administrative, soit notamment le respect de la légalité, de l’égalité de traitement, de la proportionnalité et de la bonne foi ainsi que l’interdiction de l’arbitraire (ATF 138 II 91 consid. 4.2.5 ; ATA/543/2023 du 23 mai 2023 consid. 3.5 et les références citées).

Une décision viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. L’inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. Les situations comparées ne doivent pas nécessairement être identiques en tous points, mais leur similitude doit être établie en ce qui concerne les éléments de fait pertinents pour la décision à prendre (ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; 144 I 113 consid. 5.1.1).

Le fait même qu’une loi, au moins au sens matériel, encadre l’activité administrative contribue déjà à assurer l’égalité de traitement entre administrés. Cependant, la loi ne saurait prédéterminer de façon absolue et précise toute action de l’administration et celle-ci dispose dans de très nombreuses situations d’un pouvoir d’appréciation plus ou moins large. Un contrôle différent (plus souple) est en particulier requis en présence de dispositions légales qui régissent des situations types de manière schématique et qui renoncent, dans la même mesure, à une structuration différenciée des conséquences juridiques. Il n’existe en effet pas de droit à ce que le législateur tienne compte de chaque inégalité réelle et prévoie pour celle-ci une conséquence juridique distincte Une certaine schématisation et simplification est inhérente à la loi, mais peut également être voulue par le législateur. Elle peut se justifier pour des raisons de praticabilité (en particulier d’aptitude à l’exécution) et de sécurité juridique. Aussi la jurisprudence du Tribunal fédéral accepte-t-elle des solutions schématiques dans divers domaines, notamment en matière de prélèvements (ATA/168/2024 du 6 février 2024 consid. 6.1 et les références citées).

5.11 En l’espèce, il est constant que la recourante a réalisé des chiffres d’affaires inférieurs à CHF 5'000'000.- pour les périodes 2019 à 2021.

Elle a été priée de restituer un montant de CHF 42'511.80 (CHF 28'426.30 + CHF 14'085.50) à titre d’indemnités perçues en trop. L’intimé a en effet estimé que le recul du chiffre d’affaires de l’intéressée en 2020, de 1.26% – ou 5.4% si on devait suivre la recourante qui demande que seul le montant de CHF 7'617.92 soit affecté au chiffre d’affaires 2020 – par rapport au chiffre d’affaires de référence annualisé, n’atteignait pas le taux de 25%. Pour procéder au calcul du chiffre d’affaires 2020, l’intimé a pris en compte la correction du chiffre d’affaires indiqué par la recourante en 2020 comme faisant partie de son chiffre d’affaires pour cette année-là. Cette correction ressortait de ses comptes annuels au 31 décembre 2020, établis le 26 août 2021, soit CHF 85'509.61 (« correction exercice précédent [net TVA] »).

Cette façon de procéder est conforme aux dispositions légales précitées ainsi qu’à la jurisprudence de la chambre administrative, selon laquelle le chiffre d’affaires doit être pris en compte de façon élargie. L’intimé, qui bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation, était donc fondé à tenir compte du montant de CHF 85'509.61, qui correspond à un produit, dans le chiffre d’affaires de 2020.

De plus, au vu de la situation d’urgence à laquelle l’État a été confronté (voir les art. 23 loi aLAFE-2021 et 24 LAFE‑2021 déclarant l’urgence) et compte tenu du nombre considérable de demandes d’aides déposées (10'000) et à traiter dans un laps de temps restreint, il n’était pas envisageable d’exiger de l’intimé qu’il analyse au cas par cas chaque demande, en particulier pour chaque poste indiqué d’éventuelles corrections comptables, dans une optique de retrancher, le cas échéant, certains montants du chiffre d’affaires pris en compte. Une certaine schématisation apparaissait ainsi nécessaire et inévitable. Partant, l’intimé pouvait, sans abuser de son pouvoir d’appréciation, se fonder sur les comptes annuels transmis par les sociétés requérantes et considérer que l’ensemble des résultats d’exploitation y figurant devait être pris en compte dans la détermination du chiffre d’affaires. Cette approche se justifie également par le fait qu’elle permet de tenir compte au mieux de la situation financière réelle de chaque entreprise.

Cette solution s’impose d’autant plus que l’intimé soutient dans la décision attaquée – sans être contredit sur ce point par la recourante – qu’il ressort des taxations pour l’année 2020 de la recourante que celle-ci n’a fait l’objet d’aucune contestation auprès de l’AFC-GE en vue d’une correction liée au résultat fiscal et plus particulièrement au traitement apporté à la « correction exercice précédent (net TVA) ». Dès lors, elle doit se laisser opposer les choix comptables qu’elle a opérés et ne saurait de bonne foi contredire les comptes qu’elle a établis et présentés aux autorités fiscales – à propos de l’erreur de sa fiduciaire voir par exemple ATA/1208/2024 du 15 octobre 2024 consid. 2.4 qui pose le principe que la recourante doit supporter les inconvénients d’une telle intervention –. Il convient à cet égard de relever que la référence à sa taxation est pertinente, puisque le droit fiscal tient compte au mieux de la réelle situation patrimoniale d’une société.

Malgré la demande de la recourante, il n’est pas possible de soustraire la correction comptable enregistrée en 2020 – concernant des produits (des commissions de croutage) – du chiffre d’affaires 2020 pour les replacer dans l’exercice durant lequel a été déployée l’activité générant ces produits (en 2019). En effet, dès lors que la recourante a transmis ses comptes annuels audités, présumés exacts, à l’intimé et aux autorités fiscales, il ne lui est pas loisible, pour des raisons de bonne foi, de sécurité juridique et d’égalité de traitement notamment, de les modifier a posteriori, dans le cadre de la présente procédure, quand bien même elle estime que la méthode choisie par le département pour calculer son chiffre d’affaires ne convient pas. La chambre de céans n’entrera donc pas en matière sur ces considérations. C’est également pour ce motif qu’il n’est pas nécessaire d’entendre l’un de ses partenaires d’affaires ou son ancien associé.

Enfin, par rapport à son ancien associé qui n’aurait pas fait l’objet d’une demande de remboursement, force est de constater que, comme vu ci-dessus, la recourante n’a pas – contrairement à son ancien associé – « provisionné » le montant en question dans son chiffre d’affaires 2019 mais l’a indiqué dans ses documents comptables pour l’année 2020. Les deux situations n’apparaissent donc pas en tous points identiques, et ce sur des éléments centraux, ce qui rend une différence de traitement acceptable.

Mal fondés, les griefs seront écartés.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 mai 2024 par A______ Sàrl contre la décision de l’office cantonal de l’économie et de l’emploi du 3 avril 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ Sàrl un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ Sàrl et à Me David HOFMANN, avocat de l’office cantonal de l’économie et de l’emploi ;

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MARINHEIRO

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :