Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3882/2023

ATA/1290/2024 du 05.11.2024 ( CPOPUL ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION ÉTRANGÈRE;ADOPTION DE MINEURS;PROCÉDURE D'ADOPTION;INSCRIPTION;REGISTRE DE L'ÉTAT CIVIL;LOI FÉDÉRALE SUR LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ;ORDRE PUBLIC(EN GÉNÉRAL);PROPORTIONNALITÉ;DEVOIR DE COLLABORER
Normes : OEC.90.al2; OEC.23; LEC.5; LDIP.32.al1; LDIP.32.al2; LDIP.77.al1; LDIP.78.al1; LDIP.27; CC.264; LPA.19; LPA.22
Résumé : En raison de la prévalence des considérations économiques dans l'adoption des trois enfants et de l'absence d'éléments permettant d'appréhender les rapports entre l'adoptant et les adoptés lors de la procédure sierra-léonaise, la prise en considération du bien-être des enfants n'est pas établie. Outre le lien nourricier, les conséquences psychosociales et culturelles de l'adoption sur les enfants, les compétences parentales de l'adoptant, la capacité financière et la disponibilité de l'adoptant, n'ont pas fait l'objet de constatations suffisantes. Compte tenu de ces insuffisances matérielles et procédurales, le refus de confier un mandat d'évaluation de l'adoption des enfants à un service spécialisé justifie le refus de la reconnaissance et de la transcription de l'adoption étranger dans les registres d'état civil suisses. Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3882/2023-CPOPUL ATA/1290/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Nawal HASSAM, avocate

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. A______, né le ______1986, est binational suisse et sierra-léonais.

Selon les registres de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), il est arrivé une première fois à Genève, en provenance de B______ (Sierra Leone), le 30 août 2005, et y a résidé jusqu'au 31 juillet 2021, date à laquelle il est reparti à B______. Il est revenu à Genève le 25 janvier 2022 et y a résidé jusqu'au 5 juin 2022, date de son départ pour C______, en France voisine.

Il est titulaire de la raison de commerce individuelle « D______ », inscrite le 15 avril 2021 au registre du commerce de Genève, dont l'activité comprend les domaines de la comptabilité, la fiscalité, la domiciliation et la gestion d'entreprises ainsi que le transport international de marchandises.

b. Le 8 septembre 2020, il a fait part au Ministère du Genre et de l'Enfance de Sierra Leone (ci-après : MGE) de son intention d'adopter les mineurs E______, née le ______2010, F______, née le ______2013 et G______, né le ______2017, tous de nationalité sierra‑léonaise.

Selon ses indications, il avait pris en charge les trois enfants depuis le décès de leur père biologique et souhaitait formaliser son engagement par un processus d'adoption.

c. Le 17 septembre 2020, H______, la mère biologique de ces enfants, a signé un formulaire de consentement à cette adoption.

d. Le 30 septembre 2020, le MGE a donné son approbation au placement en vue d'adoption des enfants auprès d'A______, mentionnant, pour celui-ci, son adresse genevoise ainsi qu'une adresse à B______.

e. Par trois ordonnances séparées datées du 14 octobre 2020, le Tribunal des mineurs de B______ a constaté que les trois enfants avaient besoin de soins et de protection au sens de la législation sierra-léonaise, leur a désigné un agent de probation et a ordonné leur placement, pour une période d'accueil et de tutelle (« fostering / guardianship »), auprès d'A______ à son adresse de B______.

f. Lors d'un entretien s'étant déroulé le 2 mars 2021 dans les locaux du service d'autorisation et de surveillance des lieux de placement (ci-après : le SASLP) en sa qualité d'autorité centrale cantonale genevoise en matière d'adoption (ci-après : ACC Ge), A______ a informé cette autorité de son projet d'adoption. Les objectifs, critères et conditions liés à la conduite d'une procédure d'adoption en droit suisse lui ont alors été exposés, en particulier l'obligation qui lui incombait, en sa qualité de personne résidant habituellement en Suisse, de solliciter une autorisation de la part de l'autorité cantonale compétente (art. 4 de l'ordonnance sur l'adoption du 29 juin 2011 [OAdo - RS 211.221.36]). La teneur de cet entretien lui a été confirmée par un courrier de l'ACC Ge du 8 avril 2021.

Le 15 avril 2021, l'intéressé a répondu à l'ACC Ge avoir pris contact avec un avocat, qui lui avait conseillé de procéder à l'adoption en Sierra Leone et de la faire ensuite reconnaître en Suisse, étant donné qu'il était aussi citoyen sierra-léonais. Il s'agissait là, selon les conseils qui lui avaient été prodigués, de la meilleure option pour que son projet puisse aboutir, « compte tenu du conservatisme des juges en Suisse ».

g. Selon ses indications, A______ aurait quitté Genève à la fin du mois de juillet 2021 pour B______, où il aurait résidé jusqu'au 25 janvier 2022.

Le dossier contient à cet égard les éléments de preuve suivants :

-          un formulaire « annonce de départ » communiqué le 6 octobre 2021 à l'OCPM, mentionnant un départ de Genève le 31 juillet 2021 à destination de B______ ;

-          une copie du passeport sierra-léonais d'A______, difficilement lisible, sur laquelle paraissent figurer des tampons d'entrée en Sierra-Leone du 25 juillet 2021 et de sortie du même pays du 23 janvier 2022 ;

-          les horaires d'un vol I______ – B______ du 25 juillet 2021 ;

-          une déclaration sur l'honneur signée devant notaire le 5 octobre 2023 par A______, par laquelle il atteste avoir été domicilié à B______ du 10 août 2021 jusqu'en janvier 2022 ;

-          une attestation de l'OCPM du 28 janvier 2022 selon laquelle A______ résidait à nouveau à Genève depuis le 25 janvier 2022.

h. Le 2 août 2021, le MGE a donné son approbation pour que la demande d'adoption soit portée devant la Haute Cour de Sierra Leone.

Les trois enfants à adopter étaient des enfants biologiques de H______. Le concept et les implications de l'adoption avaient été clairement et complètement expliqués à toutes les parties concernées et la mère biologique avait volontairement et « de tout cœur » signé le document de consentement parental en vue de l'adoption. Le MGE avait effectué toutes les enquêtes relatives à cette adoption et n'avait pas d'objections à celle-ci. Elle était justifiée par la nécessité de prendre soin des enfants, de les protéger, de les éduquer et de leur donner une éducation sociale et morale.

Le futur parent adoptif était tenu d'envoyer un rapport périodique sur le statut et le développement des enfants.

Cette décision d'approbation renvoyait à un rapport annexé d'une page, non daté, intitulé « BRIEF CASE HISTORY ». Selon ce rapport, les enquêtes sociales menées par le MGE avaient révélé que la mère des enfants était incapable et n'avait pas les moyens de s'occuper des enfants et d'en prendre soin. Selon celle-ci, le futur parent adoptif était un ami de la famille du père biologique décédé des enfants et avait la tutelle et la garde desdits enfants. Il s'était occupé d'eux depuis leur naissance et était le seul responsable de leur entretien, de leur éducation et de leur bien-être général. Il les avait dûment accueillis une fois l'adoption réalisée. Il appelait aussi souvent pour communiquer avec eux et s'assurer de leur éducation et bien-être général. Selon la mère des enfants, l'adoption était dans leur intérêt supérieur et elle y avait consenti de plein gré et de tout cœur parce qu'ils auraient la possibilité de grandir dans un foyer stable, de recevoir une meilleure éducation et de vivre une vie meilleure.

J______, tutrice (« guardian ») et responsable des soins des enfants, était convaincue que le futur père adoptif allait s'en occuper correctement parce qu'il y avait un véritable intérêt et était « responsable de tout ce qui concernait leur éducation et leur bien-être général ».

Le parent adoptif était désireux d'adopter les enfants afin de « formaliser » ses liens avec eux. Il déclarait souhaiter les adopter afin d'en avoir la garde et de leur offrir un foyer aimant et attentionné où ils pourraient avoir accès à une meilleure éducation, à la santé et à d'autres services sociaux.

i. Le 9 août 2021, l'ACC Ge a rappelé à A______ (qui n'avait alors pas encore annoncé son départ à l'OCPM) que, compte tenu de son domicile à Genève, les autorités de ce canton étaient compétentes pour prononcer l'adoption et que le droit suisse était à cet égard applicable, indépendamment de sa nationalité sierra‑léonaise.

j. Le 16 septembre 2021, la Haute Cour de Sierra Leone a prononcé l'adoption des trois enfants par A______. Cette décision mentionnait, sans plus de précisions, que le délai de six mois requis par la loi sierra-léonaise applicable en matière d'adoption était levé (« waved »).

k. Le 2 novembre 2021, l'adoption des trois enfants a été enregistrée par l'autorité sierra-léonaise d'état civil avec le changement du nom de famille des adoptés pour celui de l'adoptant.

l. Le 25 janvier 2022, A______ est revenu à Genève. Les trois enfants sont pour leur part demeurés à B______, sous la garde de J______, avec laquelle ils vivaient depuis 2019.

m. Dans une attestation manuscrite datée du 1er février 2022, l'aînée des trois enfants, E______, alors âgée de 11 ans, a déclaré que les trois enfants avaient répondu par l'affirmative lorsque le requérant leur avait demandé s'il pouvait les adopter. Elle avait commencé à apprendre le français à l'école à la demande de ce dernier, qui l'aidait par vidéo pour ses devoirs.

B. a. Le 15 février 2022, A______ a introduit auprès du département de la sécurité, de la population et de la santé devenu depuis lors le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN), une requête en reconnaissance d'adoption prononcée à l'étranger, respectivement sa transcription dans les registres d'état civil suisses.

Il avait toujours été présent dans la vie des enfants adoptés depuis leur naissance et s'était occupé d'eux comme s'ils étaient les siens à la suite du décès de leur père biologique. Leur mère biologique étant malade et incapable de s'en occuper, il assumait seul leur entretien, leur éducation et leur bien-être général. Les enfants avaient donné leur accord à ce qu'il devienne leur père. Il avait vécu avec eux de juillet 2021 à janvier 2022 en Sierra Leone avant de revenir en Suisse afin de requérir la reconnaissance de l'adoption. En son absence, les enfants étaient sous la garde de sa cousine, J______. Il avait récemment pris à bail une villa comprenant quatre chambres en France voisine afin de pouvoir y accueillir ses enfants.

Il exerçait une activité lucrative indépendante à 100% en qualité de comptable depuis avril 2021. Le bénéfice net réalisé pour l'année 2021, avoisinant un montant de CHF 52'000.-, était correct étant donné qu'il avait récemment démarré son activité et qu'il avait quitté la Suisse pendant plusieurs mois pour vivre avec ses enfants en Sierra Leone. Il avait accessoirement une activité lucrative dépendante qui lui avait procuré un salaire annuel net de CHF 5'471.- en 2021. Son statut d'indépendant lui permettait d'aménager son temps de travail de façon à être totalement disponible pour ses enfants pendant les six premiers mois suivant leur arrivée en Suisse. Il bénéficiait du soutien inconditionnel de sa famille et de ses proches. S'étant souvent occupé des enfants des membres de sa famille, ses capacités parentales étaient confirmées.

Il avait commencé la procédure d'adoption en informant le MGE de son intention de déposer une demande d'adoption définitive des trois mineurs auprès de la Haute Cour de Sierra Leone, autorité compétente pour ordonner une adoption en droit sierra-léonais. Parallèlement, il avait déposé une demande d'accueil temporaire et de tutelle en faveur des enfants auprès du Tribunal des mineurs du district de B______, qui y avait fait droit. Pendant cet accueil, les enfants, leur tante, leur mère biologique et lui-même avaient participé à de nombreux entretiens organisés par l'agent de probation en vue de vérifier si l'ensemble des circonstances ainsi que l'aptitude de l'intéressé à adopter les mineurs étaient adéquats.

Au terme de son enquête sociale, le MGE avait donné son agrément à la demande d'adoption par-devant la Haute Cour de Sierra Leone en soulignant que, par la signature du document de consentement parental, la mère biologique des enfants avait accepté de renoncer de manière irrévocable et définitive à ses droits et responsabilité sur ses enfants à partir du moment où l'adoption sera effective. La mère biologique estimait que l'adoption correspondait à l'intérêt supérieur des enfants. Le MGE, qui partageait cette appréciation, relevait en outre qu'A______ disposait des aptitudes nécessaires pour se voir confier la garde des enfants et était moralement et financièrement capable d'adopter les trois enfants.

b. Le 1er mars 2022, le service état civil, naturalisations et légalisations, devenu par la suite le service état civil et légalisations (ci-après : SECL), de l'OCPM a fait suite à la requête en précisant qu'étant donné le domicile français du requérant, il devait soumettre aux autorités compétentes en France sa requête d'agrément et de transcription de la décision d'adoption dans le registre d'état civil. Une fois cette procédure aboutie, il devrait transmettre, en vue de l'examen de sa demande, les documents énumérés, parmi lesquels devrait figurer l'original de la décision de transcription en France, datée de moins de six mois.

c. Le 8 mars 2022, le requérant a écrit qu'il aurait souhaité prendre à bail un logement à Genève dans la mesure où son centre de vie était et demeurait en Suisse, mais qu'il avait saisi l'occasion de louer la villa située près de la frontière franco‑suisse, dont le loyer était raisonnable. Cette villa était en cours d'aménagement et il attendait l'arrivée de ses enfants pour y emménager. Dans l'intervalle, il sous-louait un appartement à Genève auprès de sa mère.

En outre, il considérait ne pas être tenu de fournir un agrément ou une décision de transcription de l'adoption par les autorités françaises datant de moins de six mois, le critère du domicile n'étant pas prépondérant à celui de la nationalité pour l'examen de sa requête. Étant binational, et compte tenu du fait que la décision d'adoption avait été rendue par un État dont il possédait la nationalité, il concluait à ce que le DIN rende une décision en sa qualité d'autorité de surveillance en matière d'état civil.

d. Le 7 avril 2022, le SECL a rappelé au requérant les conditions requises pour la reconnaissance d'une adoption intervenue à l'étranger en insistant en particulier sur le fait que la décision étrangère dont la reconnaissance était demandée ne devait pas être manifestement incompatible avec l'ordre public suisse, étant souligné que l'intérêt de l'enfant constituait le principe d'ordre public cardinal pour les adoptions. À Genève, l'autorité compétente pour se déterminer sur l'intérêt supérieur de l'enfant était l'ACC-Ge dont l'agrément était requis en vue de l'examen de la demande de transcription de l'adoption. Considérant le souhait du requérant d'accueillir les enfants adoptés en France, il persistait à considérer que les démarches de reconnaissance de l'adoption devaient être effectuées, dans un premier temps, auprès des autorités françaises compétentes. Compte tenu de son domicile genevois au moment de l'introduction de la procédure d'adoption et nonobstant le courrier d'explications et de mise en garde du 8 août 2021 adressé par l'ACC-Ge, il avait violé le droit suisse et mis les autorités genevoises devant le fait accompli.

e. Le 6 mai 2022, A______ a mis en demeure le DIN de rendre une décision formelle sur sa requête du 15 février 2022, à défaut de quoi il se réservait le droit de recourir contre le courrier du 7 avril 2022 qui avait les effets d'une décision d'irrecevabilité.

Outre certains arguments développés précédemment et repris, il estimait que l'adoption intervenue en Sierra Leone respectait l'ordre public suisse pour les raisons suivantes : le consentement de la mère pour l'adoption de ses enfants avait été donné librement, inconditionnellement et irrévocablement ; l'intérêt des enfants avait été analysé par le MGE dans le cadre de l'enquête sociale, à la suite de quoi son agrément avait été délivré en vue de l'adoption ; les investigations sociales menées durant une année avaient abouti à la conclusion qu'il avait la pleine capacité pour adopter les enfants. Il ne comprenait pas pourquoi l'agrément de l'ACC-Ge devait être priorisé par rapport à celui du MGE. Il ne voyait pas en quoi le fait d'avoir adopté en Sierra Leone, pays dont il partageait la nationalité avec ses enfants, pouvait être considéré comme contraire à l'ordre public suisse. Il contestait avoir agi en violation du droit suisse ou avoir mis les autorités devant le fait accompli.

f. Le 18 mai 2022, il a annoncé son départ de Genève pour la France à partir du 5 juin 2022.

g. Le 29 juin 2022, sollicité par le SECL, l'ACC-Ge a indiqué ne pas être en mesure de se prononcer et de donner un préavis sur la question de savoir si la décision d'adoption sierra-léonaise respectait l'intérêt supérieur des enfants, dans la mesure où il n'avait pas pu procéder à l'évaluation de la situation d'A______.

h. Le 29 juillet 2022, le SECL a sollicité l'avis de l'office fédéral de l'état civil (ci‑après: OFEC) d'une part sur sa compétence pour statuer en l'absence de décision préalable des autorités françaises – confirmée par l'OFEC – et d'autre part sur les conditions de la reconnaissance. Sur ce dernier point, l'OFEC a estimé qu'« une reconnaissance ne sembl[ait] pas la voie à suivre », à tout le moins en l'état du dossier. Selon lui en effet, la procédure d'adoption n'avait pas respecté le standard minimum que cherchait à garantir l'ordre public suisse en la matière. Rien n'indiquait, par exemple, que les enfants avaient été entendus et que les autorités avaient tenu compte du déracinement et de l'impact psychologique de l'adoption sur eux, leur mère étant toujours en vie. La durée probatoire prévue par la législation sierra-léonaise avait été levée par le juge prononçant l'adoption sans mention de motifs. La qualité de la procédure sierra-léonaise était insuffisante pour garantir le bien des enfants. Le requérant avait commis une fraude en droit international privé en modifiant son lieu de résidence aux seules fins de contourner toutes les règles protectrices en matière d'adoption. Une reconnaissance pourrait néanmoins être admise s'il était démontré que l'adoption servirait l'intérêt supérieur des enfants et si, sur la base d'une enquête du service social international (ci-après : SSI), la conformité de la procédure sierra-léonaise avec l'esprit des dispositions protectrices du droit suisse était établie.

i. Le 3 octobre 2022, le SECL a admis sa compétence pour examiner la requête du 15 février 2022. À l'examen du dossier et compte tenu de la position de l'OFEC, de nombreux éléments donnaient à penser que la décision d'adoption était manifestement incompatible avec l'ordre public suisse. Le SSI devait être mandaté pour mener une évaluation afin de s'assurer de la conformité de la procédure sierra‑léonaise avec l'esprit des dispositions protectrices du droit suisse. Cette évaluation pouvait permettre, en fonction de son contenu, de modifier la position du service et, éventuellement, de reconnaître et de transcrire ladite décision dans le registre d'état civil suisse. Cette évaluation était soumise à un émolument à la charge du requérant.

j. Le 9 novembre 2022, le requérant a répondu qu'aucune raison ne permettait de s'écarter de la décision d'adoption et qu'il n'était pas favorable à une intervention du SSI. Il exigeait qu'une décision soit rendue sur sa requête dans de brefs délais.

k. Le 23 décembre 2022, il a relancé le SECL afin qu'il se prononce sur sa requête.

l. Le 30 mars 2023, le SECL a informé le requérant de son intention de rejeter sa requête de reconnaissance et lui a imparti un délai pour exercer son droit d'être entendu.

m. Le 30 juin 2023, le requérant a fait usage de son droit d'être entendu, persistant dans sa demande de reconnaissance.

n. Le 24 octobre 2023, le DIN a rejeté la requête de reconnaissance.

A______ avait fait recours au « forum shopping » en déplaçant artificiellement son domicile de Genève à B______ du 31 juillet 2021 au 24 janvier 2022, soit pour une courte période six mois, afin de bénéficier d'une procédure d'adoption plus expéditive, sans avoir besoin de requérir l'autorisation de l'ACC‑Ge. La majeure partie de la procédure d'adoption avait eu lieu en Sierra Leone du 8 septembre 2020 au 16 septembre 2021, période pendant laquelle le domicile et le centre de ses intérêts se situaient manifestement à Genève. Le fait qu'il connaissait les enfants à adopter ne changerait rien au fait qu'il s'était déplacé juste avant le dépôt de sa demande de prononcé d'adoption auprès de la Haute Cour de Sierra Leone. Malgré son annonce de départ, il avait, étant originaire de Genève et y vivant depuis 2005, maintenu son centre des intérêts dans le canton. En changeant de domicile dans le but de contourner toutes les règles protectrices suisses en matière d'adoption, et ce nonobstant les nombreuses explications de l'ACC-Ge, il avait commis une fraude en droit international privé.

La procédure d'adoption sierra-léonaise violait manifestement l'ordre public suisse. Il n'était pas présent en Sierra Leone lorsque le MGE avait donné son approbation à accueillir et à adopter les enfants. En ne vivant pas avec eux durant la période dite d'accueil, il n'avait pas respecté les ordonnances de surveillance du Tribunal des mineurs de B______ du 14 octobre 2020. Il n'avait également pas prouvé avoir vécu entre le 31 juillet 2021 et le 24 janvier 2022 en Sierra Leone. Il n'était pas indiqué qu'une enquête avait été effectuée avant et après la décision du MGE susmentionnée. Le déroulement et la chronologie de la procédure ainsi que l'absence du requérant durant une majeure partie de la procédure démontraient que les relations entre les enfants et celui-ci n'avaient pas pu être analysées et que ses compétences n'avaient pas été examinées avant le prononcé de l'adoption.

Le rapport d'approbation du MGE du 2 août 2021, tenant sur une page, n'était pas convaincant en raison des contradictions qui en ressortaient. Il y était indiqué notamment que le requérant avait vécu avec les enfants après l'adoption alors que l'adoption avait été prononcée après ledit rapport et qu'il n'avait en réalité pas vécu avec eux durant la période dite d'accueil. Les capacités éducatives et la prise en charge de la mère biologique étaient discréditées même si son avis était utilisé pour justifier que l'adoption était dans l'intérêt supérieur des enfants. Contrairement à ce qui était retenu, il convenait de constater que le revenu perçu par A______ n'était pas suffisant pour entretenir trois enfants en Suisse ou en France et que sa situation professionnelle – après avoir récemment commencé une activité indépendante – n'était pas stable. De telles considérations ne permettaient pas de retenir un lien nourricier, pas plus que les prétendus contacts réguliers, les allers‑retours allégués – mais non prouvés – ainsi que la prise en charge économique insuffisante.

Rien n'indiquait que les autorités sierra-léonaises avaient pris en considération le déracinement et l'impact psychologique que l'adoption pouvait avoir sur les enfants en raison du fait notamment que la mère biologique était toujours en vie et qu'ils aient grandi et toujours vécu en Sierra Leone, pas plus qu'il s'agissait d'une adoption par une personne seule de trois enfants, dont l'un était en bas âge. Il n'était pas mentionné d'examen concret des qualités personnelles du requérant, de son état de santé, du temps dont il disposait, de ses aptitudes éducatives et de ses conditions de logement, éléments pourtant primordiaux dans le cadre d'une adoption.

La période probatoire légale de six mois prévue par le droit sierra-léonais avait été levée par le juge prononçant l'adoption sans mention des raisons. De plus, une disposition légale de la loi sierra-léonaise en matière d'adoption subordonnait l'adoption par un demandeur seul de sexe masculin à des exigences particulières, dont la réalisation n'avait pas été examinée dans le cas d'espèce. Une adoption ne pouvait être ordonnée si l'adoptant n'habitait pas en Sierra Leone, ce qui n'était pas le cas du requérant, qui y avait déplacé son domicile uniquement pour le prononcé de l'adoption.

Les documents produits ne démontraient pas que les enfants, en particulier l'aînée de la fratrie, avaient été entendus et avaient donné leur consentement à leur adoption. Il n'était pas possible de déterminer les circonstances dans lesquelles la lettre de l'aînée de la fratrie, datée du 1er février 2022, avait été rédigée ni si elle en était la véritable auteure. Le consentement écrit donné par celle-ci avait été rédigé plusieurs mois après la décision d'adoption. Il n'était pas établi qu'A______ respectait l'obligation de transmettre au MGE le rapport périodique prescrit par le MGE dans sa décision du 2 août 2021, notamment pour la période durant laquelle il affirmait avoir vécu avec les enfants. Les actes de naissance avant et après la décision d'adoption n'avaient pas été authentifiés par la représentation suisse en Sierra Leone. Le requérant n'avait pas non plus produit l'affidavit de son domicile. Il avait refusé que le SSI soit mandaté pour procéder à une évaluation susceptible de permettre notamment de répondre aux nombreuses incertitudes précitées et qu'une évaluation sociale soit menée en Sierra Leone. Il avait ainsi violé son devoir de collaborer.

o. Le 23 novembre 2023, le SECL a annoncé à A______ qu'il ne pouvait faire droit à sa demande de transcription de son mariage intervenu le 28 mars 2023 en Gambie avec la dénommée K______, en raison du fait que ledit mariage n'avait pas été valablement célébré et que l'acte de mariage n'avait pas pu être authentifié par la représentation suisse locale.

C. a. Le 24 novembre 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de refus de la reconnaissance, concluant à son annulation et, cela fait, à la reconnaissance de la décision d'adoption des enfants E______, F______ et G______, ainsi qu'à ce que soit ordonnée l'inscription de leur adoption dans les registres d'état civil.

La décision entreprise violait le droit fédéral. Aucun motif ne s'opposait à la reconnaissance de l'adoption, laquelle respectait l'ordre public suisse. Le consentement de la mère pour l'adoption plénière de ses enfants avait été donné librement, inconditionnellement et irrévocablement. Elle était, à la suite du décès de son époux et de problèmes de santé, dans l'incapacité de prendre soin des enfants. La description de cette situation n'avait pas pour but de la discréditer, mais d'objectiver le fait que les besoins fondamentaux des enfants n'étaient plus garantis (maladie, incapacité et manque de moyens). Les investigations sociales menées de manière méticuleuse durant toute une année avaient abouti à la conclusion que l'adoptant avait la « pleine capacité » pour adopter les enfants et que l'adoption était dans leur intérêt. Un agent de probation avait été institué par le Tribunal pour mineurs pendant toute la durée de la période probatoire. Le MGE était parvenu, au bout d'une enquête sociale d'une année, à la conclusion que l'adoption était dans l'intérêt supérieur des enfants. Cette autorité avait retranscrit la teneur des entretiens avec les divers participants à la procédure d'adoption, dont celui de la mère biologique qui avait affirmé que l'adoption de ses enfants correspondait à leur intérêt supérieur. Elle avait analysé l'intérêt des enfants dans le cadre de l'enquête sociale avant de délivrer son agrément en vue de l'adoption.

L'adoptant avait eu des contacts réguliers avec les enfants depuis leur naissance puis des contacts quotidiens depuis le décès de leur père en 2019 et avait résidé avec eux pendant plus de six mois entre 2021 et 2022. Il prenait entièrement en charge les enfants depuis 2019 et était responsable de leur éducation et de leurs soins quotidiens. Il bénéficiait d'une situation financière favorable. Un lien nourricier l'unissait aux enfants. Ils étaient trop jeunes au moment de l'adoption pour être auditionnés. Ils avaient cependant confirmé aux parties prenantes à la procédure leur souhait d'avoir l'adoptant pour père. La lettre de l'aînée de la fratrie était propre à démontrer la réalité de son consentement. Le SECL avait remis en doute la véracité de cette lettre ainsi que son auteure, ce qui avait conduit A______ à proposer de la faire entendre via les moyens de communication moderne, proposition déclinée par le SECL.

La décision d'adoption rendue par l'autorité compétente d'un État dont il était ressortissant devait être reconnue en Suisse. Le critère de domicile n'était pas prépondérant à celui de la nationalité pour l'examen de sa requête. Il n'avait pas artificiellement déplacé son domicile à l'étranger afin de contourner la loi, ni recouru à une sorte de « tourisme d'adoption ».

Il contestait, enfin, toute violation de son devoir de collaborer. Les originaux des actes de naissance des enfants avant et après l'adoption ainsi que la décision d'adoption originale avaient été transmis au SECL. Il s'était renseigné ensuite pour faire authentifier ces documents par voie diplomatique et, en dépit des informations contradictoires, la procédure d'authentification avait débuté le 10 novembre 2023. Il avait également fourni, le 5 octobre 2023, la déclaration sur l'honneur sur le lieu de son domicile du 10 août 2021 à janvier 2022. Il n'était pas favorable à l'intervention du SSI, non seulement parce que la conformité de la procédure sierra‑léonaise au droit suisse ne faisait pour lui aucun doute, mais également car le SECL n'avait jamais expliqué l'objet du mandat d'investigation. La Sierra Leone était un pays attaché au respect et à la défense des intérêts des enfants en matière d'adoption référence étant faite au site Internet du « The United Nations International Children’s Emergency Fund » (ci-après : UNICEF).

b. Le DIN a conclu au rejet du recours.

Il renvoyait aux allégations de fait et de droit contenues dans la décision attaquée. Pour le surplus, les dates indiquées du séjour d'A______ en Sierra Leone, soit du 10 août 2021 au 23 janvier 2022, n'étaient pas cohérentes à la lumière des éléments de preuve fournis : des copies certifiées conformes de son passeport sierra‑léonais contenaient un tampon « arrivée » dans un pays illisible le 25 juillet 2021, une déclaration sur l'honneur légalisée par un notaire attestait qu'il avait vécu à B______ du 10 août 2021 à janvier 2022, un billet non nominatif indiquait une arrivée dans cette même ville le 25 juillet 2021, et une attestation de départ de l'OCPM du 21 octobre 2021 indiquait un départ pour B______ le 31 juillet 2021 selon une annonce de l'intéressé. Celui-ci n'avait jamais transmis la déclaration sur l'honneur du 5 octobre 2023 au SECL malgré les demandes réitérées de ce service.

L'adoption des enfants était principalement justifiée par les ressources financières de l'intéressé et en raison du manque de moyens financiers de leur mère biologique. Or, la Haute Cour de Sierra Leone n'avait pas pris en considération le fait que ses ressources financières étaient faibles pour entretenir en Suisse ou en France voisine trois enfants mineurs.

Il maintenait le grief de violation du devoir de collaborer. A______ n'avait entamé des démarches en vue de l'authentification de la décision d'adoption et actes d'état civil des enfants que le 8 novembre 2023. Il refusait toujours de mandater le SSI alors qu'une évaluation de l'intérêt supérieur des enfants à leur adoption était essentielle. En effet, la Sierra Leone n'ayant pas signé la convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (CLaH - RS 0.211.221.311), elle ne disposait pas d'autorité centrale ni d'organismes agréés, raison pour laquelle notamment l'évaluation du SSI était requise. Contrairement au DIN ou au SECL, ce service avait la capacité d'entendre les enfants, en particulier l'aînée de la fratrie.

L'examen de l'OFEC figurait au dossier administratif et était consultable depuis le début de la procédure, contrairement à ce qui lui était reproché par A______.

c. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Le tampon du 25 juillet 2021 était similaire aux autres tampons sierra-léonais présents dans le passeport, puisqu'il présentait avec ceux-ci les mêmes formes et les mêmes inscriptions. Il contestait le fait que la date de son départ de Suisse manque de cohérence dans la mesure où les dates relevées par le DIN étaient rapprochées dans le temps (entre le 25 juillet et le 10 août, soit quinze jours). Le tampon et le billet d'avion indiquaient par ailleurs la même date. Le SECL ne lui avait pas indiqué le motif de la demande d'une déclaration sur l'honneur, de sorte qu'il contestait ses allégations sur l'absence de sa remise.

Ses capacités parentales et ses relations avec les enfants faisaient l'objet du rapport du MGE. Celui-ci avait confirmé qu'il s'était occupé des enfants depuis leur naissance. Ils lui avaient été confiés par leur mère à la suite du décès de leur père biologique, soit bien avant le début de la procédure d'adoption. Il était responsable de leur entretien, de leur éducation et de leur bien-être général depuis 2019. N'étant toutefois pas en Sierra Leone, les enfants vivaient avec leur gardienne J______ et non pas avec leur mère biologique, ce qui ressortait d'une attestation versée au dossier.

Il contestait, enfin, les critiques visant la régularité de son mariage.

d. Le 12 février 2024, la chambre de céans a fait droit à la demande d'A______ et prononcé la suspension de la procédure jusqu'à l'issue de la procédure d'authentification des documents d'adoption.

e. Le 5 juin 2024, le DIN a informé la chambre de céans de l'authentification des actes de naissance des trois enfants ainsi que du jugement d'adoption de la Haute Cour de Sierra Leone.

Selon lui, cette authentification ne remettait cependant pas en cause la motivation de la décision attaquée, selon laquelle la décision d'adoption violait l'ordre public suisse et ne pouvait en conséquence ni être reconnue ni être transcrite dans le registre de l'état civil.

f. Le 26 juin 2024, la chambre de céans a repris la procédure.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Selon l’art. 90 al. 2 de l'ordonnance fédérale sur l'état civil du 28 avril 2004 (OEC ‑ RS 211.112.2), les décisions de l’autorité de surveillance peuvent être attaquées devant les autorités cantonales compétentes. Le DIN est l'autorité de surveillance de l'état civil (art. 5 de la loi sur l'état civil du 19 décembre 1953 - LEC - E 1 13). En application de l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre administrative est compétente dans le cas d’espèce (ATA/164/2016 du 23 février 2016 ; ATA/171/2010 du 16 mars 2010).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du refus par l'autorité intimée de reconnaître et de transcrire la décision d'adoption des mineurs intervenue en Sierra Leone dans le registre d'état civil suisse. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la problématique de la reconnaissance du mariage célébré le 28 mars 2023 en Gambie par le recourant et K______.

2.1 La Sierra Leone n'est pas partie à la CLaH. Il n’existe entre la Suisse et le Sierra Leone aucune convention bilatérale ou multilatérale concernant l’adoption internationale, qu’il s’agisse de l’application du droit matériel, de la reconnaissance ou de l’exécution des décisions étrangères. Dès lors, les conditions de la reconnaissance en Suisse d’une décision d’adoption rendue en Sierra Leone sont exclusivement régies par la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP - RS 291).

2.2 Une décision ou un acte étranger concernant l’état civil est transcrit dans les registres de l’état civil en vertu d’une décision de l’autorité cantonale de surveillance en matière d’état civil (art. 32 al. 1 LDIP). Cette compétence, prévue également à l'art. 23 OEC, ressortit dans le canton de Genève au DIN selon l'art. 5 LEC. La transcription est autorisée lorsque les conditions fixées aux art. 25 à 27 sont remplies (art. 32 al. 2 LDIP).

2.3 En l'occurrence, le DIN est compétent pour statuer sur la demande de reconnaissance et le droit suisse s'applique (art. 77 al. 1 LDIP). Au demeurant, cette compétence n'est plus disputée.

2.4 Aux termes de l'art. 78 LDIP, les adoptions intervenues à l’étranger sont reconnues en Suisse lorsqu’elles ont été prononcées dans l’État du domicile ou dans l’État national de l’adoptant ou des époux adoptants (al. 1).

Selon la jurisprudence qui donne une interprétation large de cette disposition, rien n'indique que le rattachement à la nationalité n'ait qu'une portée subsidiaire par rapport au domicile (ATF 120 II 87 consid. 5). Lorsque seul un adoptant est partie à la procédure d'adoption, c'est son domicile ou sa nationalité qui fonde la compétence des autorités prononçant l'adoption (arrêt du Tribunal fédéral 5A_447/2008 du 5 décembre 2008 consid. 3.4.1). Il ne peut y avoir fraude en droit international privé que si le sujet de droit veut par la modification de l'état de fait - par exemple l'acquisition d'une nationalité - soumettre sa cause à la compétence d'un autre ordre juridique et n'observe que la lettre (formelle) de la loi mais viole la ratio de la norme en question. Il ne peut, en principe, y avoir fraude lorsque le rattachement est le domicile, car il n'est pas possible de transférer le centre de son existence de manière frauduleuse. La fraude est également exclue lorsque la loi autorise expressément le choix du droit applicable (ATF 130 III 723, consid. 726).

Le principe du favor recognitionis est applicable en matière d'adoption (ATF 134 III 467, consid. 471).

2.5 Selon l'art. 27 al. 1 LDIP, la reconnaissance d’une décision étrangère doit être refusée en Suisse si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public suisse. La réserve de l'ordre public est violée lorsque la reconnaissance et l’exécution d’une décision étrangère heurtent de manière intolérable les conceptions suisses de la justice. Une décision étrangère peut être incompatible avec l’ordre juridique suisse non seulement à cause de son contenu matériel, mais aussi en raison de la procédure suivie à l’étranger (art. 27 al. 2 LDIP).

Tant le droit national que le droit international établissent une série de normes de protection en faveur de l'enfant en matière d'adoption (art. 264 ss du code civil suisse du 10 décembre 1907 [CC - RS 210] ; art. 5 OAdo ; art. 4, 5, 15, 16 et 17 CLaH ; art. 9 de la loi fédérale du 22 juin 2001 relative à la Convention de La Haye sur l’adoption et aux mesures de protection de l’enfant en cas d’adoption internationale [LF-CLaH - RS 211.221.31] ; art. 21 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant [CDE - RS 0.107]). Le dénominateur commun essentiel de ces dispositions de protection est qu'une adoption ne peut avoir lieu sans examen préalable de l'aptitude des parents adoptifs et de l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette exigence est centrale et, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une reconnaissance fondée sur l'art. 78 al. 1 LDIP d'une adoption intervenue à l'étranger est contraire à l'ordre public si l'État d'origine n'a pas clarifié les circonstances déterminantes et l'aptitude des parents adoptifs (ATF 141 III 328 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.10/1992 du 20 janvier 1993 consid. 5b).

2.6 Les conditions du droit suisse destinées à préserver l'intérêt de l'enfant (notamment le consentement des parents et éventuellement de l'enfant, la différence d'âge entre adoptants et adopté, la période probatoire) doivent avoir été respectées à l'étranger, non pas nécessairement à la lettre, mais dans leur esprit. L'absence d'une période probatoire antérieure à l'adoption, respectivement d'un lien nourricier au sens de l'art. 264 CC, n'impliquent pas à eux seuls une contrariété à l'ordre public suisse, la prise en considération de la vie commune postérieure à l'adoption étant suffisante. Si toutefois les parents adoptifs et l'enfant adopté ne devaient pas avoir vécu ensemble après le prononcé de l'adoption, il y a alors lieu de s'en remettre à l'appréciation faite de l'intérêt de l'enfant par l'autorité étrangère qui a prononcé l'adoption. Les périodes de vacances que l'adoptant passe auprès de l'adopté ne suffisent pas à retenir l'existence d'un lien nourricier (arrêt du Tribunal fédéral 5A_604/2009 du 9 novembre 2009 consid. 4.2.2.2 et les références citées). Une adoption étrangère sans évaluation de ses effets psychologiques sur les mineurs est manifestement contraire à l'ordre public suisse (ATA/164/2016 du 23 février 2016 consid. 11 c in fine). Il en va de même lorsqu'elle est essentiellement motivée par des raisons économiques (ATA/264/2014 du 15 avril 2014 consid. 5 in fine).

2.7 Dans un arrêt 5A_604/2009 du 9 novembre 2009 relatif à l'adoption de trois sœurs (âgées respectivement de quatorze, douze et onze ans), le Tribunal fédéral a estimé que la décision d'adoption étrangère était incompatible avec l'ordre public suisse dans la constellation suivante : le père des filles était décédé et celles-ci avaient été abandonnées par leur mère ; les filles avaient toutefois gardé un contact régulier avec cette dernière ; elles vivaient dans leur pays d'origine, dans la famille d'un de leurs oncles paternels, et n'avaient jamais vécu avec leurs parents adoptifs, ni avant, ni après l'adoption, sauf lors de vacances. Le Tribunal fédéral a considéré que, dans ces circonstances, il ne pouvait être question de période probatoire (antérieure ou postérieure à l'adoption) suffisante et qu'au surplus, l'intérêt des enfants n'avait pas suffisamment été établi dans la procédure d'adoption (arrêt du Tribunal fédéral 2C_110/2014 précité consid. 6.4 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-6905/2013 précité consid. 7).

Dans un arrêt ATA/264/2014 du 15 avril 2014, la chambre de céans a considéré l’adoption par un couple naturalisé suisse de leur nièce, alors âgée de 16 ans, comme incompatible avec l’ordre public, aux motifs que le tribunal étranger avait prononcé l’adoption sur la base d’éléments essentiellement économiques, sans prendre en considération les facteurs psychosociaux dans l’intérêt de l’enfant, notamment la possibilité de ce dernier d’évoluer dans un cadre familial stable dans son pays d’origine, et que les adoptants n’avaient jamais vécu avec l’adoptée, les vacances passées ensemble ne suffisant pas à établir un lien nourricier et un tel lien ne ressortant pas des déclarations des intéressés. La situation économique des adoptants n’était pas de nature à contrebalancer l’absence de prise en considération des facteurs psychosociaux.

Dans un arrêt ATA/164/2016 du 23 février 2016, la chambre de céans a également considéré comme incompatible avec l'ordre public l'adoption par un couple naturalisé suisse de deux enfants âgés de quinze et dix ans, au motif que les autorités étrangères n'avaient pas pris en considération les facteurs psychosociaux liés au déracinement des enfants, qui vivaient depuis leur enfance avec leurs parents biologiques et semblaient se développer harmonieusement dans leur pays d'origine.

2.8 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Le principe d’instruction d’office est toutefois contrebalancé par le devoir des parties de collaborer à leur établissement dans les procédures qu’elles introduisent elles‑mêmes (art. 22 LPA), en particulier d’étayer leurs propres thèses et d’indiquer à l’autorité les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATA/641/2024 du 28 mai 2024 consid. 3.7 ; ATA/111/2024 du 30 janvier 2024 consid. 3.1).

3.             En l'espèce, l'intimé a refusé la reconnaissance de la décision d'adoption sierra‑léonaise au motif principal qu'elle serait manifestement incompatible avec l'ordre public suisse. Il considère également que la démarche du recourant est constitutive d'une fraude à la loi.

3.1 Il ressort du dossier que des exigences destinées à garantir le bien-être des enfants en matière d'adoption n'ont pas été prises en considération ou examinées de manière appropriée.

Le rapport, d'une page, annexé à la décision du MGE du 2 août 2024, expose certes que les investigations sociales ont permis de relever que la mère biologique était incapable de s'occuper de ses enfants, faute de moyens financiers, et que ceux-ci vivaient du soutien du recourant. Tant la mère biologique que le recourant y insistent sur les possibilités en termes d'éducation, de santé et d'autres services sociaux que l'adoption pourrait offrir aux enfants. Les considérations économiques semblent ainsi avoir, prima facie, prévalu dans la décision d'adoption. Il manque en particulier des éléments permettant d'appréhender les relations entre le recourant et les enfants adoptés. Pas plus que le soutien financier allégué, les contacts réguliers du recourant avec les enfants et la prise en charge de leurs éducation et soins quotidiens depuis le décès du père ne sont ni étayés ni appuyés par des éléments d'observation concrets.

Certains faits ressortant du dossier laissent apparaître certaines incohérences. Il apparaît ainsi que les enfants ont été confiés à une tutrice et responsable de soins depuis 2019, cousine du recourant, ainsi que l'atteste l'intéressée. Or, un tribunal pour mineurs sierra-léonais avait placé ces derniers sous la supervision d'un agent de probation pour une période d'accueil et de tutelle, au cours de laquelle ils étaient supposés habiter avec le recourant, dès le 20 octobre 2020. Ce n'est toutefois qu'à la fin du mois de juillet ou au début du mois d'août 2021 que ce dernier indique s'être rendu en Sierra Leone pour y résider avec les enfants, de telle sorte que l'agent de probation n'a pu procéder à des observations concrètes, et en particulier analyser les relations entre ce dernier et les enfants. Dans ce contexte, les indications du rapport en lien avec la garde et la tutelle du recourant sur les enfants, à la communication entre ceux-ci et celui-là, à la supervision de leur éducation et leur bien-être général, paraissent se fonder non pas sur des constatations mais sur de simples déclarations des personnes concernées, sous réserve des enfants eux‑mêmes dont la détermination ne paraît pas avoir été recueillie avant le prononcé des adoptions.

Le recourant soutient que les autorités sierra-léonaises auraient procédé à des investigations approfondies, et en particulier que l'agent de probation désigné par le Tribunal des mineurs de B______ aurait organisé de nombreux entretiens au cours desquels le recourant, la mère biologique des enfants, leur tante (vraisemblablement J______, cousine du recourant et gardienne effective des enfants depuis 2019) et les enfants eux-mêmes auraient été entendus. Aucune trace de ces entretiens ne figure toutefois au dossier, le bref rapport annexé à la décision du 2 août 2024 ne faisant que résumer les déterminations de ces personnes, à l'exception des enfants eux-mêmes.

De l'aveu du recourant, il n'aurait vécu avec les enfants qu'un peu moins de six mois, du 10 août 2021 au 25 janvier 2022. Le dossier ne comporte toutefois aucune observation objective relative à cette période. Au vu des pièces produites, il ne paraît au demeurant pas exclu que le recourant, qui avait commencé une activité de comptable indépendant à Genève au début de l'année, n'ait en réalité pas résidé de manière permanente à B______. Il n'y a donc pas eu de véritable période d'observation avant l'adoption et, dans la mesure où une telle période est intervenue postérieurement à l'adoption, elle n'a fait l'objet d'aucune observation.

Il n'apparaît pas davantage que les facteurs psychosociaux et culturels entrant en considération aient fait l'objet d'une analyse aux fins de déterminer la comptabilité de l'adoption avec le bien-être des enfants. Étant donné que la mère biologique des enfants est encore vivante et que ceux-ci sont nés et ont toujours vécu en Sierra Leone, il n'était pas sans importance d'évaluer leur capacité à s'intégrer dans une nouvelle famille et à s'adapter à l'environnement socio-culturel d'un nouveau pays, d'autant plus que le consentement des enfants, en particulier celui de l'aînée de la fratrie n'a pas été recueilli, alors qu'elle était âgée de près de 11 ans au moment de la décision d'adoption. À cet égard et contrairement à ce que semble soutenir le recourant, l'attestation portant les nom et prénom de cette dernière, rédigée postérieurement à l'adoption, ne saurait valablement remplacer le consentement devant être donné dans le cadre particulier de la procédure d'adoption. La force probante d'une telle attestation est donc à relativiser, d'autant plus qu'il peut y avoir des incertitudes sur les circonstances de sa rédaction et sur la véritable auteure.

Selon la recommandation du MGE pour l'adoption des trois enfants, le recourant était apte à en avoir la garde et était moralement et financièrement capable de les adopter. Ces affirmations, au demeurant laconiques, ne sont pas conformes aux exigences attendues en matière d'adoption. Elles sont peu étayées sur les qualités personnelles et aptitudes dont le recourant doit disposer pour prétendre à l'adoption de trois mineurs âgés entre quatre et dix ans. Pour une adoption par une seule personne, aucun élément concret n'est avancé sur ses capacités de prise en charge, à savoir la fourniture des soins et ses aptitudes éducatives propres à garantir le développement des enfants, étant précisé que les exigences doivent être plus élevées pour l'adoption de trois enfants âgés de plus de quatre ans. Les attestations versées au dossier et émanant des proches du recourant, censées apporter la preuve de ses compétences parentales, n'ont qu'une valeur probante restreinte et ne sauraient remplacer une véritable enquête sociale. Outre la proximité avec le recourant de leurs auteurs et autrices, ceux-ci et celles-ci ne se prévalent pas d'une expertise dans le domaine de protection de l'enfance. Qui plus est, la manifestation par le recourant de l'intérêt pour les enfants et la prise en charge alléguée des enfants de ses proches ne suffisent pas à lui reconnaître les compétences parentales. L'éventuel soutien desdits proches dans la prise en charge des enfants adoptés ne joue aucun rôle dans l'appréciation des aptitudes éducatives du recourant.

Il n'est pas fait état dans la procédure sierra-léonaise d'une analyse de la situation financière du recourant et du temps à sa disposition pour s'occuper seul des enfants, de même que des conditions de logement. Or, celui-ci ayant récemment commencé une activité indépendante, on ne peut considérer qu'il jouit d'une situation financière saine et stable – en l'absence de la production de documents attestant de ses ressources pour les années 2022 et 2023 – et pourrait dégager suffisamment du temps à consacrer à ses obligations parentales parallèlement aux efforts de développement de son activité lucrative naissante.

Il résulte de ce qui précède que les insuffisances procédurales et matérielles de l'adoption sierra-léonaise, prises ensemble, sont de nature à la rendre incompatible avec l'ordre public suisse en la matière. Ne pouvant faire l'économie de l'examen des conditions et exigences ignorées ou négligées dans cette adoption étrangère, le DIN pouvait valablement requérir, lors de l'instruction de la requête de reconnaissance de la décision d'adoption, la collaboration du recourant aux fins d'élucider les points non établis avant de statuer. Dès lors que ce dernier lui a opposé une fin de non-recevoir à sa proposition de confier un mandat d'évaluation à un service spécialisé, l'intimé était fondé à retenir que la décision d'adoption n'était, en l'état, pas conforme aux exigences de l'ordre public suisse et, par conséquent, de refuser la requête de reconnaissance et d'inscription dans le registre d'état civil suisse de l'adoption des trois enfants.

Entièrement mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

3.2 à juste titre, l'autorité intimée relève que, conformément aux art. 75 LDIP et 4 OAdo, le recourant, qui résidait en Suisse au début de la procédure d'adoption, aurait dû obtenir une autorisation de la part de l'autorité cantonale compétente, qui aurait alors procédé aux investigations prévues par les art. 5 et 7 OAdo, ce qu'il a renoncé à faire en toute connaissance de cause, préférant obtenir une décision d'adoption en Sierra Leone, pays dans lequel il ne résidait pas au début de la procédure d'adoption, puis en requérir la reconnaissance en Suisse.

La question de savoir si un tel comportement relève d'une fraude à la loi pourra, cela étant, demeurer ouverte, la reconnaissance devant en tout état être refusée au vu de son incompatibilité manifeste avec l'ordre public suisse.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 novembre 2023 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 24 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge d'A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nawal HASSAM, avocate du recourant, au département des institutions et du numérique ainsi qu'à l'office fédéral de l'état civil.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :