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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3455/2023

ATA/1141/2024 du 01.10.2024 ( MARPU ) , ADMIS

Descripteurs : OBJET DU LITIGE;MARCHÉS PUBLICS;APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);PROCÉDURE D'ADJUDICATION;POUVOIR D'APPRÉCIATION;ILLICÉITÉ;DOMMAGES-INTÉRÊTS;REMBOURSEMENT DE FRAIS(SENS GÉNÉRAL);INTÉRÊT MORATOIRE
Normes : LPA.60; AIMP.18.al2; L-AIMP.3.al3; LMP.34.al2
Résumé : Examen des frais engagés dans la procédure de soumission par la recourante à la suite du constat de l’illicéité de l’adjudication et calcul du dommage. Octroi d’un montant au titre de dommages et intérêts de CHF 32'640.- à la charge du pouvoir adjudicateur, incluant les frais pour la procédure de recours. Admission du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3455/2023-MARPU ATA/1141/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er octobre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

VILLE DE GENÈVE intimée



EN FAIT

A. A______ (ci-après : A______) est une société dont le siège se trouve dans le canton de Vaud. Elle a pour buts le concept et la réalisation de systèmes sanitaires, la fabrication, l'entretien et le commerce d'appareils automatiques, notamment dans les domaines du sanitaire, de la télécommunication et industriels ainsi que l'exploitation d'une entreprise générale dans le domaine de la construction.

B. a. Le 7 avril 2023, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a publié sur la plateforme Simap l'appel d'offres en procédure ouverte no M1______ portant sur la fourniture de douze toilettes publiques autonettoyantes comprenant le transport, l'installation, le raccordement et l'entretien.

Le marché était divisé en deux lots, soit le lot no 1 spécifique à l'acquisition des WC autonettoyants (y compris le transport, la livraison, le raccordement, etc.) et le lot no 2 spécifique à l'entretien des WC autonettoyants (point II.5 des conditions générales de l'offre, p. 5 du dossier d'appel d'offres).

Dans le délai de soumission, trois entreprises ont remis des offres à la ville, dont A______ et B______ (ci-après : B______).

b. Le 21 septembre 2023, A______ a répondu à des questions écrites que la ville lui avait posées par courriel du 6 septembre 2023.

c. Le 25 septembre 2023, les soumissionnaires ont chacune participé à une séance de clarification.

d. Par décision du 16 octobre 2023, la ville a adjugé le marché à B______.

e. Le même jour, la ville a informé A______ que son offre n'avait pas été retenue et que le marché avait été adjugé à B______, dont l'offre remplissait pleinement les conditions et avait été jugée économiquement la plus avantageuse.

Selon le tableau comparatif des notes annexé, l'adjudicataire arrivait en tête du classement, avec un total de 313.06 points, dont 68.65 points pour le critère no 3 (soit 3.43 points pondérés à 20) et 63.90 points pour le critère no 5 (soit 4.26 points pondérés à 15), tandis que A______ arrivait en deuxième place, avec 308.13 points, dont 58.27 points pour le critère no 3 (soit 2.91 points pondérés à 20) et 21.90 points pour le critère no 5 (soit 1.46 points pondérés à 15).

C. a. Par acte du 23 octobre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d'adjudication. Elle souhaitait une réévaluation et une expertise du critère no 5 relatif à la qualité des références du candidat.

L'offre de l'adjudicataire avait été jugée économiquement la plus avantageuse malgré un prix supérieur à son offre de 26.12 %, soit CHF 1'251'786.33. Elle avait obtenu 4.93 points de moins que l'adjudicataire en raison d'une « dévalue stupéfiante » dans l'attribution des points sur le critère no 5, à savoir la qualité des références. L'évaluation de ce critère ne s'accordait pas à la valeur de ses références dans cinq projets similaires, avec la même complexité technique. Elle avait démontré ses compétences dans la fourniture, le transport, le levage et la pose de modules de WC complexes. Elle répondait à l'ensemble des critères liés au cahier des charges du critère no 5. Lors de la séance de clarification du 25 septembre 2023, elle avait apporté des compléments de réponses, notamment sur les contrats de maintenance, qu'elle avait indiqué avoir avec Châtel‑Saint‑Denis, Versoix et Lausanne.

b. La ville a conclu au rejet du recours.

c. A______ a répliqué et la ville dupliqué.

d. Le 22 janvier 2024, la ville a informé la chambre administrative que les deux contrats avec l'adjudicataire avaient été conclus le 19 janvier 2024.

e. Le 6 février 2024, A______ a persisté dans ses conclusions, soulignant que l'évaluation des critères avait été réalisée dans le but de favoriser l'adjudicataire.

D. a. Par arrêt du 16 avril 2024 (ATA/496/2024), la chambre administrative a admis partiellement le recours, constaté l’illicéité de la décision d’adjudication de la ville du 16 octobre 2023 et ouvert une instruction sur le montant du dommage occasionné à A______, cette dernière ne s’étant pas déterminée sur cette question et sur celle de l’indemnité. Un délai a été fixé à A______ pour justifier son dommage et produire les pièces probantes à cet effet et à la ville pour répondre. Le sort des frais était réservé jusqu’au prononcé de l’arrêt final.

La chambre administrative a, en particulier, retenu que la recourante aurait dû recevoir des notes plus élevées que celles obtenues pour les critères 3 et 5. Au regard du peu d’écart entre les résultats finaux de l’adjudicataire et de la recourante, moins de cinq points, le résultat de l’évaluation effectuée par l’autorité intimée, considéré dans son ensemble, constituait un usage abusif de son pouvoir d’appréciation.

b. Dans le délai imparti par la chambre de céans, A______ lui a transmis « les frais engagés dans le cadre de ce projet ». Elle a joint les justificatifs des heures ainsi que des frais liés à l’élaboration de la soumission. La somme totale des frais s’élevait à CHF 339'505.- hors taxes.

c. La ville a conclu à ce qu’il soit ordonné à la recourante de produire les fiches de salaire et les relevés de charges sociales de son personnel ayant travaillé sur le projet. Elle concluait au déboutement de la recourante de ses conclusions.

La somme de CHF 26'182.- dépensée pour « matériel non facturés/test produits/faisabilités (…) » et prototypes, était contestée, car produite sans aucune facture. Elle ne demandait pas aux soumissionnaires de créer un prototype de porte avec motorisation ni d’effectuer des essais. La réalisation de ces pièces laissait penser que la recourante ne fabriquait pas usuellement des WC autonettoyants correspondant aux critères du marché en cause. La réalisation des tests et prototypes relevait de la stratégie décidée par l’entreprise et il ne lui appartenait pas d’indemniser la recourante pour des dépenses inutiles ou superflues engagées du fait d’une mauvaise gestion ou de circonstances exorbitantes à la procédure.

Les relevés d’heures étaient contestés, car ils ne faisaient état que des heures consacrées à l’appel d’offres en cause et non des heures consacrées aux autres projets, visiblement établis pour les besoins de la cause. En outre, les soumissionnaires disposaient de neuf semaines entre la publication de l’offre et la date limite fixée pour le dépôt des offres. À raison de 42,5 heures par semaine, les heures produites, 992,40 revenaient à 23,35 semaines consacrées à plein temps à la préparation de l’offre. Le temps consacré était ainsi sans relation avec l’appel d’offres. Il était absolument inhabituel de consacrer autant d’heures à un appel d’offres. En l’absence de rapport de causalité, il ne lui appartenait pas d’indemniser la recourante pour les heures qui ne relevaient pas d’une organisation courante pour répondre à un appel d’offres. Un maximum de 100 heures pouvait être admis pour la réponse à l’appel d’offres.

Le temps total allégué pour la procédure d’appel d’offres, de 1’097 heures, était sans commune mesure avec les montants et temps retenus dans la jurisprudence cantonale, qui était citée à titre de comparaison. Le ratio était 1/10 et le temps admis devait être réduit dans cette mesure.

Le temps allégué pour la rédaction du recours (73 heures), de la réplique (143 heures) et de l’écriture du 6 février 2024 (67 heures) était également contesté. Le recours faisait quatre pages, et il n’avait pas pu nécessiter tant d’heures de la part de C______ et D______. Quinze heures était admises par la ville pour cette rédaction

Le temps allégué pour la rédaction de la réplique devait être limité à 20 heures, au regard de la longueur de la réplique (six pages) ainsi que d’un chargé de quatre pièces. Le temps consacré par D______ au « soutien administratif » de 53 heures était contesté.

Le temps allégué pour l’écriture du 6 février 2020 soit un courrier d’une page était contesté, les 67 heures alléguées devant être réduites à 3 heures.

Le tarif horaire était aussi contesté. La recourante faisait état de tarifs de CHF 250.- pour C______, de CHF 160.- pour D______ et de CHF 200.- pour E______, le responsable technique. Ces tarifs étaient plus élevés que le coût moyen qu’une entreprise devait consacrer au paiement de son personnel. Les fiches de salaires devaient être produites. Seules les dépenses salariales réelles devaient être prises en comptes et non le montant auquel le soumissionnaire pouvait valoriser le travail de ses employés dans le cadre d’un contrat. La ville considérait aussi que le montant de CHF 100.- ou 120.- admis par la chambre de céans lorsque les fiches de salaire n’étaient pas produites était trop élevé et nettement supérieur aux salaires usuels, charges sociales comprises ressortant des statistiques cantonales vaudoises citées, soit environ CHF 50.- de l’heure.

d. A______ a répondu que le projet était complexe, au-dessus des standards en termes de complexité, et nécessitait l’intervention de onze corps de métiers différents. Elle l’avait estimé à 1'200 heures de travail.

Il avait été nécessaire de réaliser un prototype et des essais afin d’obtenir le prix le plus juste possible pour un produit fonctionnel. Leur offre était nettement plus avantageuse que celle de l’adjudicataire.

Les heures évoquées étaient adéquates. Durant les neuf semaines, le directeur avait mis la prospection en stand-by pour se consacrer au projet. D______ avait fait deux journées de plus de neuf heures et E______ avait toujours réalisé un horaire régulier. Il était de leur choix de travailler les heures évoquées pour rendre un projet de qualité.

Leur coût horaire se basait sur les tarifs de F______ et retenait pour un employé de commerce technique CHF 159.- de l’heure et pour un technicien de construction CHF 184.- de l’heure. Ils facturaient ainsi CHF 160.- pour D______, CHF 200.- pour E______ car il possédait des connaissances en hydraulique, électronique et informatique supérieures à celles d’un technicien en métallurgie et CHF 280.- pour C______, étant donné le risque et les investissements.

A______ a transmis en annexe les déclarations des salaires AVS 2023 de son personnel.

e. La ville s’est déterminée sur ces pièces.

A______ confirmait dans ses écritures être allée au-delà de ce qui était attendu pour répondre à l’appel d’offres. Elle indiquait que le marché pour des toilettes automatiques publiques était rare et qu’elle avait décidé de mettre le maximum de forces pour valoriser son entreprise et obtenir le contrat. Cela relevait de sa stratégie d’entreprise et donc de circonstances exorbitantes à la procédure d’appel d’offres, dont elle ne devait pas assumer le coût.

La somme alléguée pour le matériel était contestée, la ville n’ayant jamais demandé de réaliser des prototypes ou de procéder à des tests.

La recourante expliquait se baser sur les tarifs de F______ pour établir son coût horaire. Or, le document faisait état des recommandations de cette entreprise pour les coûts facturés en régie, c’est-à-dire lorsque des prix unitaires n’avaient pas été convenus. Avec ces tarifs horaires, les salaires mensuels des techniciens s’élevaient à CHF 34'500.- (pour un tarif horaire de CHF 199.-), un montant sans rapport avec le coût réel d’un technicien. La recourante avait produit les déclarations de salaire pour l’année 2023. Il en ressortait que le coût réel des salaires était inférieur au coût horaire qu’elle prétendait, soit mensuellement CHF 10'683.- pour C______, CHF 1’733.- pour D______ et CHF 6'500.- pour E______. Il était rappelé qu’il ne s’agissait pas d’indemniser le manque à gagner de l’entreprise mais seulement les dépenses réelles causées par la procédure de soumission, qui devaient se trouver dans un rapport de causalité adéquate avec celle-ci.

Ainsi, en tenant compte du nombre d’heures pour la procédure d’appel d’offre et de recours, soit 160 heures, et des salaires précités, la ville concluait à ce que l’indemnité totale soit fixée à CHF 15'000.- au total TTC.

f. A______ a répondu avoir consacré toute son énergie et ses activités commerciales à ce projet et ce, bien qu’elle n’ait pas remporté le marché. Les heures réalisées étaient justifiées et correspondaient au tarif habituel de l’entreprise. Si les heures réalisées sur le projet avaient été consacrées à des affaires courantes, elles auraient rapporté plus que la facturation des heures au tarif horaire. Elle acceptait cependant de déduire le montant correspondant au matériel utilisé, soit CHF 26'182.-. Elle rappelait qu’il était plus facile de remettre une offre quand le produit correspondait à 100 % au concept du fabriquant de base, ce qui n’était pas leur cas.

g. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             La recevabilité du recours a déjà été admise par arrêt de la chambre de céans du 16 avril 2024, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y revenir.

En l'espèce, la ville a conclu les contrats avec l’adjudicataire le 19 janvier 2024. La chambre de céans en a pris acte, a admis le recours de A______ le 16 avril 2024, se référant à l'art. 18 al. 2 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), retenu le caractère illicite de la décision d’adjudication et constaté l'illicéité de la décision d'adjudication du 16 octobre 2023.

2.             Il reste ainsi à examiner le bien-fondé des prétentions élevées par la recourante et le présent arrêt se limite à l'examen des frais engagés par celle-ci dans la procédure de soumission, aux frais de justice et au temps consacré à la constitution et l’examen du dossier.

2.1 Si le recours contre une adjudication est jugé bien fondé et le contrat relatif à l’appel d’offres déjà conclu, l'autorité de recours constate le caractère illicite de la décision (art. 18 al. 2 AIMP). Une fois le caractère illicite de la décision constaté, la recourante peut demander devant l'autorité compétente la réparation de son dommage, limité aux dépenses qu'elle a subies en relation avec les procédures de soumission et de recours. Le cas échéant, la chambre administrative donne un délai à la recourante permettant à celle-ci de quantifier et de motiver sa prétention (art. 3 al. 3 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'AIMP du 12 juin 1997 – L‑AIMP - L 6 05.0).

2.2 Selon la jurisprudence de la juridiction de céans, le dommage que peut réclamer un recourant en se fondant sur l'art. 3 al. 3 L-AIMP est limité à la réparation des impenses engagées dans la procédure de soumission, y inclus le remboursement de ses frais d'avocat, à défaut de la réparation du gain manqué, voire d'autres indemnités susceptibles d'être réclamées en raison notamment de la conclusion anticipée du contrat (ATA/476/2015 du 19 mai 2015 consid. 12c) ou de l'interruption de la procédure d'adjudication. Le montant du dommage subi et les frais allégués à ce titre par le recourant doivent être en lien avec la procédure, conformément au principe du lien de causalité (ATA/1355/2018 du 18 décembre 2018 consid. 9d et les références citées).

Par dépenses « subies en relation avec les procédures de soumission et de recours » au sens de l'art. 3 al. 3 L-AIMP, le législateur visait les dépenses exposées par le soumissionnaire lésé ; les dépenses inutiles ou superflues, engagées par ce dernier du fait d'une mauvaise gestion ou de circonstances exorbitantes auxdites procédures, en étaient exclues (ATA/437/2019 du 16 avril 2019 consid. 9b et les références citées). Du point de vue du droit de la responsabilité, il n'est en effet pas possible d'imputer à l'auteur du dommage – fût-ce une collectivité publique – une lésion qui ne se serait pas produite en présence d'une gestion normale et régulière de la société. Cette condition découle du principe de causalité adéquate qui exige qu'il existe un rapport raisonnable entre le dommage subi et l'illicéité de la décision (ATF 131 III 12 consid. 4 et les références citées).

2.3 La L-AIMP est calquée, de ce point de vue, sur la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (LMP - RS 172.056.1) qui prévoyait, à son art. 34 al. 2 dans sa teneur jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle LMP le 1er janvier 2021, une limitation de la responsabilité aux dépenses « nécessaires » engagées par le soumissionnaire en relation avec les procédures d'adjudication et de recours. Plus explicitement que dans la loi cantonale, mais de la même manière, la LMP exclut les dépenses subies par le soumissionnaire lésé qui sortent du cadre des dépenses ordinaires consenties par une société régulièrement administrée (ATA/548/2021 du 25 mai 2021 consid. 3d ; ATA/437/2019 précité consid. 9c et les références citées). La réparation des frais relatifs à la procédure de recours au titre de la responsabilité spéciale en matière de marchés publics couvre la différence entre les frais encourus à ce titre et ceux couverts par les dépens. La couverture va au-delà des règles ordinaires en matière de responsabilité de l'État (Evelyne CLERC, L'ouverture des marchés publics : effectivité et protection juridique, 1997, p. 614).

2.4 L’adjudicateur ne peut pas se réfugier derrière le principe de la gratuité des offres pour refuser l’indemnisation des frais de la procédure de soumission, les règles de marchés publics prévues à ce sujet n’étant valables que dans l’hypothèse où la procédure s’est déroulée normalement (Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Le droit des marchés publics, 2002, p. 150).

3.             En l'espèce, la recourante a chiffré ses prétentions concernant ses frais de soumission à hauteur de CHF 339'505.-.

3.1 Elle allègue des frais de CHF 207'780.- pour un total de 992 heures pour la première phase (de soumission), qu’elle divise en 395 heures pour C______, directeur de projet, 269 heures pour D______, responsable administrative et 326 heures pour E______, responsable technique. Pour la seconde phase (dite de recours), elle retenait CHF 82'345.- pour un total de 380.50 heures. Elle acceptait de déduire du total CHF 26'182.- de matériel.

La ville conteste les relevés, estimant que se consacrer entièrement et uniquement à l’appel d’offres était une décision commerciale propre à l’entreprise et qu’elle n’avait pas à indemniser ce choix. En outre, les relevés faisaient état de journées complètes de 8, 9, voire 13 heures consacrées au projet, ce qui n’était pas crédible. Elle retenait au maximum 100 heures pour la réponse à l’appel d’offres.

La chambre de céans constate que s’agissant de l’activité déployée par son personnel pour la soumission, la recourante s’est contentée de produire le nombre d’heures travaillées par chacun des trois membres ayant participé à l’élaboration de la réponse à l’appel d’offres, en exposant de manière très générale l’activité de chaque personne, estimant avoir mis tout son temps de travail en faveur du projet d’appel d’offres. Elle n’a pas produit d’explications détaillant les activités de chacune d’elles, ni le nombre d’heures consacré spécifiquement à chacune de ces activités. Rien ne permet dès lors d’évaluer précisément le caractère crédible du temps consacré à la soumission par chacun des trois intervenants.

En outre, le décompte effectué en journée de travail, comptabilisée chacune à huit, neuf, dix voire treize heures, apparaît exagéré. Une journée de travail complète ne comporte en effet que rarement autant d’heures de travail effectif facturable. À cela s’ajoute que la recourante exerçait déjà les activités visées par l’appel d’offres au moment de la préparation de son offre, ce qui ne pouvait que lui faciliter ladite préparation. Enfin, au vu de l’expérience de la recourante, les prototypes et essais invoqués, d’ailleurs non requis par l’appel d’offres, étaient d’autant moins justifiés et le temps alloué à ce poste ne peut être indemnisé.

Dans ces circonstances, l’intervention de trois personnes pour 992 heures pour un total de CHF 395’000.- pour la réalisation de l’offre est excessive.

Néanmoins, l’offre de la recourante remplit un classeur A4 de taille moyenne en entier et est doté d’une présentation travaillée et soignée. Elle contient le dossier du dépôt de l’offre, les différentes attestations requises et les annexes remplies, et concerne un marché technique, comprenant l’intervention de plusieurs corps de métiers.

Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent et de l’importance de la procédure d’adjudication en cause – l’offre de la recourante s’élevant à CHF 3'540'529.-, les heures de travail en vue de la soumission de la réponse à l’appel d’offres seront évaluées en équité à 200 heures.

3.2 La recourante sollicite ensuite pour la séance de clarification du 25 septembre 2023 dans les locaux de la ville de retenir la durée de 69 heures pour C______ et de 36 heures pour D______, soit deux semaines et demi de travail à plein temps. La ville considère que 20 heures au maximum peuvent être admises à ce titre. La séance avait duré au maximum 2h30 et seize questions avaient été posées avant la séance, le document contenant les réponses faisant six pages.

La chambre de céans retiendra donc ce nombre d’heures, qui n’a pas été contesté.

Ainsi, le temps total pour l’ensemble de la procédure d’appel d’offres retenu par la chambre de céans s’élève à 220 heures, en équité.

3.3 La recourante souhaite ensuite être indemnisée pour le recours comportant quatre pages, qu’elle a rédigé seule et qui a mené au constat par la chambre de céans de l’illicéité de la décision, alléguant une durée de travail de 73 heures, soit 48 heures consacrées par le directeur de projet et 25 heures pour le soutien administratif. La ville retient quinze heures pour cette rédaction.

Au vu du volume de travail, du contentieux généré, de l’absence de formation juridique du directeur et des pièces fournies, 20 heures seront admises en équité pour ce poste.

3.4 Le temps relatif à la réplique retenu par la recourante est de 143 heures, soit 76 heures pour le directeur administratif et 53 heures pour la responsable administrative. La réplique fait six pages et le chargé l’accompagnant quatre pages. La ville admet 20 heures pour ce document.

Au vu du volume et du contenu de la réplique, ainsi que de l’écriture détaillée de la ville à laquelle elle a répondu, 30 heures seront admises pour ce poste.

3.5 Enfin, le temps retenu pour l’écriture du 6 février 2024, qui comporte une page, pour laquelle la recourante estime avoir consacré 67 heures sera réduit en équité à deux heures, la duplique de la ville comportant 5 pages à analyser.

3.6 Ainsi, le nombre total des heures de travail pour la procédure de recours devant la chambre de céans s’élève à 52 heures.

3.7 Le tarif horaire allégué par la recourante est de CHF 250.- pour C______, CHF 160.- pour la responsable administrative et CHF 200.- pour E______. Elle se fonde sur les recommandations de F______ pour établir son taux horaire.

La ville conteste ces tarifs, qui sont plus élevés que le coût horaire moyen. Sur la base des taux retenus, le coût facturé pour le travail d’un technicien à CHF 199.- de l’heure s’élèverait à CHF 34'500.- par mois. Or, selon la déclaration AVS des salaires produite par la recourante, C______ percevait CHF 10'683.- par mois, D______ CHF 1'733.- et E______ CHF 6'500.- par mois.

Les taux horaires évoqués sont effectivement sans commune mesure avec les taux habituellement retenus par la chambre de céans. La déclaration des salaires transmise démontre que le coût salarial supporté par la recourante est nettement inférieur au coût horaire qu’elle retient. Il sera dès lors retenu en équité le taux horaire moyen de CHF 120.-, ce montant tenant compte du fait qu’il n’a pas été possible d’attribuer à chacune des personnes impliquées dans l’appel d’offre un nombre précis d’heures de travail.

3.8 Au vu de ce qui précède, 220 heures peuvent être retenues pour la procédure d’appel d’offres et 52 heures pour la procédure de recours devant la chambre de céans au taux horaire moyen de CHF 120.-, portant l'indemnité de la recourante au titre de dommages-intérêts à CHF 32'640.-, à la charge de la ville. Ce montant ne porte pas d’intérêts, en l’absence de conclusions sur ce point (art. 69 al. 1 LPA).

3.9 La recourante obtenant gain de cause, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 2 LPA). Il n’y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure à la recourante, l’indemnisation arrêtée supra comprenant déjà les frais engagés par cette dernière pour la procédure de recours.

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

statuant sur le dommage  :


condamne la Ville de Genève à verser à A______ une indemnité au titre de dommages et intérêts de CHF 32’640.- ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-Fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à la Ville de Genève ainsi qu’à la Commission de la concurrence.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

M. MARMY

 

 

le président siégeant :

 

P. CHENAUX

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :