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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3582/2023

ATA/1065/2024 du 10.09.2024 ( FPUBL )

Descripteurs : APPEL EN CAUSE;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;INTÉRÊT FINANCIER;INTÉRÊT ÉCONOMIQUE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR
Normes : LTF.89; LTF.111; LACI.29; LACI.54; LPA.7; LPA.60; LPA.71.al1; LPA.71.al2
Résumé : Demande d’intervention d’une caisse de chômage dans la procédure de recours d’un employé contre sa révocation avec effet immédiat. La demande d’intervention vaut demande d’appel en cause. Application de la jurisprudence du Tribunal fédéral 8C_481/2022 du 21 novembre 2022, selon laquelle la caisse de chômage a un intérêt juridique manifeste à voir l’employé obtenir gain de cause, puisqu’en cas de perte du procès par celui-ci, elle ne pourrait faire valoir aucune prétention financière contre l’employeur. Demande d’intervention admise. À noter que ce changement de pratique ne signifie pas que les caisses de chômage doivent systématiquement être appelées en cause d’office.
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3582/2023-FPUBL ATA/1065/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 10 septembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant

représenté par Me Robert ASSAEL, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé

et

CAISSE DE CHÔMAGE B______ appelée en cause

 



Attendu, en fait, que par arrêté du 27 septembre 2023, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d’État a révoqué A______ de ses fonctions avec effet immédiat en raison d’une violation grave des devoirs de service ;

que par acte du 30 octobre 2023, l’intéressé a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté, concluant à son annulation et à sa réintégration en qualité de chargé de mission à la direction du projet C______ (ci-après : C______) de l’office D______ ;

que le 2 février 2024, la caisse de chômage B______ (ci-après : la caisse) a fait valoir un droit aux indemnités journalières depuis le 6 octobre 2023 ; qu’elle s’était subrogée dans les droits de l’employé du 6 octobre 2023 jusqu’au 30 septembre 2027 au maximum, soit la fin du délai-cadre d’indemnisation ;

que, le 23 février 2024, la caisse a formé une demande d’intervention dans le cadre de la procédure opposant A______ au Conseil d’État, concluant à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de ce dernier, déduction faite de la subrogation de la caisse, qui devait être versée en mains de la caisse ;

que, par pli du 29 février 2024, la chambre administrative a informé la caisse qu’en application de sa jurisprudence constante, l’intervention n’était pas admise en procédure administrative genevoise ; que, compte tenu de la subrogation légale de la caisse, elle n’était pas affectée par l’issue de litige ;

que, le 11 mars 2024, la caisse a invité la chambre de céans à rendre une décision sujette à recours concernant sa demande d’intervention ; qu’elle a expliqué que si l’employé perdait son procès, elle perdait dans le même temps la possibilité de réclamer à l’employeur les indemnités versées ; qu’elle avait partant un intérêt digne de protection évident à ce que le recourant obtienne sa réintégration ;

qu’invité à se déterminer sur la demande d’intervention de la caisse, le Conseil d’État s’en est remis à justice ;

que, le 30 avril 2024, A______ s’est opposé à la requête d’intervention de la caisse, au motif que la demande d’intervention n’existait pas en procédure administrative ;

que la caisse a transmis des avis de subrogation provisoire les 27 février, 26 mars, 29 avril, 29 mai, 25 juin et 31 juillet 2024 ;

que les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur la demande d’intervention ;

Considérant, en droit, que selon l'art. 71 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), l'autorité peut ordonner, d'office ou sur requête, l'appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d'être affectée par l'issue de la procédure ; que la décision leur devient dans ce cas opposable ;

que, selon l’art. 71 al. 2 LPA, l'appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties ;

que la doctrine précise que l’autorité saisie a la faculté d’ordonner l’appel en cause, d’office ou sur requête, mais qu’elle n’en a pas l’obligation, sauf lorsque le tiers dispose d’un intérêt digne de protection, son droit à l’appel en cause découlant directement des art. 89 et 111 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ;

que, selon l’art. 29 de la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI - RS 837.0), si la caisse a de sérieux doutes que l'assuré ait droit, pour la durée de la perte de travail, au versement par son ancien employeur d'un salaire ou d'une indemnité au sens de l'art. 11 al. 3, ou que ces prétentions soient satisfaites, elle verse l'indemnité de chômage (al. 1) ; en opérant le versement, la caisse se subroge à l'assuré dans tous ses droits, y compris le privilège légal, jusqu'à concurrence de l'indemnité journalière versée par la caisse (al. 2, première phrase ; cf. aussi l’art. 54 al. 1 LACI) ;

que, selon une jurisprudence constante de la chambre administrative, les demandes d'intervention qui lui sont soumises par les caisses de chômage dans des procédures de licenciement d'employés ou de fonctionnaires sont irrecevables, la demande d'intervention n'existant pas en procédure administrative (ATA/838/2019 du 30 avril 2019 consid. 46 ; ATA/161/2013 du 12 mars 2013 consid. 3 ; ATA/92/2013 du 19 février 2013 consid. 6 ; ATA/300/2013 du 14 mai 2013 ; ATA/92/2013 du 19 février 2013 ; ATA/161/2013 du 12 mars 2013 consid. 3 ; ATA/820/2010 du 23 novembre 2010 ; ATA/424/2008 du 26 août 2008) ;

que la chambre administrative a toutefois considéré qu’une requête d’intervention valait demande d’appel en cause au sens de l’art. 71 LPA (ATA/744/2011 du 6 décembre 2011 consid. 3 ; ATA/424/2008 du 26 août 2008 consid. 4 ; ATA/804/2005 du 28 novembre 2005) ;

que la jurisprudence interprète l’art. 71 LPA à la lumière des conditions relatives à la qualité pour recourir en procédure contentieuse (art. 60 LPA), dans le respect de la règle de base définie à l’art. 7 LPA ; que l’institution de l’appel en cause ne doit ainsi pas permettre à des tiers d’obtenir des droits plus étendus que ceux donnés aux personnes auxquelles la qualité pour agir est reconnue ; qu’il faut toujours examiner avec soin si la personne susceptible d’être appelée en cause est touchée directement ; qu’en définitive, tout tiers qui dispose de la qualité pour recourir pourra ou devra être appelé en cause (art. 71 LPA) pour exercer ses droits, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une procédure spéciale d’intervention (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 903 ss ad art. 71 LPA ; ATA/850/2024 du 15 juillet 2024) ;

que, dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si le Tribunal cantonal du canton de Vaud avait violé l’interdiction de l’arbitraire en rejetant la demande formée par une caisse de chômage d’intervenir dans une procédure de résiliation des rapports de service pour justes motifs d’un employé de la municipalité de Lausanne et de prendre des conclusions tendant à l’annulation de la décision de résiliation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_481/2022 du 21 novembre 2022) ;

que le Tribunal fédéral a considéré que l’arrêt cantonal qui serait rendu était susceptible d’avoir une influence sur les droits de la caisse de chômage, dès lors que celle-ci serait subrogée à l’employé dans ses droits au paiement de son salaire si les juges cantonaux se prononçaient en faveur de ce dernier et annulaient la décision de résiliation ; que la caisse de chômage avait donc un intérêt juridique manifeste à voir l’employé obtenir gain de cause, puisqu’en cas de perte du procès par celui-ci, elle ne pourrait faire valoir aucune prétention financière contre l’employeur sur la base de l’art. 29 al. 2 LACI ; que le Tribunal fédéral a ajouté que le droit de procédure devait permettre l’accomplissement du droit matériel (en l’occurrence l’art. 29 al. 2 LACI) et non en empêcher la réalisation ; que les règles de procédure ne pouvaient dès lors être interprétées dans un sens qui complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel (consid. 4.2) ;

que, selon la doctrine, en se subrogeant à l’assuré, la caisse acquiert qualité pour agir en justice administrative également contre l’employeur, en paiement de la créance (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n. 13 ad art. 54 LACI) ;

qu’en l’espèce en opérant le versement, la caisse s’est subrogée au recourant dans tous ses droits, y compris le privilège légal, jusqu’à concurrence du montant de l’indemnité journalière ;

qu’en application de la jurisprudence précitée, la situation juridique de la caisse apparaît directement affectée par l’issue de présent litige ; qu’en effet, en cas de rejet du recours, elle ne pourra pas faire valoir de prétention financière contre l’employeur sur la base de
l’art. 29 al. 2 LACI ; qu’elle a donc un intérêt juridique manifeste à voir l’employé obtenir gain de cause ; que, dès lors, la demande d’intervention doit être admise et la caisse doit avoir la possibilité de se déterminer sur le bien-fondé de la décision litigieuse ;

que les objections fondées sur l’absence de possibilité d’intervention en procédure administrative doivent être écartées, dès lors que l’appel en cause, au sens de l’art. 71 LPA, peut être ordonné d’office ; 

que la demande d’intervention, valant comme demande d’appel en cause, sera dès lors admise ;

que la caisse aura ainsi la possibilité d’exercer ses droits de partie au sens de l’art. 71 al. 2 LPA ;

que le sort des frais de la procédure sera réservé.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

ordonne l’appel en cause de la caisse de chômage B______ ;

communique à la caisse de chômage B______ une copie du recours, de la décision attaquée, des écritures des parties, du procès-verbal de comparution personnelle et de la convocation à une audience ;

dit que les pièces de la procédure peuvent être consultées au greffe de la chambre administrative ;

impartit un délai au 1er octobre 2024 à la caisse de chômage B______ pour présenter ses observations sur le fond du litige ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Robert Assael, avocat du recourant, au Conseil d'État ainsi qu’à la caisse de chômage B______.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière