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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1714/2024

ATA/1011/2024 du 27.08.2024 ( PROC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1714/2024-PROC ATA/1011/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 août 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ demandeur
représenté par Me Laïla BATOU, avocate

contre

SERVICE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES défendeurs

et

CHAMBRE ADMINISTRATIVE DE LA COUR DE JUSTICE



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : le détenteur) est détenteur de cinq chiens : un H______, nommée « B______ », un I______ nommée « C______ », un J______, nommé « D______ » et deux K______, répondant aux noms de « E______ » et « F______ ».

b. Les animaux du détenteur ont fait l’objet de dénonciations et de plusieurs décisions du service de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : SCAV) depuis 2022.

c. Par décision du 20 décembre 2023, le SCAV a, notamment, ordonné le séquestre définitif des deux K______ (ch. 1) ; interdit au détenteur, pour une durée de trois ans, pour des motifs de sécurité publique, de détenir d’autres chiens que D______, C______ et B______ (ch. 2) ; dit que, passé ce délai, il était interdit au détenteur, pour des motifs de sécurité publique, de faire l’acquisition d’un chien pesant plus de 10 kg à l’âge adulte pour une durée de trois ans supplémentaires (ch. 3) ; prononcé l’exécution immédiate de la décision, nonobstant recours (ch. 8).

La décision a été envoyée par courrier A+ et notifiée le jeudi 21 décembre 2023.

B. a. Par acte du 17 janvier 2024, posté le 18 janvier 2024 à l’attention de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), le détenteur a « fait opposition » à la décision qu’il trouvait « très sévère et injuste ». Avant l’incident du 6 décembre 2023, ses chiens n’avaient agressé ni humain, ni d’autres canidés. Ce jour-là, ses animaux s’étaient défendus, se sentant, peut-être, agressés. Lors de l’intervention du 14 décembre 2023 à son domicile, les agents, bruyants à leur arrivée, avaient effrayé ses chiens qui s’étaient enfuis. Il était prêt à faire les démarches préconisées.

b. Le SCAV a conclu à l’irrecevabilité du recours, tardif, et subsidiairement à son rejet.

c. Dans sa réplique, le détenteur a reconnu avoir fait des erreurs et n’avoir pas respecté toutes les décisions précédant le séquestre définitif de ses deux chiens. Les dénonciations à son encontre n’étaient pas justifiées. Il souhaitait récupérer F______ et E______, se soumettre à tous les tests ou séances d’éducation canine nécessaires et s’engageait à respecter les décisions.

d. Par arrêt du 26 mars 2024, la chambre administrative a déclaré le recours irrecevable (cause A/202/2024).

Le recourant ne contestait pas que la décision lui avait été notifiée, à teneur du suivi des courriers de la poste, le jeudi 21 décembre 2023. Le délai de recours de dix jours avait ainsi commencé à courir le mercredi 3 janvier 2024 compte tenu de la suspension du délai entre le 22 décembre 2023 et le 2 janvier 2024 inclus. Il était arrivé à échéance le vendredi 12 janvier 2024. Interjeté le 18 janvier 2024, le recours était tardif. Pour le surplus, il n’était pas allégué que le recourant aurait été empêché d’agir dans le délai légal de recours de dix jours.

C. a. Le 10 mai 2024, A______ a sollicité, sous la plume d’un conseil, la restitution du délai de recours qu’il n’avait pas été en mesure d’observer. L’arrêt du 26 mars 2024 devait être annulé et un délai devait lui être imparti pour compléter son écriture.

Socialement isolé et dans une situation financière précaire, il souffrait d’un état dépressif important.

Objectivé par son médecin généraliste le 3 mai 2024, cet état existait déjà en décembre 2023 et en janvier 2024. Le médecin avait constaté une dégradation des capacités psychiques depuis le début de la prise en charge auparavant.

Son avocate avait pu constater que le demandeur n’était pas en mesure de comprendre les conséquences d’un dépôt tardif de recours. Son isolement, et en particulier l’absence d’accès au téléphone, ne lui avait pas permis de se faire conseiller en temps utile, de sorte qu’il avait agi dans toute la mesure de ses possibilités, réduites, étant rappelé que le délai de recours de 10 jours de la loi sur les chiens du 18 mars 2011 (LChiens - M 3 45) dérogeait en sa défaveur aux règles de la procédure administrative ordinaire.

L’empêchement ne pouvait en conséquence pas être considéré comme fautif. Il avait cessé le 30 avril 2024, lorsque le demandeur était parvenu à consulter son avocate en se présentant, sans rendez-vous, à l’étude et que cette dernière l’avait exhorté à se faire examiner par un médecin.

Vu les troubles dont il souffrait et l’isolement dans lequel ils le plongeaient, il était émotionnellement et affectivement dépendant de ses chiens, de sorte que la cause n’était pas une affaire bagatelle. Il était indispensable qu’il puisse être entendu par le juge et qu’il reçoive une décision motivée au fond et susceptible de lui être expliquée.

b. Le docteur G______ était le médecin traitant du demandeur. Selon un certificat médical du 3 mai 2024, le patient l’avait contacté quelques jours auparavant pour une prise de rendez-vous, qui s’était déroulé le 3 mai. Le patient lui avait indiqué qu’il « n’[allait] pas bien », qu’il était complètement déprimé et n’était pas en mesure de s’occuper de ses tâches administratives. Il avait évoqué avoir été très « secoué » par la problématique de séquestration de ses chiens au mois de janvier 2024 ce qui l’avait plongé dans une dépression grave, l’empêchant de venir consulter son médecin. Selon les dires des amis de l’intéressé, également patients au cabinet, A______ présentait un état anxio-dépressif depuis plusieurs mois. Le médecin avait essayé d’appeler le patient il y avait plusieurs mois sans succès. Celui-ci étant quasiment sourd, la discussion téléphonique était impossible. Le patient avait également indiqué qu’il n’avait pas pu faire recours dans les temps car il était tellement déprimé qu’il n’arrivait même pas à « sortir de son lit ». Il présentait par ailleurs des douleurs articulaires au niveau d’un genou et des hanches qui l’empêchaient de sortir facilement.

Le médecin le connaissait depuis 2017. Il avait vu son état diminuer également au niveau psychique. Il ne l’avait pas rencontré au mois de janvier 2024 et ne pouvait pas certifier son état autrement que par déduction indirecte, en lien avec l’état constaté le 3 mai 2024.

c. Le SCAV a conclu au rejet de la demande de restitution du délai, subsidiairement au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, l’intéressé a persisté dans ses conclusions.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Il y a lieu à révision lorsque, dans une affaire réglée par une décision définitive, il apparaît que des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (art. 80 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

La demande de révision doit être adressée par écrit à la juridiction qui a rendu la décision dans les trois mois dès la découverte du motif de révision (art. 81 LPA).

1.2 En l’espèce, le demandeur considère implicitement que son état de santé en janvier 2024 constitue un fait nouveau et important dont il ne pouvait se rendre compte en janvier 2024 au vu de la gravité de sa dépression.

La recevabilité de la demande de révision souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

2.             Le délai de recours contre les décisions du SCAV est de 10 jours (art. 3 al. 1 et 41 al. 2 LChiens).

3.             Le demandeur invoque un cas de force majeure en raison de son état de santé qui l’aurait empêché d’interjeter recours dans le délai dans la procédure A/202/2024 laquelle a abouti à un arrêt d’irrecevabilité du 26 mars 2024.

3.1 Un délai fixé par la loi ne peut être prolongé. Les cas de force majeure sont réservés (art. 16 al. 1 LPA).

3.2 Tombent sous la notion de force majeure les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible (SJ 1999 I 119 ; ATA/153/2023 du 14 février 2023 consid. 2.3 et les arrêts cités). Les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. Ce dernier doit être imprévisible et sa survenance ne doit pas être imputable à faute à l'administré (arrêt du Tribunal fédéral 2C_168/2014 du 29 octobre 2014 consid. 5.3 et la jurisprudence citée ; ATA/651/2024 du 28 mai 2024 consid. 2.3 ; ATA/514/2024 du 23 avril 2024 consid. 3.3). L’empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (ATA/470/2022 du 3 mai 2022 consid. 2b ; ATA/397/2013 du 25 juin 2013 consid. 9).

Selon la jurisprudence, une maladie subite d'une certaine gravité qui empêche la personne intéressée de se présenter ou de prendre à temps les dispositions nécessaires peut justifier une restitution de délai. Le Tribunal fédéral a toutefois précisé que seule la maladie survenant à la fin d'un délai et l'empêchant de défendre elle-même ses intérêts ou de recourir à temps aux services d'un tiers constitue un tel empêchement (arrêts du Tribunal fédéral 8F_2/2023 du 23 mars 2023 consid. 5 ; 6B_659/2021 du 24 février 2022 consid. 2.1 ; 5A_280/2020 du 8 juillet 2020 consid. 3.1.1 in SJ 2020 I p. 465; ATF 112 V 255 consid. 2a). Même une incapacité de travail totale, n'exclut pas une simple activité administrative (arrêts du Tribunal fédéral 2C_300/2017 du 27 mars 2017 consid. 3.2.4 ; 2C_1212/2013 du 28 juillet 2014 consid. 6.3). La maladie n’est admise comme motif d'excuse que si elle empêche le recourant d'agir par lui-même ou de donner à un tiers les instructions nécessaires pour agir à sa place (ATA/514/2024 du 23 avril 2024  consid. 3 et la référence citée).

Dans un arrêt de 2015, la chambre de céans a nié l’existence d’un cas de force majeure à une dépression importante (ATA/660/2015 du 23 juin 2015 consid. 7).

3.3 En l’espèce, la décision initialement querellée date du 20 décembre 2023. Le délai de recours, certes court, est arrivé à échéance le vendredi 12 janvier 2024. Il a été suspendu jusqu’au 2 janvier 2024 inclus, conformément à l’art. 63 al. 1 let. c LPA. L’intéressé a réagi par pli daté du 17 janvier 2024 mais posté le lendemain. Il a indiqué trouver la décision « très sévère et injuste ». Il a développé ses arguments dans une lettre, motivée et dactylographiée, d’une page. Interpellé par la chambre de céans par pli du 19 janvier 2024, il a dûment complété son recours par l’envoi de la copie de la décision attaquée et la preuve du paiement, en temps voulu, de l’avance de frais sollicitée. Enfin, dans un courrier du 15 mars 2024, il a fait suite, dans le délai, à l’invitation à répliquer. Tous les courriers ont été adressés par pli recommandé, à la bonne adresse.

La décision querellée faisait par ailleurs suite au passage d’un inspecteur du SCAV au domicile du demandeur en vue de la notification de la décision de séquestre préventif. Il avait alors refusé de se soumettre aux injonctions du SCAV. L’intervention de la police cantonale avait été nécessaire pour procéder au séquestre des deux chiens.

À aucun moment, avant la demande de restitution de délai, l’évocation d’un problème de santé sous la forme d’une grave dépression n’a été évoquée, ni par l’intéressé, ni par les autres intervenants dans le dossier, qu’il s’agisse de la police ou du SCAV.

Ainsi, comme mentionné par la chambre de céans dans son arrêt du 26 mars 2024, il n’était pas allégué qu’un cas de force majeure l’aurait empêché d’agir et aucun élément au dossier ne le laissait supposer.

Le certificat du médecin traitant du demandeur évoque un état dépressif important le 3 mai 2024, date de la consultation. Il atteste d’une absence de consultation depuis plusieurs mois. Le praticien ne précise toutefois pas à quelle date il a tenté d’appeler son patient indiquant uniquement « il y a plusieurs mois ». Le médecin confirme cependant ne pas avoir vu le patient au mois de janvier 2024 et ne pas pouvoir certifier son état autrement que par une déduction indirecte en fonction de l’état de ce dernier le 3 mai 2024. Ces éléments ne permettent pas de retenir comme établi un cas de force majeure, étant rappelé que la jurisprudence tant fédérale que cantonale est stricte et que la dépression évoquée ne répond pas à la notion d’une maladie subite d'une certaine gravité qui aurait empêché le recourant de se présenter ou de prendre à temps les dispositions nécessaires. Le fait qu’il ait réussi à entreprendre les démarches idoines, le 18 janvier 2024, soit quelques jours seulement après l’échéance du délai de recours le lundi 12 janvier 2024 plaide plutôt contre l’existence d’un cas de force majeure.

À cela s’ajoute que le praticien évoque les préoccupations d’amis du demandeur. Ce fait témoigne de l’existence de tiers, en contact avec l’intéressé, auxquels celui-ci aurait pu s’adresser aux fins de mener à bien un éventuel recours dans le délai légal.

Pour le surplus le praticien ne fait que relayer les propos de son patient selon lesquels ce dernier « n’allait pas bien depuis un moment, était complètement déprimé », « n’était pas en mesure de s’occuper de ses tâches administratives », « était très secoué par la problématique de séquestration de ses chiens au mois de janvier ce qui l’avait mis dans une dépression grave, empêchant de venir consulter », « était tellement déprimé qu’il n’arrivait même pas à sortir de son lit ». S’agissant exclusivement des allégations du patient, elles ne peuvent être retenues comme des faits établis.

En conséquence, en l’absence d’un cas de force majeure remplissant les conditions strictes de l’art. 16 al. 1 LPA, voulues aux fins de garantir notamment l’égalité de traitement entre les justiciables, le délai de recours ne peut pas être restitué. La requête sera rejetée.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du demandeur qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

*******

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu’elle est recevable la demande en révision déposée le 10 mai 2024 par A______ contre l’arrêt de la chambre administrative du 26 mars 2024 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laïla BATOU, avocate du demandeur, ainsi qu'au service de la consommation et des affaires vétérinaires.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :