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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3293/2023

ATA/849/2024 du 15.07.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 17.09.2024, 2C_462/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3293/2023-EXPLOI ATA/849/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 juillet 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl recourante
représentée par Me Astyanax PECA, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé

 




 

EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______) est une société inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Vaud depuis le 26 juillet 2018, dont le siège est à Lausanne. Elle a pour but la gestion et l'exploitation de crèches privées, de petits commerces et pop-up stores (magasins éphémères), l'organisation de tous types d'événements (anniversaires, conférences, etc.) ainsi que tous conseils et services dans ces domaines. Kristina DEBURAUX (auparavant BABINA) en est la gérante et Valérie PEREIRA DA SILVA la directrice.

b. A______ exploite une crèche privée à Thônex (ci-après : la crèche), que le service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour (ci-après : SASAJ), rattaché au département de l’instruction publique, de la culture et du sport (ci‑après : DIP), a autorisé Valérie PEREIRA DA SILVA et Arabella PEDRAZZINI à diriger dès le 9 janvier 2023.

Cette autorisation a été renouvelée le 25 juillet 2023, avec une capacité d’accueil de 28 enfant au maximum accueillis simultanément.

c. A______ a pour associée BABIN HOLDING SA à Lausanne, laquelle détient toutes ses parts et est également l’associée détenant toutes les parts de TOTUP 1L Sàrl, inscrite au RC vaudois, qui exploite une crèche à Lancy.

B. a. Le 30 avril 2019, le SASAJ a adressé « aux titulaires des autorisations d’exploiter une structure de la petite enfance et à leur employeur » un courrier ayant pour objet la « mise en application des usages de la petite enfance » (ci-après : UPE). Suite « au courrier du 15 novembre 2018 et à la séance du 1er mars dernier », les entités non signataires d’une convention collective de travail (ci-après : CCT) étaient invitées à s’annoncer sans délai auprès de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci‑après : OCIRT) dans le cadre de leur mise en conformité aux exigences légales, soit pour procéder à l’analyse des conditions en vigueur au sein de la structure en vue de signer, d’ici la fin de l’année 2019, un engagement à respecter les usages. La surveillance formelle par le SASAJ serait effective dès le 1er janvier 2020.

b. Le 28 octobre 2019, A______ s’est adressée à l’OCIRT, se référant au courrier du SASAJ du 30 avril 2019. Dès lors qu’elle remplissait toutes les conditions légales et réglementaires d’une crèche privée telles qu’elles lui avaient été imposées à sa création, elle refusait de signer les UPE. La contraindre à les respecter ne reposait pas sur une base légale et violait les principes de la liberté économique, de la bonne foi et de l’égalité de traitement.

c. Le 27 novembre 2019, A______ a indiqué à l’OCIRT qu’elle attendait un « retour » de sa part.

d. Le 12 décembre 2022, A______ a indiqué au SASAJ que, « forcée et contrainte », elle le priait de bien vouloir considérer le courrier qu’elle lui adressait comme valant engagement à appliquer et respecter les UPE dans le cadre de sa prochaine activité qui débuterait le 9 janvier 2023.

Cet engagement ne valait que tant qu’une autorité judiciaire n’aurait pas tranché l’illégalité de l’application automatique des UPE, puisque TOTUP 1L Sàrl était en conflit avec l’OCIRT dans une procédure pendant devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

C. a. Le 24 janvier 2023, l’OCIRT indiqué à A______ avoir pris connaissance de l’ouverture de la crèche et son engagement de respecter les UPE du 23 décembre 2022.

En vue de permettre le contrôle du respect des conditions salariales minimales, A______ était invitée à produire l’ensemble des documents mentionnés dans une liste dont le lien était indiqué.

b. Les 9 et 15 février et 5, 6 et 20 juin 2023, A______ a transmis les documents réclamés à l’OCIRT.

c. Par courrier du 21 juin 2023 (daté par erreur du 21 juin 2021), A______ a remis à l’OCIRT un « engagement à respecter les usages » signé par sa mandante.

Celui-ci ne valait que si l’application automatique des UPE était conforme au droit, ce qui était contesté dans une procédure pendante devant la chambre administrative.

d. Le 4 juillet 2023, l’OCIRT a adressé un avertissement à A______.

Valérie DA SILVA, signataire de l’engagement à respecter les UPE du 23 décembre 2022, n’était pas habilité à engager A______ selon le RC. Un nouvel engagement avait été signé le 8 juin 2023 par Kristina DEBURAUX.

L’examen des pièces remises montrait des infractions aux UPE en matière de volume horaire hebdomadaire (art. 15 UPE), de droit aux vacances (art. 17 UPE), de droit au salaire en cas de maladie (art. 31 UPE), de répartition de primes APMG et AANP (art. 37 et 38 UPE) et de congé maternité (art. 30 UPE). Les contrats de travail ne mentionnaient pas de 13e salaire (art. 30 UPE). Les salaires de trois éducatrices, deux assistantes socio-éducatives, de l’intendante et de la directrice n’étaient pas conformes aux art. 26 et 28 UPE ainsi qu’à l’échelle des traitements de l’annexe 2 UPE.

Un délai au 31 juillet 2023 lui était imparti pour établir des contrats conformes aux UPE pour toutes les collaboratrices, procéder aux rattrapages salariaux, procéder à l’adaptation des salaires et fournir la preuve de l’exécution de ces mesures.

e. Le 6 juillet 2023, A______ a écrit à l’OCIRT pour lui indiquer que l’art. 30 al. 2 let. f de la loi sur l’accueil préscolaire du 12 septembre 2019 (LAPr - J 6 28) entré en vigueur le 1er juillet 2023 mentionnait désormais que la délivrance et le maintien de l’autorisation d’exploitation d’une structure d’accueil préscolaire étaient subordonnées au respect par l’exploitant d’une convention collective de travail pour le personnel de la petite enfance ou du statut du personnel de la collectivité publique dont la structure faisait partie, ou à défaut du salaire minimum. Les UPE n’étaient ainsi plus automatiquement applicables aux crèches privées. Le même courrier a été adressé au SASAJ.

f. Le 28 juillet 2023, A______ a indiqué à l’OCIRT que l’application automatique des UPE à une crèche était illégale et contrevenait gravement à la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence du 6 octobre 1995 (loi sur les cartels, LCart - RS 251), à la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11) ou encore à la liberté économique. Elle n’entendait pas se plier à son avertissement. Une décision rendue sur la base des UPE ferait l’objet d’un recours. Elle était étonnée de la surveillance extrêmement stricte dont toutes les crèches A______ faisaient l’objet. L’OCIRT menait une véritable chasse aux sorcières contre ces dernières. Des suites y seraient données.

g. Par décision du 12 septembre 2023, l’OCIRT a refusé de délivrer à A______ l’attestation visée à l’art. 25 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05) pour une durée de deux ans dès de la notification de la décision, lui a infligé une amende administrative de CHF 15’300.- et l’a exclue de tous marchés publics futurs pour une période de deux ans dès le lendemain de l’entrée en force de la décision. Le refus de délivrer l’attestation visée à l’art. 25 LIRT était exécutoire nonobstant recours. Les procédures de contrôle et de mise en conformité étaient réservées.

Avaient été constatées des infractions, commises depuis l’entrée en service des travailleuses le 1er janvier 2023, aux prescriptions des UPE relatives : au volume horaire hebdomadaire (art. 15 UPE), au droit aux vacances (art. 17 UPE), au droit au salaire en cas de maladie (art. 31 UPE), à la répartition de primes APMG et AANP (art. 37 et 38 UPE), au congé maternité (art. 30 UPE), au 13e salaire (art. 30 UPE) et aux salaires non conformes (26 et 28 UPE et annexe 2 UPE).

Le comportement revêtait une gravité particulière. Toutes les travailleuses étaient concernées. A______ n’avait procédé à aucune mise en conformité, pas même partielle, malgré la demande qui lui avait été adressée le 4 juillet 2023.

D. a. Par acte remis à la poste le 11 octobre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée à l’OCIRT pour nouvelle décision. Préalablement, l’effet suspensif devait être accordé au recours. L’audition d’un certain nombre de témoins était proposée à titre de preuve.

L’application automatique des UPE entraînerait un coût supplémentaire pour le premier semestre 2023 de CHF 70'000.- des charges du personnel, soit 25%, sans tenir compte des huit semaines de vacances à octroyer. Elle entraînait une augmentation annuelle des coûts de 20%. Elle entraînerait la fin programmée de toute crèche privée dans le canton de Genève. Le canton souffrait depuis des années d’une pénurie en places de crèche. Il en manquait plus de 3'000. Le canton n’était pas apte à pallier ce manque.

Lorsqu’il avait autorisé l’exploitation, le SASAJ savait déjà que A______ refusait d’appliquer les UPE. A______ ne bénéficiait d’aucune aide étatique. Le SASAJ imposait un plafond aux tarifs qu’elle appliquait à ses clients.

Le parti politique Le Centre avait déposé une motion demandant la suspension de l’application des UPE aux crèches privées, qu’il considérait comme une entorse intolérable à la liberté de commerce. La volonté d’imposer les UPE aux crèches privées relevait d’un projet politique de municipalisation de l’accueil de la petite enfance et de mise à néant des crèches privées.

Le Gand Conseil avait modifié l’art. 30 al. 2 let. f LAPr avec effet au 1er juillet 2023, renonçant à l’application automatique aux crèches privées. Un référendum allait être lancé contre cette modification.

La décision violait sa liberté économique et les principes de l’ordre économique.

Elle était arbitraire, et on ne voyait pas comment l’imposition des UPE permettrait aux crèches de mieux remplir leur mission de prendre en charge d’enfants en bas âge. Elle appliquait le salaire minimum cantonal, si bien que ses employés étaient traités de manière adéquate. La mesure était contraire à une politique familiale moderne.

Elle violait la politique en matière de concurrence. Seul à même de délivrer des autorisations d’exploiter, l’État était dans une positions dominante en droit des cartels et de la concurrence déloyale. Il lui imposait à son bon vouloir une augmentation de charges sans possibilité de le répercuter sur ses recettes, et donc un prix abusif. L’augmentation de 25% à laquelle elle était ainsi poussée portait ses prix au-delà du prix du marché, ce qui faussait la concurrence.

Elle violait l’art. 203 al. 1 de la constitution de la République et Canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), selon lequel le canton et les communes encourageaient la création et l’exploitation de structures d’accueil privées.

Elle violait le principe de la force dérogatoire du droit fédéral et la LTr, qui réglait de manière exhaustive les conditions de travail et interdisait aux cantons de subordonner la délivrance d’une autorisation au respect des conventions collectives de travail.

Elle violait la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), en lui rendant plus difficile l’accès au marché des crèches à Genève sans réfuter la présomption d’équivalence.

Enfin, la sanction financière cumulée au refus de délivrer l’attestation était exagérément sévère. Le refus de délivrer l’attestation devait être limité à un an et l’amende devait être réduite à un montant symbolique de CHF 1.-.

Si l’effet suspensif n’était pas accordé au recours, 56 enfants et 54 familles seraient du jour au lendemain privés de tout accueil parascolaire sans possibilité de rechange.

b. Le 19 octobre 2023, l’OCIRT a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

c. Le 30 octobre 2023, la recourante a persisté dans sa demande de restitution de l’effet suspensif.

d. Le 13 novembre 2023, l’OCIRT a conclu au rejet du recours.

Il renvoyait à sa détermination dans la procédure, semblable, A/1649/2022 concernant TOTUP 1L, et à l’arrêt ATA/1010/2023 du 14 septembre 2023 qui avait admis très partiellement le recours, sur la seule quotité de l’amende, confirmant pour le surplus la décision de l’OCIRT du 14 avril 2022 – laquelle refusait de délivrer à TOTUP 1L l’attestation de l’art. 25 LIRT pour une durée de deux ans, lui infligeait une amende administrative de CHF 17'600.- et l’excluait de tous marchés publics futurs pour une période de deux ans – le refus de délivrer l’attestation précitée étant exécutoire nonobstant recours.

e. Le 15 novembre 2023, le juge délégué a entendu les parties et des témoins.

ea. Kristina DEBURAUX a exposé qu’elle administrait six Sàrl A______ exploitant chacune une crèche, soit deux à Genève, trois dans le canton de Vaud et une à Fribourg. TOTUP 1L, qui exploitait la crèche à Lancy, avait recouru au Tribunal fédéral contre l’arrêt du 14 septembre 2023.

eb. L’OCIRT a indiqué que les deux crèches A______ genevoises avaient fait l’objet de décisions similaires. TOTUP 1L n’avait pas signé les UPE. A______ ne s’était jamais vu délivrer l’autorisation de l’art. 25 LIRT. Elle n’avait jamais demandé la délivrance de cette attestation. Elle avait signé le 8 juin 2023 un engagement à respecter les UPE. L’OCIRT n’avait jamais reçu l’engagement de respecter les UPE signé le 23 décembre 2022 par Valérie DA SILVA. Celui-ci avait été transmis au SASAJ, ce qu’ils avaient appris de sa directrice. L’engagement finalement remis le 21 juin 2023 ne suffisait pas pour la délivrance de l’attestation, dès lors que le respect des standards des UPE n’était pas établi. Après l’entrée en vigueur des usages, l’OCIRT et le SASAJ avaient collaboré et invité les institutions de la petite enfance à une présentation pour leur donner les moyens de tester si elles étaient en conformité avec les UPE. Les institutions avaient jusqu’à fin 2019 pour se mettre en conformité. Le canton comptait environ 150 institutions de la petite enfance. La majorité des travailleurs était soumis aux conditions de travail de la Ville de Genève et leurs employeurs avaient souscrit une CCT. D’autres travailleurs relevaient d’un statut de droit public. D’autres de CCT intercommunales. Toutes les autres institutions, soit environ un tiers du total, ou encore 46 établissements, tous privés, étaient soumis aux UPE. Sur ce nombre, 42 respectaient les UPE selon les contrôles de l’OCIRT. 4 crèches étaient en situation de non-respect, dont les crèches A______. C’était dans le cadre de la coopération avec le SASAJ que l’OCIRT avait reçu la liste des crèches mise à jour, et découvert que A______ avait obtenu une autorisation d’exploiter en remettant au SASJAJ le formulaire destiné à l’OCIRT, ce qui était inusuel.

ec. Le SASAJ a exposé qu’en vue de la délivrance de l’autorisation d’exploiter, il demandait au requérant de produire l’engagement de respecter les UPE, alternativement la CCT ou le statut de fonction publique. L’engagement sa matérialisait par la transmission du formulaire disponible sur le site de l’OCIRT. Le SASAJ avait reçu l’engagement de A______ le 3 janvier 2023. Celui-ci n’était assorti d’aucune réserve sur l’applicabilité des UPE aux crèches privées. Le SASAJ demandait le règlement de la crèche pour s’assurer du bon encadrement des enfants ainsi que les horaires pour s’assurer de la présence sur le site du nombre requis de personnes qualifiées. L’attestation de l’art. 25 LIRT était exigée dans le cadre du premier contrôle effectué dans l’année suivant la délivrance de l’autorisation. Aucun contrôle n’avait encore été effectué chez A______. La crèche de Lancy exploitée par TOTUP 1L avait toujours son autorisation. Le SASAJ ne l’avait pas révoquée. Une ordonnance pénale lui avait été notifiée en juillet 2021 pour non‑respect des UPE, laquelle avait fait l’objet d’une opposition et était pendante devant le Tribunal de police, qui avait suspendu la procédure jusqu’à droit connu au fond dans la procédure administrative. En dix ans, le SASAJ n’avait révoqué aucune autorisation. Il avait une politique d’accompagnement qui portait ses fruits.

f. Le 16 novembre 2023, la recourante a demandé la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé au Tribunal fédéral dans la procédure parallèle concernant la crèche TOTUP de Lancy.

g. Le 22 novembre 2023, l’OCIRT ne s’est pas opposé à cette demande.

h. Le 27 novembre 2023, la recourante a indiqué n’avoir aucune observation à formuler sur la réponse de l’OCIRT du 13 novembre 2023.

i. Le même jour, elle a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif.

Malgré les déclarations du SASAJ, le risque existait que la crèche soit fermée avant que son recours ne soit jugé au fond.

j. Le 1er décembre 2023, la présidente de la chambre administrative a rejeté la demande d’effet suspensif et prononcé la suspension de la procédure.

k. Par arrêt 2C_577/2023 du 9 avril 2024, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par TOTUP 1L contre l’arrêt du 14 septembre 2023.

La motivation de cet arrêt sera reprise dans la partie en droit.

l. Le 10 mai 2024, la procédure a été reprise.

m. Le 16 mai 2023, l’OCIRT a persisté dans ses conclusions.

n. Dans le délai prolongé au 12 juin 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions au fond et développé de nouveaux arguments.

Les usages imposés automatiquement aux structures de la petite enfance étaient un copier-coller de la convention collective liant les structures publiques d’accueil de la petite enfance dont la Ville de Genève était signataire. Or, l’extension d’une convention collective était régie par la loi fédérale du 28 septembre 1956 permettant d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail (RS 221.215.311), dont les conditions n’étaient pas réunies en l’espèce, en particulier s’agissant : de graves inconvénients dont les travailleurs seraient victimes ; de la non-conformité à l’intérêt général et aux intérêts des minorités dans la branche économique dès lors que les crèches prives devraient fermer ; de la violation de l’égalité devant la loi, les structures privées ne bénéficiant pas de l’aide étatique. Le Conseil d’État, compétent à Genève pour étendre le champ des CCT, n’avait pas prononcé une telle décision. L’OCIRT avait simplement rédigé les UPE et les avait appliqués alors qu’il n’en avait pas la compétence. L’application des UPE aux crèches privées était contraire au droit fédéral et au droit cantonal.

La recourante maintenait ses conclusions et requérait en sus que l’OCIRT produise : un exemplaire des UPE avec ses annexes, et notamment les grilles salariales, qui à sa connaissance constituaient une reprise in extenso de celle de la convention collective pour les crèches publiques ; un exemplaire de la CCT régissant les structures d’accueil publiques, état à la même date que les usages produits ; tous documents qui attesteraient du prononcé par le Conseil d’État genevois d’une décision visant à étendre la CCT précitée aux structures privées d’accueil de la petite enfance, notamment d’un arrêté qui motiverait les raisons pour lesquelles l’extension a été décidée, avec preuves de sa publication, notamment dans la feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

o. Le 13 juin 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante a offert à titre de preuve, dans son recours, l’audition de son administratrice, de la directrice du SASAJ, de la directrice de la crèche et de la conseillère d’État en charge du DIP. Elle a requis dans ses dernières observations la production de divers documents par l’OCIRT.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1).

2.2 En l’espèce, seuls certains actes d’instruction ont été accomplis. La chambre de céans a entendu l’administratrice de la recourante et la directrice du SASAJ.

L’audition de la directrice de la crèche et de la conseillère d’État ne sont pas nécessaires pour établir le déficit en places de crèche ou les rapports entre le SASAJ et l’OCIRT. L’hypothèse, formulée par la recourante, d’un projet politique qui lui imposerait les UPE et viserait à « mettre à néant » l’activité des crèches privées n’a pas à être vérifiée en l’espèce, la chambre de céans limitant son examen à l’application de la loi.

S’agissant de la production de pièces réclamée récemment par la recourante, celle‑ci n’est pas nécessaire, ainsi qu’il sera vu plus loin, pour examiner le bien‑fondé des récents griefs de la recourante – étant observé que la loi dispose que les UPE sont disponibles en ligne (art. 23 al. 4 LIRT ; www.geneve.ch/respecter-conditions-travail-usage/usages-vigueur-venir), de même que les CCT (art. 32 LIRT ; www.geneve.ch/respecter-conventions-collectives-travail-cct/cct-secteurs-applicables-geneve) et les arrêtés du Conseil d’État (www.ge.ch /publications).

Il ne sera pas donné suite à ces demandes d’actes d’instruction.

3.             Le présent litige porte sur la conformité au droit de la décision de l’intimé sanctionnant la recourante sur la base du constat de plusieurs infractions.

3.1 Les agissements fondant la décision querellée se sont déroulés dès janvier 2023. Ils sont postérieurs à l’entrée en vigueur, le 1er septembre 2020, des UPE 2020 et, le 1er novembre 2020, du salaire minimum prévu par la LIRT.

3.2 Le principe et l’application des usages au secteur de la petite enfance sont régis par la loi sur l’accueil préscolaire du 12 septembre 2019 (LAPr - J 6 28).

3.2.1 À teneur de l’art. 1 LAPr, celle-ci s’applique à toutes les structures d’accueil soumises à surveillance autorisées à exercer une activité conformément à la législation fédérale et cantonale sur le placement d’enfants hors du milieu familial (al. 1), ainsi qu’à l’accueil familial de jour et aux structures qui en assurent la coordination (al.2).

3.2.2 Selon l’art. 3 let. a LAPr, sont des structures d’accueil préscolaire, les institutions qui accueillent collectivement les enfants d’âge préscolaire, dites à prestations élargies, celles qui sont ouvertes au moins 45 heures par semaine, avec repas de midi et une ouverture annuelle sur au moins 45 semaines (ch.1), le cas échéant à prestations restreintes, lorsqu’elles ne remplissent pas les trois conditions cumulatives précitées (ch.2).

3.2.3 Aux termes de l’art. 30 al. 1 LAPr, le DIP autorise et surveille les structures d’accueil préscolaire sur tout le territoire cantonal en application des dispositions fédérales et cantonales relatives aux mineurs placés hors du foyer familial.

3.2.4 Selon l’art. 30 al. 2 let. f LAPr, la délivrance et le maintien de l’autorisation d’exploitation d’une structure d’accueil préscolaire sont subordonnés notamment au respect par l’exploitant d’une convention collective de travail pour le personnel de la petite enfance ou du statut du personnel de la collectivité publique dont la structure fait partie, ou des conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève, au sens de la LIRT.

3.2.5 L’art. 24 du règlement d’application de la LAPr du 29 juin 2022 (RAPr - J 6.28.01) prévoit que par voie de directive, le SASAJ dresse la liste des documents constituant le dossier à présenter en vue de la délivrance d'une autorisation et établit les formulaires nécessaires (al. 2). Il peut exiger toute pièce justificative et demander des renseignements complémentaires (al. 3).

3.2.6 Une motion M 2789 « Pour mettre fin à l’étranglement des crèches privées », a été déposée le 20 septembre 2021 auprès du Grand Conseil et traitée par la commission de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et du sport. Cette motion, visant notamment à suspendre sans délai l’application obligatoire, pour les structures de la petite enfance non-subventionnées, des UPE 2020 établis par l’OCIRT a été votée par le Grand Conseil le 14 octobre 2022 et invite le Conseil d’État à procéder à toute modification législative ou réglementaire nécessaire à favoriser le maintien et la création de structures de la petite enfance non subventionnées.

Parallèlement à cette motion, un projet de loi PL 13184 modifiant la LAPr « Pour permettre aux crèches non subventionnées d’offrir une alternative aux familles » a été déposé au Grand Conseil le 26 septembre 2022.

Il prévoyait de remplacer à l’art. 20 al. 2 let. f LAPr la référence aux UPE par celle au salaire minimum prévu par la LIRT :


Art. 30 al. 2 let. f LApr en vigueur

La délivrance et le maintien de l’autorisation d’exploitation d’une structure d’accueil préscolaire sont subordonnés : […] f) au respect par l’exploitant d’une convention collective de travail pour le personnel de la petite enfance ou du statut du personnel de la collectivité publique dont la structure fait partie, ou des conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève, au sens de la LIRT.

Art. 30 al. 2 let. f LApr selon la loi 12184

La délivrance et le maintien de l’autorisation d’exploitation d’une structure d’accueil préscolaire sont subordonnés : […] f) au respect par l’exploitant d’une convention collective de travail pour le personnel de la petite enfance ou du statut du personnel de la collectivité publique dont la structure fait partie, ou à défaut du salaire minimum prévu à l’article 39K de la LIRT


La loi 13184 a été adoptée par le Grand Conseil le 23 juin 2023. Un référendum a été lancé et le 9 juin 2024 elle a été rejetée en votation populaire par 56.93% des votants.

3.3 La LIRT a notamment pour objet les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève (art. 1 al. 1 let. c).

3.3.1 Selon l’art. 23 LIRT, l’OCIRT est l'autorité compétente chargée d'établir les documents qui reflètent les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève (ci-après : usages), sur la base des directives émises par le conseil de surveillance (al. 1). Pour constater les usages, il se base notamment sur les CCT, les contrats-types de travail, les résultats de données recueillies ou d’enquêtes menées auprès des entreprises, les travaux de l’observatoire dont son calculateur des salaires ainsi que sur les statistiques disponibles en la matière (al. 2). Les usages ne peuvent en aucun cas prévoir un salaire minimum inférieur à celui fixé à l'article 39K (al. 2bis). Sauf exception reconnue par le conseil de surveillance du marché de l'emploi, les CCT qui ont fait l'objet d'une décision d'extension sont réputées constituer les usages du secteur concerné. L'alinéa 2bis est réservé (al. 3). L'office met ces informations à disposition du public intéressé par tout moyen approprié, notamment par le biais de l'Internet (al. 4).

3.3.2 Selon l’art. 25 LIRT, sont soumises au respect des usages les entreprises pour lesquelles une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle spéciale le prévoit (al. 1). Les entreprises soumises au respect des usages peuvent être amenées à signer auprès de l’office un engagement à respecter les usages lorsque cela est prévu par le dispositif ou lorsque l’entité concernée le demande. L’office délivre à l’entreprise l’attestation correspondante, d’une durée limitée (al. 3).

3.3.3 Selon l’art. 26 LIRT, le département est compétent pour contrôler le respect des usages au sein des entreprises concernées. Cette compétence est exercée par l’OCIRT, sous réserve de l’al. 2. L’inspection paritaire a également la faculté d’effectuer de tels contrôles (al. 1). Dans les secteurs couverts par une convention collective de travail étendue, le département peut déléguer aux associations contractantes le contrôle du respect des usages, par le biais d'un contrat de prestations (al. 2).

3.3.4 Selon l’art. 26A LIRT, les entreprises en infraction aux usages font l’objet des mesures et sanctions prévues aux art. 44A et 45 (al. 1). L’art. 45 al. 1 let. a est applicable lorsqu’une entreprise conteste les usages que l’office entend lui appliquer (al. 2).

3.3.5 L’art. 45 al. 1 LIRT prévoit que lorsqu'une entreprise visée par l'art. 25 ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage ou le salaire minimum prévu à l'art. 39K, l'OCIRT peut prononcer : (a) une décision de refus de délivrance de l'attestation visée à l'art. 25 pour une durée de 3 mois à 5 ans. La décision est immédiatement exécutoire ; (b) une amende administrative de CHF 60'000.- au plus ; (c) l'exclusion de tous marchés publics pour une période de 5 ans au plus. Selon l’al. 2 de la même disposition, les mesures et sanctions visées à l’al. 1 sont infligées en tenant compte de la gravité et de la fréquence de l’infraction ainsi que des circonstances dans lesquelles elle a été commise. Elles peuvent être cumulées.

3.4 Les UPE 2020, sont entrés en vigueur le 1er novembre 2020. Ils indiquent avoir été établis par l’OCIRT, refléter les conditions de travail et prestations sociales en usage dans le secteur et annuler et remplacer le document précédent, et ils sont disponibles en ligne (www.ge.ch/document/ 12096/telecharger).

3.4.1 Les UPE reflètent les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage sur le canton de Genève (art. I al. 1). Ils concernent les entreprises visées à l’article 25 LIRT (art. I al. 2). Les dispositions spécifiques au secteur mentionnées au titre 3 sont tirées des dispositions de la CCT de la Ville de Genève mentionnée en préambule (art. I al. 3).

3.4.2 Selon l’art. II al. 1, les UPE s’appliquent à tout employeur, toute entreprise et secteur d’entreprise, suisse ou étranger, qui effectue ou fait effectuer dans le canton de Genève, à titre principal ou accessoire, de l'accueil dans les structures de la petite enfance.

3.4.3 Les UPE règlent notamment le salaire minimum (art. IIIbis), la relation avec le contrat individuel de travail (art. IV), les contrôles (art. V), les sanctions (art. VI), les voies de recours (art. VII) et la faculté pour l’OCIRT de résilier l'engagement à respecter les usages d'une entreprise, notamment lorsque celle-ci n'est plus tenue de les respecter (art. VIII).

3.4.4 Une annexe régulièrement mise à jour (www.ge.ch/document/12096/annexe/ 0) fixe, pour les structures à prestations élargies et restreintes, les salaires et leur progression selon l’ancienneté, pour une durée hebdomadaire de travail et 39 et 40 heures, pour les responsables de secteur, les directrices, les adjointes pédagogiques, les éducatrices, les assistantes socio-éducatives, les auxiliaires II, les auxiliaires, les psychomotriciennes, les aides, les stagiaires et apprenties, les secrétaires comptables qualifiées, les secrétaires qualifiées, les cuisinières diplômées et non diplômées, les aides de cuisine, les jardinières diplômées et non diplômées, les lingères, le personnel de maison, ainsi que la durée et les dates des congés et vacances annuelles et le mode de calcul des salaires et des taux de vacances.

4.             En l’espèce, la recourante se plaint que la décision attaquée : viole sa liberté économique et les principes de l’ordre économique ; est arbitraire ; viole la politique en matière de concurrence, la LCart et la loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (LCD - RS 241) ; viole l’art. 203 al. 1 Cst‑GE ; viole le principe de la force dérogatoire du droit fédéral et la LTr ; viole la LMI ; viole le principe de proportionnalité s’agissant de la quotité de la sanction.

Des griefs semblables ont été soulevés dans le recours formé par TOTUP 1L contre une décision similaire de l’OCIRT portant sur une situation presque identique.

La chambre de céans reprendra ci-après (consid. 4.1 à 4.9) les considérants de l’arrêt 2C_577/2023 précité par lequel le Tribunal fédéral a rejeté le recours de TOTUP 1L, dès lors qu’ils peuvent être appliqués par analogie aux griefs soulevés par la recourante dans la présente procédure.

Elle examinera ensuite (consid. 4.10) le grief soulevé par la recourante dans ses dernières écritures et qui a trait à l’extension des CCT et enfin (consid. 4.11) la quotité de l’amende.

4.1 Les UPE reflètent les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage dans le canton de Genève dans les structures d'accueil de la petite enfance. On ne voit pas en quoi en imposer le respect à la recourante serait constitutif d'une inégalité de traitement, ni en quoi elle pourrait prétendre être injustement traitée par rapport aux crèches exploitées par les communes ou subventionnées par celles-ci, s'agissant du respect d'un standard minimal à toute la profession et attendu que les structures subventionnées doivent respecter des obligations supplémentaires. En se plaignant qu'elle doit assumer la charge financière causée par le respect des usages alors qu'elle ne bénéficie d'aucune subvention, la recourante s'en prend plus au système de subventionnement qu'à l'obligation de respecter les usages. Or, la liberté économique ne confère aucun droit à une subvention de la part de l'État. On ne discerne pas en quoi le fait que la recourante ne perçoit pas de subvention pour l'exploitation de sa crèche violerait l'égalité de traitement entre concurrents directs. Si certaines crèches bénéficient de subventions, celles-ci ne peuvent pas, contrairement aux crèches privées, prétendre au plein exercice de leur liberté économique. La recourante omet de prendre en considération que certaines obligations n'incombent qu'aux crèches subventionnées. Celles-ci doivent notamment fixer la participation financière des parents en fonction de la capacité économique de ceux-ci et du nombre d'enfants à leur charge (art. 20 LAPr). Cette restriction est motivée par l'objectif de garantir l'égalité de traitement entre les parents des enfants qui fréquentent une structure d'accueil subventionnée et celui de fixer un prix correspondant à leur capacité économique. Les crèches subventionnées ne peuvent ainsi pas appliquer systématiquement le plafond des tarifs. Elles sont aussi tenues d'ouvrir les places d'accueil préscolaire à tous les enfants sans discrimination, en particulier les enfants à besoins spécifiques (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 4.3).

4.2 Rien ne démontre qu'imposer le respect des usages à la recourante implique une distorsion de concurrence, une inégalité de traitement et une violation du principe de la neutralité de l'état en matière de concurrence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 4.5).

4.3 Il ne peut être retenu qu'il n'existe aucun intérêt public à garantir aux travailleurs du secteur de la petite enfance des conditions salariales plus favorables que le salaire minimum genevois. En effet, imposer aux employeurs d'appliquer des conditions de travail et de salaire conformes aux usages de la profession et de la région, lesquels sont établis sur la base des conventions collectives de travail, des contrats-types de travail, des résultats de données recueillies ou d'enquêtes menées auprès des entreprises, des travaux de l'observatoire, dont son calculateur des salaires, ainsi que sur les statistiques disponibles en la matière (art. 23 al. 2 LIRT), comme en l'espèce, permet d'éviter la sous-enchère salariale et d'assurer la qualité de la prise en charge des enfants. L'exigence du respect des UPE prévue à l'art. 30 al. 2 let. f LAPr poursuit ainsi des objectifs de politique sociale et un intérêt public conformes à l'art. 36 al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 5.4).

4.4 Sous l'angle de la proportionnalité, il y a lieu de se référer à la volonté du législateur cantonal. Celui-ci a voulu consacrer, à l'art. 23 al. 2 LIRT, le principe de la pluralité des sources pour dégager un usage dans une profession ou une branche économique. Selon le commentaire des articles du projet de loi, il n'y a pas à proprement parler de hiérarchie des sources. Cela étant, une éventuelle convention collective pour un secteur économique donné représentera la première source d'informations vers laquelle se tournera l’OCIRT (commentaire du projet de loi sur l'inspection et les relations du travail déposé le 19 mars 2003, PL 8965, p. 33). Compte tenu de la manière de constater les usages prévue par le législateur cantonal, on ne voit pas en quoi une disposition imposant le respect d'usages, qui représentent précisément les conditions de travail et les prestations usuelles de la branche économique en cause dans la région genevoise, pourrait revêtir un caractère disproportionné. La recourante se plaint d'une augmentation de ses charges. Cet argument ne suffit pas à rendre la disposition cantonale en tant que telle contraire aux art. 27 et 36 al. 3 Cst. En effet, l'exigence du respect des usages apparait comme une mesure adéquate et proportionnée pour garantir la protection des conditions salariales et des prestations sociales des travailleurs du secteur de la petite enfance et assurer la qualité de l'accueil des enfants en âge préscolaire. Conformément à la jurisprudence relative à l'art. 94 Cst., l'éventuelle charge financière qu'implique le respect des usages, qui ne pourrait pas être compensée par des subventions, apparait comme un inconvénient réduit à ce qui est nécessaire pour éviter la sous-enchère salariale, puisque les UPE reflètent les conditions minimales de travail et de prestations sociales dans le secteur de la petite enfance (art. 1 al. 1 UPE ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 5.5).

4.5 Dans la mesure où le respect des usages prévu à l'art. 30 al. 2 let. f LAPr est une exigence légale qui apparaît proportionnée, au vu des buts d'intérêt public recherchés, on ne voit pas en quoi elle pourrait être considérée comme contraire à l'art. 203 al. 1 Cst-GE, qui prévoit que le canton et les communes encouragent la création et l'exploitation de crèches. En d'autres termes, l'obligation prévue à l'art. 30 al. 2 let. f LAPr de respecter au moins les usages n'empêche pas, en tant que telle, le canton et les communes d'encourager la création et l'exploitation de crèches (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 6.1).

4.6 La rémunération du travail (salaires et autres prestations), telle que prévue en l'espèce par les UPE, est exclue du champ d'application de la LSPr (art. 1 LSPr ; message du 27 novembre 1989 relatif à l'initiative populaire « sur la surveillance des prix et des intérêts des crédits » et à la révision de la loi concernant la surveillance des prix, FF 1990 I 85 ss, ch. 24 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 7.2.1).

4.7 Le service cantonal compétent pour délivrer les autorisations d'exploiter les crèves privées, communales et subventionnées n'exploite pas de crèche et n'agit aucunement comme une entreprise publique sur le marché (art. 2 al. 1 LCart). On ne voit pas en quoi l'art. 7 LCart pourrait trouver application. De même, le fait que le canton subventionne certaines structures d'accueil de la petite enfance ne permet pas de retenir qu'il agit directement sur le marché en cause. En effet, les subventions sont un instrument important permettant la réalisation d'objectifs politiques communaux et cantonaux sans que l'État ne doive agir directement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 7.2.2).

4.8 Les arguments soulevés par la recourante en lien avec l'art. 96 Cst. et la LCD se recoupent avec ceux relatifs aux art. 27 et 94 Cst. La recourante dénonce une distorsion de concurrence entre crèches subventionnées et privées. Or, comme indiqué, ces griefs sont infondés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 7.3).

4.9 La LTr règle d'une manière exhaustive la protection des travailleurs en tant que telle, ce qui n'empêche cependant pas l'adoption de mesures qui, sans avoir pour but principal de protéger les travailleurs, ont accessoirement un effet protecteur. Elle ne fait pas obstacle à l'adoption de certaines mesures de politique sociale; ce même lorsque celles-ci ne sont pas expressément couvertes par l'art. 71 lit. c LTr, dont la formulation est du reste exemplative. Plus particulièrement, la LTr ne régit pas la question des salaires minimums, de sorte que les cantons ont la compétence de fixer de tels salaires pour des motifs de politique sociale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 8.2).

La recourante se plaint de devoir appliquer à certains de ses employés les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage à Genève dans le secteur de la petite enfance car les salaires fixés dans ce cadre sont plus élevés que le salaire minimum genevois prévu aux art. 39I ss LIRT. À cet égard, il convient de souligner que les usages, qui concernent une profession ou une branche économique (commentaire du projet de loi sur l'inspection et les relations du travail déposé le 19 mars 2003, PL 8965, p. 33), ne peuvent en aucun cas prévoir un salaire inférieur au salaire minimum fixé à l'art. 39K LIRT (art. 23 al. 2bis LIRT). Ainsi, la LIRT implique, en sus de ce salaire minimum, la détermination de plusieurs salaires planchers distincts, selon la profession ou la branche économique. Le salaire minimum apparait dès lors comme le seuil inférieur à respecter, à défaut de disposition imposant le respect de conditions salariales plus favorables aux employés. Ce système n'apparait critiquable ni au regard de la primauté du droit fédéral et de la LTr, qui ne fixe pas de salaires minimums, ni au regard de la jurisprudence susmentionnée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 8.3).

4.10 Dans ses dernières écritures, la recourante se plaint que l’application automatique des UPE serait contraire au droit fédéral, en ce qu’elle violerait les dispositions sur l’extension des conventions collectives.

Elle perd de vue que l’art. 23 LIRT charge l’OCIRT d'identifier les conditions de travail et prestations sociales en usage dans le canton et de constater les usages, en se basant notamment sur les CCT, les contrats-types de travail, les résultats de données recueillies ou d’enquêtes menées auprès des entreprises, les travaux de l’observatoire dont son calculateur des salaires ainsi que sur les statistiques disponibles en la matière.

En l’espèce, aucune CCT n’a été étendue formellement. L’OCIRT n’a rien fait d’autre que de constater les UPE en tenant compte de la CCT de la Ville de Genève, et s’est ainsi conformé à la loi.

La recourante soutient que l’OCIRT aurait étendu matériellement la CCT de la Ville de Genève. Ce faisant, elle raisonne contre la systématique de la loi, qui prévoit au contraire que sauf exception reconnue par le conseil de surveillance du marché de l'emploi, les CCT qui ont fait l'objet d'une décision d'extension sont réputées constituer les usages du secteur concerné sous réserve du respect du salaire minimal (art. 23 al. 3 LIRT). Il a été vu qu’en l’espèce l’OCIRT a tenu compte de la CCT de la Ville de Genève pour constater les UPE, et non pas appliqué la présomption de l’art. 23 al. 3 LIRT, ce qu’il n’aurait en toute hypothèse pas pu faire en l’absence de CCT étendue.

Faute d’extension de la CCT, la loi fédérale du 28 septembre 1956 permettant d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail ne trouve pas application en l’espèce, et le grief de violation du droit fédéral tombe à faux.

Il sera encore observé que la recourante erre lorsqu’elle se plaint qu’elle ne pourrait désormais s’associer. Au contraire, rien n’interdit aux crèches A______ de négocier une CCT avec leurs partenaires sociaux.

4.11 La recourante demande enfin, dans le corps de son recours, la réduction à douze mois de la durée du refus de délivrer l’attestation de l’art. 25 LIRT et de l’exclusion de tout marché public futur, et à CHF 1.- symbolique de l'amende, en raison du caractère disproportionné de ces sanctions, cumulées entre elles.

4.11.1 L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0 ; principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP ; ATA/651/2022 du 23 juin 2022 consid. 14d et les arrêts cités). Si les antécédents constituent une circonstance aggravante, l’absence d’antécédents est une circonstance neutre qui n’a pas l’effet de minorer la sanction (ATA/435/2023 du 25 avril 2023 consid. 11 et l'arrêt cité).

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/651/2022 précité consid. 14d et les arrêts cités).

Il doit être également tenu compte, en application de l'art. 106 al. 3 CP, de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/651/2022 précité consid. 14f et la référence citée ; Michel DUPUIS et al. [éd.], Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., 2017, n. 6 ad. art. 106 CP).

L’autorité jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer la quotité de l’amende. La chambre de céans ne le censure qu’en cas d’excès ou d’abus. Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/651/2022 précité consid. 14e et les arrêts cités).

4.11.2 Dans la précédente espèce, la chambre de céans avait retenu que les sanctions étaient disproportionnées et avait ramené à 18 mois la durée du refus de délivrer l’attestation de l’art. 25 LIRT, à 12 mois celle de l’exclusion de toute marché public et ramené l’amende de CHF 17'600.-, à CHF 8'000.-. Elle avait estimé que les infractions commises par TOTUP 1L, soit en particulier son refus persistant de se conformer aux UPE 2020, la violation de ces usages sur neuf points, le non-respect du salaire minimum et la violation de son obligation de renseigner, empêchant l’intimé de contrôler de manière complète le respect des dispositions sur le salaire minimum, étaient graves et multiples. Elle avait également pris en considération le fait que la crèche avait effectué la majorité des rattrapages requis aux employés concernés par la rémunération au salaire minimum, et qu’elle n’avait pas d’antécédents Elle avait enfin évoqué l’adoption de la modification de l’art. 30 al. 2 let. f LAPr et le « constat quasi unanime selon lequel la législation actuelle n’était pas satisfaisante, notamment du point de vue des crèches privées et des familles concernées par la pénurie de places en accueil préscolaire de jour » (ATA/1010/2023 précité consid. 13).

Le Tribunal fédéral a confirmé la sanction. Il a retenu qu’il ressortait des faits de l'arrêt attaqué que les manquements de TOTUP 1L étaient graves et multiples. Malgré ces manquements graves et multiples, la chambre administrative avait réduit de plus de moitié le montant de l'amende administrative. Dans ce contexte, il ne pouvait lui être reproché un abus de son pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_577/2023 précité consid. 9.3).

4.12 Dans la présente espèce, la durée du refus de délivrer l’attestation de l’art. 25 LIRT et de l’exclusion de tout marché public futur a été fixée par l’OCIRT à deux ans et l’amende à CHF 15'300.-, compte tenu de la gravité particulière des infractions – qui portaient sur le volume de travail, le droit aux vacances, le droit au salaire en cas de maladie, la répartition des primes APGM et AANP, le congé maternité, le droit au 13e salaire ainsi que les montants des salaires –, du pourcentage des salariées touchées, du fait que les agissements duraient depuis le 1er janvier 2023 et de l’absence de toute mise en conformité, pas même partielle.

Dans le cas présent, la recourante a, certes, signé l’engagement de respecter les UPE, mais ne l’a initialement remis qu’au SASAJ et surtout ne l’a d’emblée pas respecté.

Sept employées de la recourante ont été affectées par le non-respect des UPE concernant un grand nombre de leurs droits de travailleuses, et ce dès l’ouverture de la crèche et pendant une longue durée. La recourante ne soutient pas avoir conformé les conditions de travail et les salaires de son personnel aux UPE ni procédé aux rattrapages ordonnés par l’OCIRT après avoir reçu l’avertissement du 4 juillet 2023.

Avec le cas d’espèce, la recourante a persisté à violer la législation applicable et à mettre l’autorité devant le fait accompli. La sanction concernant la première crèche A______ genevoise avait en effet déjà été prononcée par l’OCIRT, le 14 avril 2022, lorsque la recourante a ouvert la seconde crèche TOTUP dans le canton. Les infractions qui lui sont reprochées dans la présente espèce sont similaires à celles qui avaient motivé la première sanction.

Certes, les sociétés sont formellement distinctes. Toutefois, elles appartiennent à la même holding, poursuivent des buts semblables et ont la même actionnaire et administratrice. Il s’ensuit que la recourante a persisté dans un comportement que l’OCIRT avait déjà qualifié d’illicite et qu’elle ne peut plus se prévaloir aujourd’hui de l’absence d’antécédents.

La modification de la LAPr, évoquée dans l’arrêt du 14 septembre 2023, pour autant qu’elle soit pertinente dans le cas présent, ne saurait en toute hypothèse qu’atténuer très modestement la faute de la recourante s’agissant du respect du droit en vigueur, étant observé que la modification a suscité une opposition, fait l’objet d’un référendum et été rejetée en votation populaire par une nette majorité des électeurs (56.93%) et des communes (32 contre 13).

Le montant de l’amende contestée dans la présente procédure représente près du double de celui de celle fixée par la chambre de céans dans la précédente espèce. Ce montant apparait proportionné à la faute, plus lourde, retenue dans le cas présent et adapté compte tenu de la persistance du comportement de la recourante. Il apparaît également adéquat s’agissant de dissuader la recourante de réitérer ses agissements.

La recourante fait valoir que l’amende représenterait 25% de son bénéfice semestriel, sans tenir compte de l’application des UPE. Elle n’allègue toutefois pas que la réduction de son bénéfice mettrait en péril son existence ou sa viabilité.

Le refus de délivrer l’attestation de l’art. 25 LIRT et l’interdiction de tout marché public ont été prononcés pour deux ans, comme dans la précédente espèce. Dans cette dernière, la chambre de céans avait réduit ces durées à 18 et 12 mois. La persistance de la recourante à contrevenir à la LAPr et à la LIRT exclut d’envisager une telle réduction. Il y a lieu de noter par ailleurs que le refus de délivrer l’attestation de l’art. 25 LIRT a dans le cas présent été déclaré exécutoire nonobstant recours et la demande de restitution de l’effet suspensif a été rejetée le 1er décembre 2023, de sorte que seuls 14 mois restent à exécuter à ce jour. La recourante ne fait pas valoir que l’exclusion de tout marché public lui porterait préjudice.

Compte tenu de toutes ces circonstances, la quotité des sanctions apparaît proportionnée à la gravité de la faute et aucun abus du pouvoir d’appréciation ne peut être reproché à l’OCIRT.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’500.-, tenant compte de la décision sur mesures provisionnelles, de l’audience et du nombre des écritures, sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 octobre 2023 par A______ Sàrl contre le la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 12 septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ Sàrl un émolument de CHF 1’500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Astyanax PECA, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :