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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1897/2023

ATA/772/2024 du 25.06.2024 sur JTAPI/1357/2023 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : DROIT FISCAL;IMPÔT;IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL;CALCUL DE L'IMPOT;LIQUIDATION DU RÉGIME MATRIMONIAL;INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : LDE.1.al1; LDE.3.letg; LDE.62.al1.letb; LDE.63; LDE.138; CC.181; CC.204; CC.205; LDE.123; LDE.127
Résumé : L’objet du litige porte sur la question de savoir quelle est la date déterminante au titre de liquidation du régime matrimonial pour taxer celle-ci et par ainsi calculer le montant des droits d’enregistrement dus sur cette opération. In casu, cette date correspond à celle de l’arrêt de la chambre civile de la Cour de justice ayant procédé définitivement à la liquidation du régime matrimonial, confirmée par le Tribunal fédéral. Le recourant étant encore domicilié à Genève à la date retenue, l’AFC-GE pouvait valablement lui notifier le bordereau de taxation en cause. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1897/2023-ICC ATA/772/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 juin 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Florian BAIER, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 décembre 2023 (JTAPI/1357/2023)


EN FAIT

A. a. A______ et B______ se sont mariés le 5 août 1995. Ils n’ont pas conclu de contrat de mariage. Le couple a eu trois enfants.

b. En août 2012, B______ et les enfants ont quitté Genève pour s’installer en Angleterre.

Le 30 septembre 2021, le contribuable a quitté le canton de Genève pour s’installer à C______ dans le canton de Berne.

c. Le 18 avril 2013, les époux A______ B______ ont déposé auprès du Tribunal de première instance de Genève (ci-après : TPI) une requête commune en divorce et sollicité l’homologation d’une convention réglant ses effets.

d. Par jugement du 17 août 2020 (JTPI/9914/2020), le TPI a prononcé le divorce des époux A______ B______. Il a notamment condamné le contribuable à payer à son ex-épouse la somme de CHF 6'706’821.- avec intérêts de 5% dès l’entrée en force du jugement, au titre de liquidation du régime matrimonial.

e. Selon le registre de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), le divorce est effectif depuis le 22 septembre 2020.

f. Par arrêt du 31 août 2021 (ACJC/1116/2021), la chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la chambre civile) a partiellement annulé le jugement du TPI. Elle a confirmé le divorce, mais condamné le contribuable à verser à son ex-épouse la somme de CHF 115'871'422.- avec intérêts à 5% l’an dès le 17 août 2020, au titre de liquidation du régime matrimonial.

g. Statuant sur recours portant uniquement sur la liquidation du régime matrimonial, le Tribunal fédéral a globalement confirmé l’arrêt précité, par arrêt du 10 janvier 2023 (5A_847/2021), en condamnant le contribuable à payer à son ex‑épouse la somme de CHF 115'871'422.- avec intérêts à 5% l’an dès le 31 août 2021, au titre de liquidation du régime matrimonial, en modifiant uniquement la date à partir de laquelle les intérêts étaient dus.

B. a. Par bordereau du 8 février 2023 adressé à A______, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a fixé les droits d’enregistrement à CHF 486'860.15 au titre de liquidation du régime matrimonial. L’avis de taxation se présentait comme suit :


 

 


Opérations

Valeur/Nombre

Droits

Exo %

Exonération sur les droits

Centimes additionnels

Total

Partage

231'742'844.00

231'742.85

0

0.00

254'917.30

486'660.15

Amende pour dépôt tardif

200.00

Total

CHF

486'860.15

b. Selon lettre de rappel datée du 25 mars 2023, l’AFC-GE a invité le contribuable à s’acquitter du montant de CHF 487'681.60 dans un délai de dix jours.

c. Par courrier du 6 avril 2023, le contribuable a élevé réclamation à l’encontre du bordereau de droits d’enregistrement du 8 février 2023.

Ledit bordereau ne se fondait pas sur le jugement du 17 août 2020, comme indiqué de manière erronée, mais sur l’arrêt de la chambre civile du 31 août 2021. Ce dernier ayant toutefois été annulé par le Tribunal fédéral, qui l’avait réformé et modifié, l’AFC-GE ne possédait pas la compétence ratione loci pour enregistrer un arrêt d’un autre canton ou un arrêt fédéral. Partant, le bordereau contesté était nul de plein droit. Dès lors qu’il n’était plus marié au moment où le Tribunal fédéral avait rendu son arrêt du 10 janvier 2023, – le divorce n’ayant pas été contesté dans son principe en appel –, le bordereau litigieux ne pouvait porter que sur sa part et non pas sur celle de son ex-épouse.

d. Par décision du 5 mai 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

La date de l’acte retenue correspondait à celle du prononcé du divorce des époux A______ B______ qui dissout le régime matrimonial. La liquidation du régime matrimonial était soumise obligatoirement aux droits d’enregistrement. Dès lors, il n’était pas déterminant que le jugement ou l’arrêt fût soumis ou non aux droits d’enregistrement. Ainsi, la masse brute des acquêts imposable avait été déterminée sur la base de l’arrêt de la Cour de justice, indépendamment du fait d’avoir enregistré celui-ci en tant que pièce.

C. a. Par acte du 5 juin 2023, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision précitée, en concluant principalement à son annulation et au constat de la nullité du bordereau du 8 février 2023, et subsidiairement, au renvoi de la cause à l’AFC-GE, afin qu’elle notifie à chacun des ex-époux un bordereau « emportant taxation à parts égales ».

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

c. Le contribuable n’a pas répliqué.

d. Par jugement du 4 décembre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Ce n’était pas l’arrêt du Tribunal fédéral rendu dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial qui était directement soumis aux droits d’enregistrement, mais l’état de la fortune des ex-conjoints lors de l’opération de liquidation du régime matrimonial qui était taxé. À suivre cet argument, il serait impossible de prélever des droits d’enregistrement chaque fois que le Tribunal fédéral serait saisi en matière civile d’un recours en contestation de la liquidation du régime matrimonial. Cela aboutirait à une situation que le législateur n’avait certainement pas voulue.

Le jugement du TPI prononçant le divorce était entré en force le 22 septembre 2020. Conformément aux dispositions du droit civil y relatives, le divorce impliquait la dissolution et la liquidation du régime matrimonial avec effet rétroactif à la date du dépôt de la demande de divorce, soit le 18 avril 2013. Étant donné qu’à cette date, le recourant était domicilié dans le canton de Genève, il était soumis aux droits d’enregistrement.

S’agissant du paiement des droits d’enregistrement, l’AFC-GE avait correctement appliqué l’art. 166 al. 1 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30). Le divorce impliquait la dissolution et la liquidation du régime matrimonial avec effet rétroactif à la date du dépôt de la demande de divorce, soit celle à laquelle les époux étaient encore mariés et codébiteurs solidaires des droits d’enregistrement. Le fait qu’il eût fallu attendre l’arrêt du Tribunal fédéral pour connaître le montant exact de la liquidation du régime matrimonial et permettre ainsi de notifier le bordereau litigieux n’y changeait rien. Ce n’était pas l’acte judiciaire fédéral en tant que tel qui était taxé, mais l’opération de liquidation du régime matrimonial.

D. a. Par acte du 8 janvier 2024, le contribuable a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, en concluant, principalement, à son annulation, à celle de la décision sur réclamation et au constat de la nullité du bordereau du 8 février 2023, et subsidiairement, au constat de la prescription de la taxation visée dans le bordereau précité, voire au renvoi de la cause à l’AFC-GE pour adresser à chacun des ex-époux son propre bordereau emportant taxation à parts égales.

Les faits retenus par le jugement querellé n’étaient pas contestés, ni que la taxation en cause portait sur un cas de liquidation du régime matrimonial.

Le TAPI avait erré en affirmant que l’objet de la taxation avait été « l’état de la fortune des ex-conjoints » et non l’enregistrement d’un acte judiciaire. L’AFC-GE et le TAPI auraient dû rechercher s’il existait un acte ou écrit emportant liquidation du régime matrimonial et susceptible d’être soumis à l’enregistrement. Le seul acte emportant liquidation du régime matrimonial n’était pas un acte cantonal, mais un acte judiciaire fédéral. Il était impossible de prélever des droits d’enregistrement cantonaux lorsque le régime matrimonial était liquidé par un arrêt du Tribunal fédéral, qui annulait et réformait un arrêt de dernière instance cantonale, tel que c’était le cas en l’occurrence. Contrairement à ce que retenait le TAPI, l’objet de la LDE était limité aux actes et écrits emportant liquidation du régime matrimonial. Seule pouvait se poser la question de savoir si la LDE permettait de prélever un droit d’enregistrement également sur un arrêt fédéral, lorsque les autres conditions légales étaient remplies. Celle-ci n’était toutefois pas en adéquation avec la sphère de compétence ratione loci de l’AFC-GE, raison pour laquelle le bordereau d’impôt concerné était nul. Cela étant dit, plus aucune des parties n’était domiciliée dans le canton de Genève lors de la liquidation du régime matrimonial par le Tribunal fédéral. Dès lors que l’acte emportant liquidation du régime matrimonial était l’arrêt du Tribunal fédéral, la condition de la domiciliation ou de la résidence de l’une des parties au moins dans le canton de Genève n’était pas donnée le 10 janvier 2023, de sorte qu’aucune imposition selon le LDE ne pouvait être adressée à son ex‑épouse ou lui-même.

Le TAPI retenait, de manière arbitraire, que c’était la date de l’introduction de la demande en divorce qui serait pertinente pour déterminer civilement le moment de la liquidation du régime matrimonial. D’une part, en vertu du principe de l’autonomie du droit fiscal, la qualification de l’acte ayant donné lieu à la taxation litigieuse ne pouvait se faire en recourant à des notions de droit civil. La LDE mentionnait expressément le moment de la liquidation du régime matrimonial. D’autre part, même en cas d’application du droit civil, de jurisprudence constante, en cas de procédure judiciaire, le moment de la liquidation du régime matrimonial était en principe le jour du prononcé du jugement. Or, c’était bien l’arrêt du Tribunal fédéral du 10 janvier 2023, réformant l’arrêt cantonal de dernière instance à ce sujet, qui tranchait définitivement la question de la liquidation du régime matrimonial. Le TAPI avait même retenu une date déterminante pour la liquidation du régime matrimonial différente de celle de l’AFC-GE, soit le 18 avril 2013. Si cette dernière devait être retenue comme date de la liquidation du régime matrimonial, le délai de prescription de cinq ans prévu par l’art. 185 al. 1 let. b LDE devrait alors être appliqué à compter de la date précitée.

Cela étant dit, dans la mesure où il n’était plus marié depuis dix ans à la date d’émission du bordereau contesté, celui-ci aurait dû être envoyé séparément à chacun des ex-époux et le montant de l’impôt aurait dû être réparti par moitié entre eux.

b. Dans ses écritures responsives du 16 janvier 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours, en maintenant sa position et se référant à ses précédentes écritures.

c. Le recourant n’ayant pas d’observations complémentaires à formuler dans le délai imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 180 LDE).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du bordereau de droits d’enregistrement du 8 février 2023 pour un montant de CHF 486'860.15 en raison de la liquidation du régime matrimonial.

En vertu de l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l'espèce.

3.             Dans un premier grief, le recourant conteste la date retenue, que ce soit par l’autorité intimée (31 août 2021) ou le TAPI (18 avril 2013), comme date de liquidation du régime matrimonial servant à la perception des droits d’enregistrement.

3.1 Les droits d’enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l’enregistrement ; ils sont perçus par l’administration de l’enregistrement et des droits de succession du canton de Genève (ci-après : l’administration de l’enregistrement ; art. 1 al. 1 LDE).

Sont notamment soumis obligatoirement à l’enregistrement les actes, écrits et pièces portant attribution de biens résultant de changement ou de liquidation d’un régime matrimonial lorsque les époux, ou l’un d’entre eux, sont domiciliés ou résident dans le canton de Genève (art. 3 let. g LDE).

« Les actes portant liquidation du régime matrimonial, mentionnés sous [art. 3 let. g LDE] doivent être enregistrés, quelle que soit la forme de la convention. Cette disposition soumet ainsi notamment à l’enregistrement les conventions que ratifie un juge dans les procédures en séparation de biens et de divorce » (MGC 1965 II 895).

3.2 À teneur de l’art. 62 al. 1 let. b LDE, sous réserve de l’exception mentionnée à l’art. 6 let. t LDE - hypothèse non visée in casu -, est soumis obligatoirement à l’enregistrement au droit de 1‰ et au minimum de CHF 10.-, le partage des biens matrimoniaux existant au moment du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, que ce partage ait lieu après le décès de l’un des conjoints ou de leur vivant.

Les biens faisant l’objet du partage successoral, du changement ou de la liquidation du régime matrimonial sont taxés à leur valeur vénale à la date du partage, du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, sans tenir compte du passif successoral ou matrimonial ; les biens qui font l’objet d’un rapport sont taxés à la valeur admise pour la perception des droits de succession (art. 63 LDE).

3.3 D’après l’art. 138 LDE, les parties sont tenues de faire enregistrer tous les actes et opérations ainsi que les déclarations de transfert et d’autres opérations dont l’enregistrement est obligatoire en application de la LDE (al. 1). Cette obligation incombe solidairement au donateur et au donataire, aux cohéritiers en matière de partage successoral et aux époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé (al. 2).

3.4 Selon les travaux préparatoires du projet de loi 2'859 sur les droits d'enregistrement (ci-après : PL 2'859), « le partage est une opération qui a pour objet de convertir pour chacun des indivis ou copropriétaires, le droit général ou indivis qu'ils avaient sur la totalité des choses communes, en droit exclusif sur une ou plusieurs choses déterminées (...). Le partage peut avoir lieu notamment entre héritiers, entre époux qui liquident leur régime matrimonial, entre associés, entre membres d'une indivision ou d'une communauté prolongée, entre colégataires, codonataires, entre copropriétaires (art. 646 et 651 CCS) ou propriétaires en commun (art. 652 et 654 CCS) » (MGC 1965 II 905).

3.5 Les époux sont placés sous le régime de la participation aux acquêts, à moins qu’ils n’aient adopté un autre régime par contrat de mariage ou qu’ils ne soient soumis au régime matrimonial extraordinaire (art. 181 du code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210).

Le régime de la participation aux acquêts est dissous au jour du décès d’un époux ou au jour du contrat adoptant un autre régime (art. 204 al. 1 CC). S’il y a divorce, séparation de corps, nullité de mariage ou séparation de biens judiciaire, la dissolution du régime rétroagit au jour de la demande (art. 204 al. 2 CC). Chaque époux reprend ceux de ses biens qui sont en possession de son conjoint (art. 205 al. 1 CC).

La dissolution met fin au régime et ouvre la voie à la liquidation de celui-ci. C’est le moment de la dissolution qui est décisif pour déterminer la composition des masses de biens en vue de la liquidation ; les biens qui entrent dans le patrimoine des époux après ce moment, de même que les dettes qui naissent postérieurement à cette date, ne sont en principe pas pris en considération. Lorsqu’elle est nécessaire, l’évaluation de ces biens a au contraire lieu à l’époque de la liquidation du régime (Paul-Henri STEINAUER, in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/Denis PIOTET [éd.], Commentaire romand - Code civil I, 2010, n. 3 ad art. 204 CC).

Parmi les différentes décisions judiciaires entraînant la dissolution du régime matrimonial, le jugement de divorce ou d’annulation du mariage met fin au mariage lui-même, et par là au régime matrimonial (art. 109 al. 2 et 120 al. 1 CC). Dans toutes les hypothèses, la dissolution prend effet non lors de l’entrée en force du jugement, mais rétroactivement au moment de la demande (art. 204 al. 2 CC). Le législateur a ainsi voulu éviter que des avantages économiques ne puissent être acquis en cours de procédure, par exemple que l’une des parties ne prolonge la procédure pour profiter d’une augmentation des acquêts du conjoint ou qu’elle ne consomme ses propres acquêts pour ne pas avoir à les partager avec le conjoint. Le moment de la demande est celui où la litispendance a été créée selon le droit de procédure. Toutefois, si la demande est admise sur la base de nouveaux motifs invoqués en cours de procès, c’est le moment de l’introduction de ces motifs dans la procédure qui est déterminant ; de même, si une demande de divorce est rejetée, mais que la demande reconventionnelle est admise, c’est le moment de cette dernière qui fixe la dissolution du régime. Si la demande est admise, la liquidation doit être opérée comme si la participation aux acquêts avait pris fin au moment de l’introduction de la demande. Il faut alors considérer que, entre le moment de la demande et la fin de la procédure, les époux ont été soumis au régime de la séparation des biens, aussi bien pour leurs rapports juridiques internes que pour leurs rapports juridiques avec des tiers. Mais tant que dure la procédure, la situation est incertaine, car si la demande est rejetée, le régime de la participation a continué à produire ses effets et les actes juridiques qui auraient été accomplis contrairement à ses règles (notamment à l’art. 201 al. 2 CC) doivent être rectifiés. Pour des questions de preuve, il est prudent, au moment de la demande, d’exiger un inventaire au sens de l’art. 195a CC (Paul-Henri STEINAUER, in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/Denis PIOTET [éd.], op. cit., nos 9 ss ad art. 204 CC).

La liquidation du régime matrimonial de la participation aux acquêts débute avec la dissociation des patrimoines des époux, suivie de la reprise de ses biens propres par chacun des époux, puis de l’établissement du compte d’acquêts de chaque époux, avant de se terminer par la répartition des bénéfices et l’établissement éventuel d’un état final des créances entre époux (art. 205 ss CC).

La dissolution désigne l’instant où on « photographie » l’ensemble des biens du couple, avant de procéder aux étapes liées à la liquidation du régime matrimonial. C’est donc à ce moment-là que les acquêts et les biens propres de chaque époux sont disjoints […]. Il convient de distinguer le moment déterminant pour la composition des masses (la dissolution) et le moment déterminant pour l’estimation de la valeur de ces masses (la liquidation) […]. La dissolution du régime matrimonial est immédiatement et nécessairement suivie des opérations de liquidation du régime matrimonial, conformément aux art. 205 ss CC (Sandrine BURGAT, in François BOHNET/Olivier GUILLOD [éd.], Droit matrimonial, fond et procédure, commentaire pratique, 2016, nos 10 ss ad art. 204 CC).

3.6 Sous le titre « jugements, actes et décisions judiciaires », les art. 117 ss LDE traitent de ceux qui sont obligatoirement soumis à l’enregistrement ou qui en sont exemptés.

D’une manière générale, que ce soit pour les actes judiciaires et civils du Tribunal civil (art. 122 ss LDE) ou ceux de la Cour de justice (art. 126 ss LDE), ces dispositions visent principalement la perception d’un droit fixe ou proportionnel perçu, d’une part, sur toute expédition, copie certifiée conforme ou extrait de certains jugements ou de commission rogatoire, certaines pièces, tout arrêt, jugement ou décision statuant sur sentence arbitrale, et d’autre part, sur toute condamnation au paiement de sommes ou à des prestations résultant d’un arrêt, d’un jugement ou d’une décision statuant sur sentence arbitrale, lorsque l’enregistrement en est obligatoire (art. 123 et 127 LDE).

3.7 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 144 V 313 consid. 6.1 ; 137 IV 180 consid. 3.4).

3.8 Selon le Tribunal fédéral, lorsque le droit fiscal renvoie à des notions de droit civil, la question est de savoir si le sens donné en droit civil est aussi déterminant en droit fiscal ou si le droit fiscal doit préférer une interprétation autonome qui se fonde uniquement sur la réalité économique. La doctrine admet en règle générale que l'on peut s'écarter des définitions de droit civil lorsque des motifs fondés justifient une interprétation autonome (arrêt du Tribunal fédéral 2C_277/2011 du 17 octobre 2011 consid. 4.2.3 ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5e éd., 2021, p. 69). Il faut à chaque fois interpréter la norme fiscale afin de voir si elle entend ou non reprendre la notion correspondante de droit civil. Si, après interprétation de la norme au moyen des méthodes reconnues, on arrive à la conclusion que le droit fiscal renvoie indiscutablement à des institutions créées par le droit civil, le sens de droit civil est alors aussi déterminant en droit fiscal (Xavier OBERSON, op. cit., p. 69). En principe, la loi fiscale lie l'imposition des successions et donations aux transferts et institutions du droit civil ; elle peut s'écarter du droit civil pour donner une définition propre des cas d'imposition mais, en vertu du principe de la légalité de l'impôt, elle doit le dire expressément (Jean-Marc RIVIER, Droit fiscal suisse, Neuchâtel 1998, p. 522).

3.9 Dans un jugement récent du 28 juin 2021 (JTAPI/662/2021), le TAPI a retenu que le décès de l’époux impliquait en soi la dissolution et la liquidation du régime matrimonial. Pour pouvoir requérir du registre foncier l’inscription des opérations instrumentées par l’acte notarié en question intitulé « déclaration de mutation cadastrale et délivrance de legs testamentaire d’un usufruit », lesquelles ne concernaient qu’un élément appartenant à la masse successorale, il fallait tout d’abord déterminer dans quelle mesure l’immeuble en faisait partie, ce qui impliquait nécessairement la liquidation préalable du régime matrimonial. En ces circonstances, seule l’épouse du défunt était débitrice et responsable des droits d’enregistrement sur cette liquidation (art. 163 al. 2 LDE) et elle était tenue de la déclarer à l’enregistrement (art. 138 LDE), ce qu’elle n’avait pas fait. Ce jugement a été confirmé par la chambre de céans dans l'ATA/567/2023 du 30 mai 2023, entré en force.

Dans un autre arrêt (ATA/286/2021 du 2 mars 2021), la chambre de céans a retenu que l’art. 62 al. 1 let. b LDE, se rapportant à la liquidation du régime matrimonial, ne s’appliquait pas au régime de la séparation de biens.

En outre, la chambre administrative a notamment retenu, dans un arrêt ATA/494/2024 du 16 avril 2024, que le fait qu’il n’existe aucun acte écrit manifestant la volonté de la recourante de procéder immédiatement après le décès de son mari à une liquidation du régime matrimonial des époux n’est pas pertinent quant à la date d’enregistrement de l’acte de mutation de la propriété de l’immeuble, la LDE déployant ses effets à des actes mais aussi à des opérations qui ne sont pas forcément écrites, comme le suggéraient du reste l’emploi des mots « déclaration » ou « constatations » (consid. 3.10).

3.10  

3.10.1 En l’espèce, le recourant estime que la date qui aurait dû être retenue comme celle de la liquidation du régime matrimonial est celle de l’arrêt du Tribunal fédéral du 10 janvier 2023. Selon lui, si le principe du divorce avait été validé par le TPI dans son jugement du 17 août 2020, les modalités de la liquidation du régime matrimonial étaient restées litigieuses jusqu’à l’arrêt précité. Le recourant en conclut alors que, s’agissant d’un arrêt du Tribunal fédéral, l’autorité intimée ne pouvait percevoir de droit d’enregistrement. Par ailleurs, aucun des époux n’ayant été domicilié à Genève à la date de l’arrêt du Tribunal fédéral précité, le partage ne pouvait être soumis aux droits d’enregistrement conformément à l’art. 3 let. g LDE.

Contrairement aux allégations du recourant, il ne saurait être retenu que des droits d’enregistrement ne peuvent être perçus lorsque le Tribunal fédéral est la dernière instance à avoir tranché un litige portant sur les modalités de la liquidation du régime matrimonial. Le recourant semble confondre les notions de droits d’enregistrement perçus dans le cadre du partage des biens matrimoniaux existant au moment du changement ou de la liquidation du régime matrimonial (art. 62 al. 1 let. b LDE) et ceux perçus en cas de jugements, actes et décisions judiciaires (art. 117 ss LDE). Ces derniers ont trait au document en tant que tel, tandis que les premiers concernent l’opération elle-même, à savoir le partage au terme de la liquidation du régime matrimonial.

In casu, la question litigieuse porte bel et bien sur la taxation du partage des biens matrimoniaux existant au moment de la liquidation du régime matrimonial du recourant et de son ex-épouse, et non pas sur l’arrêt du Tribunal fédéral du 10 janvier 2023 en tant que tel.

Il s’ensuit que le TAPI n’a pas erré en rappelant que l’objet de la taxation est l’état de la fortune des ex-conjoints et non l’enregistrement d’un acte judiciaire.

3.10.2 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’art. 62 al. 1 let. b LDE se réfère explicitement au partage « au moment de la liquidation du régime matrimonial », de sorte qu’il s’agit de déterminer cette date. S’agissant de la détermination de la date précise du partage de ladite fortune au moment de la liquidation du régime matrimonial, la jurisprudence susrappelée permet de se référer aux notions de droit civil, lorsque le droit fiscal ne mentionne aucune précision à ce sujet. À la lecture de la LDE et des travaux législatifs y relatifs, il apparaît que le législateur a
lui-même entendu y faire référence, sans leur donner de sens spécifique. Il convient donc de s’en inspirer afin d’appliquer la LDE de manière cohérente et conforme au droit civil.

À cet égard, il ressort expressément de l’art. 204 al. 2 CC qu’en cas de divorce, la dissolution rétroagit au jour du dépôt de la demande en divorce. La doctrine s’accorde sur le fait que le jugement de divorce entraîne la dissolution du régime matrimonial, laquelle ouvre la voie de sa liquidation.

Par jugement du 17 août 2020, le TPI a prononcé le divorce du recourant et de son ex‑épouse, dont la demande avait été déposée le 18 avril 2013. Demeuraient alors seules litigieuses les modalités de la liquidation du régime matrimonial, lesquelles ont fait l’objet d’un appel à la chambre civile, puis d’un recours au Tribunal fédéral. Il résulte de ces procédures que le principe même du divorce et par conséquent la dissolution du régime matrimonial avaient été prononcés par le TPI avec effet à la date du dépôt de la demande, soit au 18 avril 2013.

En revanche, dans son arrêt du 10 janvier 2023 (5A_847/2023), le Tribunal fédéral, admettant le recours du recourant contre l’arrêt de la chambre civile du 31 août 2021 sur le seul point de la date des intérêts, a retenu que, dans la mesure où la requête d’effet suspensif avait été rejetée en instance fédérale, la décision portant sur le montant dû au titre de la liquidation du régime matrimonial était entrée en force au jour du prononcé de l’arrêt de la chambre civile du 31 août 2021 (consid. 10.2). Il s’ensuit que, conformément à l’approche de l’autorité intimée, la date de liquidation du régime matrimonial du recourant et de son ex-épouse est celle du 31 août 2021.

Ainsi, si la date de la dissolution du régime matrimonial coïncide avec celle du dépôt de la demande en divorce, ce n’est que lors de la notification de l’arrêt de la chambre civile, confirmé par le Tribunal fédéral, que le montant dû au titre de la liquidation du régime matrimonial était définitivement connu. Bien que le divorce et la dissolution du régime aient eu lieu avec effet rétroactif au 18 avril 2013, ce n’est qu’à partir du 31 août 2021 que le partage des biens au titre de la liquidation du régime matrimonial a pu avoir lieu. Cette approche rejoint celle du législateur puisque la LDE vise expressément cette notion de partage et non celle de dissolution du régime matrimonial.

Par conséquent, c’est cette dernière date, correspondant à celle de la liquidation définitive du régime matrimonial entre le recourant et son ex-épouse dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial qui doit être prise en considération pour fixer les droits d’enregistrement perçus sur cette opération. Or, à cette date, il n’est pas contesté que le recourant était encore domicilié dans le canton de Genève, si bien que le partage pouvait être soumis aux droits d’enregistrement conformément à l’art. 3 let. g LDE.

Ainsi, ce grief sera écarté.

3.10.3 Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner le grief du recourant tiré de la prescription des droits d’enregistrement, la date du 18 avril 2013 n’étant pas retenue comme celle prise en considération au titre de la liquidation du régime matrimonial.

L’autorité intimée a émis un bordereau de taxation à l’encontre du recourant le 8 février 2023, tandis qu’il est considéré que le moment déterminant pour la taxation de la liquidation du régime matrimonial est le 31 août 2021. Le délai de prescription de cinq ans n’était dès lors pas atteint lorsque l’autorité intimée a adressé au recourant le bordereau précité.

Au demeurant, force est de constater que l’autorité intimée n’était pas en mesure de procéder à une quelconque taxation des droits d’enregistrement sur la liquidation du régime matrimonial le 18 avril 2013, faute de connaître le montant de la fortune retenue dans ce cadre et existante au moment de la liquidation du régime matrimonial.

4.             Dans un dernier grief, le recourant fait valoir que le bordereau du 8 février 2023 aurait dû être divisé entre les deux ex-époux et notifié séparément à chacun d’eux.

4.1 Sont solidairement responsables du paiement des droits, intérêts et frais, les cohéritiers qui se partagent une succession, les époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé et les parties aux compromis et jugements arbitraux
(art. 166 al. 1 LDE).

4.2 Le principe d'égalité de traitement, consacré à l'art. 8 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), s'adresse tant au législateur (égalité dans la loi) qu'aux autorités administratives et judiciaires (égalité dans l'application de la loi ou égalité devant la loi), qui sont tenus de traiter de la même manière des situations semblables et de manière différente celles qui ne le sont pas (ATF 139 V 331 consid. 4.3 ; 137 V 334 consid. 6.2.1).

4.3 Le principe de la légalité de l'activité étatique (art. 5 al. 1 Cst.) prévaut en principe sur celui de l'égalité de traitement (ATF 134 IV 44 consid. 2c ; 126 V 390 consid. 6a). En conséquence, le justiciable ne peut généralement pas se prétendre victime d'une inégalité de traitement, lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors qu'elle l'aurait été faussement, voire pas appliquée du tout dans d'autres cas semblables. Cela présuppose cependant, de la part de l'autorité dont la décision est attaquée, la volonté d'appliquer correctement à l'avenir les dispositions légales en question ; le citoyen ne peut prétendre à l'égalité dans l'illégalité que s'il y a lieu de prévoir que l'administration persévérera dans l'inobservation de la loi (ATF 127 II 113 consid. 9 ; 127 I 1 consid. 3).

4.4 Il n’est pas contesté que la liquidation du régime matrimonial en cause concerne le recourant et son ex-épouse dont le divorce a été prononcé par le TPI le 17 août 2020.

Sur ce point, le TAPI a souligné, à juste titre, que c’est bien l’opération de liquidation du régime matrimonial qui était taxée, en lien avec le divorce prononcé. Il s’agit là de la raison pour laquelle le législateur vise la solidarité des « époux ».

À cela s’ajoute qu’à la date formelle de liquidation du régime matrimonial, soit le 31 août 2021, le recourant demeurait domicilié sur le canton de Genève.

Par conséquent, il est exact que les ex-époux, dont le recourant, demeurent solidairement responsables des droits d’enregistrement dus pour cette opération pour laquelle les autorités genevoises étaient alors compétentes.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et le jugement querellé sera confirmé par substitution partielle de motifs.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 janvier 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Florian BAIER, avocat du recourant, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :