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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1705/2024

ATA/730/2024 du 18.06.2024 ( MARPU ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1705/2024-MARPU ATA/730/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juin 2024

 

dans la cause

 

A______ & CIE SA recourante
représentée par Me Julien PACOT, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______ & CIE SA (ci-après : la société ou la soumissionnaire), inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 13 avril 1987, a notamment pour but l’exploitation d'une entreprise de la construction et du bâtiment, en particulier dans les secteurs de la menuiserie et de la charpente ainsi que des métiers s'y rattachant.

b. Le 26 février 2024, l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal des bâtiments (ci-après : OCBA) du département du territoire (ci-après : le département), a publié sur le site internet Simap un appel d'offres en procédure ouverte non soumis aux accords internationaux pour la fourniture et la pose des cadres en bois des fenêtres (lot n° 1) et la fourniture des vitrages (lot n° 2) dans le cadre de l’extension du cycle d’orientation de B______ à C______.

Selon le descriptif CFC 221, les fenêtres en bois du lot n° 1 comprennent un « cadre épicéa sans nœud 1er choix label FSC obligatoire (bois non abouté, stable en terme de dimensionnement, qualité à l’essai naturel, profilés produits à partir de pièces de carrelets collés – pas de lamellé-collé) ; ouverture oscillo-battante selon nomenclature, crémone entaillée dans battue, poignée en fonte sous pression nickelée mat type Méga OPO avec rosace à clipser 71.610.01 ou équivalent. » La finition et l’étanchéité sont également décrites.

L’appel d’offres indiquait que des variantes étaient admises et renvoyait aux conditions décrites au § 3.16 du dossier d’appel d’offres.

Selon le § 3.16 du dossier d’appel d’offres, une variante d’offre est admise, en plus de l’offre de base, mais pas obligatoire. Le soumissionnaire peut donc proposer : une variante ou des mesures d’optimisation des prestations du dossier d’appel d’offres (suppression, modification, remplacement, ou complément d’articles du cahier des charges) ; une variante sur les produits, matériaux et/ou fournitures décrits dans le cahier des charges (proposition d’un autre produit, matériau et/ou fourniture) ; une variante d’exécution du marché (proposition d’un autre mode opératoire d’exécution du marché). Une variante n’est prise en considération que si : (a) une offre a été déposée conformément aux exigences du cahier des charges (offre de base) ; (b) l’offre de base est recevable ; (c) elle est déposée dans le délai de dépôt de l’offre de base ; (d) le montant de la variante figure dans l’annexe R1 ; (e) elle respecte les exigences essentielles du cahier des charges ; (f) les annexes liées aux éléments d’appréciation de l’offre sont également complétées pour la variante.

Selon le § 3.6, une fois la recevabilité vérifiée, l’adjudicateur procède à une vérification plus approfondie sur les aspects suivants et exclut l’offre notamment si : elle n’est pas accompagnée des attestations, preuves et documents demandés ; elle n’est pas présentée dans une des langues exigées ; elle n’est pas remplie complètement selon les indications ; elle n’est pas datée et signée par les personnes responsables ; le soumissionnaire n’exerce pas depuis trois ans dans la branche ou ne remplit pas les aptitudes requises, les conditions relatives à la sous-traitance ne sont pas respectées. La tromperie entraîne également l’exclusion. D’autres motifs d’exclusion figurant dans la législation cantonale ou admise dans le cadre d’une commission consultative extraparlementaire peuvent être invoqués. Selon le § 4.17, l’adjudicateur écarte les offres qui ne remplissent pas les critères d’aptitudes fixés ou les offres qui n’ont pas reçu au moins la note de 2.0 sur l’un ou l’autre des critères éliminatoires définis au § 4.7, soit l’organisation pour l’exécution du marché ou la qualité technique ainsi que les références et l’expérience.

c. La société a soumissionné le 21 mars 2024 pour les deux lots.

Pour le lot n° 1, elle a indiqué un prix de CHF 299’893.- TTC (annexe R1+).

Le cahier de compréhension des charges indiquait qu’il était demandé que les cadres et guichets soient réalisés en épicéa. Or elle ne proposait pas ce type d’essence et avait répondu à l’offre avec du pin sylvestre non abouté (annexe R14+).

d. Par décision du 7 mai 2024, l’OCBA a informé l’entreprise que son offre avait été écartée en raison de sa non-conformité au cahier des charges, puisqu’elle avait proposé du pin sylvestre au lieu de l’épicéa. Il ne lui était pas possible de modifier le cahier des charges.

B. a. Par acte remis au greffe le 21 mai 2024, la société a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation, à l’annulation de toute éventuelle adjudication survenue depuis et au renvoi de la cause à l’OCBA. Préalablement, l’effet suspensif devait être accordé au recours.

Elle avait déterminé que l’épicéa était en moyenne 10% plus cher que le pin sylvestre et plus cassant en machine de 7 à 12%. Sur la base de considérations économiques, elle avait conclu que le pin sylvestre présentait une meilleure durabilité et résistance et constituait un choix adapté pour les fenêtres et portes extérieures.

L’utilisation de l’épicéa ne constituait pas une exigence obligatoire. Seule l’était l’exigence que le bois sélectionné respecte le label FSC. Son offre ne constituait pas une variante et était conforme au cahier des charges.

À supposer qu’il se fût agi d’une variante, elle se prévalait de l’interdiction du formalisme excessif et de l’égalité de traitement. Il ne s’agissait pas d’un manquement particulièrement grave. Elle aurait pu apporter les justifications nécessaires lors d’une entrevue de clarification mais n’avait pas été invitée à une telle séance, ce qui semblait d’autant plus inéquitable qu’en des circonstances similaires, l’OCBA avait pour pratique régulière d’offrir une telle opportunité au soumissionnaire.

b. Le 21 mai 2024, le juge délégué a fait interdiction à l’OCBA d’adjuger le marché et de conclure le contrat d’exécution de l’adjudication.

c. Le 27 mai 2024, l’OCBA a conclu au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif et du recours.

La livraison de l’extension du cycle d’orientation de B______ était prévue à la fin de l’année 2025. Le marché devait être attribué rapidement faute de quoi les travaux seraient repoussés d’un an.

L’OCBA avait exposé clairement dans le cahier des charges que l’épicéa était une exigence. La recourante en avait conscience, car elle avait précisé dans son offre qu’elle ne proposait pas cette essence. Si elle avait eu un doute, elle aurait pu poser une question, Or, elle n’en avait posé aucune.

d. Le 7 juin 2024, la société a persisté dans ses conclusions.

Le fait de retourner un engagement signé relatif au choix des matériaux était directement en lien avec l’interprétation du cahier des charges. Il n’était donc pas étonnant de penser que le label FSC était obligatoire et non l’essence sélectionnée.

L’OCBA ne s’était pas prononcé sur l’absence d’interpellation de la recourante au sujet de son offre, alors qu’il était dans sa pratique de le faire dans ce type de situation.

e. Le même jour, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. c et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01).

2.             Le litige a pour objet l’exclusion de la recourante d’un marché public.

2.1 L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3
let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

2.2 À teneur de l’art. 42 RMP, l'offre est écartée d'office notamment lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges (al. 1 let. a) ; les offres écartées ne sont pas évaluées ; l'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (al. 3).

2.3 Le pouvoir adjudicateur dispose d'une grande liberté d'appréciation dans le choix et l'évaluation des critères d'aptitude et d'adjudication, celui-là étant libre de spécifier ses besoins en tenant compte de la solution qu'il désire (ATF 137 II 313 consid. 3.4 in JdT 2012 I p. 28 s.). Si l'autorité judiciaire substitue son pouvoir d'appréciation à celui de l'adjudicateur, elle juge en opportunité, ce qui lui est interdit, tant par l'art. 16 al. 2 AIMP que par l'art. 61 al. 2 LPA. L'autorité judiciaire ne peut intervenir qu'en cas d'abus ou d'excès du pouvoir de décision de l'adjudicateur, ce qui, en pratique, peut s'assimiler à un contrôle restreint à l'arbitraire. En revanche, l'autorité judiciaire n'a pas à faire preuve de la même retenue lors du contrôle des règles de procédure en matière de marchés publics (ATF 141 II 353 consid. 3 et les références citées).

2.4 Le droit des marchés publics est formaliste, ce que la chambre administrative a rappelé à plusieurs reprises (ATA/243/2020 du 3 mars 2020 consid. 4d ; ATA/970/2019 du 4 juin 2019 consid. 7c et les références citées).

2.5 L’autorité adjudicatrice doit procéder à l’examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l’art. 16 al. 2 RMP (ATA/243/2020 précité consid. 4d ; ATA/794/2018 du 7 août 2018 consid. 3b et les références citées). Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l’obligation d’assurer l’égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d’examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation. La conformité au droit de cette approche formaliste a été confirmée par le Tribunal fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 2C_418/2014 du 20 août 2014 consid. 4.1 ; 2C_197 et 198/2010 du 30 avril 2010).

2.6 En l’espèce, il n’est pas douteux que le cahier des charges désignait l’épicéa comme une condition à respecter dans l’offre.

La recourante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient avoir compris de l’obligation de retourner un engagement signé quant au choix d’un bois labellisé FSC que le choix de l’essence n’était pas obligatoire. Si tel avait été le cas, l’intimé n’aurait en effet pas mentionné d’essence ou aurait indiqué une possibilité de choix, le cas échéant entre différentes essences. En outre, à la différence de l’essence, qui peut être reconnue par l’examen visuel, l’origine FSC ne se distingue pas à l’œil nu, ce qui peut expliquer l’exigence d’un engagement formel sur ce point. Enfin, l’intimé relève à juste titre que la recourante avait identifié le problème puisqu’elle a précisé dans son offre s’être écartée du cahier des charges s’agissant de l’essence du bois.

La recourante met en avant les qualités comparées de l’épicéa et du pin sylvestre et invoque un critère économique pour justifier sa proposition. Ce faisant, elle perd de vue que c’est au pouvoir adjudicateur qu’il appartient de fixer les critères et exigences relatifs aux offres, et que les concurrents n’ont pas le pouvoir de modifier l’appel d’offres. La recourante ne soutient pas par ailleurs avoir recouru contre un vice qui aurait affecté la publication de l’appel d’offres. Elle n’avait enfin pas invoqué les qualités comparées dans son offre mais simplement indiqué qu’elle ne proposait pas d’épicéa.

La recourante se plaint de ne pas avoir été interpellée par l’OCBA sur le défaut de son offre. Les deux exemples qu’elle donne portent toutefois sur des cas où une clarification apparaissait nécessaire à propos des matériaux offerts alors que l’appel d’offres réservait au soumissionnaire la possibilité de présenter un produit différent à condition qu’il soit similaire et ait des caractéristiques équivalentes (ATA/181/2023 du 28 février 2023), respectivement au sujet des caractéristiques d’une des trois variantes proposées (ATA/490/2017 du 2 mai 2017). Or, en l’espèce, la condition du recours à l’épicéa était inéquivoque et le choix de la recourante de proposer du pin sylvestre ne pouvait être compris que comme ne respectant pas la condition, ce qui n’appelait aucune clarification. La recourante n’apporte pas d’autres précisions sur la prétendue pratique de l’OCBA qu’elle allègue, si bien que ce dernier n’avait pas à se déterminer sur ce point. Le grief d’une inégalité de traitement tombe ainsi à faux.

La recourante laisse enfin entendre que son offre pourrait être comprise comme une variante. Tel ne saurait être le cas : la recourante n’a offert que la réalisation en pin sylvestre, soit une offre principale, à l’exclusion de toute variante, étant rappelé que selon le cahier des charges une variante ne pouvait être admise que si l’offre principale était conforme au cahier des charges.

Il suit de là que l’offre de la recourante n’était pas conforme au cahier des charges, de sorte que c’est de manière conforme au droit que l’intimé l’a exclue.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

Vu l’issue du recours, les conclusions sur mesures provisionnelles ont perdu leur objet.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.-, tenant compte de la décision sur mesures préprovisionnelles, sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 mai 2024 par A______ & CIE SA contre la décision du département du territoire du 7 mai 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ & CIE SA un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Julien PACOT, avocat de la recourante, au département du territoire ainsi qu’à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :