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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/728/2023

ATA/659/2024 du 04.06.2024 sur JTAPI/1273/2023 ( ICC ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : OBJET DU LITIGE;DROIT FISCAL;IMPÔT;IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL;PRÉTENTION DE DROIT PUBLIC;IMPOSITION DANS LE TEMPS;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;FARDEAU DE LA PREUVE;SUCCESSION;HÉRITIER LÉGAL;IMPÔT SUR LES SUCCESSIONS ET LES DONATIONS;SUBSTITUTION(OBLIGATION);DISPOSITION POUR CAUSE DE MORT;DROIT CIVIL;SOLIDARITÉ
Normes : Cst.29.al2; Cst.3; LDE.1; LDE.11; LDE.138; LDE.171.al1; LDE.185; LDE.166; LDE.172; LIFD.169; CC.569; CC.589; CC.603; LECO.2; ROAC.3; Cst.5.al3
Résumé : Recours de deux membres d'une hoirie, qui contestent la mainmise fiscale ordonnée sur leurs avoirs, en raison des droits d'enregistrement non versés par la donataire de leur père et grand-père, à la suite de donations du vivant de ce dernier à sa compagne. Confirmation de la mainmise fiscale dans son principe, i) la créance n'étant pas prescrite, ii) la mainmise étant fondée sur le cas de subsidiarité découlant de l'art. 166 al. 2 LDE et 172 al. 1 LDE. Iii) en revanche, le montant requis de la mainmise ne peut être confirmé, étant excessif au vu du jugement du TPI produit par les parties, dont il ressort que les donations reçues par la donataire en 2013 et 2016 ne s'élèvent plus qu'à CHF 400'000.- environ, au lieu du montant estimé de 4'000'000.-. Par conséquent, réduction de la mainmise de CHF 2'300'000.- à 300'000.-. Admission partielle du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/728/2023-ICC ATA/659/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 juin 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______

représenté par Me Lionel DELGADO, avocat

et

B______
représenté par BOITELLE TAX Sàrl, mandataire recourants

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée
_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 novembre 2023 (JTAPI/1273/2023)


EN FAIT

A. a. C______(ci-après : le de cujus), né en 1922, est décédé à Genève le ______ 2016.

b. Sa succession ayant fait l’objet d’un long contentieux civil, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a procédé, en décembre 2018, au blocage des avoirs y relatifs, détenus auprès de plusieurs établissements bancaires suisses, afin d'assurer à l'État de Genève le paiement des droits qui lui étaient dus. Par la suite, à la demande des héritiers, elle a levé la mainmise fiscale sur certains avoirs successoraux.

c. Entre le 11 avril 2018 et décembre 2019, divers échanges se sont tenus entre D______, compagne du défunt, et l’AFC-GE concernant sa taxation et des rappels d’impôts.

d. Le 17 décembre 2019, l'AFC-GE a notifié à D______ un bordereau de droits d’enregistrement sur les donations que le défunt lui avait faites de son vivant. Sur réclamation, les donations imposables ont été arrêtées à CHF 4'071'303.- et les droits dus à CHF 2'216'215.70. Les donations avaient été effectuées essentiellement entre 2013 et 2016.

e. À teneur du registre de l’office cantonal de la population et des migrations, D______, ressortissante suisse, a quitté Genève le 31 octobre 2017 pour s’établir à Lugano.

f. Le 9 novembre 2021, la Juge de paix a homologué le certificat d’héritier notarié, selon lequel les seuls héritiers institués du de cujus étaient son fils, B______, et son petit-fils, A______.

g. Le 2 mai 2022, l'AFC-GE a notifié à l'hoirie C_____ un bordereau de droits de succession. Calculés sur un avoir successoral net de CHF 6'476'059.-, les droits dus par B______ et A______ s’élevaient à respectivement CHF 194'381.80 et CHF 233'238.15, soit un total de CHF 427'619.95.

Ce bordereau n’a pas été contesté.

h. Par courrier du 4 mai 2022, l'AFC-GE a informé le E_____ qu’elle renonçait à la mainmise sur des biens déposés auprès de cet établissement, à l’exception d’un montant de CHF 2'300'000.-, qu’elle maintenait selon l’art. 172 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30).

i. Les 4 juillet et 17 août 2022, B______ et A______ ont contesté la mainmise fiscale relative aux droits d'enregistrement notifiés le 17 décembre 2019, au motif que la donataire, D______, n'était pas héritière, qu’elle disposait des biens suffisants pour s’acquitter desdits droits, que l'art. 172 LDE ne prévoyait pas une telle mesure à l'égard des débiteurs solidaires et que la responsabilité fiscale du donateur n’était que subsidiaire.

j. Le 26 juillet 2022, l'AFC-GE a notifié à A______ un bordereau de droits d’enregistrement correspondant à celui du 17 décembre 2019 (CHF 2'216'215.70), en l’y désignant comme « débiteur » et B______ comme « partie 2 ».

k. Les contribuables ont formé réclamation contre ce bordereau.

l. Le 10 octobre 2022, l'AFC-GE a informé le E_____ qu’elle renonçait à la mainmise notifiée le 4 mai 2020, à condition que le montant de CHF 2'300'000.- soit transféré sur un compte auprès de la F_____ (ci-après : F_____), comme l’avaient souhaité les contribuables.

m. Le 11 octobre 2022, en application de l’art. 172 LDE, l'AFC-GE a procédé à la mainmise des avoirs détenus sur ledit compte auprès de la F_____.

n. Le 31 octobre 2022, un acte de défaut de biens a été délivré à l’encontre de D______ pour la créance de droits d’enregistrement de l’AFC-GE.

o. Le 23 décembre 2022, les contribuables ont demandé à l'AFC-GE d’annuler la mainmise prononcée le 4 mai 2022 ou, à tout le moins, qu'elle rende une décision susceptible de recours.

p. Par décision du 27 janvier 2023, l'AFC-GE a maintenu la mainmise sur les avoirs de la succession du défunt.

En décembre 2019, elle avait notifié un bordereau de droits d'enregistrement concernant les donations faites par le défunt à sa compagne. Les droits y relatifs restaient dus à concurrence de CHF 2'102'724.40. Cette dette n'ayant pas été acquittée ni par la précitée ni par les héritiers du défunt, qui contestaient en être débiteurs, elle avait toutes les raisons de craindre le non-paiement de ces droits. Par conséquent, la mainmise, en tant que mesure de sûreté, était fondée.

Elle refusait donc de rendre une décision, celle-ci n’étant pas nécessaire s’agissant de mesures de sûretés.

q. Le 31 janvier 2023, l'AFC-GE a notifié à A______ un bordereau de droits d’enregistrement faisant état du dégrèvement des droits de CHF 2'216'215.70. Selon l’avis « de rectification » joint, aucun droit n’était dû.

B. a. Par acte du 24 février 2023, les contribuables ont recouru contre la décision du 27 janvier 2023 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à l’annulation de la mainmise fiscale, à ce que l'AFC-GE prononce la levée de celle-ci et à ce qu’une indemnité de procédure de CHF 7'000.- leur soit allouée.

Le dégrèvement des droits notifié le 31 janvier 2023 aurait dû avoir une conséquence sur la mainmise querellée. Selon l’art. 172 LDE, le prononcé d’une mainmise relevait de la compétence du « directeur de l'administration de l'enregistrement ». Or, en l’occurrence, le courrier ordonnant la mainmise sur les actifs successoraux était signé par un taxateur et un adjoint du service des successions et droits d'enregistrement, en l’absence d’une base légale leur déléguant cette compétence. Ainsi, prise par une autorité incompétente, la mainmise du 4 mai 2022, renouvelée le 11 octobre suivant, devait être annulée.

De plus, elle était contraire à l’art. 172 LDE, dont il découlait que la personne contre laquelle la mainmise était prononcée devait être le débiteur personnel ou solidaire des droits et qu’au moins l’une des trois autres conditions posées par cette disposition devait être remplie. N’étant pas bénéficiaires de la donation concernée, les héritiers n’étaient pas personnellement responsables des droits. L’art. 166 al. 2 LDE prévoyait certes qu’en matière de donations, le donateur était subsidiairement responsable du paiement des droits. Toutefois, plusieurs éléments se heurtaient à un tel fondement. L'art. 172 LDE s'appliquait en cas de solidarité, tandis que l'art. 166 al. 2 LDE concernait la responsabilité subsidiaire, ces deux notions n’étant pas les mêmes. Il n'y avait dès lors pas lieu d'étendre l'application de la mainmise prévue à l'art. 172 LDE au cas de responsabilité subsidiaire. En outre, la loi ne prévoyait pas que les héritiers du donateur étaient redevables d'une dette subsidiaire de ce dernier. De plus, une responsabilité subsidiaire impliquait pour l'AFC-GE qu’elle démontre préalablement avoir accompli toute démarche possible pour recouvrer sa créance auprès du débiteur principal, à savoir la donataire, ce qu’elle n’avait pas fait. Par ailleurs, rien ne permettait de craindre un non-paiement des droits, dans la mesure où A______ résidait dans le canton de Genève et était le bénéficiaire de la moitié de la succession. Enfin, la taxation de succession ne tenait pas compte de la dette fiscale du défunt relative à la donation en question. Le prononcé de la mainmise était arbitraire et entaché de mauvaise foi de l'AFC-GE.

b. L'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Les héritiers étaient responsables des dettes fiscales du défunt. En vertu de l’art. 166 al. 2 LDE, le donateur était subsidiairement responsable du paiement des droits d'enregistrement avec le/la donataire. Le donateur étant décédé, ses héritiers étaient subsidiairement responsables des droits litigieux avec la donataire. La mesure de sureté contestée ne préjugeait rien du fond de la taxation. La dette fiscale de CHF 2'102'724.40 n’avait pas été acquittée par D______ ni par les héritiers, qui contestaient en être débiteurs. Partant, elle avait des raisons de craindre que cette dette ne serait pas réglée.

La mainmise querellée visait uniquement à éviter que les héritiers vident tout ou partie de la succession de sa substance avant la fin de la procédure de perception. Elle ne portait pas, en elle-même, atteinte à la consistance du patrimoine successoral.

Tout au long de la procédure, elle avait accepté, à plusieurs reprises, d'arranger les héritiers, en levant partiellement la mainmise sur les avoirs successoraux et en acceptant leur transfert dans les établissements bancaires de leur choix. Ainsi, leurs reproches étaient infondés. Elle était entrée en matière sur une proposition de la F_____ portant sur une autre forme de garantie bancaire, en précisant qu'il devait s'agir d'une garantie « irrévocable à première demande » pour la même somme, soit CHF 2'300'000.-. Toutefois, cette banque n’y avait pas donné suite.

Les fonctionnaires, qui avaient signé le prononcé de la mainmise querellée, faisaient partie de la direction du contrôle, elle-même rattachée à la direction générale de l'AFC-GE. La représentation du département des finances par un fonctionnaire de la direction du contrôle était conforme au règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 (ROAC - B 4 05.10).

c. Dans leur réplique, les contribuables ont relevé que l'AFC-GE n’avait prononcé aucune mainmise sur les avoirs de D______. L’argument selon lequel cette mesure se justifiait en l’espèce parce qu’ils contestaient être débiteurs des droits n’était pas déterminant, puisque l'AFC-GE avait admis qu’ils ne l’étaient pas, en admettant leur réclamation du 25 août 2022 et en annulant le bordereau du 26 juillet 2022 notifié à A______

La dette subsidiaire du défunt ne pouvait pas être transmise à ses héritiers, puisqu’elle n’existait pas au jour de son décès. Elle n’avait pas été déduite de l’actif successoral taxé.

d. Par jugement du 17 octobre 2023, le Tribunal civil de première instance de Genève a admis les conclusions des contribuables et ordonné le rapport à la succession d’une partie des donations du de cujus à D______. Ainsi, le TPI a réduit les donations reçues par D______ de CHF 1'935’707.43 au profit de la réserve de feu G_____, de CHF 957'282.12 au profit de la réserve de A______ et de CHF 773'921.12 au profit de la réserve de B______ et condamné D______ à reverser ces sommes, soit un montant total de CHF 3'666'910.67 à l’hoirie.

e. Par jugement du 13 novembre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Le donateur était subsidiairement au donataire responsable du paiement des droits, intérêts et frais. Ses héritiers répondaient de ses dettes d'impôts jusqu'à concurrence de leur part successorale. La dette fiscale relative aux droits sur les donations faites à la compagne du défunt existait au jour de son décès. Ses héritiers en répondaient donc à titre subsidiaire. Pour le surplus, les conditions de la mainmise étaient remplies.

C. a. Par acte expédié le 14 décembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), B______ et A______ ont recouru contre ce jugement, dont ils ont demandé l’annulation. Ils ont conclu, principalement, à l’annulation des décisions de l’AFC-GE des 27 janvier 2023, 4 mai et 11 octobre 2022, subsidiairement à l’annulation des décisions de mainmise fiscale sur les avoirs successoraux.

La dette fiscale était prescrite. Les procédures en rappel et soustraction d’impôts relatives aux années fiscales 2008 à 2016 ouvertes à l’encontre de la compagne du défunt n’incluaient pas les droits d’enregistrement. Ils ont repris les arguments exposés en première instance, critiquant le raisonnement tenu par le TAPI à cet égard.

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Elle a repris de manière détaillée le déroulement de la procédure de taxation des droits d’enregistrement.

En particulier, les droits d’enregistrement étaient en premier lieu dus par D______. Celle-ci ne s’étant pas conformée à son obligation de payer et le donateur étant décédé, c’étaient les héritiers, ayant accepté la succession, qui devaient payer la dette fiscale.

Elle rappelait accepter de lever la mainmise contre la remise d’une garantie bancaire irrévocable à première demande de la F_____ de la même somme, soit CHF 2'300'000.-.

c. Dans leur réplique, les recourants ont fait valoir que la tardiveté invoquée par l’intimée relative à l’exception de la prescription confinait à l’abus de droit. La décision rendue à l’encontre de D______ était sans effet à leur égard. L’AFC-GE avait rendu une décision le 31 janvier 2023 les concernant qui retenait une créance de CHF 0.- relative aux droits d’enregistrement.

En outre, à titre subsidiaire, il convenait de réduire le montant concerné par la mainmise. En effet, le TPI avait réduit dans son jugement du 17 octobre 2023 les donations reçues par D______ de la part de feu C______ de CHF 1'935'707.43 au profit de la réserve de feue G_____, de CHF 957'282.12 au profit de la réserve de A______ et de CHF 773'921.12 au profit de la réserve de B______. Ce jugement avait un caractère formateur et modifiait la situation juridique avec un effet rétroactif à la date du décès du de cujus. Au total, le jugement du TPI avait réduit les donations reçues par D______ de CHF 3'666'910.67 à seulement CHF 404'392.33, qui constituait la nouvelle base des droits d’enregistrement à laquelle D______ devait être assujettie. Ce jugement impliquait donc de réduire l’assiette taxable des droits d’enregistrement dus par D______, le montant net des donations étant désormais de CHF 404'392.23 (CHF 4'071'303-3'666'910.67). Le montant des droits d’enregistrement correspondant devait ainsi être réduit à la somme de CHF 214'077.48 et la mainmise ne devait pas excéder ce montant.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ; LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985  - LPA - E 5 10 ; art. 180 LDE).

2.             Les recourants sollicitent, au stade de la réplique dans le corps de leur mémoire, sans prendre de conclusions formelles à cet égard, l’audition de trois témoins et de A______.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour les parties de faire administrer des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 154 consid. 2.1 et 4.2 ; 132 II 485 consid 3.2). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, la chambre de céans considère que l’audition des parties et témoins n’est pas nécessaire à la résolution du litige. Les recourants n’expliquent d’ailleurs pas en quoi ces auditions permettraient d’apporter des éclaircissements utiles à la résolution du litige. Les éléments figurant au dossier sont suffisants pour résoudre le présent litige. Pour le surplus, les recourants ont pu exposer par écrit à plusieurs reprises leur point de vue et produire toute pièce qu’ils estimaient utile, devant l'AFC-GE, le TAPI ainsi que la chambre de céans. Ils ont dès lors pu valablement exercer leur droit d'être entendus.

Dans ces circonstances, la chambre administrative étant en possession d'un dossier complet qui contient les éléments pertinents pour trancher le litige, il ne sera pas donné suite aux demandes d'auditions sollicitées par les recourants.

3.             Le litige concerne la mainmise fiscale de CHF 2'300'000.- ordonnée par l’AFC-GE les 4 mai et 11 octobre 2022 et réitérée le 29 janvier 2024 sur les avoirs bancaires des recourants. Ces derniers estiment tout d’abord que la créance justifiant la mainmise serait prescrite.

3.1 La prescription ou la péremption sont des questions de droit matériel que la chambre administrative, à l'instar du Tribunal fédéral, examine d'office lorsqu'elles jouent en faveur du contribuable (ATF 138 II 169 consid. 3.2 ; ATA/976/2021 du 21 septembre 2021 consid. 2a) tant pour l'IFD que les ICC, lorsque celles-ci se fondent sur le droit fédéral (ATF 138 II 169 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_41/2020 du 24 juin 2020 consid. 4). Ces questions doivent également être examinées dans le cadre d'une demande de sûretés. Lorsqu'une créance fiscale est prescrite, elle n'est plus exigible, de sorte que des sûretés ne peuvent plus être requises pour la garantir (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1059/2020 du 17 août 2021 consid. 3.1 ; 2C_85/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5.6.4). Il en va donc de même dans le cadre d’une demande de mainmise, qui à teneur de l’art. 171 al. 1 LDE, est une des mesures de sûretés à disposition de l’autorité fiscale pour garantir le paiement des droits.

3.2 La loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) ne contient pas de disposition particulière relative à l'interruption de la prescription. L'art. 47 al. 1 LHID retient uniquement que le droit de taxer se prescrit par cinq ans à compter de la fin de la période fiscale; en cas de suspension ou d'interruption de la prescription, celle-ci est acquise dans tous les cas quinze ans après la fin de la période fiscale.

3.3 À teneur de l'art. 185 al. 1 let. b LDE, le droit de l'État d'assujettir aux droits d'enregistrement se prescrit par cinq ans : à compter de la date à laquelle l'acte ou l'opération obligatoirement soumis à l'enregistrement aurait dû être assujetti à cette formalité (ch. 1) ; à compter du jour de l'enregistrement de l'acte ou de l'opération en cas d'omission, de fausse déclaration des biens ou de simulation (ch. 2).

3.4 Selon la jurisprudence, toutes les mesures des autorités tendant à la fixation de la prétention fiscale et portées à la connaissance du contribuable, de mêmes que de simples lettres ou injonctions, interrompent le délai de prescription. La notion d'acte tendant au recouvrement de la créance peut même comprendre des communications officielles qui n'annoncent qu'une taxation ultérieure et dont le but se limite précisément à interrompre le cours de la prescription (ATF 139 I 64 consid. 3.3 ; 137 I 273 consid. 3.4.3 ; 126 II 1 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_810/2017 du 16 août 2018 consid. 4.1 et 4.2).

3.5 En l’espèce, l’AFC-GE a émis un bordereau de taxation à l’encontre de D______ le 16 décembre 2019. Avant cela, divers échanges avaient eu lieu avec cette dernière en lien avec une procédure de rappel d’impôts et soustraction pour les années 2008 à 2016 (courriers de l’AFC-GE du 11 avril 2018 et du 4 octobre 2019). Contrairement à la thèse des recourants, il convient de retenir que la créance fiscale visée par ladite mesure n’est pas prescrite dès lors que l’existence des donations concernées n’a été révélée que dans le cadre de la procédure de succession du défunt, portée à la connaissance de l’AFC-GE en octobre 2019 et qu’en décembre 2019, l'AFC-GE a notifié les droits y relatifs, conformément à l’art. 185 al. 1 let. b ch. 2 LDE. Ces courriers ont eu pour effet d’interrompre la prescription, au sens de l’art. 185 al. 1 let. b ch. 2 LDE. Le cas d’espèce ne tombe pas sous le coup des art. 185 al. 2 LDE ou 185 al. 1 let. b ch. 1 LDE, puisque la donataire n’est pas héritière du de cujus et que les donations n’ont pas été enregistrées alors qu’elles auraient dû l’être.

La loi prévoit encore que les droits d’enregistrement, intérêts, amendes, frais et débours se prescrivent par cinq ans à compter de leur exigibilité (art. 185 al. 3 LDE). Au vu des démarches entreprises par l’AFC-GE régulièrement afin de recouvrer sa créance fiscale dans ce dossier, la prescription du droit de percevoir les droits d’enregistrement n’est pas atteinte non plus.

Le droit de taxer ne s’est donc pas périmé, pas plus que celui de percevoir les montants dus.

4.             Il convient ensuite d’examiner le bien-fondé du prononcé de la mainmise.

4.1 En vertu de l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l'espèce.

4.2 La Confédération ne dispose pas de la compétence de percevoir un impôt sur les successions ou donations. Ces impôts sont donc purement cantonaux (art. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101; arrêts du Tribunal fédéral 2C_164/2015 du 5 avril 2016 consid. 2 ; 2C_242/2014 du 10 juillet 2014 consid. 2.3.1).

4.3 La donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contreprestation correspondante (art. 239 al. 1 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 - Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220). La donation est un contrat unilatéral – car une seule des parties s'oblige – et un acte bilatéral, car la concordance des volontés est exigée (art. 1 et 239 CO).

4.4 Selon l'art. 1 LDE, les droits d'enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans la loi comme : « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l'enregistrement ; ils sont perçus par l'administration de l'enregistrement et des droits de succession du canton de Genève (al. 1). L'enregistrement consiste à analyser et à mentionner dans un registre spécial tous actes et opérations soumis à cette formalité (al. 2). Au sens de la loi, l'expression « enregistré » ne vise que les opérations effectuées par l'administration mentionnées ci-dessus (al. 3).

L'art. 3 let. h LDE soumet obligatoirement à l'enregistrement, sous réserve des exceptions prévues par la loi, les donations et autres avantages semblables que les dispositions du titre IV assujettissent à cette obligation sous réserve des dispositions de l'art. 6 let. u et v LDE.

4.5 Selon l'art. 11 LDE, sous réserve des exceptions mentionnées aux art. 6 let. u et v, 28 et 29 al. 5 LDE, toute disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, est, en tant que donation, soumise obligatoirement aux droits d'enregistrement (al. 1). Est également réputé donation, tout abandon de biens, de droits ou d'autres avantages semblables, ainsi que toute remise de dette, concédés à titre gratuit (al. 2). La différence de valeur constatée dans un acte à titre onéreux entre les prestations des parties, est présumée donation, sauf preuve contraire (al. 3). En matière de donations de biens mobiliers, les droits ne sont exigibles que si le donateur est domicilié dans le canton de Genève (art. 12 al. 2 LDE).

4.6 L'art. 138 LDE précise que les parties sont tenues de faire enregistrer tous les actes et opérations ainsi que les déclarations de transfert et d'autres opérations dont l'enregistrement est obligatoire en application de la LDE (al. 1). Cette obligation incombe solidairement aux donateur et donataire, aux cohéritiers en matière de partage successoral et aux époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé (al. 2). Selon l'ancien art. 160 LDE, applicable jusqu'au 1er janvier 2020, tous les autres actes et opérations obligatoirement soumis à l'enregistrement en application de la loi, notamment les donations, les partages de succession, les liquidations résultant de changement de régime matrimonial, les reprises de biens, visés à l'art. 3 LDE, doivent être déposés en vue de cette formalité, dans le délai de dix jours à compter de la date de l'acte ou de l'opération.

4.7 Selon l’art. 166 al. 2 LDE, en matière de donation, le donateur est subsidiairement responsable du paiement des droits, intérêts et frais.

4.8 Aux termes de l’art. 171 al. 1 LDE, les mesures de sûreté sont, outre les mesures conservatoires prévues par la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 1889 : a) la mainmise ; b) l’hypothèque légale.

L’art. 172 al. 1 LDE, qui traite de la « mainmise », prévoit que le directeur de l’administration de l’enregistrement peut bloquer par écrit en mains de toutes personnes, de tous établissements et de toutes administrations publiques, les fonds, les valeurs et tous autres biens meubles appartenant à celui qui, aux termes de l’acte enregistré ou à enregistrer, est personnellement ou solidairement débiteur des droits : a) lorsqu’il y a lieu de craindre le non-paiement des droits ; b) en cas de silence du débiteur des droits ou de son mandataire ; c) en cas de refus du débiteur ou de son mandataire de fournir les justifications requises.

En revanche, a contrario et à titre d’exemple, l’art. 173 LDE, qui régit l’« hypothèque légale », stipule que cette mesure ne peut viser que des immeubles qui sont ou ont été la propriété du contribuable. Il n’est pas précisé « personnellement ou solidairement débiteur des droits ».

Il ressort des travaux préparatoires concernant l’art. 172 LDE que ce dernier article « reproduit, adapté aux droits d’enregistrement, les dispositions de l’art. 47 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS - D 3 25) dont l’origine se trouve à l’art. 220 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05). Ces dispositions ont été complétées pour pouvoir poursuivre, comme un débiteur de droit d’enregistrement, tout dépositaire de biens qui ne respecterait pas une mainmise » (Mémorial du Grand Conseil, 11 juin 1965, PL 2'859).

4.9 L'art. 78 LHID prévoit que les cantons peuvent disposer que les décisions de sûretés des autorités fiscales cantonales compétentes sont assimilées à des ordonnances de séquestre au sens de l'art. 274 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1). La LHID ne prévoit donc pas de règle d'harmonisation contraignante pour les cantons en matière de sûretés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_85/2020 précité consid. 6).

4.10 Bien que les art. 171 et 172 LDE ne reprennent pas textuellement les termes des art. 169 et 170 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), qui règlementent les cas de sûretés s’agissant des créances fiscales portant sur l’impôt fédéral direct, l’art. 171 LDE, s’intitulant « mesures de sûretés », prévoit la mainmise, qui est une autre mesure de sûreté à disposition de l’autorité fiscale, à côté des mesures conservatoires prévues par la LP et l’hypothèque légale. Les principes exposés en matière d'IFD ont ainsi également vocation à s'appliquer aux mesures de sûretés fiscales prises sur la base du droit cantonal (ATF 145 III 30 consid. 7.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1057/2020 du 17 août 2021 consid. 7.1 ; 2C_85/2020 précité consid. 6.1). Il s’ensuit, mutatis mutandis, que les développements doctrinaux et jurisprudentiels au sujet des dispositions fédérales concernant les garanties des créances fiscales sont également applicables.

4.11 Lorsqu'ils doivent statuer sur un recours portant sur une demande de sûretés, le Tribunal fédéral, tout comme la chambre de céans, limitent leur examen à un contrôle prima facie de la situation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1057/2020 précité consid. 5.2 ; 2C_85/2020 précité consid. 6.1 ; ATA/1238/2021 du 16 novembre 2021 consid. 7). Le niveau de preuve exigé pour la créance fiscale est celui de la simple vraisemblance (« gewisse Wahrscheinlichkeit »), sous la forme d'un examen préjudiciel et prima facie de la situation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2018 du 30 octobre 2018 consid. 2.2 ; 2C_235/2013 du 26 octobre 2013 consid. 1.2 et 2.4 ; ATA/190/2008 du 22 avril 2008 consid. 7 et 9a), la détermination de l'obligation fiscale et la fixation de l'impôt effectivement dû demeurant réservées dans le cadre de la procédure ordinaire concernant l'affaire fiscale elle-même (arrêt du Tribunal fédéral 2A.446/2006 du 9 mars 2007 consid. 4).

De même, le montant présumable de l'impôt, lorsque la créance n'est pas définitive, fait l'objet d'un examen sommaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_468/2011 du 22 décembre 2011 consid. 2.2.3). La loi prévoit expressément qu'il n'y a pas lieu d'attendre une décision entrée en force pour exiger des sûretés ; dès lors, en cas de rappel d'impôt, il convient d'examiner si les reprises effectuées par le fisc - et éventuellement contestées par le contribuable - doivent être tenues pour plausibles (arrêt du Tribunal fédéral 2A.446/2006 précité consid. 5.1), étant précisé qu'elles ne doivent pas être manifestement exagérées (Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, vol. III, 2015, n. 37 ad art. 169 LIFD).

4.12 La jurisprudence relative à l’art. 169 LIFD retient à ce sujet que l'autorité fiscale est chargée d'encaisser les impôts dus. En cas de besoin, elle peut exiger des garanties de la part du contribuable, sous la forme notamment d'une demande de sûretés, assimilable à une ordonnance de séquestre ; vu sa nature, la demande de sûretés en matière d'impôt constitue une mesure provisionnelle de droit public, qui peut régler une situation de façon temporaire en attente d'une décision principale ultérieure ou intervenir une fois la décision de taxation entrée en force (ATF 134 II 349 consid. 1). En tant que mesures provisionnelles, les sûretés peuvent être modifiées ou révoquées à tout moment selon l'évolution des circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 2C_543/2018 du 30 octobre 2018 consid. 2.2). Elles n'ont par ailleurs aucune influence sur l'existence ou sur le montant de la créance fiscale et ne préjugent en rien de celle-ci (arrêts du Tribunal fédéral 2C_689/2019 du 15 août 2019 consid. 2.2.7 et les références, in RF 74/2019 p. 746, StE 2019 B 99.1 Nr. 17; 2C_543/2018 du 30 octobre 2018 consid. 2.2; 2C_669/2016 du 8 décembre 2016 consid. 2.3.2).

4.13 À titre exemplatif, la chambre de céans a notamment confirmé que les droits du fisc étaient menacés dans le cadre d’un contribuable américain, domicilié à Genève, au bénéfice d’une autorisation d’établissement, avec sa fille de quinze ans, scolarisée dans une école internationale, pour les motifs suivants. Si un risque de déplacement de son domicile à l'étranger paraissait peu probable vu ses relations personnelles à Genève, l’intéressé, qui exerçait une activité indépendante, ne maintenait pas moins des relations économiques relativement étroites avec les États-Unis, par le biais notamment de trusts et de « partnerships » dans des structures immobilières américaines. Il avait omis, pendant près de dix ans, de mentionner dans ses déclarations un grand nombre d'éléments de fortune et de revenu. Son patrimoine avait la caractéristique d’être mobile ou aisément transférable. Il ne possédait enfin plus aucun bien immobilier en Suisse, ce qui aurait pu permettre de renoncer à tout ou partie des sûretés (ATA/1851/2019 du 20 décembre 2019, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 2C_85/2020 précité).

Elle en a fait de même dans le cas d’un contribuable qui avait continué à résider dans le canton de Genève avec son épouse à tout le moins jusqu'en 2018, alors qu’ils avaient annoncé leur départ pour l’étranger le 15 juillet 2007. Il apparaissait qu’ils avaient omis de déclarer leur revenu et leur fortune aux autorités fiscales genevoises, compte tenu du maintien de leur domicile fiscal en Suisse. Le contribuable avait clos une grande partie de ses comptes bancaires en Suisse, et ses biens immobiliers en Suisse ne suffisaient pas à couvrir les dettes fiscales estimées. Son train de vie, qui impliquait des moyens financiers qui lui permettraient de changer rapidement de lieu de vie et de transférer sa fortune mobilière, étaient autant d'éléments qui permettaient de considérer que les droits du fisc apparaissaient menacés (ATA/1166/2020 du 17 novembre 2020, confirmé dans une large mesure par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_1057/2020 précité).

4.14 Qu'elles aient été prononcées en application du droit fédéral ou du droit cantonal, les mesures de sûretés fiscales constituent des mesures provisionnelles de droit public au sens de l'art. 98 LTF (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1057/2020 précité consid. 2.2 ; 2C_85/2020 précité consid. 2.2 et références).

4.15 En matière fiscale, il appartient à l'autorité de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1077/2020 du 27 octobre 2020 consid. 7).

4.16 Les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte (art. 560 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907- CC - RS 210). Ils sont personnellement tenus des dettes du défunt (art. 560 al. 2 CC). Les dettes du défunt regroupent toutes les dettes transmissibles du de cujus qui n’étaient pas éteintes au moment de l’ouverture de la succession (Stéphane SPAHR in Pascal PICHONNAZ/ Bénédict FOËX/Denis PIOTET [édit.], Commentaire romand du Code civil II, 2016 n. 7,8 ad art. 603 CC). Les dettes d’impôts du défunt, non encore acquittés à son décès sont en principe à la charge des héritiers, dans la mesure fixée par les règles de droit fiscal ; peu importe que la décision de taxation soit entrée en force postérieurement au décès (Stéphane SPAR, ibid, n. 9 ad art. 603 CC).

5.             5.1 La mainmise étant une mesure de sûretés, il convient tout d’abord d'examiner si la créance de l'AFC-GE contre D______ et les recourants peut être qualifiée de vraisemblable.

Les éléments de faits retenus dans le jugement du TAPI permettent, prima facie, de constater la vraisemblance de la créance. En effet, le de cujus était subsidiairement responsable du paiement des droits sur les donations faites de son vivant à D______ en application de l’art. 166 al. 2 LDE, ce que les recourants ne contestent pas. Cette dette fiscale existait déjà au moment de son décès et a d’ailleurs été mentionnée dans le bénéfice d’inventaire, avec réserve des contribuables à cet égard. Les recourants en ont ainsi hérité, en vertu des art. 560, 589 et 603 CC, les dettes fiscales n’étant pas limitées par leur inscription à l’inventaire. Ils en sont donc personnellement responsables à titre subsidiaire (art. 166 al. 2 LDE), solidairement entre eux (art. 603 al. 1 CC).

Les recourants estiment que l’art. 172 LDE ne peut s’appliquer au cas des héritiers d’une dette, sans justifier pour quels motifs cette interprétation de la loi devrait prévaloir. Au contraire, il ressort de l’interprétation de l’art. 172 LDE qui appréhende spécifiquement la possibilité de prévoir la mainmise sur les avoirs d’un débiteur tant personnellement responsable que solidairement responsable, contrairement par exemple à l’art. 173 LDE, qui prévoit que l’hypothèque légale ne peut viser que des immeubles appartenant ou ayant appartenu au contribuable. Compte tenu de ces éléments, l’existence d’une créance fiscale apparaît vraisemblable, les éléments avancés dans les considérants qui précédent étant suffisamment convaincants dans le cadre d’un examen limité à la question de la vraisemblance.

5.2 La créance étant vraisemblable, il est nécessaire de déterminer si un cas de mainmise est réalisé ou non. Les recourants estiment que l’art. 172 LDE n’est pas respecté. Ils n’étaient pas personnellement responsables du paiement des droits d’enregistrement et par conséquent, la mainmise querellée n’était pas fondée.

Contrairement à ce que les recourants estiment, au moment où la mainmise a été requise par l’AFC-GE, la donataire n’avait donné aucune suite aux demandes de cette dernière et les recourants estimaient quant à eux ne devoir aucun droit. Objectivement, dans un examen prima facie du dossier, il y avait des craintes réelles concernant le non-paiement des droits. Tel est toujours le cas à teneur du dossier, la donataire, débitrice principale n’ayant donné aucune suite au bordereau notifié par l’AFC-GE et la procédure de poursuite s’est soldée par un acte de défaut de biens délivré en octobre 2021 ; les hypothèses prévues à l’art. 172 al. 1 let. a et b LDE restent ainsi réalisées. Au vu des éléments susmentionnés relatifs à l’absence de paiement et au silence de la donataire ainsi que du fait que les recourants estiment ne pas être débiteurs de ce montant, ces indices traduisent effectivement la crainte de l’AFC-GE que les droits dus ne soient jamais payés.

Le cas de mainmise est donc réalisé.

5.3 Reste à examiner – sous l’angle de la vraisemblance et prima facie – le caractère adapté du montant de la mainmise.

La situation actuelle diffère de celle prévalant au moment où la mainmise a été ordonnée et lorsque le TAPI a statué. L’AFC-GE s’était, lors du prononcé de la mainmise, fondée sur le montant estimé des donations, retenant un montant prévisible de la créance d’impôts de CHF 2'216'235.70. Par la suite, les recourants ont produit le jugement du 17 octobre 2023, exécutoire et définitif, lequel ordonne à la donataire la restitution partielle des donations afin de respecter les réserves de l’hoirie, retenant ainsi que la donataire n’était bénéficiaire de la donation plus qu’à hauteur de CHF 404'392.-. Ce montant ne permet plus de retenir comme adéquat le montant initial des sûretés de CHF 2'300'000.-.

Selon les recourants, qui ne justifient ce chiffre d’aucune manière, le montant maximal de la mainmise ne s’élèverait plus qu’à CHF 214'077.48. L'AFC-GE ne s’est pas prononcée à ce sujet. Compte tenu de l’imposition des droits d’enregistrement pour les bénéficiaires de donations en 5e catégorie à laquelle appartient la donataire, le taux est de 24% de CHF 5'001.- à CHF 100'000.-, puis ensuite de 26% (art. 23 LDE). Il se justifie ainsi, dans le cadre de l'examen prima facie du montant de la créance, de réduire la mainmise à CHF 300'000.-. Ce montant tient compte de celui de la donation de CHF 404'392.-, sujette à droits d’enregistrement, et inclut les intérêts moratoires

Il s'ensuit que le recours sera partiellement admis, la mainmise étant ainsi réduite à un montant maximal de CHF 300'000.-.

6.             Les recourants se plaignent encore de la validité formelle de la mainmise. Celle-ci n’aurait pas été signée par le directeur de l’administration de l’enregistrement.

6.1 Comme déjà mentionné, selon l’art. 172 LDE, le directeur de l’administration de l’enregistrement peut bloquer par écrit en mains de toutes personnes, de tous établissements et de toutes administrations publiques, les fonds, les valeurs et tous les autres biens meubles appartenant à celui qui, aux termes de l’acte enregistré ou à enregistrer, est personnellement ou solidairement débiteur des droits, a), lorsqu’il il y lieu de craindre le non-paiement des droits, en cas de silence du débiteur des droits ou de son mandataire, en cas de refus du débiteur de droits ou de son mandataire de fournir les justifications requises (let. c). Tout paiement fait au mépris de cette défense n’est pas opposable à l’administration de l’enregistrement, et rend ceux qui l’ont fait solidairement responsable des droits. Le recouvrement des droits s’opère comme à l’égard de tout débiteur de droits d’enregistrement.

6.2 Aux termes de la loi sur l'exercice des compétences du Conseil d'Etat et l'organisation de l'administration du 16 septembre 1993 (LECO - B 1 15), le Conseil d’État exerce le pouvoir exécutif. Il prend les décisions de sa compétence (art. 1). Il règle les attributions des départements, en constituant des offices ou des services et en leur déléguant les compétences nécessaires (art. 2 al. 1 LECO). Lorsque des attributions leur ont été conférées directement par la loi, les départements, les offices ou les services les exercent sous l’autorité du Conseil d’État (art. 2 al. 2 LECO). De manière générale, en l’absence de dispositions légales leur attribuant spécialement la compétence de statuer, les services des départements agissent sur délégation et prennent leurs décisions en tant qu’organes au nom et pour le compte du département auquel ils sont rattachés (art. 12 LPA).

6.3 Aux termes de l’art. 3 al. 1 let. c ROAC, le département des finances, des ressources humaines et des affaires extérieures comprend l’administration fiscale cantonale, qui comprend la direction générale de l’AFC-GE, la direction de la perception, la direction du contrôle, des affaires fiscales, des affaires financières et des activités de support et la direction juridique.

6.4 La nullité absolue d'une décision peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d'office. Elle ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement reconnaissables et pour autant que sa constatation ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire (ATF 130 II 249 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_354/2015 du 21 janvier 2016 consid. 4.1). Des vices de fond d'une décision n'entraînent qu'exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure (ATF 129 I 361 consid. 2.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_354/2015 du 21 janvier 2016 consid. 4.1).

Selon la doctrine et la jurisprudence, ce n’est que dans l’hypothèse d’une réparation impossible de ce vice que la sécurité du droit ou le respect de valeurs fondamentales implique l’annulabilité d’une décision viciée à la forme. Ce principe général découle des règles de la bonne foi qui, conformément à l’art. 5 al. 3 Cst., imposent également des devoirs à l’autorité dans la conduite d’une procédure (ATF 123 II 231 consid. 8b ; 119 IV 330 consid. 1c ; 117 Ia 297 consid. 2 ; ATA/1159/2022 du 15 novembre 2022 consid. 4b).

6.5 En l’espèce, la fonction de « directeur de l’administration de l’enregistrement » ne ressort pas de l’organigramme de l’AFC-GE, comme le pointent à juste titre les recourants. On doit ainsi considérer, avec le TAPI, que par délégation, l’expert taxateur et l’adjoint du chef de service, juriste, rattachés tous deux au service des successions et des droits d’enregistrement, qui fait partie de la direction du contrôle, elle-même appartenant à la direction générale de l’AFC-GE, étaient autorisés à signer les mainmises fiscales, notamment celle du 4 mai 2022. Cette dernière a d’ailleurs été ratifiée le 29 janvier 2024 par le directeur des personnes morales, confirmant de facto l’autorisation de signer accordée aux fonctionnaires précités. À cet égard sera rappelé l’art. 9 al. 3 LPA, qui prévoit en procédure de recours, que les collectivités et institutions publiques peuvent se faire représenter par des membres de leurs organes, ainsi que par des membres de leur personnel. A fortiori, en procédure non-contentieuse, tel peut être également le cas.

Compte tenu de ces éléments, en tant que la décision querellée émane de l'autorité compétente, elle ne saurait être considérée comme nulle. Pour le surplus, les recourants ont valablement pu recourir contre cette décision, d’abord devant le TAPI, puis la chambre de céans, qui disposent d’un plein pouvoir d’examen.

Ainsi, ce grief sera écarté.

7.             Les recourants se plaignent finalement d’un comportement contraire au principe de la bonne foi de la part de l’AFC-GE. Celle-ci n’avait pas été claire quant à son intention de recouvrer auprès d’eux les droits d’enregistrement dus par D______.

7.1 Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir conformément aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_145/2019 du 3 juin 2020 consid. 6.3.2). De ce principe découle notamment le droit de toute personne à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I  49 consid. 8.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_145/2019 du 3 juin 2020 consid. 6.3.2). L'art. 9 in fine Cst. protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration et qu'il a pris sur cette base des dispositions qu'il ne saurait modifier sans subir de préjudice (ATF 137 I 69 consid. 2.5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_626/2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1). Le principe de la confiance, découlant de celui de la bonne foi, commande également à l'administration d'adopter un comportement cohérent et dépourvu de contradiction (ATF 111 V 81 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_500/2020 du 11 mars 2021 consid. 3.4.1).

7.2 En l’espèce, la chambre administrative rappellera, à titre liminaire, que le droit fiscal est dominé par le principe de la légalité et que le principe de la bonne foi n’a qu’une influence limitée en la matière (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2), surtout s’il entre en conflit avec celui de la légalité. Ainsi, les contribuables ne peuvent bénéficier d’un traitement dérogeant à la loi que si les conditions de la bonne foi – qui doivent être interprétées de manière stricte – sont remplies de manière claire et sans équivoque (arrêts du Tribunal fédéral 2C_461/2021 du 19 janvier 2022 consid. 5.1 ; 2C_603/2012 et 2C_604/2012 du 10 décembre 2012 consid. 4).

En outre, il ne ressort pas du dossier que l’AFC-GE aurait donné des assurances aux contribuables concernant les droits d’enregistrement dus par D______, étant rappelé que l’objet du présent litige est uniquement limité à la question de la mainmise fiscale, distincte de la procédure de taxation elle-même. On ne voit d'ailleurs pas, sous l'angle de la protection de la bonne foi et de l'interdiction du comportement contradictoire, quelles dispositions – sur lesquelles ils ne sauraient revenir sans subir de préjudice – les contribuables auraient pris sur la foi des échanges en question. C’est par conséquent en vain que les contribuables invoquent le principe de la bonne foi dans le cadre du présent recours, qui concerne uniquement une mesure de sûreté.

En conclusion, le recours sera partiellement admis, uniquement s’agissant du montant de la mainmise. Il sera pour le surplus rejeté.

8.             Au vu de l'issue du litige, un émolument – réduit – de CHF 1'500.- sera mis à la charge des recourants, qui succombent dans une large mesure (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- leur sera allouée, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui de l'AFC-GE (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 décembre 2023 par B______ et A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 novembre 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement et annule ce jugement en ce qu’il confirme le montant de la mainmise de CHF 2'300'000.- ;

réduit le montant de la mainmise à CHF 300'000.- :

confirme le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 novembre 2023 pour le surplus ;

met à la charge solidaire de B______ et A______ un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue à B______ et A______, pris solidairement, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’Etat de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à BOITELLE TAX Sàrl, mandataire de B______, à Me Lionel DELGADO, avocat de A______, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'administration fiscale cantonale.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MARMY

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :