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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3074/2023

ATA/654/2024 du 30.05.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3074/2023-EXPLOI ATA/654/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 mai 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl recourante
représentée par Me Adrien RAMELET, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me Stephan FRATINI, avocat



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : la société), inscrite au registre du commerce (ci-après : le RC) le 10 mai 2010, a pour but l’exploitation de restaurants, hôtels, bars, salons de thé ; la vente de nourriture, brute ou transformée, sous quelque forme que ce soit ; la fabrication et la vente de plats à l’emporter ou à domicile ainsi que toute activité de traiteur, importation et distribution de boissons alcoolisées ou non ainsi que spécialités alimentaires.

b. B______ et C______ en sont associés gérants avec signature individuelle, celui-ci en étant président.

c. La société exploite le restaurant « le D______ » sis à la rue de la E______ n° 1______ à Genève.

B. a. Par formulaire rempli en ligne le 23 février 2021, la société a sollicité une aide financière pour cas de rigueur dans le cadre de la pandémie de Covid-19 auprès de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (ci-après : DG-DERI) du département du développement économique, devenu le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : le département ou DEE).

Elle a notamment joint à cette demande la convention d’octroi de contribution à fonds perdu.

b. Par décision du 5 mars 2021, le département a octroyé à la société une aide financière extraordinaire de CHF 262'169.20, tenant compte, pour 2020, d’un chiffre d’affaires de CHF 865'142.-, de coûts totaux de CHF 1'265'989.- et de coûts fixes de CHF 262'169.-.

c. La société ayant déposé une demande complémentaire pour la période du premier semestre 2021, elle a perçu à ce titre une aide de CHF 49'081.-.

d. Au total, la société a reçu CHF 311'250.-.

C. a. Par décision du 17 janvier 2023, le département a requis de la société la restitution du montant de CHF 207'881.50 à la suite d’un contrôle a posteriori.

aa. L’aide pour « perte économique pour 2020 » aurait dû se monter à CHF 20'651.- en lieu et place de CHF 262’169.-.

Les vérifications complémentaires démontraient, sur la base des états financiers définitifs remis à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC), que son chiffre d’affaires pour 2020 s’élevait à CHF 877'725.- et les coûts totaux à CHF 898'376.- Les coûts fixes étaient plus élevés que ceux annoncés et se montaient à CHF 284'217.- en lieu et place de 262'169.-.

ab. Le montant de l’aide pour « perte économique pour le premier semestre 2021 » de CHF 49'081.- avait été correctement calculé.

ac. L’aide pour la fermeture de l’établissement pour la période du 1er janvier 2021 au 30 mai 2021 s’élevait à CHF 103'368.48.

Cette dernière ne pouvant être cumulée avec l’aide pour perte économique, le département la retenait, dès lors qu’elle était plus favorable à la société.

CHF 207'881.50 avaient en conséquence été perçus à tort. Ce montant correspondait à la différence existant entre le montant de l’aide octroyée en sa faveur (CHF 311'250.-) et le montant auquel elle avait droit après contrôle a posteriori (CHF 103'368.48).

b. Le 16 février 2023, la société a formé réclamation contre la décision de restitution. Elle a conclu à pouvoir consulter son dossier, à la communication du calcul détaillé des postes retenus au titre de coûts totaux pour l’aide pour perte économique, puis à pouvoir compléter sa réclamation. Au fond, la décision de restitution devait être annulée.

La « Fiduciaire F______ – G______ » avait pris contact avec le département qui avait, à l’époque, donné la consigne expresse, quant au montant des charges salariales de l’entreprise, de ne pas tenir compte des aides reçues ou à recevoir (y compris les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail [ci-après : RHT] et/ou indemnités d’assurances sociales).

Ni la loi ni le formulaire de demande ne précisaient la méthode de calcul des coûts totaux. Il était contraire au principe de la bonne foi de changer, a posteriori, la méthode utilisée.

Le calcul pour l’aide en cas de fermeture était erroné. CHF 55'736.- avaient été omis au titre de coûts fixes portant sur les frais de nettoyage/blanchissage, publicité, location de matériel, sécurité/surveillance, taxe ainsi que les commissions pour la carte de crédit/partenaires.

c. Le 7 mars 2023, le département a détaillé les coûts totaux retenus sur la base des états financiers 2020 définitifs transmis à l’AFC.

d. La société a complété sa réclamation le 23 mars 2023. CHF 3'610.- de taxe avaient été écartés à tort. Il était contraire au principe de la bonne foi de ne pas tenir compte des aides reçues ou à recevoir dans le calcul des coûts totaux, contrairement aux indications expressément données aux administrés. Cette assurance de l’autorité avait été confirmée par un courriel de la fiduciaire.

Elle persistait dans sa réclamation quant au calcul de l’aide pour fermeture, certains coûts fixes ayant été écartés alors qu’elle ne pouvait renoncer à ces dépenses, y compris durant la fermeture de son commerce. Les risques d’intrusion et de vol au sein du restaurant restaient avérés durant la pandémie, justifiant les frais de sécurité et de surveillance. Les restaurateurs ne pouvaient pas résilier les contrats ni mettre fin à leurs relations bancaires, ce qui justifiait la prise en compte des frais de carte de crédit. La résiliation anticipée du leasing relatif au lave-vaisselle, au système de séchage des mains de type Dyson ou des alarmes n’était pas envisageable. En cas de réouverture de l’établissement, ces machines étaient essentielles à l’exploitation du restaurant. Leur loyer devait être retenu au titre de coûts fixes. La comptabilisation des frais de publicité était expressément prévue par le règlement d’application de la loi 12'863.

Enfin, la décision litigieuse ne contenait aucune motivation des raisons pour lesquelles ces postes avaient été écartés des coûts fixes et des coûts totaux.

e. Dans le délai imparti par le département, la société a fourni le détail des comptes sécurité/surveillance, commissions cartes de crédit/partenaires, location de matériel et publicité.

f. Par décision sur réclamation du 21 août 2023, le département a réduit le montant à restituer à CHF 196'599.50 et rejeté la réclamation de la société pour le surplus.

La comptabilisation des coûts totaux 2020 de la société n’avait pas été effectuée conformément au règlement qui précisait qu’ils étaient « hors impôts et taxes ». La société avait inclus CHF 1'169.- d’impôt et CHF 594.50 de taxe sur les véhicules. Le montant des coûts totaux avait été revu légèrement à la baisse à CHF 896'613.50.

Sauf à procéder à une double indemnisation pour la même charge, par le biais des RHT et des aides « cas de rigueur », il convenait de diminuer les coûts totaux du montant d’indemnités RHT perçu.

Les coûts fixes étaient énumérés précisément à l’art. 7 du règlement. Les taxes n’y figuraient pas. Seules des dépenses qui ne variaient pas en fonction du volume d’activité de l’entreprise étaient retenues. Les frais de cartes de crédit et de publicité, directement corrélés au volume d’activité de l’entreprise et donc variables, ne pouvaient pas être retenus. Les frais de sécurité, location de matériel et nettoyage/blanchisserie devaient être considérés comme des abonnements et engagements fixes. Ces charges étaient constantes d’année en année et ne dépendaient pas du niveau d’activité de l’entreprise. Elles étaient en conséquence admises comme coûts fixes, lesquels s’élevaient en conséquence à CHF 315'806.91.

Après réévaluation du droit à une indemnité de fermeture pour la période du 1er janvier au 30 mai 2021, l’aide devait s’élever CHF 114'650.50, montant supérieur à celui de la décision de restitution du 17 janvier 2023. La société ayant perçu CHF 311'250.-, CHF 196'599.50 avaient été perçus à tort et devaient être restitués.

D. a. Par acte du 21 septembre 2023, la société a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision. Elle a conclu à l’annulation des décisions des 17 janvier et 21 août 2023 et à ce qu’il soit constaté qu’elle n’était tenue à aucune obligation de restitution. Préalablement il devait être ordonné au département de produire l’enregistrement téléphonique de l’entretien tenu avec sa fiduciaire avant le 23 février 2021. L’audition de deux témoins était requise.

La convention d’octroi de contribution à fonds perdu imposait au département d’appliquer le principe de la bonne foi. La fiduciaire avait contacté l’autorité intimée pour savoir quel montant de charges sociales devait être retenu dans le calcul des coûts totaux. Le département avait donné la consigne expresse de ne pas tenir compte des aides reçues ou à recevoir, y compris des RHT. Autrement dit, la méthode préconisée par les autorités consistait à ne pas porter le montant des RHT en déduction des charges salariales au moment d’établir le montant des coûts totaux. Sur les plans comptable et fiscal, qui obéissaient à des règles différentes de l’aide financière précitée, le montant des RHT devait, à l’inverse, être porté en déduction des charges salariales, de sorte que les comptes envoyés aux autorités fiscales faisaient, naturellement, ressortir un coût salarial plus bas que celui figurant sur la demande d’aide financière adressée au département. La fiduciaire, tiers à la procédure, dont les rapports contractuels avec la société avaient d’ailleurs été résiliés depuis, avait confirmé par écrit, sous la plume de H______, la teneur de l’assurance qu’elle avait reçue de la part du département. Ce dernier pourrait par ailleurs aisément verser à la procédure l’enregistrement téléphonique de sa conversation avec ladite fiduciaire.

Le département avait violé son droit d’être entendue et singulièrement celui à l’obtention d’une décision motivée en ne se déterminant pas sur le grief de violation du principe de la bonne foi.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

La société ne contestait pas le calcul du montant de l’aide à restituer, objet de la décision sur réclamation, ni ses fondements juridiques. Elle ne tentait pas de démontrer que la motivation de la décision attaquée, sur la question des indemnités RHT, serait contraire au droit. Seule était donc litigieuse la prétendue violation du principe de la bonne foi.

La recourante admettait que les chiffres fournis dans sa demande du 23 février 2021 ne tenaient pas compte des indemnités RHT reçues pour l’année 2020, que ce soit dans les coûts totaux, en diminution des charges salariales, ou dans le chiffre d’affaires, en tant que produits exceptionnels. Si l’entreprise était admise à faire figurer dans ses coûts totaux la part des charges salariales qui était en réalité supportée par l’assurance-chômage, elle se verrait indemniser deux fois pour les mêmes coûts : une fois par les indemnités RHT et une seconde fois par les aides pour cas de rigueur.

Les conversations téléphoniques n’étaient pas enregistrées. La recourante ne pouvait pas tirer prétexte de la manière dont sa fiduciaire aurait compris un prétendu entretien téléphonique avec « le helpdesk » du département pour demander à conserver un montant qui relevait de la surindemnisation.

c. Dans sa réplique, la recourante a insisté sur l’importance de l’audition de ses deux témoins. Le commentaire de l’AFC datait du 11 mars 2021 et était postérieur au formulaire de demande déposé le 23 février 2021. La recourante avait fait preuve de toute la diligence requise en s’adressant à une fiduciaire.

d. Lors de l’audience d’enquêtes du 29 février 2024, G______ a déclaré être la directrice de la fiduciaire mandatée par A______ Sàrl jusqu’au 31 mars 2021. Ce n'était pas elle qui avait eu des contacts téléphoniques avec la DG-DERI, mais ses collaborateurs. Deux étaient en particulier chargés de s'occuper des cas de rigueur et des dossiers urgents. Ils lui avaient dit qu'il y avait des contacts fréquents avec la DG-DERI mais qu'il était difficile de les joindre et que plusieurs personnes répondaient au téléphone. H______ travaillait à la fiduciaire depuis avril ou mai 2022. Il n’avait donc pas traité, à l'époque du litige, les cas de rigueur. Par contre, il lui arrivait de répondre à des questions en fonction du thème concerné. La question des RHT avait été soulevée avec les collaborateurs. C'était très flou et « on ne savait pas vers quoi on se dirigeait ». Les décomptes des RHT n'étaient ni corrects ni définitifs, ce qui était problématique. Le service des RHT soumettait différents tableaux qui évoluaient au fil du temps. Les deux collaborateurs qui s'occupaient de cette problématique à la fiduciaire avaient « dit de mettre l'entièreté des salaires et qu'ils regarderaient, précisément à cause de cette problématique des RHT où rien n'était définitif ». La fiduciaire recevait encore actuellement des décomptes rectificatifs des RHT. Pour l'établissement des cas de rigueur, en 2021, alors que la fiduciaire ne savait pas comment « fonctionner avec les RHT », il leur avait été dit de ne pas les isoler en produits extraordinaires. Dans un premier temps, le département et les services du chômage avaient indiqué que les RHT se déduisaient des charges salariales, puis dans un second temps que cela devait être inclus dans les salaires, « puisque de toute façon ça devait être déduit ». « Charge salariale » signifiait masse salariale brute et charges et RHT. La situation était infernale. La confusion était totale entre les différentes données et les différents services. Cinq personnes de la fiduciaire avaient été en burn-out. Une des difficultés consistait dans le fait qu’ils n’avaient jamais une personne de référence au département. Elle n’avait plus le souvenir précisément de la réponse mentionnée dans le mail du 1er février 2023. Elle avait regardé avec H______ et lui avait demandé de répondre en fonction des questions posées. Elle ne pouvait pas dire si la réponse de son employé concernait les coûts totaux (CHF 1.2 million) ou les coûts fixes (CHF 613'000.-). La demande avait été remplie en février 2021. Ils étaient loin d'une comptabilité établie et finalisée. Ils mettaient tout en œuvre dans l’urgence en vue d'obtenir tant des RHT, que les aides pour les cas de rigueur et les frais incompressibles.

H______ a déclaré avoir commencé à la Fiduciaire F______ – G______  en avril 2022. Il ignorait comment les demandes pour cas de rigueur, notamment celle litigieuse, avaient été traitées par ses prédécesseurs en 2021. Il n’avait pas eu d’entretien téléphonique en 2021 avec la DG-DERI. Le contenu de sa réponse par courriel du 1er février 2023 se fondait sur les informations qu’il avait eues par G______. Il n’était pas en mesure de dire si le contenu dudit courriel se référait aux coûts totaux ou aux coûts fixes en CHF 600'000.-. Dans ce courriel, il faisait référence au fait qu’il lui avait été dit de ne pas tenir compte des RHT à venir ou reçus. La fiduciaire se basait sur des chiffres provisoires. Il leur avait été dit de ne pas tenir compte des aides reçues ou à recevoir qu’il s’agisse des RHT, des APG, des indemnités m2, des exonérations de loyers ou d'aides privées, telles qu’assurances souscrites pour ce genre de cas. Il y avait donc une certaine logique à ne pas tenir compte des RHT puisqu'il n’était tenu compte d'aucune aide.

e. Dans ses écritures après enquêtes, la recourante a relevé que la teneur des assurances qui lui avaient été fournies était établie. La question de la prise en compte des RHT, dans le cadre des cas de rigueur, avait été abondamment discutée au sein de la fiduciaire et faisait l’objet d’un processus clair. Une confusion de leur part était d’autant plus invraisemblable que deux employés, agissant à titre professionnel, s’occupaient exclusivement de ces dossiers et qu’ils avaient eu divers échanges avec plusieurs employés de la DG-DERI.

f. Dans ses écritures après enquêtes, la DG-DERI a persisté dans ses conclusions.

g. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige consiste uniquement à déterminer si la recourante pouvait se fier à des assurances reçues de l’autorité, indépendamment de savoir si cette assurance correspondait à la solution correcte ou si l’affirmation était erronée. En effet, les parties ne contestent pas que le litige ne porte pas sur la question de savoir si les RHT devaient être pris en compte dans le cadre du calcul des coûts totaux.

3.             La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendu et d’obtenir une décision motivée.

3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; ATF 141 V 557 consid 3.2.1). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 142 II 154 consid. 4.2). Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; ATF 138 I 232 consid. 5.1).

La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_31/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2.1). Elle peut se justifier en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/949/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5b et les références).

3.2 En l’espèce, la question de savoir si le département a violé le droit d’être entendu de la société en s’abstenant de prendre position sur les assurances qu’il aurait données à sa fiduciaire souffrira de rester indécise. En effet, une telle violation aurait en tout les cas été réparée devant la chambre de céans. Il sera toutefois relevé que le silence du département à ce propos ne pouvait être interprété que comme étant la négation d’avoir fourni une quelconque assurance à la société.

4.             La recourante allègue une violation du principe de la bonne foi.

4.1 Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2022 du 21 mars 2023 consid. 5.1 ; ATA/386/2023 du 18 avril 2023 consid. 6a ; Luc GONIN, Droit constitutionnel suisse, 2021, p. 624 n. 2023). Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (5) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2022 du 21 mars 2023 consid. 5).

4.2 En l’espèce, il ressort des enquêtes que l’auteur du courriel du 1er février 2023, affirmant que la fiduciaire avait reçu la consigne de la DG-DERI de ne pas tenir compte des RHT, n’était pas employé de celle-là en 2021 et qu’il n’a en conséquence jamais été en contact téléphonique à cette époque avec la DG-DERI. Le contenu du courriel a été rédigé conformément à ce que lui a indiqué la directrice. Or, entendue en qualité de témoin, celle-ci a indiqué qu’en 2021, elle ne s’occupait pas des demandes de cas de rigueur et n’avait personnellement jamais été en contact avec la DG-DERI. En conséquence, le contenu du courriel doit être très fortement relativisé au seul motif déjà qu’aucun des deux témoins n’a été l’interlocuteur direct du département. À cela s’ajoute que, selon les témoins, l’autorité intimée a été représentée lors des contacts téléphoniques de l’époque, par différents interlocuteurs. Il ressort de l’audition de la directrice qu’en 2021, plusieurs interlocuteurs différents renseignaient les justiciables en matière de cas de rigueur. Ils étaient par ailleurs difficilement joignables téléphoniquement. Elle a insisté sur le fait que la période était compliquée. Elle a ainsi mis en avant que les demandes portaient sur diverses aides (cas de rigueur, allocations perte de gain, RHT, indemnités m2, réduction de loyer, assurances privées) et que la situation évoluait rapidement, à l’instar des réponses des administrations. Enfin, encore récemment, certains calculs faisaient l’objet de rectifications. À cela s’ajoutait, selon elle, que les comptes n’étaient « par définition ni définitifs ni élaborés ».

Dans ces conditions, il n’est pas possible de considérer comme établi ce qui aurait été dit à un employé de la fiduciaire. S’il est indéniable que la façon de remplir les formulaires des diverses demandes, notamment les aides Covid, a posé de multiples difficultés, qu’il n’est pas contesté que des contacts téléphoniques aient eu lieu entre la fiduciaire et le département, il n’est pas exclu que des réponses au sein du département aient parfois divergé en fonction de l’évolution de la situation et de la date de la demande de renseignement. Il est surtout possible qu’au vu de la technicité du domaine, certaines réponses du département aient été mal comprises ou interprétées par les futurs bénéficiaires. Ainsi, les indemnités pouvaient être mentionnées en page 4 du formulaire, en application des art. 5 de l’aRAFE ou 7 RAFE, puisque les coûts fixes incluaient les charges sociales patronales calculées sur la base d’une couverture forfaitaire correspondant à 10% des charges en personnel. Il n’y avait, à cet endroit, pas lieu de retrancher le montant des indemnités RHT puisque la donnée servait à calculer, sur une base forfaitaire, les charges sociales patronales. Lesdites indemnités devaient cependant être déduites des coûts totaux 2020, provisoires ou définitifs, mentionnés en page 4 du formulaire, puisqu’il s’agissait de coûts que l’entreprise ne supportait pas elle‑même.

En toute hypothèse, il n’est pas établi que l’autorité intimée ait fourni un renseignement erroné à la recourante. En effet, les enquêtes n’ont pas permis d’établir quel interlocuteur aurait précisément donné quel renseignement, à quel employé de la fiduciaire, à quelle date. S’il est certain que la question de savoir si les indemnités pour RHT devaient être intégrées, et dans cette hypothèse sous quelle forme, a fait l’objet de multiples questionnements et discussions, la recourante ne peut déduire aucun droit d’un renseignement erroné de la part de l’administration. Enfin, même à considérer qu’un tel renseignement aurait été fourni, la recourante devait se douter qu’au vu précisément des incertitudes liées à la période, une telle réponse risquait, à plus long terme, d’avoir des conséquences. En effet, en leur qualité de fiduciaire, les employés ne pouvaient ignorer que cette façon de présenter la comptabilité revenait à comptabiliser à double les indemnités RHT. En effet, d’une part, en leur qualité de revenus provenant d’une assurance sociale, il ne s’agissait pas de coûts à la charge de l’entreprise. D’autre part, fixer l’aide pour cas de rigueur sans mentionner les RHT impliquait d’obtenir une indemnisation au titre de l’aide Covid, soit d’être indemnisé à double. En conséquence, non seulement aucune assurance n’a été donnée à la recourante qu’il convenait de ne pas tenir compte des indemnités RHT, mais même à considérer que tel aurait été le cas, la recourante ne pouvait pas sans autre se fier à ce renseignement au vu de ce qui précède. Elle ne peut dès lors pas se prévaloir du principe de la bonne foi, les conditions nécessaires et cumulatives n’étant pas remplies.

5.             Vu l’issue du litige et l’audience d’enquêtes, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au département qui, bien que plaidant par un avocat, dispose d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/690/2022 du 29 juin 2022).

 

 

* * * *

 

 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 septembre 2023 par A______ Sàrl contre le la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation du 21 août 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge d’A______ Sàrl ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Adrien RAMELET, avocat du recourant, ainsi qu’à Me Stephan FRATINI, avocat de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MARINHEIRO

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :