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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/92/2023

ATA/455/2024 du 09.04.2024 sur JTAPI/967/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/92/2023-PE ATA/455/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 avril 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Jacopo OGRABEK, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
6 septembre 2023 (JTAPI/967/2023)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1980, est ressortissant de Colombie, plus particulièrement de Bogota. Il est le père de trois enfants mineurs qui vivent en Colombie, de même que son père et sa sœur.

B. a. Par décision du 22 novembre 2022, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) a refusé de lui octroyer une autorisation de séjour et a prononcé son renvoi de Suisse.

A______ était arrivé en Suisse en avril 2019. Il était déjà atteint du virus d'immunodéficience humaine (ci-après: VIH) de stade A3 qui nécessitait un traitement médical à vie. Le 30 octobre 2020, il avait déposé une demande d'autorisation de séjour pour cas de rigueur. Il avait remis un rapport médical du 25 mai 2021 indiquant qu'il suivait un traitement médical à Genève depuis octobre 2019 pour une durée indéterminée. Le médecin conseil auprès de l'ambassade Suisse à Bogota avait informé l'OCPM, par courriel du 22 juin 2022, que renseignements pris auprès de la « Liga colombiana de lucha contra el sida » (ci‑après: ONG), les médicaments indiqués dans le rapport médical étaient disponibles en Colombie et il était possible d'en bénéficier. Si le service de santé ne pouvait pas le fournir pour des raisons de coût, le médecin pouvait donner un générique ou un équivalent. A______ était totalement dépendant financièrement des services sociaux genevois depuis le 1er janvier 2021.

Les conditions d'une admission en Suisse en vue d'un traitement médical n'étaient pas remplies, dans la mesure où le traitement était, à teneur des éléments du dossier, d'une durée indéterminée. Il ne disposait également pas de moyens financiers propres. La durée de son séjour devait être fortement relativisée, dans la mesure où il était arrivé en Suisse en avril 2019 afin de se faire soigner et où le suivi médical nécessaire était disponible en Colombie selon les renseignements obtenus par la représentation suisse à Bogota. A______ ne remplissait, enfin, pas les critères de reconnaissance d'un cas de rigueur.

b. Par acte du 9 janvier 2023, A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après: TAPI).

Il était infecté par le VIH et avait subi une opération d'extraction du rein gauche en 2010, de sorte qu'il nécessitait des soins permanents. Il suivait un traitement à base de Biktarvy (TAF/FTV/BIC), soit de Bictégravir (50 mg), d'Emtricitabine (200 mg) et de Ténofovir alafénamide (25 mg).

En cas de retour en Colombie, il n'était pas garanti qu'il serait couvert par une assurance-maladie. Le traitement qu'il suivait ne faisait pas partie de la liste des médicaments pris en charge par le système de l'assurance-maladie en Colombie. Il devrait dès lors assumer le prix du médicament de COP 1'181'646.- par mois, alors que le salaire mensuel minimum colombien était de COP 1'160'000.-, de sorte qu'il était invraisemblable d'imaginer qu'il puisse acheter son traitement indispensable à sa survie et subvenir à ses autres besoins. Par conséquent, en cas de retour en Colombie, il n'aurait pas accès aux traitements pour son infection au VIH, ce qui conduirait, à brève échéance, à une grave détérioration de son étant de santé, aboutissant à une mort certaine. Une telle issue compromettait une éventuelle réintégration sociale et sa situation présentait d'importantes difficultés concrètes propres à sa situation personnelle.

L'exécution de son renvoi n'était ni licite, ni raisonnablement exigible en raison de son état de santé et de son traitement médical.

c. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

D'après les informations transmises par l'ONG à l'ambassade de Suisse, le Biktarvy était disponible en Colombie et, lorsque le coût était trop élevé, les médecins prescrivaient un médicament générique ou un équivalent. Il existait par ailleurs un système d'assurance-maladie. Le processus d'affiliation pouvant prendre du temps, l'ONG recommandait de prévoir dans l'intervalle un stock de médicaments suffisant et était à disposition pour apporter conseils et soutien.

d. Dans sa réplique, A______ a relevé que l'OCPM opérait une lecture sélective du courriel de l'ambassade de Suisse à Bogota, les solutions proposées n'étant pas envisageables. Il ne serait pas en mesure de constituer une réserve de médicaments suffisante, dès lors que l'assurance obligatoire des soins en Suisse n'avait pas l'obligation de prendre en charge les coûts pour l'achat de médicament dépassant une réserve normale lorsqu'en raison d'un départ à l'étranger, la fin de l'obligation d'assurance était imminente. Il devrait dès lors prendre en charge personnellement les coûts de son traitement, ce qui représentait un coût mensuel de CHF 1'165.85.-.

Une telle réserve ne pouvait couvrir que ses besoins durant une courte période, à l'exclusion des examens de contrôle, et l'aide au retour médicale au sens de la législation sur l'asile ne s'appliquait pas à sa situation. L'importation de médicaments en Colombie comportait un risque sanitaire, en raison de défaut de qualité et de manque d'efficacité, ce qui pouvait mettre en danger sa santé, ce qu'avait d'ailleurs admis la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral concernant l'importation personnelle de médicaments par les particuliers. Il n'était ainsi pas cohérent que l'ordre juridique suisse considère, d'une part, que l'importation de médicaments était dangereuse et, d'autre part, que les autorités suisses encouragent les personnes à s'adonner à une telle prise de risque pour échapper à leurs obligations en matière de non-refoulement.

e. Par jugement du 6 septembre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

A______ était venu en Suisse afin de suivre un traitement médical, qui n’était pas temporaire, mais à vie. Selon les informations obtenues de l’ONG, ce traitement était disponible en Colombie. Son départ de Suisse n’était dès lors pas garanti et il ne disposait pas des moyens financiers pour le couvrir, étant totalement à la charge de l’aide sociale. Les deux conditions de l’art. 29 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n’étaient pas remplies, de sorte qu’une autorisation de séjour pour traitement médical ne pouvait être octroyée.

Ni l’âge de A______, ni la durée de son séjour sur le territoire, ni encore les inconvénients d’ordre socio-professionnel auxquels il pourrait éventuellement être confronté dans son pays ne constituaient des circonstances si singulières qu’il faudrait considérer qu’il se trouvait dans une situation de détresse personnelle justifiant l’octroi d’une exception aux mesures de limitation.

Selon le rapport médical du 22 janvier 2021, l’évolution de l’infection au VIH de stade A3 était favorable, moyennant la prise du traitement antiviral. Les problèmes de santé n’atteignaient pas le seuil exigé par la jurisprudence pour faire échec à l’exécution du renvoi. L’ONG avait confirmé que le traitement pris actuellement était disponible en Colombie. À cet égard, la résolution 881 du ministère de la Santé de Colombie, entrée en vigueur en 2023, avait pour objectif de proposer des prix abordables pour le Dolutegravir (ci-après : le DTG), un traitement antirétroviral oral reconnu en 2019 par l’Organisation mondiale de la santé comme une option de traitement primaire pour le VIH et qui devait bénéficier d’une baisse de prix de 80 %. Que le traitement de substitution soit moins efficace ne rendait pas pour autant le renvoi illicite.

Afin de parer à une latence d’accès aux médicaments, immédiatement après son retour, A______ avait la possibilité de se constituer une réserve suffisante et de l’emporter avec lui pour couvrir ses besoins jusqu’à sa prise en charge. Au besoin, une assistance et une coordination médicales pouvaient lui être accordées au moment de l’exécution du renvoi afin de le soutenir dans cette phase. Le délai de départ pouvait également être aménagé afin que le retour puisse s’effectuer dans des conditions opportunes.

C. a. Par acte du 12 octobre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant principalement à son annulation et subsidiairement au renvoi de la cause à l’OCPM pour nouvelle décision.

Il avait subi une opération d’extraction du rein gauche en 2010, était atteint du VIH et souffrait d’une sérieuse atteinte à la santé qui nécessitait, pendant une longue période, des soins permanents. Sur une population d’environ 48.7 millions de personnes en Colombie, 2.7 millions d’entre elles ne bénéficiaient pas d’une assurance-maladie. Ainsi, en cas de retour dans son pays, il n’était pas garanti qu’il puisse être assuré. Le traitement qu’il prenait ne faisait pas partie de la liste des médicaments pris en charge par le système de l’assurance-maladie en Colombie. Il ne pourrait pas couvrir ces frais, qui dépassaient le salaire mensuel moyen.

Il n’avait pas été démontré que le Dolutegravir était disponible et accessible, mais uniquement que le ministère de la Santé de Colombie avait adopté la résolution 881 entrée en vigueur en 2023 qui avait pour objectif de proposer ce traitement à un prix abordable. Dans tous les cas, il ne pouvait plus prendre ce traitement. Cette alternative thérapeutique n’était pas accessible, était incomplète et inadaptée. En cas de retour en Colombie, il n’aurait pas accès à un traitement adéquat.

Le renvoi était illicite et ne pouvait être raisonnablement exigé. En effet, la nécessité médicale faisait obstacle à son renvoi, ce qui justifiait une admission provisoire.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments soulevés étant semblables à ceux plaidés devant le TAPI.

c. Sur demande de la chambre administrative, l’OCPM a indiqué qu’il ressortait du site internet UNIAIDS que la Colombie avait déclaré le 4 octobre 2023 le Dolutegravir comme étant un médicament d’intérêt public. Cette décision permettrait une baisse de son coût de 80 %. La Colombie disposait de nombreux médicaments génériques qui n’étaient pas à base de ténofir disoproxil fumarate.

Il a annexé à ses déterminations des courriels échangés avec ONUSIDA, selon lesquels le dolutégravir était disponible en Colombie depuis 2014, mais le coût dû au brevet pouvait en limiter l’accès. Il n’existait cependant aucune plainte liée à ce médicament en rapport avec notamment une pénurie. Il existait également de nombreux autres principes actifs avec différents coûts.

d. Dans sa réplique, A______ a relevé que la réponse de la liga SIDA n’avait pas été produite par l’OCPM, alors qu’elle était plus à même de répondre aux questions relatives à la réalité du terrain.

La réponse d’ONUSIDA confirmait que les médicaments n’étaient pas accessibles à cause du coût du brevet, ce qui avait limité l’accès à la thérapie antirétrovirale combinée (ci-après : TAR), bien qu’il soit inclus comme première ligne de traitement. Le Dolutegravir n’était ainsi pas accessible en Colombie. Il ne pourrait pas en assumer le coût, le prix du traitement dépassant le salaire moyen colombien.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant reproche à l’OCPM de ne pas avoir retenu que les conditions d'un cas de rigueur étaient réalisées, en particulier la nécessité de séjourner en Suisse pour poursuivre son traitement médical.

2.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit.

2.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1 ; 2A.255/1994 du 9 décembre 1994 consid. 3). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/163/2020 du 11 février 2020 consid. 7b).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

2.3 Des motifs médicaux peuvent, selon les circonstances, conduire à la reconnaissance d'un cas de rigueur lorsque la personne concernée démontre souffrir d'une sérieuse atteinte à la santé qui nécessite, pendant une longue période, des soins permanents ou des mesures médicales ponctuelles d'urgence, indisponibles dans le pays d'origine, de sorte qu'un départ de Suisse serait susceptible d'entraîner de graves conséquences pour sa santé. En revanche, le seul fait d'obtenir en Suisse des prestations médicales supérieures à celles offertes dans le pays d'origine ne suffit pas à justifier une exception aux mesures de limitation. De même, la personne étrangère qui entre pour la première fois en Suisse en souffrant déjà d'une sérieuse atteinte à la santé ne saurait se fonder uniquement sur ce motif médical pour réclamer une telle exemption (ATF 128 II 200 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_861/2015 du 11 février 2016 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-6860/2016 du 6 juillet 2018 consid. 5.2.2 ; ATA/1279/2019 du 27 août 2019 consid. 5f).

En l'absence de liens d'une certaine intensité avec la Suisse, l'aspect médical et les éventuelles difficultés de réintégration de la personne concernée dans le pays d'origine ne sauraient justifier, à eux seuls, l'octroi d'un permis humanitaire pour cas de rigueur. Le cas échéant, ces critères ne peuvent en effet être pris en considération que dans le cadre de l'examen de la licéité et de l'exigibilité de l'exécution du renvoi (arrêt du TAF F-4125/2016 du 26 juillet 2017 consid. 5.4.1 ; ATA/506/2023 du 16 mai 2023 consid. 7.7 ; ATA/41/2022 du 18 janvier 2022 consid. 9).

2.4 Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

3.             En l'espèce, le recourant est entré en Suisse au mois d'avril 2019. Il y séjourne sans être au bénéfice d’un titre de séjour. La durée de son séjour de cinq ans doit ainsi être relativisée.

Le recourant dépend totalement de l’aide sociale depuis le 1er janvier 2021. Certes, il n'a pas de dettes et n'a pas été condamné. Toutefois, il ne peut se prévaloir d'une intégration socioprofessionnelle exceptionnelle au sens de la jurisprudence susmentionnée, dès lors qu’il n’exerce aucune activité professionnelle et n’allègue pas s’être investi dans la vie sociale, associative ou culturelle à Genève. Il ne parle pas couramment le français et n'a aucune famille en Suisse, si ce n’est sa compagne, alors que ses trois enfants mineurs, sa sœur et son père se trouvent en Colombie.

Il a vécu durant plus de 39 ans en Colombie, où il a passé son enfance, son adolescence et une partie de sa vie d'adulte. Il connaît ainsi les us et coutumes de son pays d’origine et en maîtrise la langue. Par ailleurs, il y a conservé des attaches familiales. Partant, sa réintégration sociale ne devrait pas poser de problème. En l’absence de l’exercice d’une activité professionnelle en Suisse, le retour du recourant dans son pays n’est pas susceptible de porter atteinte à sa réintégration professionnelle. Il était déjà porteur du virus, ce qu’il savait, lors de son arrivée en Suisse.

Au vu de ce qui précède, le recourant ne peut pas se prévaloir de liens d'une certaine intensité avec la Suisse, de sorte que son affection médicale – soit l’infection au VIH – doit être examinée sous l'angle de l'exécutabilité de son renvoi.

Par conséquent, au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, c'est à bon droit que l'OCPM a retenu que le recourant ne remplissait pas les conditions restrictives permettant l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

4.             Le recourant soutient que son renvoi serait illicite ou inexigible.

4.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, toute personne étrangère dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyée. La décision de renvoi est assortie d'un délai de départ raisonnable (art. 64 let. d al. 1 LEI).

4.2 Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). L'exécution n'est pas possible lorsque la personne concernée ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers ni être renvoyée dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

Les autorités cantonales peuvent proposer au SEM d'admettre provisoirement un étranger si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 et 6 LEI). L'exécution de la décision n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers, est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83 al. 3 LEI).

L'art. 83 al. 3 LEI vise notamment l'étranger pouvant démontrer qu'il serait exposé à un traitement prohibé par l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ou l'art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (Conv. torture - RS 0.105 ; arrêt du TAF E-7712/2008 du 19 avril 2011 consid. 6.1 ; ATA/801/2018 précité consid. 10c et l'arrêt cité). L’art. 2 CEDH protège le droit à la vie. L'exécution de la décision ne peut être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

Selon la jurisprudence, le retour forcé des personnes touchées dans leur santé n'est susceptible de constituer une violation de l'art. 3 CEDH que si l'intéressé se trouve dans un stade de sa maladie avancé et terminal, au point que sa mort apparaît comme une perspective proche. S'agissant plus spécifiquement des personnes en traitement médical en Suisse, l'exécution du renvoi ne devient inexigible, en cas de retour dans leur pays d'origine ou de provenance, que dans la mesure où elles pourraient ne plus recevoir les soins essentiels garantissant des conditions minimales d'existence. Par soins essentiels, il faut entendre les soins de médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de la dignité humaine (arrêt du TAF E‑3320/2016 du 6 juin 2016 et les références citées ; ATA/731/2015 du 14 juillet 2015 consid. 11b).

L'art. 83 al. 4 LEI ne confère pas un droit général d'accès en Suisse à des mesures médicales visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au simple motif que l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical dans le pays d'origine de l'intéressé n'atteignent pas le standard élevé prévalant en Suisse. Ainsi, si les soins essentiels nécessaires peuvent être assurés dans le pays d'origine ou de provenance de l'étranger concerné, l'exécution du renvoi sera raisonnablement exigible. Elle ne le sera plus, en raison de l'absence de possibilités de traitement adéquat, si l'état de santé de l'intéressé se dégradait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité physique (arrêt du TAF E-2693/2016 du 30 mai 2016 consid. 4.1 et les références citées ; ATA/801/2018 précité consid. 10d et les arrêts cités).

L'exécution du renvoi d'une personne infectée par le VIH est en principe raisonnablement exigible tant que la maladie n'a pas atteint le stade C. L'examen de l'exigibilité de l'exécution du renvoi ne dépend toutefois pas seulement du stade de la maladie (stades A à C), mais également de la situation concrète de la personne concernée dans son pays d'origine ou de provenance, en particulier de ses possibilités d'accès aux soins médicaux, de son environnement personnel – réseau familial et social, qualifications professionnelles, situation financière – et de la situation régnant dans ce pays au plan sécuritaire. Selon les circonstances, une infection par le VIH au stade B3, ou même B2, peut rendre l'exécution du renvoi inexigible, alors qu'une atteinte au stade C ne permet pas encore de considérer cette exécution comme absolument inexigible (ATA/189/2023 du 28 février 2023 consid. 2.3 ; arrêts du TAF F-6988/2016 du 4 août 2017 consid. 4.3.5 et D‑1958/2015 du 24 avril 2015).

La jurisprudence retient également qu’un patient peut se constituer une réserve de médicaments avant son départ de Suisse (arrêts du Tribunal administratif fédéral E-5092/2018 du 15 novembre 2018, voire aussi D-7524/2015 du 22 novembre 2017 et E-3165/2015 du 11 mai 2016).

4.3 Dans le présent cas, il est indéniable que le recourant est atteint dans sa santé, du fait qu'il est porteur du VIH, ce qui était déjà le cas lors de son arrivée en Suisse. Cela étant, il résulte du rapport médical du 25 mai 2021 que le virus ne se trouve pas à un stade avancé (A3) et que l’évolution de la maladie est favorable sous traitement antirétroviral. Le recourant n'a pas versé à la procédure de certificat médical récent qui indiquerait le contraire.

Au vu des informations fournies par ONUSIDA, le dolutégravir est disponible en Colombie depuis 2014 et constitue une première ligne de traitement, bien que son coût puisse en limiter son accès. Il n’existe aucune plainte concernant une pénurie ou d’autres problèmes d’accès. La Colombie dispose de plus de nombreux principes actifs de TAR, avec et sans ténofovir disoproxil fumarato, dont les prix varient.

Selon les pièces produites par le recourant, 5 % de la population ne bénéficient pas d’une couverture d’assurance-maladie en Colombie. Or, le recourant ne rend pas vraisemblable qu’il ne pourra pas, comme la grande majorité de la population colombienne, bénéficier d’une telle couverture d’assurance. Selon le site internet www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_colombie.html (consulté le 25 mars 2024), le régime de protection sociale colombien est applicable à toutes personnes exerçant une activité professionnelle salariée ou non salariée et couvre notamment les cas de maladie. Le Plan de Santé Obligatoire (Plan Obligatorio de Salud - POS) est un panier de soins auquel chaque assuré peut prétendre. Il comprend notamment les maladies graves et leur traitement : cancer, insuffisance rénale, VIH, cardiopathies, maladies génétiques.

Au vu des infrastructures dont dispose la Colombie, notamment dans une grande ville comme Bogota dont le recourant est originaire, en terme de lutte contre le VIH et d'accès à un traitement antirétroviral, l'intéressé pourra avoir accès à la médication nécessaire à son état de santé, ce qui a été confirmé par le médecin d’ONUSIDA. Rien n'empêche le recourant, le cas échéant moyennant l’aide au retour, de se constituer une réserve de médicaments avant son départ de Suisse dans l’attente d’être affilié à une assurance-maladie colombienne.

Cet élément a également été confirmé par le médecin conseil auprès de l'ambassade Suisse à Bogota selon lequel, après renseignements pris auprès de la « Liga colombiana de lucha contra el sida », les médicaments indiqués dans le rapport médical étaient disponibles en Colombie et il était possible d'en bénéficier. Si le service de santé ne pouvait pas le fournir pour des raisons de coût, le médecin pouvait donner un générique ou un équivalent.

Au vu de ces éléments, il n’est pas nécessaire, comme le souhaite le recourant, d’inviter l’OCPM à produire la réponse à son courriel du 11 décembre 2023 adressé à la Liga SIDA de Colombie. En effet, les informations d’ores et déjà recueillies permettent de retenir que le traitement médical adéquat est concrètement disponible et accessible en Colombie pour le recourant.

Au vu de ce qui précède, l'exécution du renvoi du recourant est possible, licite et peut être raisonnablement exigée.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Malgré l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, qui plaide au bénéfice de l'assistance juridique, et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée dès lors qu'il succombe (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 octobre 2023 par A______contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacopo OGRABEK, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.