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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3664/2023

ATA/405/2024 du 20.03.2024 ( DOMPU )

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3664/2023-DOMPU ATA/405/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 20 mars 2024

Statuant sur appel en cause

 

dans la cause

A_______
représentée par Me Steven FILLETTAZ requérante

contre

B______ et C_______
Commune de D______ intimés
représentés par Me Marco CARENZA, avocat

et

CONSEIL D'´ÉTAT autre intimé



Vu l’arrêté du Conseil d'État du 4 octobre 2023 réquisitionnant temporairement l’ouvrage de protection civile « Poste de commandement : Construction PC II/po att II, Ecole primaire de D______ » aux fins d’y héberger des personnes migrantes attribuées par le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) (ch. 1) ; imposant en conséquence à la commune de mettre l’ouvrage à disposition de l’Hospice général dès le 16 octobre 2023, d’en assurer l’exploitation technique selon les directives de l’office cantonal de protection de la population et des affaires militaires, d’accepter les préparations nécessaires à l’hébergement de personnes migrantes, de procéder, conjointement avec l’hospice, à un état des lieux d’entrée et de se conformer aux dispositions de l’hospice (ch. 2) ; que l’arrêté fixait également l’indemnité à payer par l’hospice à la commune pour l’accueil de 50 personnes (ch. 3), prévoyait la conclusion d’une convention de mise à disposition à signer entre l’hospice et la commune (ch. 4), que les frais d’aménagement, d’exploitation et d’entretien liés aux locaux étaient à la charge de l’hospice (ch. 5), que l’hospice assurait la sécurité de l’ouvrage et des personnes qui y seraient hébergées (ch. 6) ; que l’arrêté était immédiatement exécutoire et valable pour une durée indéterminée devant être abrogé par un arrêté du Conseil d’État dès que la situation permettait d’héberger les personnes migrantes dans des structures d’accueil habituelles (ch. 9) ;

vu le recours interjeté le 6 novembre 2023 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par la Commune de D______, B______ et C______ contre cet arrêté, dont ils ont, principalement, demandé l’annulation ; qu’à titre subsidiaire, ils ont conclu à ce que la réquisition de l’ouvrage ne soit possible que pendant un an, renouvelable de trois mois en trois mois ; que les époux B______ et C______ ont exposé qu’ils étaient les propriétaires de la parcelle sise immédiatement en contrebas de la propriété réquisitionnée et y habitaient ; que l’abri réquisitionné était, en tant que poste de commandement, un point névralgique en cas de catastrophe ; qu’il constituait aussi le point de rencontre de la population en cas d’incendie ; qu’il était adjacent au local de la compagnie de sapeur-pompiers qui était intervenue 33 fois en 2022 ; que le local réquisitionné se trouvait sous le nouveau groupe scolaire, comprenant le parascolaire et à quelques mètres l’école enfantine ; que d’importants travaux étaient prévus pendant une période de cinq ans, qui allaient occasionné du bruit et des vibrations rendant le quotidien des personnes hébergées dans l’abri PC insupportable ;

que les recourants avaient appris que, selon l’hospice, des hommes seuls seraient placés dans ces hébergements ; que les polices cantonale et municipale en avaient été averties et allaient augmenter leurs rondes, ce qui suscitait la crainte de conflits violents pouvant surgir entre personnes migrantes ; que d’autres endroits étaient disponibles pour l’accueil prévu (caserne d’E______, places d’armes, centres sanitaires protégés à F______, G______, H______ et I______) ; qu’il avait déjà été relevé qu’il n’était pas idéal de placer des personnes migrantes dans des bunkers souterrains ; que le fait que la durée de la réquisition ne soit pas limitée dans le temps portait atteinte à l’autonomie de la commune ;

que l’arrêté litigieux était insuffisamment motivé quant au choix du lieu réquisitionné et à la durée de la mesure ; qu’il était disproportionné, dès lors qu’il privait la commune d’abris de protection pour sa population ; que le Tribunal fédéral avait considéré que seul le placement provisoire des migrants dans un abri de protection civile n’était pas inhumain ou dégradant, ce que toutefois l’arrêté querellé ne garantissait pas ;

que le Conseil d’État a conclu au rejet du recours, s’en rapportant quant à la qualité pour agir des recourants ; que le poste de commandement au chemin J______ constituait le point névralgique de l’organisation régionale de protection civile (ci-après : ORP) Lac et non l’ouvrage réquisitionné ; qu’une collaboration avec le foyer d’K______ était prévue pour proposer des activités aux personnes hébergées ; que le Conseil d’État entendait les craintes exprimées en lien avec la proximité de l’hébergement et la présence d’enfants mineurs ; que toutefois, l’hospice disposait de plusieurs centres d’hébergement à proximité d’écoles genevoises et qu’aucun incident n’était survenu ; que si des conflits pouvaient éclater à l’intérieure des centres, un service de sécurité était assuré et l’hospice veillait à la composition de la population accueillie dans les abris PC ; que l’accueil organisé par les cantons permettait à ceux-ci d’éviter que le SEM procède à des attributions anticipées vers les cantons ; que les lieux évoqués par les recourants n’étaient pas disponibles, étant utilisés par l’armée (Caserne d’Epeisse) ou mis à bien plaire temporairement à disposition de l’hospice (Palexpo) ; que toutes les communes, y compris la recourante, s’étaient opposées à mettre à disposition du canton des locaux se trouvant en surface ; que l’hospice prévoyait l’ouverture en 2024 de deux nouvelles structures (route des Jeunes et route de Ferney) ainsi que deux autres en 2025 et 2026, étant relevé que les abris PC ne pouvaient que répondre à des besoins urgents ; qu’il a rappelé la collaboration prévue entre la Confédération et les cantons en matière d’asile, le nombre croissant de réfugiés et la proposition faite le 11 juillet 2023 par l’exécutif de la Commune de D______ de mettre son abri PC à disposition de l’hospice, plutôt que sa salle communale ; que, par ailleurs, du 27 juillet 2016 au 31 mai 2017, les locaux en question avaient déjà été réquisitionnés, sans être utilisés ; qu’ils pouvaient ainsi facilement être opérationnels dans un court délai ; que l’abri réquisitionné était séparé de l’ouvrage réquisitionné ;

que dans leur réplique, les recourants ont souligné leurs craintes que les personnes hébergées soient souvent laissées à elles-mêmes ; qu’une pétition avait été lancée au sein de la commune le 12 décembre 2023 contre la réquisition litigieuse ; qu’ils sont revenus sur les lieux disponibles qui pourraient accueillir les personnes migrantes ;

que par écriture spontanée du 8 février 2024, l’A_______ (ci-après : A______ ou association) a sollicité la restitution du délai pour recourir contre l’arrêté du Conseil d’État, subsidiairement son appel en cause ; que l’A______ s’était constituée le 5 février 2024, était composée de cinq membres, tous domiciliés dans la commune et parents d’enfants scolarisés à l’école primaire de D______ ; que l’arrêté n’avait pas été publié, de sorte que le délai de recours devait être restitué ;

qu’interpellés au sujet de la demande de l’A______, les recourants s’en sont rapportés à justice, relevant toutefois que la commune avait organisé une réunion d’information le 22 janvier 2024 au sujet de l’arrêté et du recours pendant ;

que le Conseil d’État a conclu à ce que le recours de l’A______ soit déclaré irrecevable et que la demande de restitution de délai et d’appel en cause soit rejetée ; qu’il ressortait du procès‑verbal de la séance du Conseil municipal du 14 novembre 2023 que le bureau avait informé celui-ci qu’un recours avait été formé contre l’arrêté de réquisition ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur appel en cause ;

Considérant, en droit, l’art. 71 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) selon lequel l’autorité peut ordonner, d’office ou sur requête, l’appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure ; la décision leur devient dans ce cas opposable (al. 1) ; que l’appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (al. 2) ;

que la doctrine qui précise que l'autorité saisie a la faculté d'ordonner l'appel en cause, mais qu'elle n'en a pas l'obligation, sauf lorsque le tiers dispose d'un intérêt digne de protection, son droit à l'appel en cause découlant directement des art. 89 et 111 de la loi de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; que la jurisprudence interprète l'art. 71 LPA à la lumière des conditions relatives à la qualité pour recourir en procédure contentieuse (art. 60 LPA), dans le respect de la règle de base définie à l'art. 7 LPA ;

que l'institution de l'appel en cause ne doit ainsi pas permettre à des tiers d'obtenir des droits plus étendus que ceux donnés aux personnes auxquelles la qualité pour agir est reconnue ; qu'il faut toujours examiner avec soin si la personne susceptible d'être appelée en cause est touchée directement ; qu'en définitive, tout tiers qui dispose de la qualité pour recourir pourra ou devra être appelé en cause (art. 71 LPA) pour exercer ses droits, sans qu'il ne soit nécessaire de prévoir une procédure spéciale d'intervention (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 903 ss ad art. 71 LPA) ;

qu’à teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/1254/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3a et les arrêts cités) ;

qu’une association jouissant de la personnalité juridique est autorisée à former un recours en son nom propre lorsqu'elle est touchée dans ses intérêts dignes de protection (art. 60 al. 1 let. a et b LPA) ; qu’une association peut faire valoir les intérêts de ses membres lorsqu’il s’agit d’intérêts qu’elle doit statutairement protéger, qui sont communs à la majorité ou à un grand nombre de ses membres et que chacun a qualité pour s’en prévaloir à titre individuel, aussi nommé « recours corporatif égoïste » (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 137 II 40 consid. 2.6.4 ; 131 I 198 consid. 2.1) ;

que les conditions de recevabilité d’un recours, dont notamment la qualité pour agir du recourant, doivent être remplies au moment du dépôt du recours ou, au plus tard, à l’issue du délai de recours (ATF 136 II 497 consid. 3.3 ; 127 II 32 consid. 2h ; 127 II 60 consid. 1b ; ATA/425/2012 du 3 juillet 2012) ;

qu’en l’espèce, il est en premier lieu relevé qu’il ressort du procès-verbal de la séance du Conseil municipal du 14 novembre 2023 et de celui de la séance du 12 décembre 2023, produit par l’association, que le bureau avait informé celui-ci qu’un recours avait été formé contre l’arrêté de réquisition ; qu’il apparaît ainsi que l’information relative à l’existence de l’arrêté, à sa teneur et au recours dirigé contre celui-ci était connue des habitants de la commune en tout cas dès le 14 novembre 2023 ;

que, toutefois, l’association n’existait pas au moment où l’arrêté litigieux a été adopté et notifié à la commune ni au moment où il a été porté, selon les allégations mêmes de l’association, à la connaissance de la population de D______ ;

qu’ainsi, faute d’exister alors, l’association ne pouvait se voir notifier l’acte ni a fortiori recourir à son encontre ;

que, par ailleurs, l’association n’a pas produit de liste de ses membres, de sorte qu’il n’est pas possible d’examiner si la majorité d’entre eux auraient la qualité pour recourir à titre individuel contre l’arrêté litigieux ;

qu’il ressort des considérants sus-exposés que ne peut être appelée en cause qu’une personne physique ou une personne morale revêtant la qualité de partie, qualité devant être acquise au plus tard à l’échéance du délai de recours ;

que dès lors que l’association ne saurait se voir reconnaître la qualité de partie, son appel en cause doit être rejeté ;

que, pour le même motif, une éventuelle restitution du délai de recours ne peut entrer en considération ;

que, succombant, l’association s’acquittera d’un émolument de CHF 500.-;

qu’il n’ y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure aux recourants-intimés, qui se sont limités à s’en rapporter à justice.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la demande d’appel en cause de l’A_______  ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de l’A_______  ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Steven FILLETTAZ, avocat de l'A_______ , à Me Marco CARENZA, avocat des recourants, ainsi qu'au Conseil d'État.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

 

N. DESCHAMPS

 

la juge déléguée :

 

 

 

F. KRAUSKOPF

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :